Lettre n° 1996

Par la grâce de D.ieu,
27 Tévet 5713,
Brooklyn, New York,

A monsieur Ichay Halevi Meyer,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre du 13 Tévet. Mon secrétariat n’écrit pas le français(1) et ma réponse est donc rédigée en Hébreu. Les quelques mots de cette langue figurant dans votre courrier indiquent que vous le lisez et le comprenez.

A) Vous évoquez la conception qu’ont la Torah et le Judaïsme traditionnel de la théorie de l’évolution. Vous faites vraisemblablement allusion à la théorie de Darwin, ou peut-être à celle de Lamarque, cette dernière, à la différence de la première, considérant que l’évolution se fait par à-coup(2).

La conception de la Torah est bien claire. L’une des raisons pour lesquelles il est une Mitsva de se reposer, pendant le septième jour, chaque semaine, est le fait que “ pendant six jours, D.ieu a créé les cieux et la terre. Le septième jour, Il a cessé Son travail et s’est reposé ”. On peut en conclure que les six jours de la création sont bien des journées, au sens le plus littéral et non des époques, comme certains le prétendent.

Différents textes de nos Sages permettent d’établir qu’il en est bien ainsi. Les jours de la création avaient bien vingt quatre heures. Vous consulterez, à ce sujet, les Pirkeï de Rabbi Eliézer, à partir du chapitre 3, le Midrach Rabba Béréchit, le traité Sanhédrin 38b et d’autres références encore.

B) Le récit de la création précise également dans quel ordre celle-ci fut réalisée, ce qui fut introduit le troisième jour, puis le quatrième, le cinquième et le sixième. Ainsi, chaque espèce fut effectivement créée de manière indépendante. Le sens simple du verset affirme que la terre produisit des végétaux, des poissons, des serpents, des oiseaux, des bêtes sauvages, des animaux domestiques. C’est ensuite seulement que fut créé l’homme. Il n’y eut donc pas d’évolution d’une espèce vers une autre.

Remarque : Vous connaissez les explications que l’on trouve dans différents livres, en particulier le Maamar Or Ha ‘Haïm, que vous citez vous-même dans votre lettre, établissant une relation avec la théorie de l’évolution. Néanmoins, celui qui analysera ces livres et ces textes s’apercevra qu’ils ont été rédigés sans connaissance profonde du contenu de cette théorie, mais seulement dans un but bien précis, qui est celui des ouvrages apologétiques, la volonté de démontrer aux nations du monde que leurs idées et leurs conceptions apparaissent également dans les textes sacrés et dans les propos de nos Sages.

Ceux qui ont rédigé ces livres reconnaissent eux-mêmes y avoir formulé une interprétation difficile à accepter et proposée uniquement par nécessité(3). Ils ont considéré qu’il était de leur devoir de rédiger un texte permettant au monde d’avoir une vision plus positive de notre sainte Torah. Mais, ils savaient bien que leur interprétation n’était pas la bonne.

Qui est, pour nous, plus grand que le Rambam, à propos duquel nos Sages affirment que : “ De Moché à Moché(4), nul ne fut comparable à Moché ” ? Or, celui qui consulte son livre, le Yad Ha ’Hazaka, pourra vérifier que les idées qu’il développe dans son Guide des égarés, en particulier l’explication qu’il donne des Mitsvot, ne reflètent pas la conception qu’il avait de la Torah.

Il en est de même pour plusieurs philosophes, appartenant à l’orthodoxie juive, du Moyen-Age et de l’époque actuelle. Ceux-ci ont pensé sanctifier le Nom de D.ieu en déformant les propos de nos Sages pour les adapter aux théories scientifiques, pensant, de la sorte, les revaloriser aux yeux de différents cercles juifs ou même des autres nations.

