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Semaine 46

  • Vayéra
Editorial
Morne plaine ?

Le nouveau mois est à peine âgé d’une semaine. Mar ‘Hechvan, c’est son nom, et sans doute est-il, véritablement, celui du quotidien. La remarque a bien souvent été faite : voici un mois sans aucune de ces célébrations qui illuminent notre vie, qui sont comme des points d’orgue sur le lent déroulement des jours. Tout se passe comme si nous sortions d’un territoire de rêve dont les espaces offraient toutes les couleurs merveilleuses et diverses du bonheur et de la liberté pour vivre, à présent, dans les limites d’une contrée aux bien ternes contours, d’une infinie platitude. Le nom même du mois paraît souligner la pesanteur de cette grisaille nouvelle. Le préfixe Mar signifie, en araméen, « gouttes de pluie » et, en hébreu, « amer ». C’est donc le temps de la pluie qui nous est annoncé avec son cortège monotone d’images en teintes dégradées. Le double sens du mot va jusqu’à nous laisser entendre que l’amertume se prend ici goutte à goutte. C’est pourtant d’un mois de l’année juive qu’il s’agit et le temps qu’elle scande ne peut jamais être celui de ce renoncement sourd. Alors, Mar ‘Hechvan, morne plaine ?
Et si cette absence apparente de relief était une chance ? Si elle permettait de voir plus loin ? Si elle donnait enfin toute sa place et sa valeur au moindre relief que la splendeur des jours passés avait pu éclipser ? C’est précisément sur la plaine que l’horizon semble plus lointain et que le regard peut enfin porter jusqu’au bout des choses. C’est aussi là que l’œuvre de l’homme est plus sensible, que ses résultats sont comme plus tangibles. N’est-ce pas sur de telles terres que lèvent les plus belles récoltes ? C’est ainsi que le mois de Mar ‘Hechvan laisse entrevoir toute sa portée. Rien ne vient nous distraire de l’égrènement de ses jours et, pour cela, nous pouvons sans doute en utiliser chaque seconde. Car le temps est une denrée précieuse. Laissée à elle-même, elle se perd et disparaît sans retour. Mais, lorsqu’on s’en saisit, elle devient, par la Torah et ses commandements, le vecteur d’indépassables prodiges.
Bien loin d’une sorte de désert du cœur ou de la pensée, voici donc venu le temps de l’action. Cela tombe bien, nous savons qu’elle seule est la clé du changement tant attendu, tant espéré et, par nature, si proche de sa concrétisation : l’avènement, enfin, de l’ère messianique.
Etincelles de Machiah
L’attendre sans cesse
Maïmonide souligne, dans son Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 11), la nécessité de «croire en Machia’h et d’attendre sa venue». Apparaissent donc ici deux obligations parallèles. Elles sont certes complémentaires mais elles ne peuvent pas se confondre. En fait, leur juxtaposition a une raison d’être : elle nous enseigne que, de même que l’obligation de croire en Machia’h est constante, ainsi celle d’attendre sa venue imminente est d’application continue.
(d’après Likoutei Si’hot, vol. XXVIII, p. 131)
Vivre avec la Paracha
Vayéra : Toujours aller plus loin

