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Semaine 35

  • Ki Tetsé
Editorial
L’enjeu de l’éducation juive

Vivre et penser pour demain autant que pour aujourd’hui. S’il fallait inventer une devise pour le peuple juif, peut-être celle-ci pourrait-elle le représenter avec assez de fidélité. De fait, il existe peu de peuple qui ait, au fil des temps, manifesté un tel souci de la génération suivante, une telle volonté de transmission. Le peuple juif est décidément, plus que celui du souvenir, celui qui sait que l’avenir ne peut se construire durablement sans conscience ou sans mémoire. C’est alors que la question essentielle s’élève : comment assurer cette transmission ? Dans les temps passés, cette interrogation n’existait pas. Alors, la fermeture des sociétés d’accueil, que venaient compenser la solidité des liens familiaux et la tradition reçue de ses parents, suffisait pour garantir la pérennité de notre vision. Aujourd’hui, tout cela dépend uniquement de nous.
Certes, nul ne regrettera une telle évolution. Vivre dans un monde libre et ouvert, plein de tous les possibles, est un rêve que nos aïeux ne purent même pas partager tant cette perspective leur était lointaine. Mais ce nouvel environnement global donne aussi à chacun une responsabilité particulière : il faut donner à nos enfants tout ce dont, demain, ils auront besoin pour continuer de porter notre flamme. Car, il ne faut pas s’y tromper : c’est dans les années d’enfance et de jeunesse que tout cela se joue. La métaphore est connue : quand un arbre adulte est frappé par le sort, la plaie qui s’ouvre sur son tronc, aussi profonde qu’elle soit, pourra se refermer et n’entravera pas durablement son développement ; quand l’arbre est encore jeune, la même plaie pourra conduire à une vraie déformation qui nuira à toute son existence future. C’est dire que les années de formation sont essentielles. C’est dire aussi que l’éducation juive est une exigence de chaque instant et un impératif dont il faut, sans cesse, réaffirmer l’urgence.
Donner à l’enfant, dès sa naissance, un environnement qui lui permettra de s’épanouir car il sera celui de sa propre essence, de son héritage spirituel, intellectuel et moral ancestral, c’est lui donner le secret d’une vie profondément harmonieuse. Etre en accord avec soi, vivre l’équilibre de la justesse, ressentir la douceur et la force d’une transmission commencée à l’aube des temps et qui se poursuit dans les temps à venir, plus loin que la vue peut porter : c’est là l’enjeu de l’éducation juive. Alors que les écoles juives se sont multipliées, que les Talmud Torah sont largement ouverts, que les lieux d’enseignement sont accessibles à tous, il ne reste qu’à mettre en œuvre le plus beau privilège de l’homme : la liberté de faire le bon choix.
Etincelles de Machiah
L’éducation juive et la venue de Machia’h

Décrivant le temps de Machia’h, D.ieu dit (Isaïe 44:3) : « Je déverserai Mon esprit sur ta descendance et Ma bénédiction sur tes générations ». Dès la première lecture du verset, il est clair que sont ici désignés les enfants.
Or, on connaît le principe selon lequel toutes les révélations de ces temps futurs dépendent de nos actions et de notre effort d’aujourd’hui (Tanya chap. 37). C’est dire à quel point l’éducation juive assurée aux enfants est un impératif pour chacun.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch
Chabbat Parchat Vayikra 5740) H.N.
Vivre avec la Paracha
Ki Tétsé : Nos ennemis, nous-mêmes

