Lettre n° 144

Par la grâce de D.ieu,
Mercredi 20 Adar 5704,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué et honorable, érudit et
diffusant la Torah, le Rav Ch.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je réponds à votre lettre et vous demande de m'excuser pour mon retard, dû à mes multiples occupations. Maintenant encore, je ne peux envisager qu'une brève réponse, qui reprendra néanmoins les différents points évoqués dans votre lettre:

A) Vous m'interrogez sur ce que j'avais écrit, dans ma lettre(2), à propos de la controverse, entre Rabbi Yossi et les Sages, portant sur le jugement quotidien de l'homme. Vous objectez que, selon les écrits de la 'Hassidout, il s'agit de deux jugements différents(3) et il n'y a donc là aucune divergence.

Ma lettre avait pour but de répondre à une question posée sur le Mikraeï Kodech à propos de cette discussion entre Rabbi Yossi et les Sages. Cet auteur indique, en effet, que la Hala'ha est tranchée selon l'avis des Sages et c'est ce qui faisait l'objet de mon étonnement car, même selon son propre raisonnement, une telle conclusion n'est pas évidente et, bien plus, la conclusion inverse semble même plus logique.

B) Vous citez l'explication de Rav 'Hisda, selon laquelle l'avis de Rabbi Yossi est déduit du verset "pour prononcer le jugement de Son serviteur et celui de Son peuple, Israël, chaque jour". Il en déduit que chaque Juif est appelé "Son serviteur" et en conclut que ce jugement est bien quotidien. Puis, Rav 'Hisda dit que le roi a la préséance sur le reste du peuple et il l'établit également à partir du verset "pour prononcer le jugement de Son serviteur" et ensuite "celui de Son peuple". Il en résulte que "Son serviteur" désigne ici le roi. Vous résolvez cette apparente contradiction dans les propos de Rav 'Hisda en disant que la première explication est donnée selon l'avis de Rabbi Yossi, mais ne reflète pas le sien propre.

Il me semble difficile d'adopter ce raisonnement, pour plusieurs raisons:

1. Il n'est pas habituel, dans le Talmud, de chercher à justifier l'avis de Rabbi Yossi, sans pour autant l'adopter, de l'établir à partir d'un verset et, tout de suite après cela, de donner une interprétation totalement divergente de ce verset, sans donner aucune précision sur ce changement.

2. Si l'expression "Son serviteur" désigne chaque Juif, qu'ajoute de plus "Son peuple"? On ne peut considérer que ce terme introduit la notion de communauté, car ce serait alors une requête inutile. Si chaque individu est jugé quotidiennement, il est bien clair que la communauté, qui est plus importante, l'est également.

3. Si "Son serviteur" est chaque homme, l'individu serait jugé avant la communauté, ce qui va à l'encontre de ce que dit l'avis qui s'oppose à Rav 'Hisda.

4. Le verset "pour établir le jugement de Son serviteur" est extrait de la prière du roi Chlomo. Au sens simple, le terme "Son serviteur" désigne donc bien ce roi. Dès lors, comment déduire de ces mots que le jugement de chacun est quotidien, ce qui contredit l'avis des Sages, en modifiant le sens simple du verset ou encore en disant que ce qui est énoncé à propos du roi s'applique, en fait, à chacun, bien que le verset ne le dise pas?

Il faut en conclure que Rabbi Yossi considère que l'homme est jugé chaque jour en se basant sur le verset "le jugement de Son peuple, Israël, chaque jour", qu'il peut interpréter de deux manières, ou bien en n'acceptant pas la distinction que fait Rav 'Hisda entre l'individu et la communauté, ou bien parce que le mot "Israël" est en trop, dans ce verset. La première interprétation me semble être la bonne.

C) Rav Krouspidaï enseigne, au nom de Rabbi Yo'hanan, que trois livres sont ouverts devant D.ieu, à Roch Hachana(4). Le Rambam en fait mention, dans la Hala'ha et vous en déduisez que l'avis des Sages est retenu, selon lequel le jugement est prononcé à Roch Hachana.

Vous ne pouvez cependant rien déduire de la décision du Rambam, qui peut adopter l'avis du Assara Maamarot ou bien considérer, comme le Likouteï Torah, qu'il n'y a pas de controverse(5).

Et ce qu'enseigne Rav Krouspidaï, au nom de Rabbi Yo'hanan, ne prouve rien non plus. Car, si l'on considère qu'il y a réellement une discussion entre Rabbi Yossi et les Sages, on peut dire, selon l'interprétation des Tossafot, que celle-ci porte sur le monde futur. Rabbi Yossi concédera qu'un tel jugement aura lieu, à cette époque, alors que, à l'heure actuelle, la prière est dite uniquement pour les malades et ceux qui sont de faible constitution.

D) Rabbi Meïr considère, comme Rabbi Its'hak, que la prière reste efficace après que le verdict ait déjà été prononcé(6). Vous en concluez, pour ne pas multiplier les controverses, que Rabbi Its'hak adopte sans doute l'avis de Rabbi Meïr et considère que l'homme est jugé à Roch Hachana.

Je n'ai pas compris votre raisonnement. Le principe selon lequel on ne multiplie pas les controverses s'applique uniquement quand elles portent sur un même sujet. Pourquoi, parce qu'ils ont un même avis sur la possibilité d'annuler le verdict prononcé à l'encontre de l'homme, Rabbi Meïr et Rabbi Its'hak devraient-ils avoir la même opinion sur le jugement de Roch Hachana?

Bien plus, il est plus logique de penser qu'ils divergent sur ce point. Si ce n'était le cas, pourquoi les mentionner tous les deux? Un seul avis aurait suffi.

E) Il est dit qu'il est plus aisé d'accéder à la Techouva pendant les dix jours qui séparent Roch Hachana de Yom Kippour. Vous en déduisez que l'avis des Sages est retenu, en la matière(7). Or, cette affirmation ne prouve rien et indique uniquement que la Techouva est plus aisée pendant cette période que pendant tout le reste de l'année, ainsi qu'il est dit "recherchez D.ieu pendant qu'Il est proche". Le verdict peut alors être annulé, mais cela n'exclut pas le fait qu'un homme soit jugé chaque jour. Il en est de même pour Yom Kippour, clairement désigné par le verset comme jour du pardon et qui n'écarte cependant pas l'avis de Rabbi Yossi.

F) J'ai écrit, en effet, que ceux qui considèrent qu'il est impossible d'annuler un verdict prononcé contre un individu adoptent l'avis de Rabbi Yossi, selon lequel le jugement est prononcé chaque jour et la prière porte uniquement sur les malades et ceux qui sont de constitution faible. Le traité Roch Hachana l'établit clairement, comme je le soulignais dans ma lettre précédente.

Et les Tossafot se demandent comment justifier la prière pour la guérison des malades et la bénédiction de l'année(8) d'après l'avis des Sages. Pour le Baït 'Hadach, cette prière est dite uniquement pour les malades.

Quant à votre objection réfutant ce que dit la Guemara, je ne l'ai pas comprise.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif(9)

Notes

(1) Le Rav Chmouel Zalmanov.
(2) La lettre n°114.
(3) Celui de Roch Hachana et celui de chaque jour.
(4) Celui des impies, celui des justes et celui des hommes intermédiaires.
(5) Entre Rabbi Yossi et les Sages, qui parlent de deux jugements différents.
(6) Elle permet de l'annuler.
(7) Et que le jugement est donc bien prononcé à Roch Hachana.
(8) Figurant l'une et l'autre dans la Amida.
(9) De Kehot.