Lettre n° 162

[Avant Mena'hem Av 5704(1)]

Au grand Rav, 'Hassid craignant D.ieu, aux multiples
accomplissements, qui rend le Jugement à Yaakov,
le Rav E. E. Hacohen(2),

Vous m'avez posé la question suivante:

"Le Emeth Leyaakov, un commentaire de la Agada talmudique rédigé par le Rav de Lissa, mentionne l'affirmation de nos Sages, selon laquelle «grande est la Techouva, qui atteint jusqu'au Trône céleste. Mais, Rabbi Yo'hanan fait remarquer qu'elle ne parvient pas jusque là». Il explique: «Lorsqu'un homme commet une faute, même s'il se repent, par la suite, en s'emplissant d'un profond amour pour D.ieu, comme le roi David, il n'en est pas moins considéré comme un infirme qui a guéri. Il est donc impossible que la Présence divine se révèle à lui, qu'il s'identifie au trône céleste. Dans ce domaine, la Techouva est efficace seulement lorsqu'elle émane d'une communauté. C'est ainsi que les enfants d'Israël furent appelés "Sanctuaire de D.ieu", bien qu'ils aient, à plusieurs reprises, commis des actes idolâtres."

L'auteur est un des plus grands Décisionnaires de ces dernières générations et ses propos sont donc particulièrement douloureux. Le traité Chabbat dit, en effet: "Celui qui pense que David a commis une faute se trompe, ainsi qu'il est dit: D.ieu est avec lui. Est-il envisageable qu'il commette une faute, alors que la Présence de D.ieu l'accompagne?". Bien plus, le verset dit "D.ieu est toujours avec lui" et il n'y eut donc pas un seul instant au cours duquel il puisse commettre une faute.

Par ailleurs, l'Admour Hazaken précise, dans le Tanya, que les Patriarches étaient totalement soumis à D.ieu et qu'il en est de même pour chaque Juif qui étudie la Torah ou pratique une Mitsva. Aucune distinction n'est faite par lui entre celui qui a accédé à la Techouva et le Juste parfait. Et il souligne clairement qu'il en est ainsi pour chacun. Comment concilier ces deux positions?

* * *

Voici ma réponse:

Pour comprendre les propos de l'Admour Hazaken, il faut, tout d'abord, expliquer la différence entre la soumission des Patriarches et celle de tous les Juifs qui étudient la Torah ou pratiquent la Mitsva. Il est clair que ces deux attitudes ne sont pas identiques.

Le Tanya précise cette différence, au chapitre 23: "Les Patriarches étaient totalement soumis. Les membres de leur corps étaient saints et séparés des attraits du monde. Chaque jour de leur vie, ils furent soumis uniquement à la Volonté de D.ieu".

Le chapitre 34 ajoute: "Les Patriarches furent totalement soumis et, tout au long de leur vie, ils ne cessèrent pas un seul instant de s'attacher à D.ieu par leur pensée". Le chapitre 39 précise: "Cette soumission totale consiste à intégrer sa propre existence à la Lumière de D.ieu, avec tout ce que l'on possède, en mettant en pratique la Torah et les Mitsvot. Ainsi, les Patriarches furent totalement soumis parce que, tout au long de leur existence, ils adoptèrent cette manière de servir D.ieu.

De ce point de vue, la qualité des Patriarches est double:
1. Ils servirent D.ieu de cette manière, toute leur vie, sans interruption.
2. Ils le servirent par tous les membres de leur corps, par tout ce qu'ils possédaient.
C'est en prenant ces deux points en compte que nos Sages les définirent comme parfaitement soumis.

Malgré cela, le Tanya indique que la soumission peut être la qualité de chaque Juif, grâce aux forces spécifiques de son âme, qui s'investissent dans l'accomplissement de la Mitsva. Il en est ainsi seulement pendant le moment de cet accomplissement.

On ne peut donc parler, dans ce dernier cas, de soumission véritable. Il s'agit, en effet:
1. de forces spécifiques
2. d'un état éphémère.
Le Tanya explique donc: "Un homme doit se dire que ses moyens intellectuels et la source de son âme ne lui permettent pas de se soumettre pleinement et véritablement à D.ieu. Il Lui bâtira donc un Sanctuaire en étudiant la Torah, en fonction du temps dont il dispose, en donnant de la Tsédaka. Pour autant, sa soumission ne sera jamais pleine et véritable".

Néanmoins, chacun est capable de s'écarter du mal et de faire le bien, de mettre en pratique la Torah et les Mitsvot par ses pensées, ses paroles et ses actions, de tout ce dont il dispose et à tout moment. Dès lors, même s'il ne se consacre pas à la Mitsva et, pour peu, bien évidemment, qu'il n'adopte pas un comportement interdit, il est, à tout instant, capable de réveiller en lui le désir de se rattacher à sa source, par la pratique de la Torah et des Mitsvot.

