Lettre n° 163

Vous m'avez posé la question suivante(1):

"Le Chneï Lou'hot Haberit, citant le Tolaat Yaakov, dit que: «Le sacrifice offert le jour de Chavouot est fait de 'Hamets et de Matsa. Le 'Hamets correspond au corps et la Matsa, à l'âme. Ainsi, 'Hamets et Matsa sont offerts conjointement sur l'autel. De même, l'âme et le corps concevront ensemble du plaisir, dans le monde futur, après la résurrection des morts, en percevant un reflet du Divin, comme ce fut le cas pour Moché et le prophète Elie».

Ce qu'il dit est basé sur le Zohar, selon lequel «du 'Hamets est offert sur l'autel, à Chavouot. On offre également deux autres pains conjointement et le 'Hamets se consume, entre eux, par le feu de l'autel. Dès lors, il ne peut dominer Israël et lui nuire».

Cette interprétation est étonnante, car les deux pains de Chavouot étaient mangés par les Cohanim et non brûlés sur l'autel, comme le dit le traité Mena'hot. Bien plus, celui qui les aurait placés sur l'autel aurait transgressé un Interdit de la Torah, comme l'affirme ce même traité. Comment comprendre tout cela?".

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Voici ma réponse:

La version du Zohar que vous citez permet, en fait, de renforcer votre interrogation en posant une seconde question.

Le Zohar indique que, outre le 'Hamets, on offrait également deux pains, avec lesquels ce 'Hamets était brûlé. Or, seuls les deux pains, et rien d'autre qui soit 'Hamets, n'est offert, à Chavouot.

Les premiers commentateurs, le Chaar Haguilgoulim, le Mikdach Mélé'h, le Or Ha'hama, le Mitpa'hat Sefarim, le Hagahot Ha'hida, s'interrogent déjà, à ce propos.

Le Mikdach Mélé'h, commentant l'affirmation du Zohar selon laquelle le 'Hamets était brûlé sur l'autel, indique que ce terme désigne, en réalité, le mauvais penchant, qui était mis hors d'état de nuire lorsque l'on soulevait ces pains. C'est pour cela que le Zohar parle de "deux autres pains", les distinguant ainsi du 'Hamets proprement dit(2).

Le 'Hida, en revanche, n'accepte pas cette explication et dit que "le Mikdach Mélé'h base son commentaire sur des allusions". En effet, pourquoi parler des "autres" pains, si le premier 'Hamets n'en est pas un, mais fait uniquement allusion au mauvais penchant?

Mais, le Chaar Haguilgoulim cite une autre version du Zohar, dans laquelle ne figurent pas les mots "autre" et "'entre eux". Cette version fait disparaître la seconde question.

Quant à la première question, le Chaar Haguilgoulim explique que l'on parle ici de deux pains qui sont offerts seuls, par exemple parce que les moutons qui devaient les accompagner ont été perdus, auquel cas ils sont effectivement brûlés, comme le dit le Rambam.

Mais, il repousse lui-même cette explication, car il est difficile d'imaginer que le Zohar se place dans un cas de perte des moutons, alors que son but est uniquement de commenter le verset de la Torah. Au final, il ne propose aucune réponse à cette question.

En tout état de cause, il est, de fait, difficile de considérer que le Zohar évoque le cas où l'on brûle les deux pains. En effet, ceci aurait été fait dans la fournaise et non sur l'autel. Dans ce cas, la réponse du Chaar Haguilgoulim était plus satisfaisante.

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A mon humble avis, l'expression "brûlé sur l'autel", qu'emploie le Zohar, est strictement comparable à celle du traité Mena'hot, selon lequel "une partie des deux pains doit être jetée au feu" et il est même interdit de l'en soustraire.

Certes, les deux pains ne sont pas offerts sur l'autel. Mais, la graisse des moutons sacrifiés à Chavouot, qui accompagnent ces deux pains et n'ont aucune autre raison d'être, est assimilée à ces deux pains, comme l'établit Rachi, dans son commentaire. Ce qu'il en reste est donc considéré comme le reliquat des deux pains.

