A quelques semaines d’intervalle sont lus, dans nos synagogues, deux textes qui semblent s’opposer. Un texte du Deutéronome (1, 22-24) nous présente Moïse rappelant au peuple l’épisode des explorateurs survenu quarante ans plus tôt : « Vous êtes venus vers moi, tous, et m’avez dit : envoyons des hommes devant nous pour qu’ils explorent la terre ».

Mais, dans les Nombres (13, 1-3), avait été lu auparavant le récit originel : « Et D.ieu parla à Moïse en ces termes : envoie pour toi des hommes qui puissent explorer la terre de Canaan que je vais donner aux enfants d’Israël ».

En première lecture donc, les explorateurs auraient reçu leur mission par ordre divin selon les Nombres, ou à la suite d’une demande du peuple si l’on s’en tient au Deutéronome.

Les commentateurs réconcilient cependant sans difficulté ces deux textes. L’initiative, nous disent-ils, émane bien du peuple mais Moïse consulte alors D.ieu Qui lui répond : « Envoie pour toi des hommes ». « Pour toi » : envoie-les selon ton jugement, fais comme il te semblera bon.

On connait le résultat de cette aventure. Les explorateurs font, hélas, un rapport si démoralisant de leur voyage que le peuple en perd sa foi dans la promesse divine de lui donner la Terre d’Israël. Dramatique contretemps, toute la génération concernée est alors jugée inapte à entrer en Terre Sainte.

Ce récit a un caractère fondateur. Pour la première fois, D.ieu offre ici aux humains une situation dans laquelle le choix leur appartient pleinement. Quand D.ieu exprime une instruction explicite, nous pouvons, à D.ieu ne plaise, choisir de la défier malgré l’aspiration contraire de l’âme divine présente en nous. Jusqu’à l’épisode des explorateurs, là est le seul choix offert au peuple juif. Par la réponse faite à Moïse, s’ouvre une tout autre dimension du choix, plus profonde et plus réelle.

Cette notion de choix est essentielle à l’humanité même de nos vies. Car D.ieu aurait pu, d’emblée, créer un monde parfait dans lequel le Bien se serait à tout moment imposé comme une évidence absolue. Mais précisément, il nous appartient, et là est la grandeur humaine, de parfaire ce monde concret où il nous est donné de vivre. Avec aussi la possibilité d’erreur qui donne tout leur sens à nos accomplissements. En nous ouvrant ainsi, si l’on peut dire, le champ de tous les possibles, D.ieu donne à nos actions une signification bien plus grande. Certes, les risques aussi sont alors plus grands. Mais quand, sans instruction céleste explicite est découverte la meilleure façon de rejoindre la Terre Sainte, de concrétiser la Volonté divine, les actes accomplis acquièrent une incomparable élévation.

Belle et difficile liberté qui nous a été offerte : il nous revient à chaque instant de l’exercer pour sanctifier ce monde infiniment complexe, pour en faire une Terre Sainte, une demeure pour D.ieu.

David-Méir Krief