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Semaine 36

  • Ki Tavo
Editorial
« 18 – ‘Haï »

Dans l’avancée qui, jour après jour, nous conduit aux grandes fêtes de Tichri, à Roch Hachana et à Yom Kippour, il existe des étapes. Il y a comme des jours différents qui, tout à coup, font apparaître une lumière nouvelle et relancent, de ce fait même, l’effort entrepris par chacun. Cette semaine, nous en rencontrons un : le 18 Elloul ou, pour reprendre la terminologie hébraïque, le «‘Haï Elloul – Elloul vivant».
Commençons par un peu d’histoire : c’est à cette date, respectivement en 1689 et en 1745, que naquirent le Baal Chem Tov, fondateur du ‘hassidisme, et Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, fondateur du ‘hassidisme ‘Habad. Cette seule constatation aurait suffi à faire du 18 Elloul une journée à part ; ne s’agit-il pas de deux de nos plus grands sages qui ont fondamentalement renouvelé notre manière de vivre le judaïsme ? Cependant, la tradition va beaucoup plus loin quand elle les nomme «les deux grands luminaires». Car c’est bien de cela qu’il s’agit : comme un luminaire éclaire ce qui l’entoure, comme il révèle à tous ce qui, jusque là, avait été négligé, comme il crée un lieu de vie où tous se rassemblent, ainsi le Baal Chem Tov et Rabbi Chnéour Zalman furent ceux qui apportèrent au monde bien des éléments qui lui faisaient, en ce temps, si cruellement défaut et que l’histoire regroupa sous le nom de «‘Hassidisme». On le sait aujourd’hui : une certaine connaissance des choses, une certaine vision et une certaine compréhension, clés du bonheur d’être juif, y étaient contenues.
Il a été souvent relevé que, entre le 18 Elloul et Roch Hachana s’écoulent exactement douze jours. Ce n’est, bien sûr, pas un hasard – en existe-t-il un ? Ces douze jours correspondent, nous dit-on, aux douze mois de l’année car la période est à la Techouva, au plus authentique des retours à D.ieu. Dès lors, ces douze jours sont une chance littéralement prodigieuse de réparer, au fil du temps, mois après mois de l’année écoulée. Une telle approche pourrait renvoyer à quelque forme de la désespérance ; chacun n’est-il pas conscient de ses propres insuffisances ? Le 18 Elloul se traduit donc, dans son appellation hébraïque, par «Elloul vivant» car il donne vie à toute l’œuvre spirituelle à accomplir.
En ces temps où nos efforts sont tendus dans la préparation intérieure à l’année nouvelle, ce jour est bien précieux, à la fois pour la leçon qu’il nous donne et pour la force dont il nous gratifie. Il faut savoir retenir l’une et l’autre afin que, demain, nous méritions que nous soit accordée la merveilleuse année dont rêvent tous les hommes.
Etincelles de Machiah
La Techouva par choix

Maïmonide enseigne : «La Torah a promis que finalement le peuple juif fera Techouva à la fin de son exil et il sera immédiatement libéré.» (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5).
A la lecture de cet enseignement, il apparaît que le peuple juif fera Techouva de sa propre initiative, sans que D.ieu l’y ait contraint. Ainsi ce sera vraiment sa Techouva qui amènera la Délivrance. Pourquoi Maïmonide choisit-il cette approche ?
Dans les deux chapitres qui précèdent dans le Michné Torah, Maïmonide a abondamment souligné l’idée du libre arbitre. Puis il commence celui où se trouve la citation ci-dessus par les mots : «Puisque tout homme en a reçu la permission… il doit entreprendre de faire Techouva…» Il veut dire ainsi que l’homme doit s’efforcer à une Techouva sincère, qui procède de sa libre volonté et non d’une quelconque forme de coercition. Après avoir posé ce principe, Maïmonide poursuit : «finalement le peuple juif fera Techouva» : son retour à D.ieu sera décidément le résultat d’un libre choix.
(D’après Likoutei Si’hot, vol. XXVII, p. 215) H.N.
Vivre avec la Paracha
Ki Tavo : Traverser la frontière

«Je te remercie, Ô D.ieu vivant et éternel, Qui m’a restauré mon âme, grande est Ta miséricorde.»
Notre premier acte conscient du jour est d’exprimer notre gratitude envers notre Créateur. Dès notre réveil, avant même de nous lever ou même de nous laver les mains, nous récitons la prière du Modé Ani, reconnaissant que c’est Lui qui nous accorde la vie et chaque moment de notre existence.
Les idées apparemment simples exprimées dans le Modé Ani occupent de nombreux chapitres des écrits législatifs, philosophiques et mystiques de la Torah. Le Rabbi en extrait des perspectives sur la nature de l’omniprésence et de l’immanence de D.ieu, le principe de la «création perpétuelle» etc. S’il en est ainsi, pourquoi le Modé Ani est-il prononcé dès le réveil alors que notre esprit est encore embué de sommeil ? N’aurait-il pas été plus propice de le faire précéder d’une étude et d’une méditation sur ces concepts?

