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Semaine 51

  • Vaye’hi
Editorial
Dans les livres, la lumière !

Alors que la fête de ‘Hanouccah vient à peine de se terminer et que sa lumière – et, plus largement, l’idée même d’illumination – emplit encore notre esprit et notre cœur, voici qu’en ce tout début de semaine, c’est encore de lumière qu’il s’agit. De fait, si celle-ci est précieuse par sa présence physique, comment peut-on oublier que son éternité est comme en dépôt dans les livres ? Souvenons de la fameuse anecdote : le Baal Chem Tov fut un jour interrogé par un de ses disciples, inquiet quant au sort de ses biens en ces temps troublés. Avant de répondre, le Baal Chem Tov prit un livre de Zohar et y regarda. Plus tard, la réponse qu’il avait faite se révéla évidemment juste. A la question «pourquoi avoir regardé dans un Zohar ?», il répondit : «Lorsque D.ieu créa l’univers, nos Sages enseignent qu’Il y mit une lumière qui permettait de voir d’un bout du monde à l’autre. Les hommes ne l’ayant pas méritée, Il cacha cette lumière prodigieuse. Où la mit-Il ? Dans les livres.» En ce domaine, rien n’a changé. La véritable lumière, qui éclaire cœur, âme et esprit s’y trouve toujours. C’est dire que la date du 5 Tévèt, qui vit des livres saints revenir dans la bibliothèque amassée par le Rabbi pour l’usage de tous, est un jour important car il est jour, justement, de lumière. Jour de joie, jour de retrouvaille avec les livres et avec l’étude, il est, comme par nature, notre jour.
Faut-il y voir la signification du fait que se succèdent ainsi, avec très peu d’intervalle, le 5 Tévèt, une lumière qui monte, et le 10 du mois, début du siège de Jérusalem par les armées venues de Babylone ? Entre une lumière qui apparaît, éternelle, et cette dernière date, signe annonciateur d’une obscurité nouvelle, peut-il y avoir un quelconque rapport ? Les commentateurs relèvent que, en hébreu, le mot employé par le texte pour dire que l’envahisseur «mit le siège» peut également se traduire par «il soutint». Et de préciser : le siège et sa terrible conclusion – la destruction du Temple – n’étaient pas inéluctables, même à ce moment. Si les Juifs étaient revenus à D.ieu de tout leur cœur, les Babyloniens auraient «soutenu» le Temple et la Ville. Cela n’a pas été le cas, tout s’est donc mué en un « siège ». Mais comment auraient-ils pu le faire ? Peut-être est-ce justement là le lien ? Par le Livre et par les livres. La lumière y est toujours et elle continue de nous éclairer. En cette semaine si ambivalente, sachons en être les porteurs pour que, dès demain, elle règne sur le monde tout entier.
Etincelles de Machiah
Un pauvre sur un âne

Zacharie, dans sa prophétie (9:9), décrit Machia’h comme «un pauvre sur un âne». Il faut comprendre le sens profond de cette idée.
La révélation divine au temps de Machia’h ne sera pas le résultat d’un «effort d’en bas». Cela signifie qu’elle ne proviendra pas de l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme. Au contraire, elle rayonnera comme un don de D.ieu si élevé qu’aucune initiative humaine ne pourrait le susciter. C’est pourquoi Machia’h est qualifié de «pauvre».
(d’après Or Hatorah, p.260)
Vivre avec la Paracha
Vaye’hi

