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Semaine 10

  • Ki Tissa
Editorial
Derrière les masques

Pourim, la superbe fête, la joie sans limites, le bonheur de tous, le rire des enfants… Tout – ou presque – a été dit sur le sujet. Et même si c’est un thème qu’on ne saurait épuiser, chacun a l’impression plus ou moins confuse qu’il en fait le tour. Mais si la réalité était que nous n’avions fait qu’effleurer l’événement ? La coutume veut que, en ce jour, les enfants se déguisent. C’est ainsi que, dans les rues, se multiplient les rois et les reines, les héros et les sages – tous ces personnages qui servent bien souvent de modèles à nos consciences ensommeillées. En ce jour, nombreux sont donc les porteurs de masque et leur habileté les rend souvent quasi méconnaissables. Il y a certes là marque d’allégresse et c’est bien loin d’être négligeable. Mais, derrière le déguisement, il y a toujours quelqu’un qui emplit cette enveloppe finalement superficielle, quelqu’un qui vit. D’une certaine façon, ce n’est que lorsqu’on a découvert qui se cachait ainsi qu’on est parvenu au but. C’est d’ailleurs, profondément, le symbole qu’entend incarner cette tradition : de même que les enfants avec leurs déguisements, D.ieu Se « masque » dans l’histoire de Pourim, interprétable comme une suite d’événements rationnels et prévisibles alors que ses véritables ressorts se trouvent sous la surface des choses.
N’en est-il pas ainsi, plus généralement, de l’ensemble de notre existence ? Les jours se suivent dans leur quotidienneté et, avec toute la légitime fierté de la modernité, nous avons la certitude de comprendre – à défaut de les maîtriser – les tenants et les aboutissants de toutes choses. Même si tout ne nous satisfait pas, nous pensons que la réalité se limite à ce que nous sommes capables d’en percevoir. Il est clair que D.ieu a remis le monde entre nos mains et nous a fait l’infini cadeau de la liberté. De ce fait, il nous revient de décider de notre avenir et d’agir pour que nos espoirs se concrétisent. Cependant, comme sous l’écume qui recouvre la vague, il y a la profondeur de la mer, ainsi, derrière tout cela, la Présence Divine est constamment dans le monde qu’Elle a créé. Cela n’exonère de rien mais voici que notre force en est comme grandie. Cela signifie que l’univers a un sens et que, si nous sommes les acteurs de notre vie, un Guide nous en désigne les voies. Pourim est la fête joyeuse par essence. N’est-ce pas là une perspective bien heureuse ? Retirer le masque, regarder la réalité telle qu’elle est, profondément, aller ainsi au bout de soi-même et découvrir enfin la liberté avec la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
La voix et les mains
Le texte de la Torah (Gen. 27 : 22) enseigne : «La voix est celle de Jacob et les mains sont celles d’Esaü ». Sachant que Jacob représente le peuple juif et que Esaü est l’ancêtre de l’empire romain, les Sages donnent à cette phrase un sens plus profond. Quand on entend la «voix de Jacob», celle de la Torah, disent-ils, alors les «mains d’Esaü», sa force matérielle, n’ont aucun pouvoir. Mais, quand la voix de la Torah s’affaiblit, les mains d’Esaü peuvent l’emporter.
Cette idée se concrétisa à l’époque de la destruction du Temple. C’est ce que dit le prophète Jérémie : «Pourquoi la Terre a-t-elle été perdue ? Car ils ont abandonné Ma Torah». En notre temps, par l’étude renforcée de la Torah, nous pouvons donc annuler la cause de l’exil et ainsi amener la Délivrance.
(D’après Likoutei Si’hot, vol. III – Parachat Toledot) H.N.
Vivre avec la Paracha
Ki Tissa : Une dévotion indestructible