La Parachah Vayéra est la seconde des deux Parachiot entièrement consacrées à la vie et à l’époque d’Avraham. Bien que nous ayons déjà rencontré ce personnage à la fin de Noa’h et que ses dernières années soient relatées dans ‘Hayé Sarah, il n’apparaît dans ces textes qu’en préparation de l’œuvre de sa vie ou à sa fin. Ce n’est que dans Lé’h Le’ha et Vayéra que nous nous concentrons sur sa vie elle-même.
Le fait que sa vie soit relatée à travers deux Parachiot indique qu’elle comprend deux phases distinctes. En fait, un examen attentif des événements rapportés dans ces deux sections laisse l’impression qu’Avraham répète dans Vayéra tout ce qu’il a fait dans Lé’h Le’ha. Les deux Parachiot s’ouvrent avec une révélation qu’il reçoit de D.ieu et la promesse d’une progéniture. Dans les deux Parachiot, sa femme Sarah est menacée par un roi, dans les deux, il engendre un fils, bannit Hagar et conclut des traités. La justesse de son comportement contraste avec l’attitude immorale de son neveu Loth. A deux reprises, il défend les villes de la plaine : dans Lé’h Le’ha contre des assaillants humains et dans Vayéra, contre un décret divin suscité par la propre corruption des villes. C’est comme si Avraham devait répéter tout ce qu’il avait vécu dans la première de ces deux Parachiot, sa première «vie» ou phase de son existence, mais à un niveau différent de conscience divine.
Puisque, comme nous le savons, le nom de chaque Paracha représente l’essence de son contenu, l’essence des deux phases de la vie d’Avraham doit se refléter dans le nom de la Paracha qui la décrit.
L’événement qui divise la vie d’Avraham en deux périodes spirituelles distinctes est sa circoncision. Elle est relatée à la fin de Lé’h Le’ha de sorte qu’Avraham ne commence sa vie d’homme circoncis que dans Vayéra. Il s’ensuit donc que sa vie avant la circoncision était une vie de Lé’h Le’ha : «va vers ton véritable être», alors qu’après la circoncision, c’en est une de Vayéra : «D.ieu lui apparut». Dans Lé’h Le’ha, il progresse de lui-même, grimpant régulièrement l’échelle du progrès spirituel, aussi loin que les efforts humains peuvent le mener. Dans Vayéra, D.ieu lui apparaît et l’élève à un niveau spirituel qui dépasse les limites de ses efforts.
Que changea la circoncision et comment lui permit-elle de transcender les limites de sa propre humanité et d’expérimenter une révélation directe de D.ieu ?
Tout d’abord, la circoncision était le premier commandement qu’Avraham observait en réponse à une directive explicite de D.ieu. La Torah et ses traditions étaient connues même avant l’époque d’Avraham et il les accomplissait fidèlement au mieux de ses aptitudes. Mais cette observance était volontaire et manquait donc de cette abnégation d’un serviteur devant la volonté de son maître. Ainsi, en se circoncisant en réponse au commandement direct de D.ieu, Avraham entrait dans un type de relation avec Lui, entièrement nouveau. En annulant sa propre volonté devant celle de D.ieu, il parvenait à un niveau de don de soi qu’il n’aurait pu atteindre auparavant.
Et pourtant, malgré le fait que la circoncision fût le seul commandement de la Torah que D.ieu lui commanda clairement d’observer, Il lui avait déjà donné d’autres ordres auparavant : quitter la maison de son père et partir en Terre d’Israël, voyager à travers le pays et accomplir les rites associés à l’Alliance entre les Parties. Dans chaque cas, Avraham avait toujours accéder à la parole de D.ieu. Qu’y avait-il donc de particulier ici qui conduisit Avraham à un tel niveau de dévouement ?
L’on peut trouver la réponse à cette question dans la façon dont D.ieu exprima Son commandement à Avraham : «Mon alliance sera dans ta chair». La circoncision est le seul de tous les commandements qui affecte le corps lui-même. La chair même devient la concrétisation de la Volonté Divine et donc cesser d’être une barrière dans la relation individuelle avec Lui. Ce qu’il mit en marche devait culminer, sept générations plus tard, avec le Don de la Torah au Mont Sinaï.
Pour pouvoir établir les bases de la transformation du monde en résidence pour D.ieu, à travers la révélation sinaïtique, Avraham devait donner l’exemple de sa propre vie. Dans ce contexte, sa circoncision était son «Don de la Torah» personnel, un microcosme de ce qui apparaîtrait plus tard au mont Sinaï. En franchissant la transition entre l’effort humain limité et la Révélation Divine infinie, il préparait le terrain à la création d’un peuple dont le but serait d’élever la réalité au-delà de ses limites naturelles en révélant D.ieu infini dans le monde fini.
Une fois que la transformation personnelle d’Avraham fut devenue la pierre angulaire de l’identité du Peuple Juif, elle devint l’héritage personnel de chaque Juif. Nous avons tous le défi d’apprendre de la vie d’Avraham. Sa vie durant, il aspira à faire de sa personne un réceptacle toujours plus transparent pour exprimer la présence de D.ieu sur terre. C’est précisément en son mérite que D.ieu exauça son souhait et lui permit, par le commandement de la circoncision, de se libérer des contraintes de l’égo humain.
Nous aussi, devons toujours aspirer à atteindre une relation encore plus étroite avec D.ieu et ne jamais nous satisfaire de notre niveau spirituel présent. Tout en étant conscients de nos accomplissements, nous devons nous entraîner à ne les considérer que comme une version imparfaite de ce à quoi nous aspirons ultimement. Quand nous vivons ainsi, nous savons que D.ieu répondra à nos entreprises et Se révélera dans notre vie, de façon incommensurable.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi effectuer la Brit Mila (circoncision) le huitième jour ?

