Lettre n° 234

Par la grâce de D.ieu,
Mercredi 27 Sivan 5706,
Brooklyn,

Au grand Rav, 'Hassid qui craint D.ieu, érudit, recteur de laYechiva, le Rav M. A. L. Shapiro(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre du 13 Nissan:

A) Vous vous interrogez sur ce que j'ai écrit, dans le troisième numéro du Kovets Loubavitch(2), à propos de la différence entre la soumission à D.ieu de tous les hommes et celle des Patriarches. J'ai noté, à ce propos, deux différences qui, bien sûr, sont liées:
1. Les Patriarches furent soumis à D.ieu chaque jour de leur vie.
2. Leur soumission se marqua dans chaque membre de leur corps.
On ne peut en dire de même pour tous les autres hommes.

Vous définissez une troisième différence et considérez que les Patriarches possédaient, en outre, la perception du Divin. Vous voulez sûrement dire qu'ils comprenaient Sa grandeur et la manière dont Il dépasse notre entendement, ce qui n'est pas le cas chez tous les autres hommes, même si le Likouteï Torah permet de s'interroger, à ce propos.

Vous vous basez sur le chapitre 34 du Tanya, selon lequel "l'homme doit se dire que son intellect et la source de son âme sont trop réduits pour qu'il soit parfaitement soumis à D.ieu, devienne le Sanctuaire de son unité avec une vérité parfaite" et vous en déduisez que la soumission parfaite est une démarche intellectuelle.

Vous avancez que percevoir la grandeur de D.ieu est partie intégrante de l'effort consistant à se soumettre pleinement à Lui. On peut soulever, à ce propos, plusieurs objections:
1. L'image précédemment énoncée ne décrit nullement cette idée.
2. Dans le Tanya, aux chapitres 20 et 39, dans Igueret Hakodech 25 et dans plusieurs autres discours 'hassidiques, la soumission des Patriarches est définie sans aucune référence à cette notion, bien que tous les autres aspects soient effectivement mentionnés.
3. Les chapitres 34 et 46 évoquent la soumission des Patriarches à propos d'une autre idée, mais non pour ce qui concerne leur service de D.ieu.

Il me semble donc nécessaire de faire une distinction entre la cause et l'effet. Ainsi, la charrette est soumise au cocher et, de cette manière, elle présente une qualité qu'il n'a pas lui-même puisqu'elle peut le conduire là où il n'est pas capable de se rendre sans elle. Mais, la soumission véritable consiste à ne pas avoir de volonté propre, à offrir à D.ieu l'essence de son être, comme l'indique un discours 'hassidique prononcé en 5700, qui présente les Patriarches comme la "charrette" du Tout Puissant. Néanmoins, une lecture superficielle de ce texte permet de conclure qu'une "charrette" répond toujours à cette définition et c'est également ce que dit le Biyoureï Zohar, au début de la Parachat Bechala'h.

En ce sens, la soumission décrite par l'image de la charrette ne conduit pas à faire abstraction de sa propre personne. Elle est donc la "charrette inférieure", le degré de soumission qu'atteignent les anges appartenant aux catégories des Serafim, 'Hayot et Ofanim(3). Mais, il y a aussi la "charrette supérieure", la soumission qui fait totalement abstraction de la personnalité, le niveau des Patriarches, dont les âmes étaient issues du monde spirituel d'Atsilout(4).

De même, le membre du corps physique qui accomplit la Mitsva est soumis à D.ieu, alors que la Mitsva elle-même Lui est unifiée. C'est la qualité des réceptacles du monde spirituel d'Atsilout, que ne possèdent pas les âmes issues de ce monde, comme l'explique Igueret Hakodech 20. Tout cela est précisé dans un discours 'hassidique qui fut prononcé le 24 Tévet 5613(5).

Comment accéder à cette forme du service de D.ieu? Certes, par la source de son âme, qui définit les capacités de l'intellect et de la perception.

On peut ainsi comprendre pourquoi tout cela n'apparaît pas dans l'image précédemment citée, qui décrit la forme spécifique du service de D.ieu à laquelle correspond l'idée de la charrette et non le moyen d'y parvenir. En ce sens, aucune raison spécifique n'est nécessaire pour parvenir à une telle forme de soumission, puisqu'il s'agit uniquement d'une démarche naturelle(6). Cela n'est pas le cas pour les autres hommes, comme l'affirme le Likouteï Torah.