L’une des scènes les plus dramatiques de notre histoire est celle de Moché descendant du mont Sinaï, portant les Tables de la Loi. Il aperçoit alors son peuple adorant un Veau d’or, il jette les Tables qui brisent en mille morceaux l’alliance entre le Peuple Juif et son D.ieu.
Les commentateurs offrent de multiples interprétations pour expliquer pourquoi Moché brisa les Tables. L’une d’entre elles veut que Moché tenta d’épargner la nation de la colère de D.ieu en détruisant le contrat qui contenait le pacte saint que Son peuple était ouvertement en train de trahir.
Rachi explique (à propos de Chemot 34 :1) :
Cela peut être comparé à un roi qui est parti à l’étranger et a laissé sa fiancée avec ses servantes. A cause du comportement immoral des servantes, elle a acquis une mauvaise réputation. Son «garçon d’honneur» [la personne désignée pour défendre la fiancée en cas de problème] se lève et déchire son contrat de mariage. Il dit : «si le roi a décidé de la tuer, je lui dirai : ‘Elle n’est pas encore ta femme’ ».
Mais en brisant les Tables, Moché essayait peut-être aussi d’imprégner l’esprit de son peuple d’un message essentiel qui resterait avec lui pour l’éternité.
Moché disait aux Juifs qu’à cause de leur grave faute, «le contrat» avec D.ieu avait été violé et était donc rompu. D.ieu était désormais libéré de tout engagement à leur égard.
Et pourtant Moché voulait qu’ils voient et comprennent que bien que les Tables aient été brisées, D.ieu ne les abandonnerait pas. Même sans aucun «contrat», ils resteraient Son peuple élu. Le lien de D.ieu à l’égard du Peuple Juif est au-delà des accords contractuels, au-delà des circonstances et des mauvais choix, au-delà de la logique elle-même.
C’est un lien indestructible d’amour, en tout temps et en tous lieux.
Et peut-être, agissant ainsi, Moché suppliait-il son peuple d’agir de même, en se dévouant à nouveau à D.ieu pour toujours, comme Son peuple élu, même quand cela devenait extrêmement difficile. Même dans des circonstances où cela ne paraissait pas rationnellement bénéfique… même s’il semble qu’Il ne respecte pas Ses promesses à notre égard, même si cela requiert un code moral plus strict, même si les nations du monde nous haïssent et même si cela implique d’aller chercher profondément dans notre âme pour accéder à une petite braise de la flamme vacillante de notre âme.
Notre peuple comprit la leçon de l’acte dramatique de Moché. Elle se grava dans la texture de notre être. Et c’est ce message qui nous a aidés à répondre de la même façon à D.ieu même durant les moments les plus éprouvants.

La pièce de feu
Dans la Paracha de cette semaine, Ki Tissa (Chemot 30 :11-34 :35), nous voyons D.ieu ordonner à chaque membre du Peuple Juif de donner un demi-Chékel comme «une offrande de rachat pour leurs âmes», pour avoir participé au péché du Veau d’Or. L’argent allait être utilisé pour faire «les supports des fondations» du Tabernacle (le Sanctuaire portable que les Hébreux construisirent dans le désert).
Le Midrach relate que lorsque Moché prit connaissance de cette offrande, «il fut troublé et eut un mouvement de recul», se demandant comment une simple pièce d’un demi-chékel pouvait compenser le grave péché du Veau d’Or. En réponse, «D.ieu montra à Moché une pièce de feu qu’Il avait prise sous Son Trône de Gloire et dit : ‘une semblable, ils donneront’».