En ce sens, Chavouot est bien différent de tout le reste de l'année, durant laquelle toutes les offrandes sont faites de Matsa. Bien plus, la Torah interdit de laisser les restes de ces offrandes devenir 'Hamets, comme l'indique le traité Mena'hot 5, 1-2.

A l'opposé, les deux pains de Chavouot devaient nécessairement être 'Hamets. En ce sens, les graisses des moutons(3) étaient bien assimilées aux deux pains 'Hamets. Tout cela était brûlé sur l'autel.

Mais, s'il en est ainsi, quelle est la spécificité de Chavouot? On retrouve bien l'équivalent de tout cela, pendant le reste de l'année, puisque les pains d'action de grâce étaient également 'Hamets. En réalité, on ne peut pas raisonner ainsi.

Une telle question ne se pose pas, car les pains d'action de grâce présentent bien une particularité. Ils ne sont pas considérés comme un sacrifice d'offrande. Les deux pains de Chavouot, en revanche, le sont, selon le traité Mena'hot 46b et les Tossafot, commentant ce même traité.

Un autre point est, de fait, déterminant. Nous avons vu que les moutons accompagnant les deux pains sont assimilés à ces pains. Et, le traité Horayot précise que ces moutons sont là uniquement pour accompagner le pain.

En revanche, Rachi explique que: "Les moutons sont là seulement à cause des deux pains" et cette formulation, en apparence peu différente de celle du traité Mena'hot, a, en réalité, une toute autre signification.

Bien plus, le traité Mena'hot 45b cite l'avis de Rabbi Akiva, selon lequel l'absence de pain empêche de sacrifier les moutons. Le Rambam, dans son Michné Torah, retient ce principe pour la Hala'ha. Le Min'hat 'Hinou'h, à la Mitsva 307, considère que l'affirmation du traité Horayot(4) conduit à adopter l'avis de Rabbi Akiva. On le consultera.

En conséquence, lorsque l'on brûle les graisses des moutons(5), on peut considérer que les deux pains ont également été consumés sur l'autel. On a vu, en effet, que "une partie des deux pains doit être jetée au feu". L'équivalent de tout cela n'existe nullement pour les pains d'action de grâce.

Par ailleurs, le traité Mena'hot 15a souligne également qu'aucune relation n'existe entre le sacrifice d'action de grâce et le pain. A l'opposé, il y a un lien très clair entre les moutons et les deux pains de Chavouot.

Les Tossafot, commentant ce traité Mena'hot, disent, en outre, que soulever les deux pains(6) permet d'être considéré comme si on les avait offerts(7). A l'opposé, quand est offert le sacrifice d'action de grâce, du pain ordinaire(8) est suffisant.

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La distinction qui vient d'être faite entre les deux pains de Chavouot et les pains d'action de grâce permettra de comprendre un passage du commentaire de la Torah du Ramban.

Expliquant le verset Vaykra 7, 14, le Ramban dit, en effet: "Je suis surpris que la Torah, ayant écarté le 'Hamets du «premier sacrifice que vous offrirez», ne mentionne pas également le sacrifice d'action de grâce.

Mais, en réalité, la question qu'il soulève ne se pose même pas. Le verset dit, en effet, «ils ne monteront pas, pour constituer une odeur agréable sur l'autel». En d'autres termes, les pains d'action de grâce n'étaient jamais brûlés sur l'autel.

Certes, celui qui laissait le pain de propitiation devenir 'Hamets transgressait un Interdit de la Torah. En effet, ce pain contenait de l'absinthe, de laquelle il est dit «pour le pain, en souvenir, dans le feu de D.ieu». Les pains d'action de grâce, en revanche, n'approchaient pas du tout de l'autel".