Je citerai également un autre exemple. On connaît les hésitations des Grands d’Israël pour interpréter les versets décrivant les révolutions du soleil et de la lune autour de la terre, qui reste à sa place, d’après la théorie de Copernic, longtemps considérée comme étant la vérité absolue, avant que la théorie de la relativité d’Einstein ne fasse la preuve que la science est, en fait, incapable de démontrer quoi que ce soit, pour tout ce qui concerne la relation des astres et de la terre. Elle ne peut pas déterminer quelle planète décrit une révolution et quelle autre est immobile.

En conséquence, il est effectivement envisageable(5) que la terre soit immobile et que les étoiles tournent autour d’elle. Bien évidemment, cette conclusion est adoptée par la science uniquement en fonction de ses connaissances actuelles(6). Il n’est donc nul besoin d’extraire les versets de leurs sens simples, d’accepter des interprétations difficiles et improbables.

Il en est de même pour toutes les paroles de nos Sages, qui doivent être interprétées au sens le plus littéral.

C) Pour revenir à la théorie proprement dite de l’évolution, vous savez de quelle manière la science forge une hypothèse. Celle-ci répond à la nécessité d’expliquer une situation ou une difficulté que l’on peut constater dans la pratique. Elle doit, en outre, être basée sur ce que la nature et les sens permettent de vérifier.

En d’autres termes, une hypothèse scientifique a pour but d’expliquer un événement difficile à interpréter, en faisant appel à des notions et à des développements émanant de la nature elle-même et permettant d’en faciliter la compréhension. Mais, il est, avant tout, nécessaire que l’on puisse vérifier empiriquement ses conclusions, afin de déterminer leur adéquation à la réalité.

Il en va de même pour ce qui fait l’objet de notre propos. Certains se sont demandés comment ont été créés les différentes espèces que compte la nature et quelle est leur origine, qu’il s’agisse de minéraux, de végétaux, d’animaux ou d’humains. Ils ont pensé esquiver cette question en imaginant qu’il y avait, à l’origine, des êtres primitifs et puis que d’autres créatures, plus complexes, se sont peu à peu développées, parmi lesquelles l’homme fit son apparition.

Pour qu’une telle conception puisse être qualifiée de scientifique, elle doit satisfaire à plusieurs conditions, en particulier les suivantes :

1) L’évolution d’un être primitif vers un être complexe doit trouver son équivalent dans les phénomènes naturels. On doit trouver au moins un homme digne de foi, capable de témoigner qu’il a pu constater, à différentes reprises, une telle évolution.

Or, il est un fait clairement établi qu’il n’existe même pas un seul témoignage fiable, attestant qu’une certaine espèce s’est développée à partir d’une autre espèce. Ce que l’on a vu et ce que Darwin lui-même raconte dans son célèbre livre ne sont que de légères adaptations de certains membres(7).

De même, on a trouvé des fossiles ressemblant à des espèces encore en vie. On en a déduit qu’il était légitime de penser que la dernière s’était développée à partir de la première. C’est, en particulier le cas pour les espèces de colombes ou de chevaux sur lesquelles est basée la théorie de l’évolution.

2) La situation, telle que la décrit la théorie de l’évolution, doit être plus aisée à comprendre, plus facile à admettre que la foi selon laquelle tout fut créé à partir du néant.

Or, il n’est aucune preuve naturelle permettant d’établir qu’il soit plus aisé d’accepter que l’homme était, à l’origine, un être primitif plutôt que de considérer qu’il fut créé à partir du néant. En d’autres termes, l’explication selon laquelle quelques atomes et quelques molécules se sont réunies, en une seule fois, pour former un homme n’est pas moins difficile à admettre que la théorie avançant que des cellules primitives ont connu une évolution progressive et sont devenus des membres, ayant chacun une finalité différente, le cerveau qui se trouve dans la tête, le globe de l’œil ou la talon du pied.

D) Certaines espèces, parmi les végétaux ou les animaux les plus primitifs, ont une vie particulièrement courte. L’homme peut donc observer les modifications de leur corps sur plusieurs générations. Or, les scientifiques ne sont pas encore parvenus à développer une espèce à partir d’une autre.