Pourquoi ce commandement du demi-Chékel laissa-t-il Moché si perplexe ? Comment la «pièce de feu» que D.ieu lui montra répondit-elle à son interrogation ? Et que peut-on apprendre de ce commandement dans notre rôle de parents quant aux «offrandes» à attendre de nos enfants ?
Tous les autres dons effectués par le Peuple Juif pour le Tabernacle étaient faits, comme la Torah n’a de cesse de le souligner, uniquement parce que «leurs cœurs les inspiraient à donner». Les hommes, les femmes, les jeunes et les vieillards, de chacune des différentes tribus, donnaient volontairement et contribuaient avec enthousiasme, autant qu’ils le pouvaient, aux nombreux matériaux utilisés pour fabriquer le Tabernacle.
Par contre, le don du demi-Chékel était obligatoire et le même montant était requis de chacun, qu’il soit riche ou pauvre.
Moché ne pouvait saisir comment une offrande obligatoire pouvait apporter le pardon. Si le don individuel n’était pas fait de tout cœur, de la propre initiative du donateur et au mieux de ses capacités, comment cela pouvait-il être considéré comme une «offrande» ? Et plus encore, comment cette contribution obligatoire pouvait-elle obtenir le pardon pour une faute si grave que celle du Veau d’Or ?
Pour expliquer tout cela, D.ieu montra à Moché une pièce de feu. D.ieu faisait allusion au feu de l’âme. Chaque âme prend son origine sous le Trône de Gloire de D.ieu et est guidée par un désir ardent d’être liée à sa Source. Chaque âme est continuellement et éternellement liée à D.ieu et toutes les actions positives d’un individu sont un résultat direct des tiraillements de son âme pour le motiver.
D.ieu montrait à Moché que même un Juif obligé de donner ce demi-Chékel désire le donner. Bien que ses actions paraissent forcées, elles sont en réalité suscitées par sa quête intérieure et enflammée pour se lier à D.ieu.
En tant que parents, vous êtes-vous déjà entendus vous demander quel bénéfice y a-t-il à forcer votre enfant à faire ce qui est bien quand il ne le fait que parce qu’il ne vous désobéit pas. Ressentez–vous, qu’à moins qu’il ne se porte spontanément volontaire, ses actions n’ont pas beaucoup de valeur ? Considérez-vous futile d’exiger des excuses, non sincères alors, pour une mauvaise action ?
L’épisode du demi-Chékel nous rappelle le bien essentiel qui se trouve dans chaque individu. La vie est semée d’embuches et de situations séduisantes qui risquent de nous détourner de notre voie authentique. Mais le désir qui est ancré profondément en chacun de nous est de nous lier à notre Créateur.
En tant que parents, rappelez-vous que votre enfant a été créé avec une âme ardente, émanant du Trône de Gloire de D.ieu, qu’il désire profondément faire ce qui est bien. Si votre enfant s’égare, votre rôle parental consiste à le ramener aux désirs profonds de son âme. Des enfants différents peuvent avoir besoin d’approches différentes pour les aider à surmonter des tentations extérieures mais votre attitude à son égard doit être basée sur le postulat de base qu’il veut faire le bien.
Guidez votre enfant en anticipant les difficultés pour l’aider à agir correctement même si certaines de ses actions se feront de manière forcée. Parce que malgré les pressions extérieures, les rappels et les règles émanant des parents, la véritable motivation pour votre enfant pour faire ce qui est juste est son ardente âme divine. Même si vous et lui n’en êtes pas conscients.
Le Coin de la Halacha
Que fait-on à Pourim ?