Une telle situation, par rapport à la personnalité de l'homme, peut effectivement être qualifiée de soumission. Le Tanya introduit la même notion à propos de l'amour de D.ieu. Il peut donc dire que chaque Juif a la force de se soumettre à D.ieu, sans contredire ce qui a été dit auparavant.

De plus, les propos du Tanya s'appliquent à chacun et il est bien clair qu'ils n'excluent pas celui qui a commis une faute, une fois dans sa vie et l'a ensuite regretté. Si c'était le cas, tous seraient mis de côté. Il est donc évident que celui qui accède à la Techouva a bien la possibilité de se soumettre à D.ieu.

Certes, l'Admour Hazaken souligne, à différentes reprises, que la soumission est un état permanent, qui ne peut être interrompu un seul instant. Néanmoins, la soumission effective, à un moment donné, ne contredit pas ce qui se passera à l'instant suivant, dès lors qu'on peut, n'importe quand, la mettre de nouveau en éveil.

A l'opposé, celui qui commet une faute est saisi par un esprit de folie, qui l'empêche de se soumettre à D.ieu. Plus encore, cette action le met à la merci des trois forces du mal totalement impures(3). Même si, par la suite, il accède à la Techouva, il n'en a pas moins été séparé de D.ieu pendant un instant, celui de la faute.

Pour ne pas constater une contradiction entre différents passages du Tanya, il faut retenir le principe selon lequel on juge l'homme uniquement en fonction de ses agissements présents. En l'occurrence, il ne désire pas, à cet instant, mettre un terme à sa soumission effective ou, tout au moins, potentielle.

Par ailleurs, celui qui fait une Techouva convenable fait disparaître la trace des fautes qu'il avait commises auparavant.

Un tel homme peut effectivement être considéré comme soumis à D.ieu, à cet instant précis.

Le Tanya dit que les Patriarches furent soumis à D.ieu, tout au long de leur existence, sans aucune interruption. Il montre ainsi leur sainteté et leur grandeur. Mais, il ne veut pas dire que celui qui a mal agi pendant un instant a définitivement perdu l'espoir, pour tout le reste de sa vie.

De la même façon, le Tanya dit que le Beïnoni(4) n'a jamais commis de faute, n'a jamais été un impie, tout au long de sa vie, pas même un seul instant. Pour que cette affirmation ne contredise pas ce qui est dit dans un autre chapitre, il faut expliquer qu'il n'a jamais mal agi, car la trace de ses fautes passées a disparu et qu'il n'adoptera jamais un mauvais comportement, dans l'état d'esprit qui est actuellement le sien.

Ceci est également conforme au principe énoncé par nos Sages, selon lequel "rien ne résiste à la Techouva".

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Ce qui vient d'être dit permet d'établir que les propos du Emeth Leyaakov ne sont nullement contradictoires. Celui qui a mal agi une fois, même s'il a ensuite accédé à la Techouva, ne peut cependant plus recevoir la révélation de la Présence divine et s'identifier au trône céleste.

Cet auteur commente en effet l'avis de Rabbi Yo'hanan, selon lequel un tel homme ne parviendra pas jusqu'au trône de D.ieu. Développant son idée, Rabbi Yo'hanan considère que le Juste parfait est supérieur à celui qui fait Techouva. La Hala'ha tranche, cependant, que ce dernier est plus grand, comme le dit le Rambam, de même que le Tanya.

Dans le traité Yoma, Rami Bar Hama explique qu'une Techouva inspirée par l'amour fait disparaître rétroactivement la faute, s'opposant ainsi à Rabbi Yo'hanan. Et l'on ne peut considérer que, selon lui, il en est ainsi uniquement lorsqu'il s'agit d'une communauté, ce que Rabbi Yo'hanan reconnaît également. Il est clair, en effet, que la Présence divine se révèle au sein d'une communauté et que celle-ci s'identifie au trône céleste, ainsi qu'il est dit "Il réside parmi eux, au sein de leur impureté" et nos Sages expliquent: "même lorsqu'ils sont impurs".

En fait, le pouvoir de supprimer rétroactivement la trace de la faute dépend de l'intensité et de la qualité de la Techouva. Dans ce domaine, aucune différence ne peut être faite entre l'individu et la communauté.

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La 'Hassidout définit largement ce qu'est un service de D.ieu empreint d'une profonde soumission. De nombreuses références peuvent être citées(...).

Notes

(1) La présente lettre n'est pas datée, mais d'autres courriers dans lesquels le Rabbi y fait référence permettent de conclure qu'elle a été écrite avant le 4 Mena'hem Av.
(2) Le Rav Efraïm Eliézer Yalles, de Philadelphie.
(3) Qui ne peuvent pas connaître l'élévation
(4) "L'homme moyen" qui parvient à se maîtriser en permanence, subit les attaques de son mauvais penchant, en sort systématiquement vainqueur et ne commet aucune faute, comme le Juste.