Les scientifiques ont uniquement pu modifier, jusqu’à un certain point, le caractère d’une plante, d’un animal ou encore fusionner deux espèces pour en créer une troisième, qui soit intermédiaire. A l’opposé, ils n’ont jamais été capables de développer une espèce complexe à partir d’une espèce primitive.

E) Tous les scientifiques ont accepté le principe selon lequel la matière serait immuable. Pour adopter une formulation plus conforme aux derniers développements scientifiques, il faudrait dire que la combinaison de matière et d’énergie est immuable.

En fonction de ce principe, on doit admettre que tous les atomes, avec l’ensemble de leurs éléments constitutifs, étaient déjà présents au début de la création, ou bien qu’ils ont toujours existé, comme le prétendent les hérétiques.

En conséquence, la théorie de l’évolution conduit à affirmer que tous les atomes étaient d’emblée présents, mais se trouvaient éparpillés. Par la suite, ils se sont curieusement combinés, de différentes façons, dans des conditions particulières. Or, d’après les statistiques et les probabilités, la possibilité de réunir, en une seule fois, toutes les conditions nécessaires, est pratiquement nulle.

Bien plus, il faudrait dire, d’après cette théorie, que ces conditions, quasiment impossibles à réunir selon la science, l’ont néanmoins été pendant des millions ou même des milliards d’années. Or, l’évolution, pendant tout ce temps, s’est toujours faite dans une même direction, c’est-à-dire du plus rudimentaire vers le plus élevé et le plus développé.

A l’opposé, du point de vue du croyant, il est possible de dire que D.ieu a créé tous les atomes se trouvant dans le monde à partir du néant. Il est clair que le Créateur peut donner la vie non seulement à des cellules rudimentaires, mais aussi à des créatures possédant plusieurs millions de cellules à la fois.

Remarque : Certains croyants adhèrent à la théorie de l’évolution, sans laquelle ils se heurtent à la difficulté suivante :

Pourquoi D.ieu créa-t-Il tant d’espèces différentes, dont ils ne comprennent pas l’utilité ?

Mais, la théorie de l’évolution ne permet pas d’écarter leur interrogation. En effet, la Torah considère que les lois naturelles résultent également de la Volonté de D.ieu. Dès lors, pourquoi D.ieu a-t-Il promulgué de telles lois, ayant permis la création d’autant de créatures qui, selon ceux qui s’interrogent, n’ont aucune utilité ?

F) La théorie de l’évolution soulève également d’autres questions et d’autres incompréhensions. De fait, plusieurs scientifiques la contestent. Voyez, par exemple, les livres de Fleischmann ou de Schindewolf, dont les références sont citées à la fin de cette lettre. Vous y trouverez une sévère critique de cette théorie.

Par ailleurs, vous savez sans doute qu’il y a, dans la théorie de l’évolution, plusieurs contradictions, par exemple dans le calcul de l’âge de la terre. Ainsi, un premier calcul est établi en fonction de la quantité de sel qu’il y a dans l’océan. Un autre est basé sur la quantité de radium, de plomb et d’uranium que l’on découvre en un certain endroit. Un autre encore prend en compte la situation actuelle du soleil. On l’établit aussi en fonction des fossiles et des différentes couches qui constituent le sol.

Or, les résultats, selon que l’on adopte une méthode ou l’autre, sont radicalement différents.

G) Une remarque doit être faite. Si quelqu’un prétendait qu’une espèce peut maintenant se développer à partir d’une autre et qu’il en a été le témoin, il ne contredirait en aucune façon la religion et notre foi, même si, comme on l’a dit, ce serait là un événement curieux et extraordinaire, qu’aucun scientifique ne pourrait accepter sans avoir la preuve qu’il en est bien ainsi.

J’introduisais donc uniquement l’idée suivante. La création fut réalisée de la manière qui est décrite par notre sainte Torah. Ainsi, au troisième jour, se réalisa la Parole selon laquelle “ la terre se couvrira de végétaux… d’arbres portant des fruits, selon leurs espèces ”. D’emblée, chaque espèce était donc séparée de l’autre.