L'explication du Ramban n'est-elle pas strictement conforme à celle du Zohar, précédemment citée? Du reste, le Tour, dans son commentaire de la Torah, s'interroge sur cette affirmation du Ramban selon laquelle "les pains d'action de grâce n'approchaient pas du tout de l'autel". Il objecte, en effet, que les deux pains de Chavouot et les pains d'actions de grâce étaient, les uns comme les autres, accompagnés de sacrifices(9). Dès lors, sur quelle base peut-on les distinguer?

Le Itour Sefarim, un commentaire du Mitpa'hat Sefarim, affirme que, d'après le Zohar et le Ramban(10), les deux pains de Chavouot étaient effectivement brûlés sur l'autel. Une telle affirmation est, bien sûr, très surprenante.

Néanmoins, ce qui a été auparavant exposé permet de répondre à la question que le Tour pose sur le Ramban.

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Pour compléter cette analyse, un autre point doit être évoqué. Car, il est vrai que ce qui vient d'être dit permet de comprendre la formulation du Zohar et du Kehilat Yaakov, lesquels, lorsqu'ils parlent de brûler les deux pains de Chavouot, font, en fait, allusion aux moutons qui sont sacrifiés en même temps et qui sont assimilés à ces pains. Néanmoins, une question se pose encore.

Selon l'interprétation du Tolaat Yaakov et la lecture du Zohar qui a été donnée, la nécessité d'avoir du 'Hamets, dans les offrandes de Chavouot, souligne que, lors de la résurrection des morts, le corps percevra le Présence divine, au même titre que l'âme. Dès lors, pourquoi n'a-t-il pas été instauré que les deux pains soient eux-mêmes offerts sur l'autel(11)? Ainsi, l'offrande de Matsa, qui était également apportée pendant la fête de Chavouot et qui fait allusion à l'âme, était bien elle-même brûlée sur l'autel.

Pour résoudre cette difficulté, il est nécessaire de préciser quelque peu la relation entre l'âme et le corps.

La finalité de la création de l'homme, qui est également celle de tout l'univers, est le service de D.ieu. Et nos Sages constatent, à la fin du traité Kiddouchin, que "j'ai été créé pour servir mon Créateur", en mettant en pratique la Torah et les Mitsvot. Commentant le verset "si ce n'était Mon alliance (c'est-à-dire la Torah), conclue pendant le jour et pendant la nuit, Je n'aurais pu maintenir les règles des cieux et de la terre", nos Sages soulignent particulièrement cette idée, dans le traité Avoda Zara 3a.

Or, l'âme, telle qu'elle se trouve là-haut, ne peut pas mener à bien un tel objectif. Elle doit donc descendre ici-bas et s'introduire dans un corps physique. C'est pour cela que le traité Chabbat 88b souligne: "La Torah n'a pas été donnée aux anges, mais bien aux fils de l'homme".

Pour autant, l'âme et le corps n'apportent pas une contribution identique à l'accomplissement des Mitsvot. L'âme possède une qualité, sa spiritualité, son désir et sa soif de mettre en pratique la Torah et les Mitsvot. Le corps, en revanche, étant matériel, voile et occulte la spiritualité. Il est naturellement attiré par les plaisirs grossiers de ce monde. Et seule l'âme qui l'habite lui insuffle le désir d'accomplir la Torah et les Mitsvot.

Mais, par ailleurs, le corps possède également une qualité dont l'âme est dépourvue. Cette dernière, en effet, est incapable de mettre en pratique la Torah et les Mitsvot(12). Pour y parvenir, elle doit donc disposer des forces et des membres qui constituent le corps physique.

Evoquant la transgression, nos Sages font allusion à tout cela, dans le traité Sanhédrin 91a, lorsqu'ils comparent l'âme à un boiteux, qui ne peut pas marcher et le corps, à un aveugle, qui ne voit pas où il va. La plénitude est donc atteinte lorsqu'ils sont ensemble. On consultera également le traité 'Houlin 7b, qui dit: "Les Juifs sont saints. Certains désirent posséder... D'autres possèdent déjà...".

