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Semaine 41

  • Yom Kippour
Editorial

Dans le Saint des Saints

Yom Kippour est un jour différent, chacun le sait. Ce n’est pas pour rien que les Sages l’appellent «jour unique de l’année». En particulier, à l’époque du Temple de Jérusalem, une cérémonie s’y déroulait qui n’avait lieu qu’à ce moment : le Cohen Gadol – le grand prêtre – entrait dans le Saint des Saints, ce lieu, différent entre tous, où se trouvait l’Arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi et où la Présence Divine Se manifestait constamment. Il pénétrait alors dans l’espace le plus intérieur du Temple, où l’infini et le fini ne faisaient plus qu’un, et priait pour tous. La liturgie de Yom Kippour décrit longuement chaque étape de l’œuvre qu’il accomplissait. Elle nous permet ainsi de la revivre dans sa plénitude tant il est vrai que les mots de la prière sont bien plus que des supplications, des louanges ou des invocations. Ce sont des mots porteurs d’une véritable puissance créatrice. Il ne peut en être autrement car le judaïsme ne se vit pas au passé mais, très concrètement, au présent. S’il en est ainsi, qu’en est-il d’une cérémonie disparue depuis la destruction du Temple, qui, aujourd’hui, n’existe que dans nos livres ? En quoi est-elle partie prenante de notre réalité ?
C’est que Yom Kippour nous conduit à enfin pénétrer au plus profond de nous-mêmes. Durant toute l’année, nous nous sommes efforcés d’accomplir au mieux la Volonté Divine et y sommes parvenus, sans doute, dans toute la mesure de nos moyens. Et nous avons rêvé d’aller plus loin, de parvenir à exprimer ce que nous portons en nous, dont nous percevons la voix sans toujours être capables d’en comprendre le message : notre âme. Elle nous fait vivre, nous anime, est ce souffle indispensable sans lequel nous ne serions rien, une «partie de D.ieu» disent nos textes. Pourtant, l’obscurité de chaque jour, l’épaisseur du quotidien parviennent parfois à masquer sa lumière. Arrive Yom Kippour et voici que sa puissance se révèle. Voici qu’elle conduit chacun à la synagogue, comme pour des retrouvailles avec D.ieu et avec soi. Tout se passe comme si, au moment où le Cohen Gadol pénètre dans le Saint des Saints, nous voyions s’ouvrir devant nous les portes de notre Moi intérieur, en une bouleversante invitation à entrer.
Notre Temple intérieur est ainsi à notre portée. Il se dresse dans toute sa splendeur, parfait depuis l’origine. Il attend simplement qu’on en franchisse le seuil. C’est là, en nous, que les plus grandes merveilles se trouvent. A (re)découvrir, à vivre. Pour être enfin scellés dans le Livre de la Vie.

Etincelles de Machiah

Ma Délivrance est proche

D.ieu dit à Israël : «Mes enfants, par votre vie, par le mérite de votre respect des lois, Je suis élevé… Et, par le fait que vous M’éleviez par la loi, Moi aussi, Je ferai un acte de justice et Je ferai résider Ma sainteté parmi vous. Et, si vous respectez la justice et la loi, Je vous délivrerai immédiatement par une Délivrance complète.» Quelle est la source de ceci ? Le verset dit : «Ainsi parle D.ieu : ‘Respectez les lois et pratiquez la justice car Mon salut arrive bientôt et Ma justice sera révélée.’»
(D’après le Midrach Rabba) H.N.