C'est pour la même raison que l'on ne trouve aucune allusion à tout cela dans les textes décrivant la forme du service de D.ieu qui est qualifiée de "charrette". En effet, il n'y a là qu'une cause, qu'une motivation au service de D.ieu.

Il faut, toutefois, citer une exception, en l'occurrence le chapitre 34 du Tanya, selon lequel un homme ne doit pas se désespérer s'il n'est pas parvenu à la soumission à D.ieu décrite par le chapitre 33, c'est-à-dire au niveau de la "charrette" et qui précise ce qu'il doit faire, en pareil cas. Ce texte précise que l'on ne peut accéder à une telle forme du service de D.ieu si l'on n'a pas auparavant réalisé tous les préparatifs nécessaires, ce qui est impossible pour l'homme dont "l'intellect et la source de l'âme sont trop réduits".

C'est ainsi que les enfants d'Israël furent incapables de supporter la révélation du Sinaï. Ils bâtirent donc un Sanctuaire pour D.ieu(7). De la même manière, celui qui est dans cette situation doit fixer un temps pour étudier la Torah.

Il en est de même pour le chapitre 46 du Tanya, qui se demande comment l'on peut dire "votre D.ieu", au même titre que l'on dit "D.ieu d'Avraham", cette formulation incluant également les ignorants et les personnes incultes.

B) Vous vous interrogez sur ce que dit l'Admour Hazaken, à la fin du chapitre 7 des lois sur la préservation du corps: "On ne peut boire des liquides coupés d'eau, dès lors qu'ils ont passé la nuit dans un ustensile métallique. (Bien entendu, ceci s'applique également à l'eau elle-même, lorsqu'elle passe la nuit dans un ustensile métallique)"(8).

Vous faites remarquer que:
1. dans la ville sainte où vous résidez, il est impossible de respecter ce principe, car l'eau qui se trouve dans les cours passe la nuit dans des ustensiles de fer,
2. plusieurs passages du Talmud permettent de soulever une objection contre ce principe.

Mon beau-père, le Rabbi Chlita, ne m'a jamais rien dit, à ce propos.

Conformément à votre demande, je formulerai mon avis, en la matière:

a) Vous tentez de justifier la pratique de la ville sainte en proposant une interprétation nouvelle des paroles de l'Admour Hazaken, considérant qu'il ne serait pas interdit de boire de l'eau ayant passé la nuit dans un ustensile métallique et que ce principe doit être replacé dans le contexte du paragraphe précédent, qui parlait de liquides coupés d'eau. L'Admour Hazaken précise ici que, si l'eau a été placée dans un ustensile métallique, puis a servi à couper d'autres liquides et a passé la nuit ainsi, elle est, a fortiori, interdite.

On peut, à mon sens, s'interroger sur cette interprétation:
1. Elle conduirait à dire que les paroles de l'Admour Hazaken ne sont nullement explicites. Or, ce paragraphe a pour but d'exposer sa conception et c'est pour cela qu'il ajoute plusieurs termes ne figurant pas dans le texte talmudique qu'il cite.
2. Il aurait pu dire: "Il est inutile de préciser que l'eau elle-même, si elle passe la nuit dans un ustensile métallique". Car sa formulation semble indiquer qu'il s'agit bien de l'eau(9).
3. Sur quelle base l'Admour Hazaken introduirait-il une idée aussi nouvelle? Car, le Talmud ne parle pas du tout de l'eau, dans ce contexte.

Il faut en conclure que l'eau est, selon l'Admour Hazaken, susceptible, plus que tout autre liquide, de s'imprégner d'un esprit impur. C'est pour cela que les interdits énoncés au paragraphe 4 de la même référence concernent uniquement l'eau. En conséquence, les liquides coupés sont interdits du fait de l'eau qu'ils contiennent. Il est donc absolument évident que l'eau elle-même, ayant passé la nuit dans un ustensile métallique, est interdite.

Dans ses responsa Bneï Tsion, le Rav D. Shapiro, de Jérusalem(10) interprète les propos de l'Admour Hazaken en en limitant l'application à l'eau ou au liquide destinés à la boisson. Il n'envisage nullement qu'il puisse s'agir de liquides coupés. Vous consulterez son développement.