Le nom de cette Paracha, Vaye’hi, signifie : «il vécut». Il se réfère à la façon dont Yaacov passa les dernières années de sa vie en Egypte. Nous savons bien que le nom d’une Paracha exprime son contenu dans son intégralité, nous nous attendons donc à ce que celle qui se dénomme «il vécut» soit entièrement consacrée au récit des événements importants de la vie de Yaacov. Or, il n’en est rien ! Cette Paracha est consacrée à tout le contraire, à tout ce qui va conduire à la mort de Yaacov et à ses conséquences. C’est ici que nous voyons Yaacov donner ses dernières bénédictions à ses fils et ses petits-fils, émettre son dernier souffle et être enterré dans la grotte de Ma’hpélah. Tous ces événements sont suivis par le récit de la mort de son fils préféré et successeur désigné, Yossef. La Paracha Vaye’hi nous rappelle ainsi la Paracha ‘Hayé Sarah, «la vie de Sarah», bien qu’elle fut centrée sur les événements qui eurent lieu juste après sa mort.
Comme cela s’avérait à propos de Sarah, nous n’atteignons la vie réelle que lorsque nos idéaux survivent en ceux qui viennent après nous. Il est donc paradoxal que tant que nous sommes physiquement présents, il n’est pas tout à fait sûr que nous soyons réellement «vivants», que la preuve de la vraie vie ne vienne qu’après la mort. Si nos descendants restent fidèles aux valeurs que nous leur avons transmis, il devient alors rétroactivement clair que nous étions également «vivants» durant notre temps de vie. Sinon, il s’ensuit alors que, même vivants, nous étions essentiellement «morts».
Cette perspective aide à expliquer pourquoi, ici, dans la Paracha Vaye’hi, la mention de la Torah quant à l’âge de Yaacov est précédée par la phrase : «Yaacov vécut dix-sept ans en Terre d’Egypte». Dans la Paracha ‘Hayé Sarah, il n’existe aucune phrase introductive en ce qui concerne l’âge de Sarah au moment de sa disparition. On nous informe simplement de son âge au moment de sa mort. Le fait que Yaacov passa dix-sept ans en Terre d’Egypte, avant de quitter ce monde, années, nous précise-t-on, qui furent les meilleures de sa vie, remplies de réelle satisfaction à la vue de ses enfants et ses petits-enfants loyaux à ses idéaux, prouve qu’il était réellement «vivant» durant sa vie. Le fait qu’il réussit à garder indemne sa propre spiritualité dans l’environnement corrompu et idolâtre de l’Egypte et qu’il put élever ses enfants et ses petits-enfants pour qu’ils en fassent de même, atteste qu’il était réellement «vivant» pendant sa vie.
En fait, Yaacov survécut de façon si tangible dans la vie de sa progéniture que la Torah n’utilise même pas le verbe «mourir» quand elle relate sa mort. Elle se contente de signaler qu’il arrêta de respirer et le Talmud assure donc que, dans son essence, Yaacov ne mourut pas !
Plus encore, comme nous le verrons par la suite, la mort de Yaacov indiqua l’amorce d’une descente qui allait se conclure par l’esclavage physique de ses descendants. Le fait que le Peuple Juif restât fidèle à l’héritage de Yaacov même dans des circonstances si dévastatrices est une preuve supplémentaire que sa mort était une véritable indication que non seulement il était vivant durant sa vie mais qu’il continua à l’être même après !
Comme nous l’avons vu, dès sa jeunesse, Yaacov fut un érudit en Torah parfait. Tout en absorbant la connaissance renfermée dans la Torah, il s’imprégna également de sa qualité de transcendance, de son essence divine qui la rend profondément, universellement et éternellement pertinente dans tous les aspects de la vie. C’est ce qui lui permit de surmonter toutes les vicissitudes de la vie, de faire de tous ses fils des Sages malgré leurs personnalités différentes et d’assurer que les années qu’il passerait en Egypte seraient les meilleures. La Torah, incorporant la volonté et la sagesse de D.ieu, est la Vérité. L’étude de la Torah est donc la poursuite de la Vérité. Et c’est la raison pour laquelle, par extension, se dévouer à la Torah signifie une dévotion sans compromis à la Vérité. La Torah était la clé de Yaacov pour la vie éternelle car la Vérité est, par définition, éternelle.
La leçon de la Paracha est donc que nous pouvons également surmonter toutes les tribulations restantes de l’exil, élever nos enfants de telle sorte qu’ils restent fidèles à leur héritage, puissent jouir de toutes les bénédictions d’abondance spirituelle et matérielle et surtout avoir un avant-goût de la douceur du futur messianique, même encore en exil, par l’étude de la Torah et l’accomplissement de ses commandements.
Il est donc adéquat que le premier livre de la Torah s’achève avec le message de Vayé’hi : «il vécut». Le rideau se ferme sur les fondements établis par nos Patriarches et nous prépare à assister à la maturation de leur progéniture qui va devenir un peuple à part entière, peuple qui assumera le rôle de «royaume de nobles et nation sainte». La Paracha Vaye’hi sert également à nous rappeler que le livre de Beréchit n’est pas simplement de la littérature, un hommage sentimental ou partisan à nos ancêtres nationaux, qui, aussi impressionnants qu’ils aient pu être, sont morts, appartenant au passé et donc dépassés. Non, ils sont vivants, vraiment vivants et ce n’est qu’en s’identifiant à leurs aspirations et en intériorisant leur héritage, en y restant loyaux, que nous aussi pouvons être réellement vivants. Tant que nous restons en exil, nous continuons à être interpelés par les séductions éblouissantes de la «pseudo vie» qui nous entoure (et qui est en nous). Mais la Torah est «Torah de vie» nous défiant éternellement de résister à ces tentations et de «choisir la vie», en accomplissant les commandements de D.ieu et transformant ainsi notre vie et le monde environnant en une Résidence pour D.ieu, la véritable «source de vie».
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet ?

Le 10 Tévet – cette année vendredi 17 décembre 2010 – rappelle le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor en l’an 3336 (- 425). C’est l’un des quatre jeûnes institués par nos Sages en souvenir de la destruction du Temple.
Rabbi Schnéour Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme l’obligation de jeûner le 10 Tévet est, à certains égards, plus stricte que pour les autres jeûnes, on peut comprendre que la bienveillance divine est aussi plus forte ce jour-là. Donc la Techouva, le retour à D.ieu que doit amener le jeûne, sera aussi d’un niveau plus élevé.
Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est aussi associé au souvenir des victimes de la Shoah et le Kaddich y est récité pour le mérite de tous ceux dont on ignore la date exacte de décès.
Le jeûne commence à 6h 54 (heure de Paris) et se termine à 17h 40.

F. L. (d’après Rav Y. Ginsburgh et Rav M. M. Laufer)
De Recit de la Semaine
« Il n’abandonne personne… »

Je suis connu en Hollande, raconte Rav Binyamin Jacobs, grand rabbin de Hollande et émissaire du Rabbi. Je suis souvent interviewé par différents média.
Un jour, ma secrétaire m’informa que j’avais reçu un coup de téléphone d’une dame qui se présentait comme étant une femme pasteur protestante. Je n’ai pas voulu y répondre. Le lendemain aussi, elle téléphona mais je n’y prêtai pas attention. Ceci se reproduisit pendant plusieurs jours.
A cette époque, j’étais présent dans mon bureau tous les matins jusqu’à midi. Un jour, j’en sortis un peu plus tôt et, le lendemain, ma secrétaire raconta que la femme pasteur était venue en personne à midi moins cinq et avait exigé avec détermination que j’accepte de lui parler au téléphone. Je l’ai donc appelée et elle m’invita à passer la voir chez elle. Elle parlait avec une telle autorité que je ne pouvais pas refuser.
Quand je suis entré chez elle, j’ai vu qu’elle avait environ quatre-vingts ans ; elle était entourée de toutes sortes de «figurines» et autres souvenirs d’Indonésie. Nous avons fait connaissance et, petit à petit, j'ai compris qu’elle avait eu une vie incroyable. De fait, elle était originaire de Vienne et ses parents étaient juifs. Dans sa jeunesse, elle avait fait du théâtre et avait chanté à l’opéra et, comme elle le disait elle-même : «Tous ceux qui jouent au théâtre sont un peu fous et je l’étais aussi un peu…»
Elle devint célèbre et, à l’âge de vingt ans, elle reçut une proposition de mariage d’un non-Juif âgé de soixante-quatre ans. Elle accepta. C’était un Hollandais qui habitait en Indonésie et elle l’y suivit. Il était immensément riche et elle vécut à ses côtés dans l’opulence. Quelques années plus tard, il décéda mais il avait légué toute sa fortune à ses enfants issus d’un premier mariage et elle resta sans un sou, vraiment sans rien, même plus un toit sur sa tête.
Par un sursaut d’orgueil, elle ne voulait pas retourner à Vienne mais elle n’avait pas où aller. Elle resta donc en Indonésie, devint même SDF, dormant dans la rue.
Quelqu’un qui possédait un petit lopin de terre lui suggéra d’y planter des fleurs, ce qu’elle fit et la réussite lui sourit. En l’espace de cinq ans, elle acquit de grands terrains et employa une vingtaine d’ouvriers.
A peu près à cette époque, des missionnaires lui parlèrent, tant et si bien qu’elle se mit à croire dans ce qu’ils racontaient. Elle fit aussi la connaissance d’un baron hollandais, haut fonctionnaire dans le gouvernement local, directeur des télécommunications de toute l’Indonésie. Ils se marièrent et, arrivés à l’âge de la retraite, ils s’installèrent en Hollande. «Je n’avais pas encore trouvé mon identité, me raconta-t-elle, et c’est pourquoi je m’inscrivis à l’Université pour étudier la théologie».
