Semaine 17

Editorial
Faire passer le temps

Le temps est le tissu même de l’existence. Il nous accompagne quoi que nous fassions, en quelque lieu que nous nous trouvions. Souvent, il est la grande interrogation de l’homme. « D’où venons-nous ? » et « où allons-nous ? » ne sont-ils pas les grandes questions de toute créature pensante, n’expriment-ils pas les inquiétudes existentielles les plus profondes ? Peut-être toute civilisation se mesure-t-elle aussi, dans son avancée morale et intellectuelle, par son rapport avec le temps ? C’est ainsi que certaines sociétés ont pu en avoir une approche plus sereine et d’autres, plus exigeante d’immédiateté. Certaines ont cru y lire les lignes pré-écrites d’un destin inéluctable tandis que d’autres n’ont voulu vivre que dans l’instant sans jamais s’interroger sur le devenir des choses. Et pourtant, a-t-on presque envie de dire, le temps passe…
C’est alors que revient, dans ce toujours étonnant calendrier juif, le compte de l’Omer. Dans ce même cadre, sa portée spirituelle, rituelle a été largement évoquée. Reste à définir ce qu’il implique dans notre propre relation au temps. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Compter l’Omer, soir après soir, c’est, très concrètement compter les jours qui s’étendent entre la fête de Pessa’h, la sortie d’Egypte, et celle de Chavouot, le Don de la Torah. C’est compter ainsi le temps ou, plus encore, le sanctifier en en faisant l’objet d’un commandement divin, associé au prononcé d’une bénédiction. L’entreprise est proprement bouleversante. Faire du temps un élément de « sainteté », c’est transformer une des dimensions majeures du monde, c’est donner à notre cadre de vie, obligatoire et constant, un sens différent, plus grand que ce qu’une créature peut prétendre atteindre voire simplement penser.
Il existe deux attitudes générales possibles en ce qui concerne le temps : le laisser passer ou le faire passer. En d’autres termes, il est possible de lui attribuer toutes les forces et les vertus ou de refuser de le prendre en compte au bénéfice du « tout, tout de suite » ou bien, au contraire, d’en assumer toute la puissance et de la canaliser au service de l’homme, spécialement dans son lien avec D.ieu. Le compte de l’Omer, c’est, d’une certaine façon, l’expression de cette volonté. Faire passer le temps plutôt que le laisser à lui-même. En substance, le faire aller là où cela importe. C’est décidément l’enjeu de la période. Nous sommes encore au début du voyage. Il est celui, non de notre destin, mais de notre avenir.
Etincelles de Machiah
Une attente juive

Un jour, à l’époque où le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, était encore un jeune homme, il se trouvait avec un groupe de Hassidim. La discussion s’engagea entre les présents sur le thème: “Qui sait quand Machia’h viendra?”
Le Tséma’h Tsédek commenta: “Ce type de conversation rappelle le style du prophète non-juif, Bilaam. Celui-ci dit, à propos de la venue de Machia’h (Bamidbar 24: 17): “Je le vois mais pas maintenant: je le contemple mais il n’et pas proche”. Il décrit la Rédemption comme lointaine. En revanche, un Juif doit espérer ardemment et attendre chaque jour que Machia’h vienne ce jour-là”.
H.N
Vivre avec la Paracha
A’haré- Kedochim : Retrait et retour

La mort de Nadav et Avihou
Notre Paracha commence par le verset : «Et l’Eternel parla à Moché après la mort des deux fils d’Aharon, lorsqu’ils s’approchèrent de l’Eternel et qu’ils moururent» (Vayikra 10). Pourquoi la Torah ajoute-t-elle: «ils moururent» alors qu’il a déjà été mentionné : «après la mort des deux fils d’Aharon» ?
Le Midrach cite les explications suivantes : ils avaient pénétré le Saint des Saints ; ils ne portaient pas les habits sacerdotaux nécessaires pour leur service, ils n’avaient pas d’enfants et n’étaient pas mariés. Se soulève donc une seconde question: où le Midrach prend-il sa source ? Où dans la Torah ces fautes sont-elles évoquées ?
Bien plus encore: comment supposer que les deux fils d’Aharon, Nadav et Avihou, aient pu se rendre coupables d’un péché ? Le Midrach relate que Moché dit à Aharon : «Aharon, mon frère, je savais que le Sanctuaire serait sanctifié par ceux qui sont les bien-aimés et les proches de D.ieu. Maintenant je sais qu’ils (Nadav et Avihou) sont plus grands que nous deux». Comment donc ces mêmes hommes ont-ils pu pécher?

