Lettre n° 9549

Par la grâce de D.ieu,


12 Elloul 5728,
Brooklyn, New York,


A l’attention de monsieur Ariel, le général Sharon(1),


Je vous salue et vous bénis,


Je vous remercie pour votre lettre du 24 Av, qui m’est parvenue avec un peu de retard et j’espère que vous excuserez le retard de ma réponse(2). Pour ce qui est du contenu de votre lettre, dont nous avons parlé ici, je partage votre avis, concernant les territoires libérés(3). Nous avons longuement analysé tout cela, mais, malheureusement, je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites qu’un changement de l’opinion publique en notre Terre Sainte fera évoluer la position des cercles dirigeants. Selon les informations dont je dispose, de sources qui, jusqu’à maintenant, se sont avérées fiables, il n’y a aucun changement concret(4), dans l’attitude de ces cercles et pourvu que l’évolution de l’opinion publique transforme au moins la position officieuse, mais suivie d’un effet concret, qui tend à maintenir le caractère arabe de la vieille ville de Jérusalem, en prétextant qu’il faut préserver le statu quo, de même que la spécificité de telle ou de telle autre partie de la ville, telles qu’elles étaient lors de la conquête, l’an passé(5). Car, il serait à l’encontre de “ la justice et la droiture ” de profiter de cette conquête pour imposer quoi que ce soit aux habitants qui se trouvaient là au préalable ! Or, on peut comprendre les conséquences qu’aura une telle attitude, de manière concrète, dans l’existence quotidienne, d’autant qu’ils pensent agir pour le bien de la population juive également en installant nos frères, les enfants d’Israël, à proximité(4) de cette partie de la ville.


Bien entendu, je vous écris tout cela d’une manière officieuse et à titre personnel, car il n’est pas de mon propos de prononcer des paroles dures à l’encontre des enfants d’Israël, en particulier ceux qui ont les moyens de réaliser des accomplissements immenses et grandioses dans les domaines mentionnés ci-dessus, mais qui ne le font pas, bien au contraire, pour des raisons diverses et variées.


Bien évidemment, le but de la présente n’est nullement d’incriminer qui que ce soit. Quelle serait l’utilité d’une telle accusation ? Il s’agit uniquement de vous exprimer ma douleur, dans le cadre d’une lettre que j’adresse à vous-même et à toutes les personnes auxquelles, selon votre jugement, il sera profitable de faire connaître le contenu de ces quelques lignes.


Si telle est la situation de la sainte ville de Jérusalem, combien plus grave est celle de ‘Hévron, dans laquelle n’habitent que des arabes et qui n’a jamais été l’endroit du Temple. L’implantation arabe y est forte, développée et même, d’après ce qu’on dit, glorieuse, ce qui renforce encore plus clairement la position prise ci-dessus. Malgré tout cela, on a recherché les moyens d’y fonder une Yechiva et j’ai reçu une réponse claire, à ce propos : il est “ préférable pour moi ” de m’intéresser à une Yechiva à Jérusalem, plutôt qu’à Hévron. Bien entendu, parmi les colons, malgré les positions des cercles précédemment cités, il y a plusieurs ‘Habad, les uns déclarés, les autres ne le disant pas. Or, vous connaissez sûrement la situation de ces colons et leur état, là-bas, qui n’est pas éloigné de celui de prisonniers. Et, la justification, comme je le disais, est “ la justice et la droiture ”. Le point commun à toutes ces actions est : que dira le “ grand ” monde ? Nous en avons parlé, lorsque vous étiez ici.


Par exemple, si, “ce qu’à D.ieu ne plaise”, il y avait une dispute entre un jeune israélien et un jeune arabe à ‘Hévron, les jeunes arabes étant plus nombreux que les jeunes israéliens, il est possible, D.ieu nous en garde, que ces derniers prennent des coups, etc.(4). Selon vous, de quel côté se rangera la police militaire israélienne se trouvant sur place ? Et, combien plus en sera-t-il ainsi si le maire arrive, lui qui, semble-t-il, a pris part aux attaques et au pogrom de ‘Hévron(6), s’il pousse des cris, dénonce la provocation des Juifs.


