Lettre n° 238

Par la grâce de D.ieu,
Jeudi 5 Tamouz 5706,

Je vous salue et vous bénis,

Vous m'avez posé la question suivante. Le Naguid Oumetsavé, commentant la prière de Cha'harit, dit que "la nuit n'est pas un moment propice pour le don de la Tsédaka". Or, durant celle-ci se révèle l'Attribut de rigueur. Multiplier sa participation à la Tsédaka aurait donc pu l'adoucir.

Voici ma réponse. En fait, votre question peut être renforcée. Comment interpréter les modifications que l'on trouve dans les écrits du Ari Zal, quant au fait de ne pas donner de la Tsédaka pendant la nuit et que je citerai plus loin?

Pour comprendre tout cela, nous introduirons une notion préalable. On peut, en effet, distinguer deux dimensions des Mitsvot et de la manière de les accomplir:

A) Il y a, tout d'abord, la situation dans laquelle la Mitsva elle-même et le moment de l'accomplir se correspondent. On peut citer, à ce propos, l'exemple suivant. Lorsque l'on étudie la Torah durant la nuit, le Saint béni soit-Il converse avec les Justes, dans le Gan Eden, selon le Zohar et les références qui sont mentionnées dans le Sidour, à propos du Tikoun 'Hatsot.

De même, il est dit que "vous n'allumerez pas de feu pendant le jour du Chabbat" et le Zohar explique que "tous les feux sévères sont alors cachés". Le Sefer Hamitsvot du Tséma'h Tsédek commente aussi ce verset.

B) On peut aussi imaginer que la nature de la Mitsva soit opposée au temps de l'accomplir et qu'elle ait pour but de le transformer. On peut citer l'exemple du Choffar que l'on sonne, à Roch Hachana. Le Zohar constate que "les Juifs, au jour du jugement, sonnent du Choffar et non de la corne, car ils ne souhaitent pas se lier à l'Attribut de rigueur".

Si nous envisageons le premier cas, pour ce qui fait l'objet de notre propos, on sait que l'Attribut de bonté se met en éveil, au matin et qu'il faut alors donner de la Tsédaka, avant la prière, ainsi qu'il est dit "Je contemplerai Ta face dans la Justice(1)". A l'opposé, il est moins nécessaire d'en donner à Min'ha, lorsque l'Attribut de sévérité se met, à son tour, en éveil. Puis, cela devient totalement inutile avant Arvit, lorsque se révèle la rigueur la plus dure.

Si nous adoptons la seconde conception, on peut dire qu'à Min'ha, il faut adoucir la sévérité qui s'éveille, ce qui est essentiellement réalisé par la Tsédaka et l'on donne donc trois pièces avant cette prière. A Arvit, en revanche, on ne le fait pas, car la rigueur est particulièrement dure et il est dit que "l'on ne doit pas museler le boeuf qui laboure"(2). C'est alors le moment où elle domine et il ne convient pas de lutter contre elle.

Le Ramaz, commentant le Raya Méhemna et cité dans un discours 'hassidique qui a été prononcé en 5695, dit: "Les forces du mal furent également créées par D.ieu et elles doivent donc recevoir la vitalité qui leur permet d'exister. De fait, elles possèdent deux sources de vitalité, celle que D.ieu leur a accordé et celle qui leur est ajoutée par les hommes commettant des fautes".

Dans le traité Chekalim 5, 4, nos Sages disent que Rabbi 'Hanina Bar Papa soulignait la grande importance de la Tsédaka. Une nuit, il rencontra le maître des esprits, qui lui dit: "Le maître ne nous a-t-il pas enseigné que la concurrence déloyale est interdite?". On peut le comprendre, en fonction de ce qui vient d'être dit et point n'est besoin d'expliquer, comme le fait le Korban Haéda, que celui-ci le mit en accusation parce qu'il avait dû quitter son domaine.

Dans le Sidour du Rav de Rachkov, on trouve une précision supplémentaire, qui ne figure pas dans celui du Maharik: "On ne donne pas de Tsédaka à Arvit, car c'est alors la nuit et la rigueur se marque dans toute sa sévérité. On peut donc craindre l'emprise des forces du mal".