«Quand tu partiras en guerre sur tes ennemis et D.ieu le livrera entre tes mains…» Non, il ne s’agit pas d’une coquille. Cette phrase que vous venez de lire est la traduction littérale du Deutéronome, 21 :10, le verset qui ouvre la Paracha de cette semaine : Ki Tétsé.
L’expression de la Torah Ecrite est extrêmement précise. Quand apparaît une anomalie grammaticale comme le pluriel «ennemis» reprit par le pronom singulier «le», les Midrachim et les commentaires pénètrent immédiatement dans l’histoire qui se cache derrière l’histoire et en révèlent la leçon cachée.
Les Egyptiens, les Amalécites, les Babyloniens, les Romains, l’église, les Almohades, les Nazis, les Soviétiques… ne sont que certains des ennemis qui nous ont attaqués depuis plus de quatre mille ans. D’une manière générale, ils peuvent se diviser en deux groupes : les ennemis spirituels et les ennemis physiques.
On en trouve le prototype classique chez l’empereur gréco-syrien Antiochus, qui tenta par la force d’helléniser les Juifs (sa défaite se célèbre tous les ans à ‘Hanouccah) et Haman le Aggaguite qui assura qu’un décret royal décimerait tous les Juifs, hommes, femmes et enfants (et dont la chute nous donna la célébration de Pourim.) Plus proche de nous, nous nous rappelons la campagne qui dura soixante-dix années pour déraciner les croyances et les pratiques juives sous le règne soviétique et la guerre de terreur menée par les militants islamistes qui nous veulent morts.
Et pourtant les deux ennemis d’Israël ne sont intrinsèquement qu’un ennemi unique. Le temps et, une fois encore, l’histoire juive, nous relatent la manière dont l’affaiblissement de notre identité spirituelle mène invariablement au déclin physique. L’ennemi de l’âme juive est un ennemi du corps juif tout comme un ennemi du corps juif est évidemment l’ennemi de l’âme juive.
C’est là la leçon implicite dans le verset d’ouverture de notre Paracha : notre première ligne de défense dans la guerre pour la survie du peuple juif est la prise de conscience que nos «ennemis» pluriels sont en réalité un «le» singulier, que le sort physique et le sort spirituel de notre peuple sont inexorablement liés, que nous devons considérer chaque attaque contre un Juif comme une attaque contre l’esprit éternel d’Israël et traiter chaque danger spirituel comme une menace pour notre survie physique.
Que faire pour gagner la guerre ? Comment mener la bataille pour que D.ieu «le livre entre nos mains» ? La réponse réside dans une autre curiosité grammaticale apparaissant dans ce premier verset.
«Quand tu pars en guerre sur tes ennemis…»
Concentrons-nous maintenant sur le mot «sur», Al en hébreu. Le mot hébreu Al signifie dans ce contexte «contre». Selon le sens littéral du verset, partir en guerre «sur tes ennemis» signifie faire la guerre «contre tes ennemis». Mais ce mot peut aussi être compris dans le sens de «au-dessus» : ne pars pas en guerre contre eux, pars en guerre au-dessus d’eux.
Nous avons constaté cela si souvent dans notre expérience que nous ne devrions pas avoir besoin d’une astuce grammaticale pour nous en informer. Quand nous allons à la guerre au-dessus de nos ennemis, confiants dans notre supériorité morale et spirituelle, sans nous excuser de la justesse de notre cause, nous finissons toujours par triompher, même si nous sommes inférieurs en nombre par les hommes et les armes. Mais quand nous commençons à douter du bien-fondé et de la justification de notre combat, quand nous commençons à considérer les meurtriers décadents comme nos égaux en moralité, nous sommes portés à perdre du terrain même quand, sur le plan matériel, nous tenons l’avantage militaire et stratégique.
La leçon est aussi simple que profonde : «quand tu partiras en guerre sur tes ennemis, D.ieu le livrera entre tes mains…»
Le verset continue : «et tu prendras des captifs» Le mot employé ici n’est pas Chévi mais Chivio qui signifie littéralement «sa capture». L’implication en est que nous regagnerons la capture de l’ennemi c'est-à-dire ce que l’ennemi a capturé de parmi nous dans le passé.
L’une des tâches de Machia’h, dans les premières étapes de sa révélation et de ses activités publiques, sera, selon les paroles de Maimonide : «il mènera les batailles de D.ieu et rencontrera le succès». Ainsi la Paracha fait-elle allusion aux batailles et à la victoire de Machia’h et cela s’applique également à la conclusion «et tu prendras sa capture».
A l’issue de la bataille messianique, le peuple d’Israël retrouvera tous les objets précieux tombés entre les mains des nations du monde au cours de l ‘exil et gardés toutes ces années. Cela signifie essentiellement le Beth Hamikdach, le Temple de Jérusalem. Les nations ont poursuivi le peuple juif tout au long des temps et leur objectif premier a toujours été notre centre spirituel, le Beth Hamikdach. Ils ont en fait atteint leur but par la destruction des deux Temples. Car tant que le troisième Temple n’est pas reconstruit (ce qui sera l’œuvre de Machia’h), le Beth Hamikdach reste entre leurs mains. Quand Machia’h gagnera ses batailles nous récupérerons «la capture» de l’ennemi par sa restauration.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que la Techouva (le retour à D.ieu), tellement nécessaire en ce mois d'Elloul ?