Ainsi, cette interprétation, par elle-même, suscite l'interrogation. Mais, bien plus, l'Admour Hazaken lui-même a précisé ce qu'il voulait dire, en parlant "de liquides coupés d'eau" et en précisant que "ceci s'applique également à l'eau". On ne peut donc comprendre cette expression qu'à son sens littéral, comme prononçant une interdiction sur l'eau elle-même, sans aucune référence au Talmud.

C'est pour cela que l'affirmation relative à l'eau figure entre parenthèses, ce qui indique que l'Admour Hazaken avait un doute, à ce sujet, comme l'explique le Chéérit Yehouda, cité au début du Chaar Hacollel. Et la question que se pose l'Admour Hazaken est, en l'occurrence, la suivante. Peut-on, en la matière, adopter un raisonnement a fortiori?

Pour ma part, je justifierai la pratique de la ville sainte de Jérusalem en disant que l'eau est interdite uniquement lorsqu'elle passe la nuit dans un ustensile métallique, c'est-à-dire un ustensile mobile, comme ceux que l'on utilise partout. A l'opposé, si celui-ci est attaché à un édifice ou au sol, il n'est plus, de différents points de vue, considéré comme un ustensile. Pour ce qui de leur imprégnation par un esprit d'impureté, point n'est besoin d'imaginer que ce soit effectivement le cas et l'on peut se contenter de ce qui est expressément interdit.

Mais, en réalité, je ne sais pas si toute cette analyse est réellement nécessaire. Car, on peut se contenter de dire que la protection de D.ieu est acquise, dès lors que de nombreuses personnes sont en cause, comme le soulignent nos Sages, au traité Chabbat 129b et dans les références données par les responsa du Tséma'h Tsédek. Bien plus, ces références font allusion à un danger naturel et D.ieu doit donc accorder Sa protection, tant que perdure ce danger. En l'occurrence, par contre, il s'agit d'un danger surnaturel et, dès lors que de nombreuses personnes sont en cause, il doit disparaître complètement.

Un érudit de la Torah peut donc s'en remettre à cela, même s'il entend se passer de la protection divine, selon les avis en ce sens mentionnés par le Tséma'h Tsédek, dans ses responsa.

On peut trouver une allusion au fait qu'il est possible de faire disparaître une telle situation, et non d'être uniquement protégé du danger, dans le Yerouchalmi, à la fin du traité Péa, qui condamne la concurrence déloyale, ce qui implique que l'un n'empiète pas sur le domaine de l'autre(11).

Une autre preuve est citée par le traité Pessa'him 111b et rapportée par le Choul'han Arou'h de l'Admour Hazaken. Il est dit, en effet, que suspendre du pain rend pauvre. Mais, cela n'est pas vrai pour de la viande et du poisson, puisqu'une telle pratique est courante.

Néanmoins, il n'y a pas là une preuve probante, car la pauvreté ne vient pas, en pareil cas, parce que le pain a été suspendu en l'air, mais parce que cette pratique est humiliante pour lui. Le traité Bera'hot 24a établit que le fait de suspendre le pain est une infamie, ce qui n'est pas le cas pour la viande et le poisson puisqu'il est habituel de le faire. Tout cela ne concerne donc pas notre propos.

Certes, nos Sages, au traité Avoda Zara 30a s'interrogent effectivement sur la conduite à adopter en cas de danger, mais mon propos est uniquement de justifier une coutume qui est instaurée depuis longtemps(12).

* * *

b) Vous basant sur le Over Ora'h, livre que je n'ai moi-même pas vu, vous vous interrogez sur l'affirmation de l'Admour Hazaken, à partir du traité 'Houlin 55b, qui parle des taches noires sur le poumon(13). Vous constatez, à juste titre, que l'on peut déverser cette eau par la suite, d'autant que le poumon y a trempé pendant vingt quatre heures.

En revanche, votre seconde explication, selon laquelle un objet ne peut se trouver sous l'emprise de l'esprit d'impureté, dès lors qu'il est plongé dans l'eau me parait plus contestable. Si c'était le cas, pourquoi cela n'aurait-il pas été dit clairement? En effet, le traité Baba Metsya 29b, dans un cas similaire, l'établit clairement. L'Admour Hazaken le cite dans son Choul'han Arou'h et ne permet que ce que l'on trempe habituellement dans l'eau, de cette manière.

Vous citez aussi le Choul'han Arou'h Ora'h 'Haïm, chapitre 455, qui permet, lorsque l'on ne peut faire autrement, de prendre de l'eau qui a passé la nuit dans un ustensile métallique.