* * *

De façon générale, voici comment il convient de formuler cette question. La Tsédaka est une Mitsva dont l'application ne reçoit pas un temps précis. Dès lors, comment s'en dispenser pendant la nuit?

On pourrait expliquer que les écrits du Ari Zal font allusion à la Tsédaka spécifique que l'on donne avant la prière, précisant que cette pratique ne concerne pas celle d'Arvit. Mais, cette interprétation n'est pas exacte, car la raison invoquée ici, le lien entre la nuit et la sévérité, s'applique à toute la durée de la nuit(3).

Peut-être est-il possible d'imaginer deux manières de définir la Mitsva de la Tsédaka:
1. Lorsque l'on voit un pauvre qui tend la main, on doit mettre en pratique le verset "ne laisse pas ton coeur indifférent" et le Choul'han Arou'h, s'appuyant sur l'histoire de Na'houm Ich Gam Zo, affirme qu'il faut la lui donner immédiatement.
2. De plus, un homme ne doit jamais gâcher une occasion de donner de la Tsédaka, même si aucun pauvre ne se présente devant lui, selon le traité Baba Batra 9a, retenu par le Choul'han Arou'h pour la Hala'ha.

Les écrits du Ari Zal retiennent la dernière définition et, selon le Chaar Hacollel, le Ari Zal lui-même donnait la Tsédaka à un collecteur et non à un pauvre. Selon la première définition, en revanche, aucune différence ne peut être faite entre le jour et la nuit, conformément au verset "ne laisse pas ton coeur indifférent".

Certes, la nuit est un moment de sévérité et le domaine de la rigueur doit être respecté. Dès lors, quelle différence si l'on adopte la première ou la seconde définition? En fait, cette question ne se pose pas et il y a réellement une différence. Car, si la divine Providence fait qu'un pauvre se présente, sans que l'on ait eu à le chercher, cela veut dire qu'il faut lui donner de la Tsédaka. C'est bien évident.

* * *

Néanmoins, on peut encore s'interroger en considérant ce que dit l'Admour Hazaken au début du Sidour et d'Igueret Hakodech 8. Il explique, en effet, que l'on donne de la Tsédaka à un pauvre avant la prière afin que la bénédiction obtenue pendant celle-ci prenne également une forme matérielle. Or, cela est tout aussi nécessaire pour Arvit.

On peut, cependant, expliquer qu'Arvit est particulier puisque toutes les bénédictions dépendant de l'homme ont déjà été reçues à Cha'harit et à Min'ha. C'est en ce sens qu'Arvit n'est pas une obligation. A l'opposé, on peut dire aussi que, pendant Cha'harit et Min'ha, moments de grande élévation spirituelle, un acte spécifique est nécessaire pour entraîner une application matérielle, alors qu'Arvit est d'emblée plus proche du monde physique et réalise le bilan de ce qui est accompli pendant la journée. Il faudrait approfondir tout cela, mais ce n'est pas ici l'occasion de le faire.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,



La Haggada Be'hipazon Pessa'h, citant le Maassé Tsédaka, dit qu'il faut donner une pièce à la Tsédaka chaque nuit, après le compte de l'Omer, afin de réparer les grands bienfaits du monde qui ont été gâchés.

Je ne connais pas l'auteur du Maassé Tsédaka. Il semble que ce soit un maître Séfarade de la Kabballa. S'il est digne de foi et s'appuie sur l'enseignement du Ari Zal, il faut prendre en compte son avis, qui demande de donner de la Tsédaka, la nuit. Néanmoins, on peut le comprendre d'après ce qui a été expliqué auparavant. Il parle, en effet, de réparer ce qui a été gâché(4) et non de ce qui a été décidé par D.ieu.

Notes

(1) Tsédek, de la même étymologie que Tsédaka.
(2) Il faut donc laisser l'Attribut de rigueur remplir sa mission.
(3) Et non spécifiquement au moment qui précède la prière d'Arvit.
(4) Ce qui peut être fait à n'importe quel moment.