Une extase fatale
Une explication ‘hassidique avance que les deux fils d’Aharon ne péchèrent pas, au sens littéral. Leur «péché» fut celui de désirer s’approcher de D.ieu au point d’en mourir. Leur corps ne pouvait plus contenir leur âme. C’est pourquoi la Torah nous dit que «ils s’approchèrent de D.ieu (avec une telle passion) qu’ils moururent». Et c’est cela qui est considéré comme une faute! Car de même qu’un Juif doit se débarrasser de ses préoccupations matérielles au moment où il se tient plongé dans l’extase de son âme, il doit aussi revenir au travail que l’âme doit accomplir dans une existence matérielle.
Il est écrit dans l’Ethique de nos Pères(4 :22) «Contre ta volonté tu vis». Face au désir de l’âme de s’élever au-dessus du monde, s’impose la tâche de créer une résidence pour D.ieu à l’intérieur du monde. Nadav et Avihou parvinrent à l’extase mais non au retour. C’était là leur faute et la raison de leur mort. Ils «s’approchèrent de D.ieu et moururent». Ils permirent à leur passion spirituelle de l’emporter sur leur mission dans ce monde. Ils dépassèrent le monde et la vie elle-même.
Cet acte réside dans le cœur de chacune des quatre fautes évoquées par le Midrach.
Ils «pénétrèrent le Saint des Saints», les profondeurs les plus extrêmes de l’esprit, sans penser à leur retour dans le monde extérieur.
Ils ne «portaient pas les habits sacerdotaux», c’est-à-dire qu’ils étaient préoccupés par le fait de se dévêtir de l’habit du monde et de devenir purement spirituels. Ils avaient abandonné les vêtements nécessaires dans lesquels est vêtu le monde de D.ieu: les Mitsvot, les actions physiques qui sanctifient un environnement matériel.
«Ils n’avaient pas d’enfants et n’étaient pas mariés», ils n’accomplissaient donc pas le commandement de D.ieu de croître et de multiplier et de faire ainsi venir de nouvelles âmes dans le monde. Ils firent tout le contraire. Ils retirèrent leur propre âme de ce monde.
Toutes leurs fautes proviennent d’une erreur unique: croire que le Juif doit s’approcher de D.ieu par le retrait du monde plutôt qu’en s’y investissant. Or les deux attitudes sont nécessaires. Et c’est la raison pour laquelle, le jour de l’année où nous sommes le plus éloigné des préoccupations matérielles, Yom Kippour, nous commençons la lecture de la Torah par ces versets, pour nous rappeler notre tâche ultime.

De l’expérience à l’action
Tous les récits de la Torah ont un enseignement qui s’applique à chaque Juif et pas seulement à ceux d’entre nous qui ont atteint une grandeur extraordinaire. Quelle est donc alors la portée universelle de l’histoire de Nadav et Avihou? Il est sûr que tout le monde ne peut atteindre un niveau d’extase qui met sa vie en danger. Très peu ont besoin de cet avertissement mais qu’en est-il de tous les autres ?
Mais une chose est sûre, chaque Juif se trouve parfois réveillé par une expérience religieuse intense, le Chabbat ou les Fêtes, tout particulièrement pendant les jours solennels qui précèdent les fêtes de Tichri et plus encore à Yom Kippour. Pendant un certain temps, il se trouve porté en dehors de sa routine quotidienne, de ses anxiétés habituelles et il s’élève intérieurement en dehors des confins de son mode de pensée ordinaire.
C’est à ce moment-là qu’il doit se rappeler que quelle que soit son expérience spirituelle de ce moment privilégié, il doit la ramener avec lui lorsqu’il revient dans son monde quotidien. Il ne doit pas rechercher l’extase ou l’inspiration en elles-mêmes mais pour le retour qui les suivra. Une expérience religieuse ne doit pas rester un souvenir ; elle doit rester active et animer l’ensemble de sa vie. Il doit rapprocher D.ieu et le monde dans une synthèse harmonieuse.

La bénédiction de D.ieu
Le lien entre la manière d’entrer et de sortir du royaume de la sainteté ne s’applique pas uniquement au service du Juif mais aussi au monde matériel lui-même. Car tous les besoins du Juif, qu’ils soient matériels ou spirituels, émanent directement de D.ieu: «si tu marches selon Mes statuts et que tu gardes Mes commandements et les accomplis, Je te donnerai la pluie en son temps et la terre donnera ses produits… (Vayikra 26: 3-4)». Ce n’est que par l’intermédiaire d’une solide attache avec D.ieu que le Juif se trouve comblé matériellement. Celui qui dit: «il me conviendra de marcher selon l’entêtement de mon cœur» est toujours, en dernière analyse, dans l’erreur.
Et c’est ce que nous intime notre Paracha par la description de la procédure du service du Grand Prêtre. Ce n’est qu’après être entré dans le Saint des Saints qu’il avait la possibilité de prier pour la subsistance du Peuple et l’assurer.
C’est donc que le monde public que le Juif habite et le monde privé de son expérience religieuse sont intrinsèquement liés. Car s’il transfère cette expérience dans le monde, ce dernier s’en trouve sanctifié par l’homme et béni par D.ieu.
Le Coin de la Halacha
Halakha
Pourquoi lit-on Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. Grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