Vivre avec la Paracha

En un instant
Quand Eleazar ben Dourdaya (pécheur célèbre) réalisa que toutes ses suppliques pour de l’aide avaient été ignorées, il dit : «Tout ne dépend que de moi». Il posa sa tête entre ses genoux et pleura jusqu’à ce que son âme le quitte. Une voix du Ciel proclama alors : «Rabbi Eleazar ben Dourdaya est destiné à la vie dans le Monde Futur !»
Entendant cela, Rabbi Yehouda [Hanassi] pleura : «Il y en a qui acquièrent leur monde en de nombreuses années et il y en a qui acquièrent leur monde en un instant.» (Talmud, Avoda Zara 17a)
Dans ce monde qui est le nôtre, plus est moins et moins est plus.
Quantitativement, la terre n’est qu’un petit grain dans un vaste univers. Dans sa signification, c’est le centre de la création de D.ieu. Sur la terre, elle-même, la matière inanimée constitue virtuellement l’ensemble de la masse. Une infime partie en constitue les cellules vivantes. La vie végétale est plus abondante que la vie animale et les animaux sont bien plus nombreux que les hommes. Dans l’être humain lui-même, la tête, siège des facultés humaines les plus sophistiquées, est plus petite que le torse et les membres. En un mot, plus grande est la qualité, plus petite en est la quantité.
Il en va de même pour la ressource la plus précieuse de l’homme : le temps. Un temps de qualité, un temps le mieux utilisé et le plus pleinement ne contient qu’une fraction limitée du temps que nous consommons. Combien de minutes consacrons-nous chaque jour à des choses véritablement significatives ?
La majeure partie de nos heures sont occupées à gagner notre vie, dormir, manger et accomplir une série d’obligations sociales et autres, des quêtes de valeur, certes, mais secondaires par rapport au but de notre vie.
La structure du temps a été dessinée par notre Créateur et suit ce même modèle où le «plus est moins». Il existe six jours de travail matériel conduisant au jour unique de spiritualité et de tranquillité : le Chabbat. Yom Kippour, le «Chabbat des Chabbat», dont les vingt-six heures nous permettent d’atteindre le plus profond, le plus intérieur de nous-mêmes, n’occupe que 0,3 pour cent de l’année. Tout ce que nous faisons prend du temps mais plus la qualité de notre entreprise est grande, moins elle en consomme.
La force humaine la plus grande est la Techouvah : notre aptitude à rectifier et sublimer un passé négatif en revenant au cœur de notre être, illimité, inviolable et qui n’a jamais été souillé par le péché. Et la Techouvah est l’événement qui prend le moins de temps : l’essence de la Techouvah est un simple mouvement du moi, un simple éclair de regret et de résolution. «Il y a ceux qui acquièrent ce monde en de nombreuses années», dit le Talmud, construisant brique après brique, avec les outils d’accomplissement conventionnels. Et puis il y a ceux qui acquièrent leur monde en un instant unique, qui module le futur et redéfinit le passé.

Le cycle du pardon
Notre naissance est la manière de D.ieu de nous dire que nous sommes importants, que nous avons une contribution indispensable à faire au monde. Puisque notre apport est essentiel, rien ne peut nous empêcher de parvenir au but pour lequel nous avons été créés. D.ieu nous donne les ressources pour surmonter toutes les difficultés et les obstacles, pour nous remettre de chaque blessure, de chaque souffrance.
La faculté de pardonner est l’un des recours dont D.ieu nous a dotés. Mais il nous revient de nous en servir ou non. Le pardon, en hébreu mé’hila, est lié à la racine ma’houl, qui signifie «un cercle». La vie a pour dessein d’être un cercle englobant toutes nos expériences et nos relations, dans une entité sans heurt, harmonieuse et entière. Quand quelqu’un nous blesse, le cercle est brisé. Le pardon est le moyen de réparer cette fracture.
Le pardon ne signifie pas seulement pardonner à la personne qui nous a blessés mais aussi nous pardonner à nous-mêmes, pardonner à D.ieu, pardonner à la vie avec ses détours et contours bizarres et souvent cruels.
Le pardon signifie lâcher prise et construire la confiance nécessaire pour vivre un progrès sain et positif. C’est déclarer que nous ne resterons plus enfermés dans le passé, en victimes des circonstances, que nous ne perpétuerons plus des modèles de vie négatifs, ceux du reproche et de la colère, qu’au lieu de cela, nous allons accéder à la force et à l’amour que D.ieu nous donne jour après jour, instant après instant, pour pouvoir accomplir le but unique et singulier pour lequel nous, et seulement nous, avons été, chacun individuellement, créés.
Le pardon demande du travail. Mais, et c’est le plus important, il demande un lien avec D.ieu, Celui Qui dispense la vie. Quand nous nous souvenons que notre naissance est la manière de D.ieu de nous dire que nous sommes importants, que notre présence est vitale, irremplaçable et essentielle pour la perfection de Son monde, alors nous pouvons nous élever au-dessus de la douleur que d’autres nous ont causée et trouver l’amour et la force de pardonner, à eux et à nous-mêmes.
Quand nous pardonnons, le cercle est à nouveau entier et nous nous trouvons englobés dans l’ensemble de la création divine. Nous sentons que nous en faisons partie intégrante. Quand nous pardonnons, nous prenons le contrôle de notre vie plutôt qu’en être des victimes.

Le Coin de la Halacha

Que fait-on à Yom Kippour
(cette année samedi 8 octobre 2011) ?