C’est pour cette raison que je vous ai posé une “ question ”, quand vous étiez ici, sur le contexte et la justification de la manière de conquérir la vieille ville de Jérusalem, l’an dernier. Dans ce combat, il y a eu de nombreuses victimes, parmi l’élite de l’armée israélienne, sans aucune commune mesure(4) avec ce qui s’est passé sur les autres fronts.


Accessoirement, mais peut-être n’est-ce pas accessoire, vous me devez encore une réponse, à ce sujet. En effet, lorsque nous en avons parlé ici, vous m’aviez dit que vous feriez des recherches, afin de me répondre. Comme je vous le rapportais au cours de notre conversation, les informations que j’ai obtenues à ce propos, émanant, comme je le disais, d’une source qui s’est avérée fiable, jusqu’à maintenant, faisaient état d’instructions en ce sens qui ont été données au sommet de la hiérarchie, d’ordres qui ne pouvaient pas être contestés. Et, pourvu que ces informations s’avèrent infondées, bien que les propos que j’ai échangés avec vous étaient formulés comme une question, laissant planer le doute !


J’ajoute que ma question, à ce sujet, n’était pas motivée par la simple curiosité, ce qu’à D.ieu ne plaise, concernant un sujet aussi douloureux. Il s’agissait d’établir le cheminement de la pensée de ceux qui ont pu donner une telle instruction. Plusieurs d’entre eux sont encore des dirigeants, à l’heure actuelle. Pour notre douleur et peut-être aussi pour notre honte, leurs positions n’ont pas évolué. En effet, déjà à l’époque, on savait que cela coûterait de nombreuses vies. Et, l’on peut ainsi comprendre la situation actuelle de ‘Hévron et de Jérusalem.


Bien entendu, je ne désespère pas, ce qu’à D.ieu ne plaise, de pouvoir faire évoluer cette situation, mais, tant que ce ne sera pas le cas, il n’y a aucun intérêt concret(4), il n’y a pas lieu que quelqu’un lance un appel pour immigrer et s’installer à ‘Hévron, y compris pour ceux qui ne répondront pas, de manière effective, mais auprès desquels on mènera campagne, qui constateront cette manière de penser. A fortiori est-ce le cas pour ceux qu’un tel appel a de bonnes chances de pousser effectivement à l’immigration, ce qui les confronterait à la position précédemment citée, à des controverses acerbes et à des mesures(4) qui seront prises contre les immigrants. Le public en aura connaissance, non seulement les Juifs, mais aussi les autres nations, qui constateront que les dirigeants limitent le nombre des colons et des immigrants, font même bien plus que le limiter. Il y a bien là une honte et un encouragement pour les ennemis d’Israël.


Malgré tout cela, comme je le disais, je ne me décourage pas. Néanmoins, le changement ne découlera pas d’une évolution de l’opinion publique juive, mais des erreurs des arabes et de ceux qui les soutiennent. Comme ce fut le cas, de par le passé, de telles erreurs ont obligé, l’an dernier, ceux qui poursuivent la paix à accepter enfin l’idée d’une protection et donc d’une guerre offensive. Puisse D.ieu faire que cela soit plus aisé, à l’avenir, qu’il n’y ait pas de perte, ce qu’à D.ieu ne plaise, ni morale, ni physique, ni même financière, pour nos frères, les enfants d’Israël, en tout endroit où ils se trouvent.


Il est merveilleux de constater à quel point l’expression employée, à propos des enfants d’Israël, par notre Torah, Torah de vie, “ un peuple à la nuque roide ”(7) est, non seulement encore valable à l’heure actuelle, mais, en outre, utilisée également d’une manière qui va à l’encontre de la Torah et des besoins vitaux des Juifs. On peut en trouver un exemple en ces toutes dernières semaines, dans le détournement d’un avion d’El Al par des algériens. On a observé clairement ce qu’ont été les réactions, y compris de la part de ceux qui auraient dû être des amis du peuple d’Israël. Malgré cela, on félicite les autres nations pour la solution qui a été trouvée, “ la victoire de la moralité ”. Et, même si l’on admet que l’on devait céder aux pressions pour sauver les vies, qui oblige à dire que telle et telle autre personnes sont des modèles de moralité et des Justes parfaits, un exemple pour le plus grand nombre ? En fait, comme je le disais, il ne faut pas se poser de question sur le “ peuple à la nuque roide ”.


L’entêtement est si grand à avoir foi en la bonté des nations, bien que nos prophètes et nos Sages aient prévenu que : “le bienfait des nations est une faute”(8), que l’incursion tchèque elle-même n’a pas affaibli, n’a nullement écarté cette curieuse croyance. Certes, en apparence, la Tchécoslovaquie n’a rien à voir avec le contenu de la présente. Pour autant, une relation profonde existe effectivement. Car, cet épisode est significatif de l’état d’esprit de certains dirigeants, en notre Terre Sainte, de leur conception qui affecte l’action concrète, qui est à l’origine d’initiatives douloureuses, pénibles et même inquiétantes pour l’avenir, au moins le plus proche, jusqu’à ce qu’ils soient relevés de leurs fonctions.


Je conclurai par ce qui est positif, en vous remerciant pour vos chaleureuses salutations, qui ont été transmises lors de votre visite à Kfar ‘Habad. Selon les lettres et les nouvelles que je reçois de là-bas, vos propos étaient sincères et chaleureux. Vous les avez accompagnés d’un encouragement et d’un soutien, dont chacun a besoin, eux(9) y compris, en particulier en cette période qui connaît de nombreux événements et dans un “ pays vers lequel sont tournés les yeux de D.ieu, du début de l’année à la fin de l’année ”(10), comme le dit notre Torah. D’un autre côté, les ennemis l’entourent et, de jour en jour, on peut constater des points de faiblesse, dans la manière de les considérer, de la part des autorités, en notre Terre Sainte. Selon elles, il faut adopter, envers eux, un comportement basé sur des gants de soie et une grande prudence. Lorsqu’il y a une dispute entre un arabe et un israélien, on doit d’abord vérifier ce que l’on dira dans telle et telle autre capitales, puis, en fonction de cela, décider ce qu’il y a lieu de faire. De ce fait, les ennemis se permettent, de temps à autre, d’intensifier les propos sur le désordre et, a fortiori, ces désordres proprement dits, qui aboutissent au terrorisme.


Nous approchons de la nouvelle année et, selon la formule bien connue, puisse D.ieu faire que s’achève cette année, avec ses événements malencontreux, qui disparaîtront totalement. Qu’en l’année prochaine et même en les derniers jours de celle-ci, commencent les bénédictions, en particulier le tournant essentiel qui a été précédemment décrit, sans attendre d’autres événements malencontreux qui imposeront ce changement. Dans le passé récent, on a observé les miracles de D.ieu, Qui est tout Puissant. Il peut donc accomplir de nombreux autres miracles, selon la formule traditionnelle, “en un bien visible et tangible”.


Je vous joins quatre coupures de presse, à titre d’exemple. Avec mes respects, ma bénédiction afin que vous soyez inscrit et scellé pour une bonne et douce année, de même que tous les vôtres,


M. Schneerson,


Comme je l’ai précisé auparavant, cette lettre, du fait des points douloureux qui y figurent, vous est adressée à titre personnel. Pour autant, vous pouvez la montrer ou bien en faire connaître le contenu à d’autres si, selon vous, cela présente un intérêt. Je conclurai en formulant le vœu que, tout comme les lettres que je vous adresse sont rédigées avec franchise et relativement longues, vous réagirez vous-mêmes aux points qui y sont mentionnés de la même façon. En outre, vous répondrez à ma question, précédemment citée et aux autres questions que vous aviez l’espoir de clarifier et de résoudre après votre retour en Terre Sainte.


Notes


(1) Voir, à son sujet, la lettre n°9381.
(2) Voir le Likouteï Si’hot, tome 35, à la page 256.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°9445.
(4) Le Rabbi souligne les mots : “concret”, “à proximité”, “etc.”, “sans aucune commune mesure”, “concret” et “mesures”.
(5) Lors de la guerre des six jours.
(6) En 5689 (1929), au cours duquel les arabes massacrèrent la communauté juive de la ville, sous l’œil indifférent des anglais.
(7) Tissa 33, 3 et 34, 9. Ekev 9, 6.
(8) Michlé 14, 34. Voir le traité Baba Batra 10b.
(9) Les habitants de Kfar ‘Habad.
(10) Ekev 11, 12.