Lettre n° 233

Par la grâce de D.ieu,
Vendredi 22 Sivan 5706,
Brooklyn,

Au grand Rav, 'Hassid érudit, qui craint D.ieu,
le Rav D. Shapiro(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre.

J'ai bien reçu votre livre, le tome 1 des responsa Bneï Tsion et je vous remercie de me l'avoir offert. J'y ai trouvé, avec satisfaction, une analyse liée à l'astronomie, reprenant les propos de nos Sages sur le décompte des années. Très peu d'auteurs commentent cette partie de notre Torah et ceux qui possèdent des connaissances en la matière sont bien peu nombreux. Or, nos Sages disent, au traité Chabbat 75a, que "il est une Mitsva pour l'homme (et non pour le tribunal) d'établir le compte des saisons et des influences astrales". On consultera, à ce propos, le Sefer Mitsvot Gadol, Injonction 47 et le Sefer Hamitsvot du Rambam, second principe(2). Nos Sages conseillent, en outre, de tenir à l'écart celui qui est capable de faire ces calculs astronomiques et s'en abstient. Ils lui appliquent les termes du verset: "Ils ne prêtent pas attention aux réalisations de D.ieu".

Le livre que vous avez adressé à mon beau-père, le Rabbi Chlita, lui est bien parvenu en son temps, de même que la liste des participants à l'écriture du Séfer Torah, parmi lesquels vous figuriez avec les membres de votre famille. En revanche, je ne sais rien de la lettre que vous avez écrite à mon beau-père, le Rabbi Chlita, il y a deux ans, ce laps de temps étant important.

Je voudrais formuler deux ou trois remarques sur votre livre, que j'ai consulté rapidement, conformément au principe énoncé par nos Sages selon lequel on peut acquérir de nouvelles notions précisément en s'interrogeant sur l'enseignement que l'on reçoit. Je citerai des passages sur lesquels on peut s'interroger, à mon humble avis.

J'ai choisi ce qui est le plus surprenant dans votre livre, c'est-à-dire le recueil sur la lumière des sept jours, dont votre père est l'auteur:

A) A la page 26d, vous comparez les trois avis sur ce que sera la lumière du soleil, dans le monde futur, sept fois, quarante neuf fois ou trois cent quarante trois fois plus forte, en vous basant sur les propos de nos Sages, figurant dans le Midrach Béréchit Rabba 10, 4, selon lesquels la révolution du soleil, avant la faute d'Adam, le premier homme, était beaucoup plus courte.

A l'époque, le soleil était sept fois plus proche de la terre. Son diamètre semblait donc sept fois plus grand et sa surface, quarante neuf fois plus importante. L'influence émanant de la planète soleil était alors trois cent quarante trois fois plus intense.

Ce que vous dites pour les sept et quarante neuf fois est exact. En revanche, ce que vous avancez pour les trois cent quarante trois fois n'est pas compréhensible, car, concrètement, la taille du soleil n'a pas été modifiée et seule la distance entre cette planète et la lune a été sept fois diminuée. L'influence du soleil perçue sur la surface de la terre était donc accrue uniquement de quarante neuf fois.

Je citerai un exemple. Un champ magnétique dépend de la taille de l'aimant et de celle de l'objet qu'il attire. Malgré cela, si leur taille n'est pas modifiée mais la distance qui les sépare divisée par sept, la force de ce champ magnétique sera multipliée par quarante neuf et non par trois cent quarante trois. Cela est établi et vous le rappelez vous-même dans votre livre, à la page 73.

On ne peut donc comparer les trois conceptions, de la manière dont vous le faites, qu'en admettant une modification de la taille du soleil, en l'occurrence une multiplication par sept de son diamètre et donc, par quarante neuf, de sa surface. L'influence que le soleil accorde serait ainsi elle-même multipliée par trois cent quarante trois.

Certes, l'intensité de la lumière dépend uniquement de la surface éclairée et non de son épaisseur ou de sa quantité. Mais, il peut aussi en être autrement. Ainsi, une pièce de métal éclaire lorsqu'elle est chauffée au rouge. Sa chaleur dépend, bien évidemment, de sa taille et non de sa surface. Bien plus, pour l'heure, nous ne savons pas comment éclaire le soleil, selon le traité Chabbat 39a, le Yerouchalmi Roch Hachana 2, 4 et le Rambam, dans ses lois des fondements de la Torah 2, 3.

B) A la page 28c, vous commentez brièvement et hâtivement une explication de nos Sages. Selon les astronomes, sur les connaissances desquels vous vous appuyez pour rédiger ce paragraphe, vous dites que, si la distance entre le soleil et la terre était réduite sept fois, le temps de la révolution solaire, serait diminué environ dix huit fois et demie, mais non quarante neuf fois, comme vous l'écrivez, car la durée de cette révolution ne dépend pas uniquement de la force de pesanteur et n'est pas modifiée par la distance.