Dans la semaine qui précède Yom Kippour, on procède aux «Kapparot» : on fait tourner autour de sa tête trois fois un poulet vivant (ou un poisson, ou une somme d’argent multiple de 18) en récitant les versets traditionnels ; puis on donne le poulet (ou le poisson ou la valeur monétaire) à une institution charitable.
La veille de Yom Kippour (cette année vendredi 7 octobre 2011), on a coutume de demander au responsable de la synagogue du gâteau au miel, symbole d’une bonne et douce année.
A midi, on prend un bon repas, avec poisson et viande.
Il est d’usage que les hommes se trempent au Mikvé (bain rituel), si possible avant la prière de Min’ha. On met les vêtements de Chabbat. Après la prière de Min’ha, on fait un repas de fête, sans poisson ni viande, mais avec du poulet. Après le repas, les parents bénissent les enfants et leur souhaitent d’aller toujours dans le droit chemin.
Après avoir mis des pièces à la Tsedaka, les femmes mariés allument au moins deux bougies avant 18h 59, horaire de Paris (les jeunes filles et petites filles allument une bougie) et récitent les deux bénédictions suivantes :
1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vétsivanou Léhadlik Nèr Chèl Chabbat Véchèl Yom Hakipourim» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a sanctifié par Ses Commandements et nous a ordonné d’allumer la lumière de Chabbat et de Yom Kippour».
2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vékiyémanou Véhiguianou Lizmane Hazé» - «Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, qui nous a maintenus et nous a fait parvenir à cet instant».
Il est d’usage d’allumer également une bougie qui dure au moins vingt-cinq heures et sur laquelle on récitera la bénédiction de la «Havdala» à la fin de la fête. On allume aussi des bougies de vingt-cinq heures à la mémoire de chacun des parents disparus.
On enlève les chaussures en cuir et on met des chaussures en toile ou en plastique. Les hommes mariés mettent le grand Talit et le «Kittel» (vêtement rituel blanc).
Pendant tout Yom Kippour, on récite la deuxième phrase du Chema Israël («Barou’h Chem…») à voix haute. Il est interdit de manger, de boire, de s’enduire de crèmes ou de pommades, de mettre des chaussures en cuir, d’avoir des relations conjugales et de se laver (sauf si on s’est sali ; de même, on se lave les mains pour des raisons d’hygiène). On passe la journée à la synagogue.
Le matin, on ne récite pas la bénédiction : «Cheassa Li Kol Tsorki» («Qui veille pour moi à tous mes besoins») car on ne porte pas de vraies chaussures.
Les malades demanderont au médecin et au Rabbin s’ils doivent jeûner ou non.
A la fin du jeûne, on écoute la sonnerie du Choffar.
Après Yom Kippour, on se souhaite mutuellement «Hag Saméa’h». Si possible, on prononce la bénédiction de la lune. On récite la prière de la Havdala après 20h 03, horaire de Paris. Durant le repas qui suit le jeûne, il est d’usage de parler de la construction de la Soucca et, si possible, on construit effectivement la Soucca tout de suite après le repas.
F. L.

De Recit de la Semaine

Le Yom Kippour de Reb Mendel

La dictature de Staline avait atteint les degrés ultimes de l’horreur. Adoré et craint par toute la population russe, il avait fait jeter dans les prisons du Goulag des millions d’innocents qui, de plus, étaient supposés lui être reconnaissants de bien vouloir les «rééduquer»…
Quand Rav Mendel Futerfass fut arrêté, ce fut peu après Roch Hachana.
C’était un ‘Hassid de Loubavitch, dévoué corps et âme à son Rabbi. Et Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn avait affirmé que chacun devait être prêt à sacrifier jusqu’à sa vie pour que chaque Juif reçoive une éducation juive.
Rav Mendel avait été accusé d’activités «contre-révolutionnaires». Il était évident qu’il serait condamné à passer le reste de sa vie en Sibérie, ce qui signifiait qu’il ne lui restait probablement plus beaucoup de temps à vivre.
Alors qu’il partageait une cellule humide avec des centaines d’autres détenus - tous des criminels endurcis - il réalisa soudain que plusieurs jours étaient passés et que ce soir, c’était Yom Kippour !
D’une part, il était triste : il devait passer le jour le plus saint du calendrier juif dans cet environnement terrifiant. Mais d’autre part… il était vivant ! Et il était un ‘Hassid du Rabbi de Loubavitch ! Que lui apporterait la tristesse ? Il devait se hisser au-delà de cette situation !
Cette nuit-là, il se prépara une petite synagogue : son lit ou plutôt la planche qui lui servait de lit. Assis sur son lit, il réciterait autant de prières de Yom Kippour dont il se souviendrait et D.ieu écouterait.
Ce n’était pas facile : on ne récite ces prières qu’une fois par an et il y en avait tellement… Mais une prière lui vint spontanément à l’esprit, arrangée comme tant d’autres selon l’ordre alphabétique : «Ve’hol Maaminim», «Et tous ont foi en Toi…»
Dans le calme de la nuit, Rav Mendel se balançait, d’avant en arrière, reproduisant inconsciemment la gestuelle du Juif en prière. Soudain il réfléchit : «Tous ont foi en Toi ? Ah bon, vraiment ? Mais ceux qui m’ont espionné puis capturé et enfin jeté dans cette terrible prison, sont des Juifs qui rêvent de créer l’homme nouveau…»
En soupirant, Rav Mendel classa cette question au fond de son esprit, avec tant d’autres semblables et continua de penser au Temple de Jérusalem, aux dix martyrs, à Jonas dans le ventre du poisson…
Quelques jours plus tard, alors que tous ses «compagnons» d’infortune ronflaient, Rav Mendel récitait le «Chema» du soir quand Ivan s’approcha de lui, oui celui qu’on avait surnommé «Ivan le terrible», cette masse humaine qui terrorisait les plus endurcis des criminels, qui avait sans doute décidé ce soir de se moquer du Juif et de le faire souffrir.
Mais Ivan se glissa près de lui et murmura :
- Tu es Juif n’est-ce pas ?
Rav Mendel ne s’en était jamais caché : mieux valait mourir comme un Juif plutôt que vivre dans le mensonge. Il regarda Ivan droit dans les yeux et répondit : «Oui !»
- Moi aussi ! rétorqua Ivan devant un Rav Mendel interloqué. D’ailleurs j’ai même jeûné ce Yom Kippour. Oui, moi, Ivan le terrible, le meurtrier, j’ai jeûné Yom Kippour.
Il y a quelques jours, j’ai entendu un détenu juif annoncer à un autre : «Demain c’est Yom Kippour !» Et soudain j’ai décidé que moi aussi j’allais jeûner, je ne sais pas pourquoi !
Le lendemain, j’ai déclaré aux gardiens que j’étais malade et on m’a envoyé à «l’hôpital», une cabane avec une planche en bois en guise de lit. Assis là, tout seul, je commençai à regretter ma décision. Puis je réalisai qu’il ne suffisait pas de jeûner, il fallait aussi prier. Je me souvins de mon grand-père qui m’emmenait à la synagogue et il priait, soupirait, pleurait avec tous les autres Juifs. Tandis que moi, j’ai passé ma vie à voler, à tuer même, à nuire aux autres par tous les moyens possibles. Et je ne savais même pas prier…
Puis je me suis soudain souvenu d’une prière, quelque chose que ma grand-mère me chantait chaque matin quand je me réveillais. Je me suis souvenu de son visage doux et de ses yeux tristes. Et j’ai éclaté en sanglots. Tu entends ? Moi j’ai pleuré ce Yom Kippour exactement comme mon grand-père ! Comme tous les autres Juifs du monde! Et quand j’ai fini de pleurer, je n’ai même pas essuyé mes yeux, j’ai répété des dizaines, des centaines de fois : «Modé Ani Lefane’ha Mélè’h Haï Vekayam Chéhé-’hézarta Bi Nichmati Bé’hemla Rabba Emounate’ha».
(Je reconnais devant Toi, Roi vivant éternellement, que Tu m’as rendu mon âme avec miséricorde, grande est Ta confiance !)
Je ne sais même pas ce que ces mots signifient. Mais depuis le matin jusqu’à la nuit tombée, je les ai répétés encore et encore.
Mais attention ! (Il était redevenu Ivan le Terrible). Il pointa Rav Mendel du doigt et le menaça : ne t’avise pas de répéter cela à quiconque ! Compris ?»
Et il se leva et s’éloigna au plus vite.
Rav Mendel était stupéfait. Il suivit des yeux Ivan qui était retourné sur sa planche et s’était endormi instantanément.
Soudain, il réalisa ! Le bon D.ieu lui avait envoyé la réponse à sa question : «Oui, tous ont foi en Toi ! Si même ce meurtrier est capable de jeûner Yom Kippour en répétant inlassablement «Modé Ani», c’est bien la preuve que tous les Juifs, d’une manière ou d’une autre, ont confiance en D.ieu !»

Rav Tuvia Bolton
traduit par Feiga Lubecki