Nos Sages disent, au traité ‘Houlin 60b, que tout ceci fut créé pendant les douze heures(8) du troisième jour. Et, il en fut de même pour la création ou la suspension des luminaires dans les cieux, des étoiles, durant le quatrième jour, pour la création des poissons et des oiseaux, le cinquième jour, des animaux domestiques et des bêtes sauvages, le sixième jour.

Je vous adresse ma bénédiction, de même qu’à vos amis, de sorte que vous avanciez, d’une manière fructueuse, sur le chemin conduisant vers la maison de D.ieu, c’est-à-dire celui de la Torah et des Mitsvot que l’on accomplit concrètement.

Fleischmann, Die Darwinsche Theorie 1903
Die Deszendenztheorie, Auf-und Niedergang einer Naturwissenschaftiliche
Hypothese 1901
Schindewolf, O. H., Beopachtungen und Gedanken Zum Deszendenzlehre, Acta
Biotheoretica 1937.

Notes

(1) Langue dans laquelle était rédigée la lettre de monsieur Meyer.
(2) Et non selon un processus continu.
(3) De se justifier face aux nations.
(4) De Moché notre maître au Rambam.
(5) Même scientifiquement parlant.
(6) Qui sont donc susceptibles d’évoluer.
(7) Du corps des animaux ou des hommes.
(8) De la journée.

Lettre du secrétariat du Rabbi, faisant suite à la précédente

Par la grâce de D.ieu,
28 Adar 5713,
Brooklyn, New York,

A monsieur Ichay Halevi Meyer,

Je vous salue et vous bénis,

Vous avez sans doute déjà reçu la lettre du Rabbi Chlita, datée du 27 Tévet. Il est surprenant que vous n’en ayez pas accusé réception. Néanmoins, le Rabbi Chlita souhaite, avant tout, savoir comment s’est passée la réunion, quelle discussion a été engagée, au cours de celle-ci, sur le problème de l’évolution et des correspondances et quelles en ont été les conséquences.

A cette occasion, le Rabbi Chlita m’a demandé de vous communiquer ceci. Il a eu connaissance d’un article du docteur C. B. Ulman, paru dans la revue Sinaï, à Jérusalem, en 1943, tome 12. Celui-ci vient d’être réimprimé en anglais dans Encyclopedia of Biblical Interpretation, du Rav Mena’hem M. Cacher, paru à New York, en 1953.

Cet article cite un grand nombre de scientifiques qui se sont opposé à la théorie de l’évolution. Peut-être ne possédez-vous pas ce livre et je cite donc quelques uns de ces scientifiques, à la fin de cette lettre.

A la demande du Rabbi Chlita, je mentionnerai uniquement les contemporains et non ceux du dix neuvième siècle, qui sont également répertoriés dans cet article.

Avec mes respects et ma bénédiction,

Références :

Bertalanffy, L., Kritische Theorie der Formbildung in Abhandlungen der Theoretische Biologie, 1925. Goldschmidt, R., Einfuehrung in die Vererbungwissenschaft, 1928. Losty, J.F., Evolution im Lichte der Bastardierung Betrachter, 1926. Uexkull, J., Theoretische Biologie, 1920. Dinger, H., Das Prinzip der Entwicklung ; Der Zusammenbruch der Wissenschaft unter der Primat der Philosophie, 1926. Steiner, B., Ueber das Biogenetische Grundgesetz Acta Biotheoretica, 1939. Hartwig, R. Abstammungslehre und Neuere Biologie, 1927. Duerken, R. Entwicklungsbiologie und Ganzheit, 1936. Metalman, J., der Kampf um die Autonomie des Lebens, 1939. Hartman, M., Philosophie der Naturwissenschaften, 1937, etc.

N. B. : Je vous joins le compte rendu des propos du Rabbi Chlita, prononcés à l’occasion de Pourim. Le contenu s’en applique, tout au long de l’année et il vous intéressera sans doute.