«L’alliance de la circoncision» est la première Mitsva (commandement) donnée par D.ieu à Avraham et ses descendants. Elle est effectuée le huitième jour afin de permettre au bébé d’être assez fort pour supporter la douleur ; d’autre part, cela permet au nourrisson De vivre un Chabbat et «l’âme supplémentaire» apportée par l’observance du Chabbat sera la préparation spirituelle adéquate pour cette Mitsva.
Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi explique que le nombre sept représente l’ordre normal de ce monde (qui compte sept corps célestes principaux : le soleil, la lune et cinq planètes visibles), les sept jours de la semaine et les sept «Midot», attributs divins (bonté, sévérité…) par lesquels D.ieu a créé le monde. Le nombre huit représente la révélation divine qui va au-delà de la nature. Avec la Brit Mila, le Juif s’attache à D.ieu à un niveau complètement indépendant des contingences du monde.
Celui qui est circoncis sera sauvé du Guéhinam (purgatoire) par notre ancêtre Abraham qui l’empêchera d’y être amené.
Celui qui n’a pas été circoncis par son père (ou son émissaire) et qui, adulte, refuse de se faire circoncire, est passible de la peine de Karète (son âme sera détachée de sa Source divine).
Un juif continue d’accomplir la Mitsva de la Brit Mila toute sa vie quand il évite toute relation interdite et préserve la sainteté de la vie de famille selon les lois du mariage.

F. L. (d’après Rav Arieh Citron – www.chabad.org)
De Recit de la Semaine
Un bus à Londres

Chaque année, mes fils rêvaient de se rendre chez le Rabbi pour les fêtes de Tichri. Mais nos finances étaient serrées et ils devaient trouver un moyen de payer leurs voyages. Chacun d’entre eux avait eu la chance d’étudier auprès de Rav Hershel Gorman comment bien lire la Torah. Ils se renseignèrent donc dans différentes synagogues de Londres et parvinrent à se faire engager pour assurer la lecture de la Torah chaque Chabbat. Ils passaient des heures chaque semaine à réviser la Paracha puis, chaque Chabbat, marchaient parfois une heure ou deux pour se rendre dans leurs synagogues respectives. Obligés de se lever tôt, ils n’hésitaient pas à marcher dans la chaleur de l’été ou la pluie et la neige de l’hiver. Ils déposaient chaque mois leur paye intégralement à la banque pour enfin pouvoir payer leur billet d’avion.
C’est ainsi qu’un Chabbat matin, froid et pluvieux, notre fils Israël se dirigea courageusement vers le quartier de Hampstead. Tandis qu’il se dépêchait, un bus le dépassa. Le conducteur de bus se tourna vers le contrôleur debout à ses côtés et remarqua haineusement : «Regarde ce petit Juif ! Habillé d’un costume noir moyenâgeux, avec ce stupide chapeau sur la tête ! Je déteste les Juifs ! Pourquoi s’obstinent-ils à être différents ? Ils croient qu’ils possèdent le monde !»
Le contrôleur, Jack, couvert de tatouages et vêtu à la mode punk des années quatre-vingt, répondit avec son accent cockney : «Qu’est-ce que ce garçon ou d’ailleurs n’importe quel Juif vous a jamais fait ? Pourquoi le détestez-vous ?»
Surpris par la réaction de Jack – d’habitude gouailleur et moqueur – le conducteur se contenta de hausser les épaules et continua sa route en tentant d’oublier l’incident.
Mais cette remarque antisémite avait choqué Jack : il n’avait jamais révélé à ses collègues qu’il était juif. Son père, Avraham, était un survivant de la Shoah. Issu d’une famille pratiquante, il avait perdu toute sa famille dans les camps et lui-même avait traversé toutes les étapes de l’enfer ; par une suite évidente de miracles, il avait survécu, s’était installé en Angleterre, s’était marié avec une jeune fille juive et avait eu deux enfants, Jack et Donna. Rendu amer par les épreuves, Avraham avait abandonné presque toute pratique du judaïsme et n’avait donné aucune éducation juive à ses enfants.
Après le divorce de ses parents, Jack quitta la maison et le peu de judaïsme qu’il avait appris.
Avraham se retrouvait seul. Un de ses collègues était un ‘Hassid de Loubavitch qui l’invitait souvent à la maison. Lentement mais sûrement, Avraham se remit à accomplir des Mitsvot, se remaria avec une femme pratiquante et redevint pratiquant lui aussi. Il était heureux de sa nouvelle vie mais s’inquiétait pour ses enfants qui n’avaient que très peu d’attaches avec le judaïsme.
Après cette expérience dans le bus, Jack contacta son père et lui raconta la scène. Il en avait été très choqué et était surtout très surpris de sa propre réaction.
Avraham était stupéfait de l’histoire de Jack et se demanda qui pouvait être ce jeune garçon qui avait provoqué sans le savoir la fureur du conducteur de bus. Pratiquement certain qu’il ne pouvait s’agir que d’un garçon Loubavitch, il entama une discrète enquête dans la synagogue Loubavitch et découvrit qu’il s’agissait de notre fils Israël. Très excité, Avraham lui raconta toute l’histoire qui s’était passée à son insu et comment son fils Jack avait été secoué par cette «rencontre». A son tour, Israël nous raconta l’incident et nous avons admiré le fait que, simplement en marchant dans la rue avec son chapeau, il avait rappelé à un Juif assimilé son origine et, peut-être, ses devoirs et responsabilités. Puis j’oubliais cet épisode.

* * *

Un an plus tard, Jack s’apprêta à se rendre aux Etats-Unis en vacances. En apprenant cela, Avraham le supplia de se rendre chez le Rabbi à New York. Jack n’en avait aucune envie mais, devant l’insistance de son père, il accepta bien malgré lui.
Quand Jack passa devant le Rabbi, le Rabbi lui suggéra d’aller étudier dans une Yechiva ! Cette proposition fut loin de déclencher son enthousiasme ! Cependant… l’étincelle qui avait été allumée dans ce fameux bus un an plus tôt, commençait à produire son effet. Près de neuf ans plus tard, il s’inscrivit dans une Yechiva spécialement conçue pour «Baalé Techouva», ces Juifs qui n’ont reçu pratiquement aucune éducation religieuse. Pour le plus grand bonheur de son père, Jack qui s’appelle maintenant Yaakov, est devenu pratiquant, s’est marié et avec ses nombreux enfants habite en Israël où il consacre chaque moment de libre à l’étude et la diffusion de la Torah.
Et mon fils Israël est devenu Chalia’h, l’émissaire du Rabbi dans une grande ville des Etats-Unis où il se consacre à inspirer d’autres Juifs à revenir à leur héritage.

Lieba Rosen
N’shei Chabad Newsletter n°7201
traduite par Feiga Lubecki