Le Rambam (Maïmonide) écrit : «Quiconque a fauté, que ce soit volontairement ou involontairement, pour revenir à D.ieu devra avouer ses fautes devant D.ieu, reconnaître qu'il a fauté, regretter, éprouver de la honte et s'engager à ne plus recommencer… Même celui qui s'est très mal conduit toute sa vie mais qui retourne à D.ieu, on ne lui rappelle plus rien de ses fautes passées ! Pour certaines fautes, la sainteté du jour de Kippour procure le pardon. Pour d'autres, les épreuves sont nécessaires pour achever le processus de Techouva… Le critère qui assure une Techouva parfaite : s'il se retrouve dans la même situation, avec la même énergie et dans les mêmes conditions mais qu'il parvient à ne pas fauter, alors c'est le signe que sa Techouva est complète… Même si la Techouva est valable tous les jours de l'année, elle est encore plus belle et mieux acceptée pendant les dix Jours de Pénitence entre Roch Hachana et Yom Kippour…
Cependant, en ce qui concerne les fautes envers son prochain, il faut d'abord réparer le mal qui a été fait (rembourser l'objet volé, demander pardon pour les paroles offensantes etc.) avant de pouvoir demander pardon à D.ieu.
La personne à qui l’on demande pardon ne doit pas être cruelle et doit accepter de pardonner de tout son cœur ; il est interdit de se venger et même de garder rancune.
Chacun doit se considérer comme étant à moitié coupable et à moitié innocent. Celui qui accomplit une Mitsva fait pencher la balance du bon côté et, dans le cas contraire… Il en est de même pour les nations et le monde entier : une seule Mitsva peut faire pencher le plateau de la balance du monde entier vers le bon côté. Le principe de la Techouva est inséparable de la croyance dans le libre arbitre».

F. L. (d'après Hil'hot Techouva - Séfer Ahava - Rambam)
De Recit de la Semaine
A cause d’une bouffée de tabac…

Reb Yaakov était désespéré. Il était riche, connu pour sa piété et son érudition, mais maintenant, il se tenait devant le Baal Chem Tov et lui annonçait, bouleversé : «Je ne comprends pas ! J’ai le sens des affaires mais on dirait que tout ce que j’entreprends en ce moment ne réussit pas ! Est-il possible que quelqu’un m’ait maudit ?»
Le Baal Chem Tov ne répondait pas. Reb Yaakov attendit mais le silence devenait insupportable : «A chaque fois que je flaire une bonne affaire, continua-t-il, elle échoue lamentablement ! Que dois-je faire ?»
Le Baal Chem Tov le regarda tristement et finit par répondre : «Votre boîte à tabac !»
- Ma boîte à tabac ? Reb Yaakov sortit l’objet de sa poche : une boîte en or, finement ciselée de laquelle exhalait une odeur forte comme on l’aimait à cette époque. Mais le Baal Chem Tov n’y prêta pas attention.
- Il y a environ six mois, vous étiez assis avec vos amis à la synagogue et vous avez offert à chacun le privilège de sentir votre tabac : vous vous souvenez ?
- Oui, bien sûr, j’agis ainsi pratiquement chaque jour !
- Mais cette fois-là, un des mendiants présents dans la synagogue s’est approché de vous pour sentir lui aussi cette odeur et en retirer un certain réconfort ; vous avez brutalement fermé votre boîte, lui refusant ainsi ce petit plaisir…
- Oui maintenant je m’en souviens. Mais, comprenez-moi Rabbi, cet homme était vraiment mal habillé et repoussant… De plus, j’étais en pleine conversation et je ne voulais pas que mes amis soient gênés par son odeur à lui si vous me comprenez…
- Cela n’avait pas d’importance pour vous à ce moment-là parce que votre bonne fortune avait endurci votre cœur. Le fait est que vous avez profondément outragé cet homme et il en a ressenti une peine immense. Il a donc été décidé là-haut que votre fortune passerait aux mains de cet homme !
- Comment ? A cause d’une pincée de tabac ? Rabbi ! Comment puis-je rattraper la situation ?
- La seule façon de récupérer votre fortune serait de provoquer le processus inverse : si vous lui demandiez une bouffée de tabac et qu’il vous la refusait…
Bouleversé, Reb Yaakov rentra chez lui. Ses affaires continuèrent de péricliter et, au bout de quelques semaines, il avait tout perdu : il fut même obligé de vendre sa maison pour rembourser une partie de ses dettes. Par ailleurs, il découvrit qu’effectivement le mendiant dont lui avait parlé le Baal Chem Tov s’était considérablement enrichi et procédait à des investissements audacieux qui réussissaient à merveille. Peut-être était-ce le moment d’aller lui demander une bouffée de tabac ?
Mais il décida d’attendre une meilleure opportunité… Par exemple quand l’homme serait très occupé et le renverrait certainement sans ménagement… Cette occasion se présenta rapidement. Un jour, Reb Yaakov remarqua, sur le mur de la synagogue, un carton d’invitation : la fille de cet ancien mendiant allait se marier dans deux semaines !
Pendant la cérémonie, alors que le jeune couple se tenait sous la ‘Houpa et que les parents des mariés essuyaient leurs larmes de joie, Reb Yaakov tira avec insistance la manche du père et lui demanda : «De grâce, accordez-moi une bouffée de tabac !»
Le père de la mariée le regarda, étonné d’un tel manque de tact mais, sans hésiter, fouilla dans la poche de son beau costume et ouvrit sa boîte à tabac devant un Reb Yaakov qui sentit sa tête tourner : son plan machiavélique avait donc échoué, l’homme lui offrait sans problème la bouffée de tabac fatidique malgré l’intensité du moment ! Reb Yaakov resterait donc pauvre toute sa vie ! Il s’évanouit !
On appela un médecin pour le ranimer. Il reprit ses esprits et, se souvenant de ce qui était arrivé, il se mit à pleurer.
- Mais pourquoi pleurez-vous ? demanda le père de la mariée qui avait abandonné tous ses invités pour s’enquérir de l’état du malade.
- Je vais vous expliquer, répondit Reb Yaakov. Vous vous souvenez de moi ? C’est moi qui vous avais gravement offensé en vous refusant une bouffée de tabac il y a quelques mois à la synagogue. J’ai été bien puni pour cela ! Le Baal Chem Tov m’a fait comprendre que j’avais tout perdu mais que vous aviez gagné toute ma fortune ! Et comme vous n’avez pas agi avec la même insouciance envers moi, j’ai perdu toutes mes chances de redevenir riche !
En entendant cela, le père de la mariée calma Reb Yaakov : «Venez ! Je vous invite au repas de mariage de ma fille ! Si le Baal Chem Tov affirme que vous êtes la cause de ma soudaine richesse, le moins que je puisse faire, c’est de vous remercier en vous procurant une maison et un moyen de subsistance pour le reste de votre vie !»
Et c’est ce qu’il fit !

Rav Tuvia Bolton – www.chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki

(Le 18 Elloul est l’anniversaire de la naissance du Baal Chem Tov)