La nuit et le jour
La physiologie de notre corps et le rythme de l’horloge astrale partagent notre vie en domaines conscients et supra conscients. Durant les heures d’éveil, notre esprit prend le contrôle de nos pensées et de nos actions. Mais la nuit, alors que nous dormons, «le quartier général» laisse sa place à un lieu plus profond où la conscience est remplacée par une forme de connaissance plus élémentaire. Dans ce monde nocturne, les difficultés sont aplanies et les absurdités sont acceptées. Néanmoins, certaines vérités restent insensibles à ces fluctuations de la connaissance et de la conscience. Notre foi en D.ieu, Son rôle central dans notre existence, la profondeur de notre engagement pour Lui restent toujours des idées absolues.
L’éveil et le sommeil n’affectent que l’activité extérieure de
l’intellect. Ce que nous savons avec l’essence même de notre être, nous ne le connaissons pas moins quand nous sommes plongés dans les tréfonds du sommeil. Bien au contraire, quand nous sommes éveillés, nous devons dépasser les préjugés d’un intellect remué par les «réalités» de l’état physique pour parvenir à ces vérités. Endormis, notre esprit se libère, nous nous rapprochons, bien qu’inconsciemment, de nos convictions les plus intérieures.
Le Modé Ani exploite un moment exceptionnel de notre journée, le moment qui se situe au seuil de notre éveil, le moment qui réunit les domaines supra conscient et conscient de la journée. Chaque matin, une opportunité extraordinaire se présente donc : celle d’exprimer à nous-mêmes une vérité qui habite notre moi le plus profond et de déclarer ce que nous savons déjà au jour qui attend.

L’obligation des prémices
On peut observer un phénomène similaire dans une discussion hala’hique concernant la Mitsva des Bikourim (offrande des premiers fruits mûrs).
Les Bikourim comme Modé Ani représentent une déclaration de gratitude envers D.ieu. Dans le 26ème chapitre de Devarim, que nous lisons cette semaine, la Torah ordonne:
«Quand vous viendrez sur la terre que l’Eternel votre D.ieu vous donne en héritage et que vous la posséderez et vous y installerez» ;
«Vous prendrez des premiers fruits de la terre… et les placerez dans une corbeille ; et vous vous rendrez dans le lieu où l’Eternel votre D.ieu choisira pour y faire reposer Son nom.»
«Et vous vous rendrez chez le Cohen qui sera alors là et lui direz : Je proclame aujourd’hui à l’Eternel ton D.ieu que je suis venu sur la terre que D.ieu a juré à nos pères qu’Il nous donnerait…»
Dans sa «proclamation» le porteur des Bikourim continue en relatant l’histoire de notre libération d’Egypte et le don que nous fit D.ieu de la «terre où coulent le lait et le miel», concluant par les mots : «Et maintenant, vois, j’ai apporté le premier fruit de la terre que Toi, D.ieu Tu m’as
donnée».
Quand nos ancêtres commencèrent-ils à faire cette offrande ? Le premier verset du chapitre des Bikourim comporte des implications à ce sujet qui suscitèrent des débats législatifs entre le Talmud et le Sifri.
Le peuple juif entra sur la Terre d’Israël en l’an 2488 (1273 avant l’ère commune). Mais quatorze ans devaient passer avant la conquête de la Terre et son partage entre les tribus. C’est pour cette raison, dit le Talmud, que le verset précise d’apporter les Bikourim «quand vous viendrez sur la terre… que vous la posséderez et vous y installerez». Cela nous enseigne que les premiers fruits de la terre ne devaient être présentés à D.ieu qu’après la conquête et l’installation.
Le Sifri, quant à lui, souligne les mêmes mots mais comme impliquant que l’obligation des Bikourim s’appliquait dès l’entrée des Juifs dans la Terre. Il base son interprétation sur le premier mot du verset : «Vehaya» (et ce sera) dont l’emploi indique, tout au long de la Torah, que l’événement doit se passer immédiatement.