Il est, en conséquence, impossible d'accomplir concrètement la Torah et les Mitsvot autrement qu'en possédant à la fois une âme et un corps. C'est la raison pour laquelle la récompense, lors de la résurrection des morts, sera, elle aussi, conjointement accordée aux âmes vêtues d'un corps.

Nos Sages expliquent, dans le traité Bera'hot 17b que "dans le monde futur, on ne mangera pas et l'on ne boira pas. Les Justes y seront assis et percevront le dévoilement divin". Alors, le corps lui-même sera nourri de ce dévoilement, comme ce fut le cas pour Moché ou le prophète Elie.

C'est ce qu'explique le Tolaat Yaakov, précédemment cité et le Ramban développe une longue explication en ce sens, dans le Chaar Haguemoul. Il s'oppose, en effet, à l'interprétation que donne le Rambam de ces propos de nos Sages(13).

Selon le Chaar Haguemoul, le corps sera si affiné, après la résurrection, qu'il pourra être nourri uniquement par le dévoilement divin. La 'Hassidout précise, en outre, que la vitalité qui l'animera sera également modifiée, car une Lumière céleste beaucoup plus élevée sera intégrée par la création, qui aura le pouvoir de vivifier le corps physique, alors que, à l'heure actuelle, sa vitalité doit passer par l'âme.

Pour autant, le lien entre l'âme et le corps restera une nécessité, même après la résurrection, pour obtenir la vie. En effet, cette Lumière particulièrement élevée devra être insufflée au corps de manière progressive et c'est à son propos que le Tolaat Yaakov parle du plaisir, éprouvé par le corps, de la révélation divine. Or, cette vitalité s'introduira dans chaque parcelle du corps. Elle devra donc passer par l'âme(14), qui mesurera l'intensité de vitalité que chaque partie du corps doit recevoir. Un discours 'hassidique intitulé Le'hol Ti'hla et prononcé en 5659(15) explique tout cela, par le détail(16).

Il en résulte que, dans le monde futur, période que Chavouot préfigure, selon le Tolaat Yaakov, il y aura encore une différence entre la vitalité de l'âme et celle qui parvient au corps. Cette dernière devra encore passer par l'intermédiaire de l'âme, sans pour autant émaner d'elle, comme c'est le cas à l'heure actuelle.

C'est pour cela que les sacrifices qui leur(17) correspondent sont différents également. La Matsa, qui symbolise l'âme, est elle-même brûlée sur l'autel, sans aucun intermédiaire. Le 'Hamets, qui fait allusion au corps, en revanche, n'est pas directement offert sur l'autel.

Le sens de cette analyse peut ainsi être clairement perçu par chacun.

Notes

(1) Cette lettre est adressée au Rav Ichaya Halévi Horowits, de Winipeg, Canada.
(2) Qui est le mauvais penchant.
(3) Sacrifiés en même temps que ces deux pains 'Hamets.
(4) Qui dit que les moutons sont là seulement pour accompagner le pain.
(5) A Chavouot, du fait des deux pains.
(6) Telle était la manière de les offrir, dans le Temple, à Chavouot.
(7) Sur l'autel.
(8) Et non consacré au point de devenir l'équivalent du sacrifice.
(9) De moutons.
(10) Ce qui semble bien indiquer qu'ils ont le même avis.
(11) Et non les moutons, qui leur sont identifiés, à leur place.
(12) En tant que Préceptes concrètement applicables, puisqu'elle est uniquement spirituelle.
(13) Selon le Rambam, l'existence, dans le monde futur, sera purement spirituelle et fera abstraction de toute enveloppe corporelle.
(14) Comme c'est le cas à l'heure actuelle, ce qui justifie le maintien du corps et de l'âme dans le monde futur.
(15) 1899, prononcé par le Rabbi Rachab, père du précédent Rabbi.
(16) Voir une analyse détaillée, reprenant ces idées, dans la lettre n°200.
(17) Au corps et à l'âme.