Vous citez, dans votre livre, le Mehalé'h Hako'havim, un livre que je n'ai pas vu, mais qui doit sûrement développer une même analyse. Et, le Midrach Rabba, précédemment cité, aurait effectivement dû nous rapporter tout cela, car tous ne le savent pas. Vous consulterez, à ce propos, le Rambam, lois des serments, à la fin du cinquième chapitre. De fait, cette loi est connue depuis trois cents ans seulement.

Je formulerais une autre remarque sur ce même paragraphe. D'après le début de votre propos et les preuves que vous citez, on peut comprendre que le soleil tournerait, selon vous, trois cent quarante trois fois plus vite et qu'en outre, le chemin qu'il parcourt serait diminué sept fois. Or, le but de votre livre est de démontrer uniquement que sa révolution est diminuée de trois cent quarante trois fois.

C) A la page 31d, vous commentez, selon votre conception, la Boraïta de Chmouel, énoncée au début du sixième chapitre, à la référence précédemment citée. Vous dites que: "le soleil fut créé sous l'astre du lion, à quinze degrés et la lune, sous l'astre du cancer, à quinze degrés".

Selon vous, la Boraïta dit que la lune apparut à vingt jours et quatre cent huit degrés(3), alors que le mouvement des luminaires commença à quinze jours. Dans le laps de temps, les luminaires parcoururent une distance pour laquelle il leur faut actuellement environ soixante dix sept jours. Pendant sept jours, la lune fut blâmée et il en reste donc soixante dix.

Cette interprétation semble juste car, si l'on admet qu'à vingt jours et quatre cent huit degrés, le soleil était, à vingt trois degrés, dans l'astre de la balance, il devait être, à quinze jours, dans l'astre du lion, à quinze degrés. Voici, en revanche, les difficultés que cette affirmation soulève:

1. Le blâme fut prononcé après l'accusation de la lune(4), qui intervint à vingt jours et quatre cent huit degrés, selon le Targoum de Yonathan Ben Ouzyel, c'est-à-dire après que les luminaires aient déjà parcouru une distance pour laquelle sont nécessaires soixante dix sept jours.

2. Si, à quinze jours, le soleil était, à quinze degrés, dans l'astre du lion et la lune, à quinze degrés, dans l'astre du cancer, lorsque ces deux planètes parcoururent une distance pour laquelle soixante dix jours sont actuellement nécessaires et compte tenu de la révolution de l'une et de l'autre, comme l'explique la Boraïta rapportée par le cinquième chapitre de la référence précédemment citée, la distance du soleil et de la lune aurait dû être d'environ cent trente degrés(5). L'apparition de la nouvelle lune aurait donc été impossible.

Quelques autres remarques pourraient être formulées, mais le cadre de cette lettre ne permet pas une analyse plus approfondie.

* * *

Le Midrach Chemot Rabba 30, 12, rapporte l'affirmation d'Ekilès à Adrien, proclamant la qualité d'Israël, selon laquelle, le Juif le plus humble sait combien de temps s'est écoulé depuis la création du monde, malgré les différents avis qui sont énoncés à propos du décompte des années. Vous vous interrogez, à ce propos, dans votre livre et l'on peut donc donner l'explication suivante.

Les nations du monde n'ont pas accès à cette connaissance ou n'en possèdent que des rudiments, lesquels varient pourtant d'une extrême à l'autre, comme c'est encore le cas, à l'heure actuelle. A l'opposé, le Juif le plus humble possède, dans ce domaine, des connaissances précises et non uniquement des rudiments. Et, bien qu'un doute subsiste à propos de deux ou trois ans, ceci n'est nullement comparable à l'imprécision qui existe dans les autres nations.

On peut considérer que quatre temps sont à retenir pour décompter les nouvelles lunes et les années, comme vous l'indiquez dans votre livre. Ce qui sera développé plus loin permettra, en outre, de définir un cinquième temps. Ce sont, dans l'ordre, vingt jours et quatre cent huit degrés(6), deux jours cinq heures et deux cent quatre degrés(7), six jours et quatorze heures, trois jours et vingt deux heures, huit cent soixante seize heures(8).

Il est clair que nous ne pouvons faire converger tous les avis développés par les Sages des dernières générations. A l'opposé, si nous considérons les explications données par les Sages des premières générations, nous pouvons expliquer les différences qui existent entre elles en rappelant que le décompte des années peut commencer à partir de quatre dates, depuis Roch Hachana(9), lorsque fut créé Adam, le premier homme, à partir de l'année précédente, lorsque le monde fut créé(10), à partir de l'année suivant celle de la création d'Adam, qui fut la première année entière puisque quelques heures manquèrent à la première, comme l'explique le Rambam, dans ses lois de la sanctification du mois, 6, 8. De plus, une année de différence doit être introduite, selon que l'on considère que le soleil et la lune fonctionnèrent, ou furent suspendus, pendant le déluge, comme l'expliquent différents livres qui définissent les principes astronomiques. Vous consulterez également l'explication de nos derniers Sages sur le chapitre 67 du 'Hochen Michpat et la fin du commentaire de la Boraïta de Chmouel, par le Rav A. L. Lipkin.

Toute discussion sur le compte des années et la prévision de la nouvelle lune est basée sur cela. En revanche, tous les avis convergent sur le temps qui s'est écoulé depuis la création du monde. C'est précisément pour cela que Ekilès pouvait dire: "Le Juif le plus humble sait combien de temps s'est écoulé depuis la création du monde".

Mais, je disais plus haut que l'on peut retenir un cinquième temps, pour comprendre la Boraïta de Chmouel, énoncée au début du sixième chapitre, à la référence précédemment indiquée, en se basant sur l'explication des Tossafot, sur le traité Roch Hachana 8a. Ceux-ci indiquent comme temps six jours et quatorze heures, puis ils mentionnent, à l'appui de leurs dires, les propos de nos Sages, au traité Sanhédrin 38b, selon lesquels Adam reçut, à la neuvième heure, l'ordre de ne pas consommer le fruit et, à la dixième heure, il commit la faute. Selon un autre avis, il le fit au milieu de la journée, comme l'indique le Séder Hadorot, se basant sur la fin du chapitre 18 du Midrach Béréchit Rabba et il reçut donc l'ordre au début de la sixième heure du jour. Le temps a retenir(11) est donc six jours et onze heures.

Ce qui vient d'être dit permet de comprendre la Boraïta de Chmouel, énoncée au début du sixième chapitre, selon laquelle le soleil, lors de la création, était, à quinze degrés, dans l'astre du lion et la lune, à quinze degrés, dans l'astre du cancer. Cette Boraïta conclut: "Ainsi, le cycle lunaire, au début de la création des deux luminaires, fut de deux jours un quart(12). Le parcours du soleil fut deux degrés un quart".

En conséquence, deux jours et onze heures étaient encore nécessaires jusqu'à la nouvelle lune(13), car, selon la Boraïta, le mouvement des luminaires commença la veille du quatrième jour. La nouvelle lune apparut donc le sixième jour, à onze heures, ce qui confirme les propos de nos Sages précédemment cités.

Selon la formulation de la fin de cette Boraïta, il s'agit donc bien ici de la première apparition de la nouvelle lune. En revanche, selon votre développement, on peut se demander ce que ce texte nous enseigne, puisque l'on ne tient pas compte de cette nouvelle lune, mais de celle qui intervient deux ou trois cycles plus tard. De même, la durée de ce cycle n'était vraisemblablement pas de deux jours, mais fut trois cent quarante trois fois plus rapide, comme on peut le comprendre aisément.

Le onzième chapitre des Pirkeï de Rabbi Eliézer dit qu'Adam reçut l'Injonction divine à la huitième heure, ce qui introduit un sixième temps(11), six jours et treize heures, que je n'ai vu, pour l'heure, mentionné par personne, alors que le temps de six jours et onze heures découle, à l'évidence de la Boraïta de Chmouel.

Le Yearot Devach cite aussi la Boraïta selon laquelle les luminaires furent créés le 15 Av et explique que c'est leur emplacement qui fit alors son apparition, l'astre du 15 Av étant le lion. Il justifie ainsi l'affirmation de la Boraïta, selon laquelle le soleil fut créé dans l'astre du lion, à quinze degrés, comme vous l'indiquez vous-même.

A mon sens, on peut s'interroger, à ce propos. Une telle interprétation est-elle réellement nécessaire? Bien plus, ne risque-t-elle pas d'induire en erreur et de prêter à penser qu'il s'agit ici réellement du temps, alors que le Yearot Devach parle uniquement de l'emplacement de la création des luminaires?

Vous n'ignorez sans doute pas que, selon le Yearot Devach, la nouvelle lune apparut le sixième jour, à la vingt et unième heure. Or, je n'ai vu personne d'autre qui partage cet avis avec lui. De plus, il cite comme temps(11), au quinzième discours, six jours et quatorze heures.

* * *

D) A la page 38c, vous expliquez les propos de l'Admour Hazaken, dans son Choul'han Arou'h, concernant "les boissons qui ont versées"(14), en affirmant que celles-ci l'ont été pour être bues, mais non qu'elles ont été coupées d'eau(15), comme on le comprend généralement(16).