Entre le rêve et la réalité
En fait cette divergence d’opinions se réfère à deux conceptions de la Mitsva des Bikourim.
La conception du Talmud exprime la notion que la véritable gratitude ne peut venir qu’une fois que le bénéficiaire a compris le sens et l’impact pour sa vie du bien qui lui a été fait. Sans «avoir pris possession» de quelque chose en l’étudiant et l’analysant, sans s’ «y être installé» en l’expérimentant d’une manière consciente, quelle est la valeur de nos proclamations?
Par contre, le Sifri soutient une vision de la Mitsva des Bikourim comparable au Modé Ani, insistant sur le fait que notre premier moment sur la Terre que D.ieu nous a attribuée devrait être celui de la reconnaissance et de la gratitude pour ce don divin.
Pendant quarante ans, le peuple erra dans le Sinaï, rêvant de la Terre désignée par D.ieu comme lieu d’accomplissement de sa mission dans la vie. Et puis vint le grand moment où le rêve devint réalité, une réalité qui réalisa le rêve mais aussi le rendit moins pur. C’est le moment, dit le Sifri, pour exprimer tout ce que nous savons et ressentons de la Terre Sainte. Car bien que notre connaissance de la réalité quotidienne soit encore primaire et inconsciente, elle vient d’un lieu en nous qui ne sera plus accessible quand nous nous aventurerons plus loin dans le royaume de la connaissance et du sentiment conscient. Ce n’est qu’en l’exprimant maintenant que nous pouvons continuer, passant de la perfection et de la pureté de notre moi supra conscient à la réalité concrète de notre vie consciente.
A propos des débats de nos Sages, le Talmud statue : «Ceux-là et ceux-ci sont les paroles du D.ieu vivant». Car bien qu’une seule perspective puisse devenir une loi de la Torah, les deux représentent des formulations tout autant valides de la sagesse divine et les deux peuvent et doivent être incorporées à notre vision et notre approche de la vie.
Tout comme l’affirme le Talmud, nous devons veiller à comprendre pleinement et identifier les dons que nous offrons et les sentiments que nous exprimons. Et tout comme l’affirme le Sifri, nous devons rechercher le lien avec le moi supra rationnel, le moi supra conscient qui résident au cœur de notre personnalité consciente et intellectuelle et aspirer à transposer leur perfection non souillée dans notre vie
éveillée.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que les Seli’hot ?

Les Seli’hot sont des prières de supplications qui rappellent les besoins de l’homme mais aussi sa petitesse et ses faiblesses. En récitant les Seli’hot, le Juif procède à une introspection approfondie qui lui permet d’aborder la nouvelle année avec la crainte, l’humilité mais aussi l’assurance et la joie requises.
Dans les communautés ashkénazes et ‘hassidiques, on commence à réciter les Seli’hot à partir du samedi soir précédant (d’au moins quatre jours) la fête de Roch Hachana : cette année samedi soir 8 septembre 2012 vers 1h 45. Puis on dit les Seli’hot, à partir du lundi 10 septembre, avant la prière du matin. On aura au préalable récité les «bénédictions du matin» ainsi que les bénédictions de la Torah.
Il est recommandé de réciter les Seli’hot en présence de dix hommes adultes (plus de treize ans) afin de pouvoir prononcer le Kaddich.
Si possible, on reste debout pendant les Seli’hot, au moins lorsqu’on prononce les «Treize Attributs de Miséricorde» et le «Vidouï» (confession des fautes). Celui qui ne prie pas avec un Minyane (dix hommes) ne prononce ni les «Treize Attributs» ni les prières en araméen.
L’officiant s’enveloppe d’un Talit (châle de prière). S’il fait encore nuit, il ne prononcera pas la bénédiction : il serait alors préférable qu’il emprunte un Talit à un ami ou à la synagogue.
L’endeuillé (durant les sept premiers jours) ne sort pas de chez lui et ne peut donc aller à la synagogue pour les Seli’hot, excepté la veille de Roch Hachana (dimanche 16 septembre) où les Seli’hot sont particulièrement longues. F. L.
De Recit de la Semaine
Le bon arrêt, au bon moment…