Cette année, Pourim tombe le jeudi 8 mars 2012.
Mercredi 7 mars 2012, on jeûne de 5h45 à 19h23 (horaire de Paris), c’est le jeûne d’Esther. Le matin, on récite les Seli’hot et la prière «Avinou Malkenou». Avant l'office de «Min'ha», l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes à la «Tsedaka» (charité) en souvenir de l'offrande des trois demi-sicles pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la «Amida», on rajoute la prière «Anénou».
Mercredi soir 7 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.
Pourim, les enfants se déguisent, si possible dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en «méchant».
Jeudi matin 8 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :
(1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la «Méguila.
(2) ce n’est qu’après avoir écouté la Méguila qu’on peut procéder aux autres Mitsvot de Pourim : on offre au moins deux mets comestibles à un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les «Michloa'h Manot».
(3) on donne au moins une pièce à deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : «Matanot Laévyonim».
(4) jeudi après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.

Vendredi 9 mars, c’est Chouchane Pourim, le Pourim des «villes fortifiées» dont Jérusalem. On ne récite pas les prières de supplication, Ta’hanoune, et on partage la joie du peuple juif où qu’il se trouve.
De Recit de la Semaine
Pourim au Liban : était-ce vraiment Pourim ?

On était en 1985. L’environnement me semblait étrange. Depuis toujours, Pourim avait signifié pour moi la lecture de la Méguila, le grésillement des crécelles, de la musique joyeuse, des gens qui dansent de joie, des enfants déguisés en costumes plus fantaisistes les uns que les autres, des montagnes de gâteaux et de friandises, des paniers de nourriture et un peu de Le’haïm pour mieux digérer cela… Oui, c’était cela Pourim en 1984, en 1983, en 1982 bref aussi loin que je puisse m’en souvenir c’est-à-dire 1964, l’année de ma naissance.
Mais cette année, ce n’était pas la même chose. Aucun parchemin pour lire la Méguila. Du bruit, oh oui ! Mais pas de la part d’enfants joyeux, plutôt des explosions inquiétantes ; pas de danses. Des déguisements oui, si on veut, nous avions tous le même déguisement, l’uniforme de Tsahal. La nourriture était exactement la même que celle de la veille et les seuls échanges que nous avions étaient des souhaits ironiques de «Pourim Saméa’h !», Joyeux Pourim ! Oui, joyeux Pourim vraiment ! Et quand nous nous souhaitions Le’haïm, ce n’était pas sur un verre d’alcool mais un ardent souhait de rester en vie malgré les circonstances.
Pourim 1985. Sud Liban. Un petit groupe de soldats de l’Armée de Défense d’Israël coincés dans une petite forteresse. Un endroit vraiment peu sympathique. Le bruit des fusillades au loin ne donnait pas envie de danser de joie. Des adolescents déguisés en uniformes kakis. Des «voisins» peu intéressés à recevoir des Michloa’h Manot. Surréaliste. «Durant le mois d’Adar, on augmente dans la joie» déclare le Talmud, partout ailleurs peut-être mais pas ici.
Cette nuit de Pourim fut pénible pour nous tous. Et le matin aussi. Comme tous les autres jours passés lors de notre mobilisation au Liban. Mais jamais je n’oublierai cet après-midi.
J’étais de garde avec Motti, mon sergent dont j’étais devenu très proche depuis la fin de notre entrainement. Nous prenions toujours nos tours de garde ensemble et nous discutions de la vie, de nos rêves et de nos espoirs. A tour de rôle, nous surveillions dans les jumelles binoculaires la longue route sur laquelle circulaient toutes sortes de véhicules : des camions libanais de livraison, des civils circulant d’une ville à l’autre, des convois de l’armée israélienne, des ambulances. A cause du nombre grandissant d’attentats à la voiture piégée, Tsahal avait décrété que tout véhicule avec seulement un conducteur mais pas de passager serait considéré comme suspect et les soldats auraient le droit d’ouvrir le feu. Et c’est nous qui avions ce redoutable honneur.
Motti veillait et m’informa qu’il apercevait un convoi de l’armée israélienne. «Parmi les camions de l’armée il y a aussi un autre camion mais je n’arrive pas distinguer de qui il peut s’agir», remarqua-t-il intrigué. Moi aussi, je ne parvins pas à distinguer ce qui était écrit sur la camionnette blanche.
Soudain je les reconnus.
- Incroyable ! Je n’aurais jamais cru cela possible !
- De qui s’agit-il ? s’inquiéta Motti.
- Habad !
Le convoi arriva à notre hauteur et mes camarades ouvrirent la porte : des soldats, des officiers, des gradés mais aussi des Loubavitch !
Comme un mirage dans le désert, quatre Loubavitch sortirent. L’un tenait une Méguila, un autre des fascicules sur la fête, un autre un accordéon et le dernier un grand sac rempli de friandises mais aussi de cartes postales écrites par des enfants pour nous encourager et affirmer qu’ils pensaient à nous. Et surtout des feuillets rappelant les bénédictions que nous accordait le Rabbi de Loubavitch. Et aussi des petits verres et de grandes bouteilles de vodka pour trinquer Le’haïm malgré tout.
Ainsi, d’un coup, notre petite forteresse s’anima de l’esprit de Pourim. Un des jeunes rabbins se mit immédiatement à réciter les bénédictions puis à lire le parchemin de la Méguila à toute vitesse tandis que nous tentions de le suivre sur nos Meguilot en papier (j’ai gardé mon exemplaire jusqu’à ce jour). Celui qui avait l’accordéon se mit à jouer et, spontanément, nous avons commencé à danser tout en mangeant des «oreilles d’Haman». Les petits verres de vodka firent briller nos yeux mais nous continuions à surveiller la route à tour de rôle. Pourim était là, bien vivant, dans une forteresse au sud du Liban. Que nous soyons religieux ou non, de simples soldats ou de vieux officiers chevronnés, mécaniciens ou cuisiniers – ensemble avec ces quatre Habadnik tombés du ciel, nous étions en train de vivre la joie la plus pure et la plus intense expression de solidarité, d’encouragement et d’unité que j’ai jamais expérimentées.
Le Nom de D.ieu n’est pas mentionné dans la Méguila. Selon la tradition rabbinique, c’est un exemple de la Main de D.ieu qui est cachée mais qui continue d’agir miraculeusement, derrière les coulisses pour ainsi dire. Je n’étais pas présent à Chouchane (Suze, la capitale de la Perse antique) il y a plus de 2500 ans donc je ne peux que faire confiance aux événements relatés dans la Méguila. Mais je suis sûr d’une chose : ce jour de Pourim 1985, pour mes camarades et moi-même coincés dans une forteresse du Sud Liban, il n’y eut pas de miracles cachés. Le Nom de D.ieu était dans l’air que nous respirions et le miracle de Pourim était dévoilé – dans l’endroit le plus improbable – et nous pouvions tous le voir et l’entendre.

Daniel Bouskila – www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki