Durant la seconde guerre mondiale, des milliers de Juifs abandonnèrent précipitamment la Pologne et le centre de l'Union Soviétique pour se réfugier provisoirement en Asie Centrale, à Tachkent et Samarkand. Là, avec ses compagnons d'infortune, Reb Mendel Futerfass (alors âgé de 35 ans environ) parvint à établir un réseau d'écoles clandestines afin d'assurer aux enfants une éducation juive 'hassidique sans compromissions.
Son propre père était mort avant sa naissance et Reb Mendel portait donc son prénom. D'un naturel dynamique, il était imprégné d'un profond amour du prochain et tentait de trouver des solutions aux nombreux problèmes auxquels devait faire face cette communauté récomposée au bout du monde. Grâce à son sens du commerce et de l'organisation, il établit un réseau qui procura du travail à de nombreux 'Hassidim. Il investissait immédiatement tous les bénéfices pour l'éducation juive d'enfants de familles démunies.
Une fois la guerre terminée, les autorités russes permirent aux réfugiés polonais de retourner dans leur pays. Les Juifs russes décidèrent de profiter de cette occasion pour quitter ce pays totalitaire dans lequel la pratique du judaïsme était pratiquement impossible.
Certains d'entre eux s'inventèrent ainsi des liens de parenté fictifs avec de vrais réfugiés, d'autres n'hésitèrent pas à profiter des papiers des défunts ou à utiliser des faux-papiers. Tous ces réfugiés transitaient par Lvov (Lemberg) : là aussi, Reb Mendel se prouva très efficace car il parvenait à se procurer de nombreux faux-papiers.
Le 1er Tevet 1946, le dernier convoi quitta Lvov, emportant dans ses wagons quelques 200 familles juives. La police secrète se mit alors à rechercher activement les 'Hassidim encore sur place ainsi que ceux qui avaient réussi à s'enfuir dans d'autres villes soviétiques.
Reb Mendel tout en restant à Lvov avait réussi à échapper aux autorités et à se procurer un faux passeport polonais. Durant la seconde quinzaine du mois de Chevat, il prit lui aussi le train pour la Pologne avec une famille de 'Hassidim accompagnée de leurs trois fils - de fait des étudiants de Yechiva qui s'étaient joints à eux.
A mi-chemin, non loin de la ville frontière de Prémichlane, deux hommes habillés en civil s'installèrent dans leur compartiment. L'un d'entre eux murmura entre ses dents : " Ils font de beaux rêves ! ", tout en regardant de travers la " famille " 'hassidique. L'un des " enfants " avait entendu ces paroles mais n'y avait attaché aucune importance. Malheureusement, à la gare suivante, leur pire crainte se concrétisa : le wagon fut encerclé de toutes parts par des soldats lourdement armés qui ordonnèrent à la " famille polonaise " de descendre et de les suivre.
L'interrogatoire de Reb Mendel dura trois mois et comprit toutes sortes de tortures morales et physiques. Loin d'être brisé, il conserva un courage surhumain et une fierté 'hassidique peu commune durant toute cette période. L'un des fonctionnaires eut, à un moment, un sourire sardonique : " Enfin ! Maintenant tu es entre nos mains ! " Reb Mendel lui jeta un regard méprisant : " Ce n'est pas grâce à votre puissance que j'ai été emprisonné et ce n'est pas avec votre accord que je serai libéré ! "
Durant tout l'interrogatoire, Reb Mendel s'en tint à une ligne de conduite : " Je ne peux pas vive sans mon Rabbi. Tout ce que j'ai fait, ce n'était que pour me rapprocher de lui. Le Rabbi a été expulsé par vous d'Union Soviétique et se trouve maintenant aux Etats-Unis. C'est pourquoi je considère que je suis obligé de partir le rejoindre. Si moi je m'étais trouvé aux Etats-Unis et lui ici, j'aurais pris le chemin inverse ! "
Mais les interrogateurs ne se laissèrent pas émouvoir par cet argument…
La veille de Lag Baomer 1947, une " troïka " de trois " juges " condamna Reb Mendel à huit ans d'emprisonnement avec exil en Sibérie dans un camp de " redressement ".
La famille de Reb Mendel avait réussi à s'enfuir d'Union Soviétique quelques semaines auparavant et fut terriblement angoissée en apprenant la nouvelle de son arrestation et de la terrible sentence. Quant à lui, alors que durant toute la période de l'interrogatoire, il n'avait eu qu'une obsession : ne rien révéler qui puisse mettre en danger d'autres Juifs - il avait maintenant tout le temps nécessaire pour considérer sa propre situation.
Combien le Rabbi lui manquait ! Il ressentait profondément le besoin d'entrer en " Ye'hidout ", d'avoir un entretien privé avec le Rabbi. Mais que pouvait-il faire : lui était ici, et le Rabbi était là-bas…
Soudain il se souvint d'un mot qu'il avait entendu du Rabbi lui-même : " Tous ceux-là - qui se trouvent en Union Soviétique et en particulier, en prison - doivent concentrer leur pensée sur moi et je concentrerai ma pensée sur eux ! " C'est ce qu'il fit. Reb Mendel se tint debout dans un coin de sa sombre cellule : il ferma les yeux et, en pensée, se tenait devant le Rabbi en Ye'hidout. Et c'est ainsi, les yeux fermés, la tête baissée et la pensée entièrement dirigée vers le Rabbi que Reb Mendel " raconta " au Rabbi tout ce qui lui arrivait maintenant.
Ce même jour, - la veille de Lag Baomer 1947 - la famille de Reb Mendel qui était à présent établie à Londres, recevait un télégramme adressé à Reb Mendel depuis New York. Il ne contenait que ces mots : " Le télégramme a bien été reçu ". la surprise était totale : à quel télégramme le Rabbi faisait-il allusion ? Etait-il possible que malgré toutes les difficultés Reb Mendel aurait réussi à s'enfuir d'Union Soviétique et aurait ainsi pu envoyer un télégramme au Rabbi ? Cependant, quelque temps plus tard, sa famille reçut la triste confirmation que Reb Mendel était toujours prisonnier au Goulag. Le télégramme du Rabbi gardait donc tout son mystère.
Ce n'est que bien plus tard, en 1964, après avoir purgé sa peine de huit ans de travaux forcés en Sibérie que Reb Mendel retrouva la liberté et obtint la permission de quitter l'Union Soviétique. Quand il retrouva sa femme et ses enfants, il leur raconta sa " Ye'hidout " si particulière. C'est alors qu'on comprit ce qu'avait voulu dire le Rabbi : " Le télégramme a bien été reçu ! " L'énigme était enfin résolue…

" Si'hat Hachavoua "
traduit par Feiga Lubecki