F. L.
De Recit de la Semaine
Une phrase en trop

Rav Eli Silberstein et son épouse arrivèrent en 1984 à Ithaca, non loin de New York, une ville renommée pour ses institutions académiques dans lesquelles étudient près de 5000 étudiants juifs.
Malgré quelques difficultés financières, le couple d’émissaires du Rabbi parvint à établir un Beth ‘Habad non loin de l’Université. En plus des nombreuses activités culturelles et cultuelles, ce bâtiment abrite aussi des chambres pour les dizaines d’étudiants qui participent chaque Chabbat aux repas servis par la famille Silberstein.
«A un moment donné, raconte Rav Silberstein, j’appris par Rav ‘Hadakov – le secrétaire personnel du Rabbi – que le Rabbi souhaitait que ses émissaires envoyés dans les campus universitaires donnent des cours qui soient reconnus officiellement afin que les étudiants qui les fréquentent puissent obtenir des points en plus dans leur curriculum.
Je compris par là qu’il n’était pas suffisant d’opérer à l’extérieur de l’Université mais qu’il fallait que tout le monde académique – y compris l’administration de l’Université – reconnaisse que l’étude de la Torah peut faire partie des matières importantes et permet d’augmenter son capital de points. C’était très important pour le Rabbi et Rav ‘Hadakov encouragea les émissaires à prendre des initiatives en ce sens.
L’Université Cornell est l’une des huit plus prestigieuses des Etats-Unis. C’est l’un des bastions de l’intelligentsia nationale. Mais puisque je ne possédais aucun diplôme académique, je n’avais aucune chance d’être autorisé à donner des conférences reconnues officiellement.
Cependant une personne qui s’était beaucoup intéressée au judaïsme grâce à notre Beth ‘Habad était le professeur Chaoul (Jérémy) Rabkin. Il était un expert reconnu de sciences politiques et ce fut lui qui suggéra que je présente un cours comparant la loi talmudique à la loi américaine. Lui-même était spécialisé en jurisprudence américaine. Nous devions même donner le cours ensemble, préconisait-il : je présenterai le point de vue du Talmud tandis que lui expliquerait la loi civile.
Le professeur Rabkin contacta le directeur de la Faculté de Droit, un Juif dont le grand-père avait été très pratiquant mais qui se définissait lui-même comme «cynique». Plus le professeur Rabkin tentait d’obtenir son accord, plus celui-ci s’obstinait à refuser.
Je me rendis pour un Chabbat à Crown Heights, dans la synagogue du 770 Eastern Parkway. Le Rabbi parla longuement à cette occasion devant ses ‘Hassidim de la nécessité d’«inonder le monde avec l’étude de la Torah».
Quand le Rabbi distribua le dimanche matin à des milliers de personnes des dollars à remettre à la Tsedaka (charité), j’en profitai pour demander : «Que D.ieu fasse que tous les obstacles à Cornell concernant l’étude de la Torah soient complètement annulés !» Le Rabbi m’écouta attentivement et répondit d’une voix forte : Amen !
La même semaine, le professeur Rabkin me convoqua : «Vous ne le croirez jamais ! Le directeur de la Faculté de Droit m’a contacté de sa propre initiative pour me déclarer : ‘Vous souvenez-vous que vous aviez proposé d’organiser des cours de Lois comparées et que j’avais refusé ? Mais j’y ai repensé et je trouve que ce serait une assez bonne idée après tout ! »
Ainsi, grâce à la bénédiction du Rabbi, ce cours put enfin commencer. C’était officiel à tous points de vue et, pour que les étudiants puissent obtenir des points à valider, ils devaient passer des examens.
Ces cours devinrent vite très populaires ; près de 200 étudiants y participèrent chaque semestre. D’une part, l’idée était très intéressante : comparer la loi talmudique millénaire à la relativement jeune jurisprudence américaine, représentait un enjeu stimulant.
C’était un premier pas pour de nombreux étudiants juifs qui n’avaient reçu aucune éducation religieuse et qui ignoraient la richesse de la loi juive.
«Nous n’avions jamais imaginé que le judaïsme puisse receler une telle profondeur intellectuelle ! me déclarèrent nombre d’entre eux. Comment se fait-il que personne ne nous en avait parlé auparavant ?»
Parmi les participants se trouvait un étudiant juif qui fréquentait assidûment une jeune chinoise non-juive qu’il avait l’intention d’épouser.
D’habitude, je n’ai pas de relation personnelle avec les étudiants à ce cours, comme d’ailleurs tous les professeurs. Mais il se trouve que cet étudiant, brillant dans tous les domaines, appréciait énormément ma conférence qui portait sur une étude approfondie du chapitre «Hamafkid» du Talmud de Babylone. Imaginez un étudiant juif, assis à côté de sa «fiancée» chinoise et tous deux étudiant le Talmud !
Le fait est qu’il était de plus en plus fasciné par ce qu’il découvrait mais n’avait pas encore eu le courage d’en tirer les conséquences jusqu’à l’incident suivant : un jour, j’évoquai un cas compliqué que relevait le Talmud, à propos de celui qui endommage un objet qu’il était chargé de surveiller. Je demandai aux étudiants de répondre d’après les sources que nous avions apprises précédemment. Je donnai mon numéro de téléphone portable en déclarant que quiconque avait une réponse pourrait me contacter.
Soudain, j’entendis une voix moqueuse (par la suite, j’appris que c’était celle de cette étudiante chinoise) qui s’esclaffait : «Nous ignorions que vous avez un téléphone portable attaché au cou de votre chameau !»
Tous les étudiants qui entendirent la plaisanterie éclatèrent de rire. Tous sauf un. C’était le «fiancé». Il fut profondément blessé : cette jeune fille arrivant d’une région reculée d’Asie du sud-est se permettait de se moquer d’un rabbin ! Il interpréta sa remarque comme une insulte à la religion juive.
Il était persuadé que j’allais répondre à sa remarque d’une façon sarcastique, comme les autres conférenciers répondent de manière hautaine quand on tente de les déstabiliser. Quand il vit que je me retenais de répondre, il décida que, en ce qui le concernait, c’était une goutte de trop de la part de «sa fiancée» et il mit fin à sa relation avec elle.
Quant à moi, j’ignorai tout de la suite de cet incident.
Ce n’est que bien plus tard, alors qu’il fréquentait déjà assidûment une Yechiva à Jérusalem, qu’il revint à l’Université de Cornell pour me raconter ce qui l’avait amené à changer de vie aussi sérieusement.
Par la suite il se maria selon la tradition ‘hassidique et il donna à ses enfants l’éducation juive qui lui avait tant manqué.

D’après le livre Am Segoula
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traduit par Feiga Lubecki