Lettre n° 206

Par la grâce de D.ieu,
Mercredi 15 Tevet 5706,

Au grand Rav, 'Hassid qui craint D.ieu, d'une immenseérudition, le Rav M. D.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre:

A) Vous avez déduit de ma lettre que, lorsque l'on étudie une explication de la Torah dans ce monde, celui qui en est l'auteur la reprend dans la Yechiva céleste. Vous m'indiquez donc que l'on peut, de cette manière, uniquement faire bouger ses lèvres dans son tombeau. Son âme, en revanche, qui se trouve dans les sphères célestes, n'a rien à voir avec tout cela. Et elle étudie, dans la Yechiva céleste, en fonction de la Torah qu'elle a apprise lorsqu'elle se trouvait dans ce monde, mais non d'après la manière dont son enseignement est répété ici-bas.

Je n'ai trouvé, dans votre lettre, aucun élément justifiant une telle distinction et je maintiens donc ma position, précédemment développée, ou parce qu'elle correspond au sens simple, ou bien parce qu'elle est logique, ou encore parce qu'elle est conforme aux propos de nos Sages.

C'est, d'abord, le sens simple de cette explication. En répétant le commentaire développé par quelqu'un, on fait:
1. qu'il réside,
2. que cette résidence se trouve dans les deux mondes à la fois. Il est, certes, d'autres manières de résider dans l'un de ces mondes. On peut se trouver dans le monde matériel, au sens littéral. On peut aussi se trouver dans le monde futur, grâce à la pratique de la Torah et des Mitsvot. A l'opposé, faire répéter son propre enseignement est le seul et unique moyen de se trouver dans les deux mondes à la fois.

C'est également une explication logique. Si répéter ces explications permet de faire bouger les lèvres de leur auteur dans la tombe, combien plus son âme doit-elle en profiter, car c'est elle, avant tout, qui étudie la Torah. Néanmoins, D.ieu désire qu'elle le fasse alors qu'elle est encore soumise à l'emprise du mauvais penchant, selon l'expression du traité Chabbat 89a.

C'est, enfin, ce qui découle des propos de nos Sages. Je citais, dans ma précédente lettre, le traité Be'horot 31b, qui définit ces deux mondes de la manière suivante, dans ce monde par les lèvres de celui qui répète l'enseignement et dans l'autre monde par les lèvres de celui dont le nom a été mentionné. On peut en conclure qu'il en est de même pour les autres commentateurs du verset "Je résiderai dans les deux mondes", ce qui est possible précisément par cet enseignement.

Et si l'on avance que l'auteur de cet enseignement réside, en tout état de cause, dans l'autre monde, même si ses propos ne sont pas répétés, on ne comprend plus ce que disent les Tossafot, au traité Yebamot 96b, faisant remarquer que l'on parle ici de Yechiva céleste et non de monde futur.

Il faut en conclure que, parce qu'il a enseigné la Torah auparavant et que son enseignement est encore une fois répété, ceci(2) s'accomplit maintenant. Car, la récompense de la Mitsva est la Mitsva elle-même, laquelle, en l'occurrence, lui permet de siéger à la Yechiva céleste. Vous consulterez également la page 22 du 'Hano'h Lenaar(3), selon lequel celui qui a quitté ce monde reçoit une récompense à l'instant où une bonne action est faite grâce à lui, même après son décès. Cette affirmation est énoncée à propos de son fils, mais elle s'applique aussi à son disciple.

B) Le Yerouchalmi Bera'hot cite deux images, illustrant le verset "Il fait remuer les lèvres de ceux qui dorment", celle du vin vieux et celle du vin épicé(4). Vous avancez que ces deux images correspondent à deux enseignements que l'on peut répéter, celui qui appartient à la partie profonde de la Torah et celui qui relève de son aspect révélé et de son analyse. On peut s'interroger, à ce propos, pour différentes raisons:

1. Pourquoi le roi David ou Rabbi Yo'hanan ne formulèrent-ils pas le souhait que l'on répète précisément de tels enseignements?

2. Dans les traités Yebamot et Be'horot, Rabbi Yo'hanan et Rav Chéchet évoquaient l'enseignement révélé de la Torah et insistaient sur celui-ci, ce qui est incompréhensible d'après l'avis qui cite l'image du vin vieux.

3. Le vin épicé est un vin auquel on mélange du miel et des condiments, selon la Pessikta de Rav Kahana. Or, le traité 'Haguiga 13a identifie le miel à la partie cachée de la Torah. Le Yerouchalmi Chekalim est encore plus explicite: "A quoi cela lui sert-il? Bar Nezira dit: C'est comme s'il buvait du vin épicé. Rabbi Its'hak dit: C'est comme s'il buvait du vin vieux". Selon votre explication, cela ne veut rien dire.

A mon humble avis, il faut distinguer l'enseignement proprement dit que l'on répète, et qui a nécessairement une limite, qu'il appartienne à la partie révélée de la Torah ou à son enseignement caché, de son commentaire, qui n'a, en revanche, aucune limite. Et le Yerouchalmi doit être compris selon son sens littéral. Il demande de quel utilité peut être, pour l'auteur de cet enseignement, le fait de le donner encore une fois sous la même forme. Il répond alors que la Michna est comparable à du vin vieux et la Guemara, à du vin épicé.

Selon un premier avis, l'enseignement, développé dans le tribunal céleste, est comparable à du vin épicé, c'est-à-dire qu'on lui trouvera, à chaque fois, de nouveaux développements, d'autres aspects. Selon un second avis, il évoque le vin vieux, un enseignement ancien, dont on se réjouit chaque fois que l'on en ressent de nouveau le goût(...).

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(5)

Notes

(1) Le Rav Moché Dov Ber Rivkin. Cette lettre fait suite à la précédente.
(2) Le fait qu'il soit vivant.
(3) Du Rabbi Rachab, à la page 32 de l'édition actuelle.
(4) Lorsque l'on répète son enseignement ici-bas, celui qui se trouve dans l'autre monde est considéré comme s'il buvait du vin vieux ou du vin épicé.
(5) Des éditions Kehot.