En ce temps là, le Baal Chem Tov avait commencé d’enflammer le cœur de ces masses juives délaissées. Déjà des récits de miracles couraient de bouche en bouche. Déjà, il se disait que le Baal Chem Tov était un Tsaddik, un Juste.

C’était beaucoup pour certains rabbins, peu enclins à partager leur petit monopole spirituel avec qui que ce soit et certainement pas avec le premier venu. Un quarteron d’entre ceux-là crut donc pouvoir convoquer le Baal Chem Tov : il pourraient, du haut de leurs doctes personnes, examiner ce nouveau venu qui suscitait tant de ferveur populaire.

Le Baal accepta de déférer à cette convocation. L’audience eut lieu un jour de Rosh ‘Hodech, jour du renouvellement de la lune qui marque le début du nouveau mois du calendrier hébraïque. L’un de ces mirobolants rabbins posa donc une question en rapport avec le jour. Mais cette question était d’une telle simplicité qu’elle en prenait un caractère insultant ! Qu’on en juge : il était demandé au Baal Chem Tov si une personne ayant oublié d’intercaler, dans la prière des dix-huit bénédictions, le paragraphe spécial à ce jour, Yaalé VéYavo, devait ou non la recommencer !

Tout juif habitué à dire ses prières est censé pouvoir répondre sans la moindre hésitation à pareille question : les deux prières dites pendant le jour doivent être reprises, pas Maariv, la prière du soir.

Le Baal répondit cependant mais d’une manière inattendue. « Cette question, dit-il, ne nous concerne ni vous ni moi. Moi parce que je n’oublierai pas de dire Yaalé VeYavo, vous parce que vous l’oublierez encore en répétant votre prière une seconde fois ».

Et c’est, en effet, ce qui arriva. Le même jour, le rabbin questionneur oublia la récitation des versets propres à l’inauguration du nouveau mois. Recommençant comme il se doit sa prière, il les oublia encore une seconde fois !