En réalité, aucune référence ne permet d'utiliser l'eau, en pareil cas. En outre, il est, a priori, interdit de puiser, c'est-à-dire de recueillir de l'eau dans un ustensile métallique. Si l'on ne peut faire autrement, néanmoins, il a été permis de le faire. Par contre, il ne s'agit nullement ici d'eau qui a passé la nuit dans cet ustensile métallique.

Certes, l'Admour Hazaken, dans son Choul'han Arou'h, permet cette eau lorsqu'elle a passé de nombreux jours dans l'ustensile, mais il fait abstraction des nuits et il ne le précise pas clairement, car il parle ici de la préservation du corps et non de l'eau qui passe la nuit dans un ustensile. De même, dans les lois de Pessa'h, il ne répète pas la nécessité de ne pas laisser l'eau dans un ustensile pendant toute la nuit. Mais, cette explication n'est pas pleinement satisfaisante.

Peut-être le Talmud parle-t-il, à cette référence, de ceux qui boivent un liquide coupé avec de l'eau. Une telle interdiction n'est pas naturelle, à la différence de celle qui est faite de l'eau qui est restée découverte(14). Nous devons donc nous en tenir à cette idée nouvelle, l'interdiction de boire ce liquide, qui ne s'applique pas lorsque l'eau est mélangée à la pâte, car il est alors impossible de la boire.

En tout état de cause, on ne peut rapprocher deux situations qui ne sont pas comparables. Ainsi, il n'est pas interdit de faire usage de cette eau, comme c'est le cas pour celle qui a servi à se laver les mains, le matin.

Le fait que l'interdiction portant sur un liquide coupé d'eau concerne uniquement la boisson permet de répondre à la question posée par le traité Soukka 48b. Ce texte dit, en effet, qu'on ne laisse pas, pendant toute une nuit, l'eau des libations dans un tonneau en or, alors que, selon le Yerouchalmi, cette eau doit être apportée par un Juif. Toutefois, pareille affirmation n'apparaît nullement dans le Talmud Babli, d'après les commentaires de Rachi et des Tossafot.

Concernant l'explication du Racham de Brézan, selon laquelle il n'y avait pas d'esprit d'impureté dans le Temple, vous consulterez les responsa Bneï Tsion, précédemment citées, qui formulent plusieurs avis, à propos de cette question.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

M. Schneerson,
Directeur du comité de rédaction(15)

Notes

(1) Le Rav Moché Aryé Leïb Shapiro, de Terre Sainte.
(2) Voir, à ce propos, la lettre n°162.
(3) Résidant dans les mondes spirituels de Brya, Yetsira et Assya, dans lesquels le mal a fait son apparition et qui, dès lors, conservent la conscience de leur propre existence.
(4) Duquel le mal est absent et dans lequel aucun ange ne peut résider.
(5) Il s'agit d'un discours 'hassidique du Tséma'h Tsédek qui a été retransmis par Rabbi Hillel de Paritch. Ce passage apparaît dans une seconde version de cette lettre. Dans la première, le Rabbi citait ici quelques autres références et faisait une distinction entre le chapitre 23, qui parle de la soumission à D.ieu des membres du corps des Patriarches et le chapitre 39, qui fait référence à leur âme.
(6) Pour les Patriarches.
(7) Afin de circonscrire cette révélation.
(8) Voir, à ce propos, la fin de la lettre précédente.
(9) Et non d'un autre liquide coupé avec cette eau.
(10) Le Rav David Shapiro, auquel est adressée la lettre précédente.
(11) De même, les forces de l'impureté ne pourront s'introduire dans le domaine de l'érudit de la Torah.
(12) Celle de boire de l'eau qui a passé la nuit dans les récipients métalliques fixés dans les cours de Jérusalem.
(13) Lorsque le poumon d'un animal est asséché, il reste cacher s'il s'agit d'une manifestation naturelle, ne l'est plus, s'il y a eu intervention de l'homme. Pour le déterminer, on laisse ce poumon tremper dans l'eau pendant vingt quatre heures. Il porte alors des taches blanches dans le premier cas, des taches noires dans le second.
(14) Et dans laquelle un serpent a donc pu déposer son venin, ce qui est bien une situation naturelle.
(15) Du Kovets Loubavitch. Voir, à ce propos, la lettre n°195.