Le Costa Rica est un pays tropical pittoresque, boisé, qui regorge de merveilleux paysages. Natan et Avi, deux étudiants de Yechiva furent envoyés par le Rabbi de Loubavitch en été dans ce pays de l’Amérique centrale afin d’y rencontrer des Juifs et de les aider à mettre les Téfilines, à étudier la Torah et à réfléchir sincèrement à leur judaïsme. Effectivement, ils établirent un contact chaleureux avec la communauté juive locale ainsi qu’avec les nombreux touristes.
Ils avaient prévu de se rendre le dernier dimanche à S. Teresa, une ville côtière. Tôt le matin, ils prirent la route : ils devaient arriver avant la tombée de la nuit puisque les habitants de cette ville étaient connus pour se coucher tôt car il n’y avait même pas de lampadaires dans les rues de cette ville sous-développée. Mais ils se perdirent de nombreuses fois : les routes n’étaient souvent pas pavées correctement. Et, pour couronner le tout, ils furent pris dans un énorme embouteillage : la police anti-drogue avait dressé des barrages pour capturer des trafiquants qui s’apprêtaient à traverser la frontière vers le Panama voisin.
Constatant qu’ils n’atteindraient probablement pas leur destination avant la nuit, ils décidèrent de s’extraire rapidement de l’embouteillage et prirent la première sortie, vers le village de Montezuma en espérant rejoindre S. Teresa le lendemain.
Arrivés au centre du village, ils arrêtèrent leur voiture pour demander l’adresse d’un hôtel. Un jeune homme nommé Pedro leur vint en aide : il arborait une chevelure Rasta, des boucles d’oreille et d’impressionnants tatouages. Il ne semblait pas être un pur Portoricain : il vendait des produits asiatiques au bord de la route.
- Je suis sûr que vous étiez persuadés que j’étais Israélien, n’est-ce pas ? leur demanda-t-il en espagnol.
- Effectivement… reconnurent les deux jeunes Loubavitch.
- Vous n’êtes pas les premiers ! déclara-t-il en riant.
- Mais êtes-vous juif ? reprirent-ils avec une nuance d’espoir.
- Non ! Mais si vous cherchez un hôtel pour passer la nuit, essayez celui-là ! continua-t-il avec un geste théâtral en désignant le bâtiment derrière lui.
- Au fait… Savez-vous s’il y a des Juifs dans ce village ?
- Si déjà vous posez la question… Ma grand-mère maternelle était juive. Bien que ma mère nous ait élevés comme des chrétiens, je ressens une vague attirance pour les Juifs.
- Vraiment ? La mère de votre mère ? Alors cela signifie que… Vous aussi vous êtes juif! s’exclamèrent en chœur les deux jeunes gens.
- Que… Que voulez-vous dire ? balbutia Pedro.
- Écoutez bien ! expliqua Avi. Votre mère était juive, cela signifie que vous aussi vous êtes juif. Le judaïsme se transmet par la mère et cela, personne ne peut le changer, quel que soit votre style de vie. Vous êtes donc juif au plein sens du terme !
Tandis que Pedro tentait de digérer l’information, Avi regardait le ciel, il restait encore quelques minutes avant le coucher du soleil! Il se précipita vers la voiture, ressortit avec sa paire de Téfilines : «Pedro ! Vous avez maintenant la possibilité d’accomplir un des commandements les plus importants du judaïsme ! Je n’ai pas le temps de vous expliquer en détails de quoi il s’agit parce que vous devez le faire avant le coucher du soleil, sinon vous devrez attendre jusqu’à demain matin pour vous en acquitter. Donnez-moi votre bras gauche : je vais entourer les lanières des Téfilines sur votre bras, face à votre cœur ainsi qu’autour de votre tête. Dans ces boîtiers se trouvent inscrits des parchemins sacrés de la Torah qui nous rappellent notre union avec D.ieu!»
Pedro regarda Avi : il était désemparé mais comme hypnotisé ; il tendit son bras gauche. Les gens dans la rue s’arrêtèrent pour contempler ce spectacle étrange : après tout, Pedro les avait habitués à bien d’autres excentricités, ce n’était sans doute qu’une de plus de sa part ! Mais cette fois-ci, c’était différent : Pedro avait du mal à surmonter une émotion comme il n’en avait jamais ressentie dans sa vie pourtant remplie d’aventures et des larmes commençaient à apparaître au coin de ses yeux.
Après qu’il ait enlevé les Téfilines et se soit un peu calmé, Pedro expliqua avec sa gouaille retrouvée qu’il avait fréquenté de nombreuses sectes et avait participé à de nombreuses cérémonies religieuses mais il n’avait jamais ressenti une telle appartenance, une telle vérité comme lorsqu’il avait mis les Téfilines. Soudain, il désira en apprendre davantage sur le judaïsme : Avi et Natan lui procurèrent gentiment tous les prospectus en espagnol sur le judaïsme qu’ils avaient emportés avec, en prime, de nombreuses adresses utiles pour continuer à se renseigner sur le Web.
Le lendemain matin, Avi et Natan se mirent en route pour S. Teresa. Ils découvrirent alors avec stupéfaction que Montezuma, le village dans lequel ils avaient passé la nuit et où ils avaient rencontré Pedro n’était situé qu’à dix minutes de là : «Si nous avions su hier soir que nous n’étions qu’à une toute petite distance de notre destination, nous aurions continué notre route malgré l’embouteillage. Mais D.ieu nous a envoyé une autre mission et nous sommes arrivés exactement à l’endroit où une étincelle juive attendait d’être révélée !»

L’Chaim n°1232
Traduit par Feiga Lubecki