Selon cette interprétation, on peut se demander pourquoi l'Admour Hazaken précise que "ceci s'applique également à l'eau elle-même" et quel est le sens de l'expression "elle-même". De plus, l'Admour Hazaken précise très clairement son avis, puisqu'il dit: "On ne peut boire des liquides qui ont passé la nuit, après qu'ils aient été coupés d'eau".

Du reste, l'expression "ceci s'applique également à l'eau elle-même" se trouve entre parenthèses et l'on sait que l'Admour Hazaken notait ainsi ce qui ne lui paraissait pas certain. Il désirait donc revenir sur le contenu de ce chapitre, pour en vérifier l'exactitude, comme le fait remarquer le Chéérit Yehouda, cité par le Chaar Hacollel.

Je suis convaincu que vous ne m'en voudrez pas pour ces quelques remarques, qui ne remettront pas en cause nos bonnes relations.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(17)

La 'Hassidout donne deux explications de l'affirmation suivante: "La lumière de la lune sera comme celle du soleil et celle du soleil comme celle des sept jours"(18):
1. Dans le monde futur, la lumière de la lune sera aussi intense que celle du soleil.
2. A l'époque du Machia'h, la lumière du soleil sera uniquement le septuple de celle de la lune, comme le dit le Talmud.

De même, il y a aussi deux explications sur les "sept jours" dont il est ici question, le cycle hebdomadaire actuel ou les sept jours de la création. Le Likouteï Torah et les discours 'hassidiques de 5666(19) expliquent tout cela.

Ces explications permettent peut-être de comprendre les trois interprétations de l'expression "au septuple", sept fois, quarante neuf fois ou trois cent quarante trois fois.

J'ai également constaté que vous citez, à la fin de votre introduction, le grand Rav et 'Hassid, Rabbi Barou'h Morde'haï de Babroysk. Certains disent que son nom de famille était Atigna et d'autres, Atigner. Avez-vous des précisions à ce propos?

Vous avez sans doute vu le Kountrass Bikour Chicago, recueil de causeries de mon beau-père, le Rabbi Chlita. Sa biographie est rappelée dans la seconde causerie. Votre famille dispose-t-elle d'informations supplémentaires, à ce propos, comme la date de sa naissance et celle de son décès? De même, disposez-vous de manuscrits du Rambam et de commentaires dont il est l'auteur?

Notes

(1) Le Rav David Shapiro, de Jérusalem, auteur des responsa Bneï Tsion.
(2) Le Rabbi note, en bas de page: "J'ai ultérieurement trouvé cette affirmation aussi dans le Tsavaat Yech No'halim. On consultera également le recueil des responsa du Rambam, paragraphe 61."
(3) Du cycle lunaire. Voir, à ce propos, le Rambam, lois de la sanctification du mois, chapitre 6.
(4) Qui, après avoir été créée à l'identique du soleil, constata que "deux rois ne peuvent faire usage de la même couronne". On lui répondit donc: "Diminue ta circonférence".
(5) Le différentiel de vitesse, entre le soleil et la lune, est, chaque jour, de 12° 11' 27". Au bout de soixante dix jours, il est donc de 133° 21,5'. Lors de la création, 30° les séparaient. Au bout de soixante dix jours, il y avait donc entre eux 103° 21,5'.
(6) Précédemment défini.
(7) Qui est le temps de la première lune nouvelle, lors de la création, date à partir de laquelle commence le décompte calendaire et donc le premier cycle de celui-ci. Ce à quoi cette date correspond, de même que les suivantes, sera défini, par la suite, dans le texte.
(8) Et huit jours qui sont le décalage total entre le cycle lunaire et le cycle solaire.
(9) Soit le sixième jour de la création.
(10) Depuis le premier jour de la création.
(11) Pour le décompte des années.
(12) Le cycle lunaire est de 13° 10' 35". La lune, en deux jours un quart et trente minutes, parcourt donc 30°. Pendant ce temps, le soleil parcourt 2 degrés un quart, puisque son cycle journalier est 59' 8".
(13) Selon le compte qui vient d'être établi, la différence journalière, entre les cycles lunaire et solaire, est de 12° 11' 27". Ainsi, 30° divisés par ce chiffre font 2,46, c'est-à-dire deux jours onze heures et deux minutes et demie.
(14) La loi dont il est ici question sera citée in extenso plus loin.
(15) Voir, à ce propos, la lettre suivante.
(16) Mazoug signifie à la fois versé et coupé.
(17) Des éditions Kehot.
(18) Qui figure dans la bénédiction de la lune.
(19) 1906, du Rabbi Rachab.