A la fin de ses études, elle poursuivit ses recherches et finit par devenir pasteur d’une communauté protestante. Dans ce domaine également, elle manifesta des dons certains et devint responsable spirituelle d’autres pasteurs. Dernièrement, son mari était décédé et elle reconnaissait : «J’ai déjà quatre-vingt ans mais je remarque que même la croyance protestante ne me convient pas. Ce n’est pas ce qu’il me faut. J’ai décidé de changer de direction : peut-être trouverai-je la vérité justement dans mes origines. Je vous ai tout raconté, maintenant vous devez m’enseigner le judaïsme !»
Après ces révélations, je me rendis chez elle chaque semaine pour étudier une demi-heure, une heure. Je lui ai enseigné énormément d’idées et de pratiques sur le judaïsme. Elle commença à manger cachère et progressait dans la compréhension et la pratique quand, soudain, la terrible maladie se déclara. Sa situation empira très rapidement et je me posai la question : comment lui expliquer l’importance d’envisager un enterrement dans un cimetière juif ? Je savais qu’elle avait déjà pris toutes les dispositions et avait acheté une place dans un cimetière chrétien, à côté de la tombe de son mari. Comment pouvais-je évoquer le sujet ? Le fait que j’étudiais avec elle le judaïsme – la religion de ses parents – était resté secret : non seulement elle n’avait pas voulu déclarer publiquement qu’elle étudiait le judaïsme mais elle m’avait instamment prié de ne pas le révéler aux pasteurs qui étaient sous sa tutelle : après tout, elle était encore leur responsable spirituelle !
Mais la maladie empirait : elle dut interrompe ses prêches au centre protestant. Quand elle fut hospitalisée, j’ai compris qu’il fallait que je lui parle, en urgence. C’était très pénible car comment évoquer devant un malade le fait que sa mort approchait ?
J’arrivai à l’hôpital, je m’arrêtai dans un couloir et écrivis une lettre au Rabbi – lettre que j’envoyais immédiatement – et dans laquelle je demandai la réussite pour cette démarche délicate.
En entrant dans sa chambre, j’expliquai directement que je venais soulever un problème important et qu’il fallait en discuter ouvertement. Elle réagit sans émotion particulière et affirma qu’elle était tout à fait d’accord d’être enterrée dans un cimetière juif ; elle me demanda de remplir toutes les formalités nécessaires. Nous avons rédigé ensemble le texte à graver sur la pierre tombale. Durant plusieurs jours, elle pria, en pleurant, avec une ferveur remarquable. Elle rendait son âme à son Créateur avec une sincérité impressionnante.
Après son décès, alors que se répandait la nouvelle qu’elle serait enterrée dans un cimetière juif – conformément à ses dernières volontés – le scandale fut énorme. Nul n’avait jamais su qu’elle était juive. Un pasteur me téléphona et demanda la permission de prononcer un discours funèbre au nom de l’église de Hollande. Je répondis que nous étions dans les jours intermédiaires (‘Hol Hamoed) de la fête de Pessa’h et que la loi juive interdisait ce genre de discours à cette période. Je lui demandai d’excuser mon refus et affirmai que moi-même, je ne prononcerai pas de sermon. Il raccrocha le téléphone brusquement, très en colère.
Dix minutes plus tard, un autre pasteur me téléphona. Lui aussi aurait voulu parler à l’enterrement mais avait entendu mon premier interlocuteur affirmer que c’était interdit. «Vous pouvez m’expliquer la raison de cette loi ! Moi, je comprendrai car mon épouse aussi est juive !»
Bref, nous avons procédé à l’enterrement selon la stricte Hala’ha. Parmi les nombreuses personnes présentes, j’ai repéré le second pasteur car sa femme se tenait à côté de lui et, comme l’exprime joliment le proverbe yiddish, on remarque le «Kougel» sur le visage…
Après les obsèques, je l’ai saluée, je l’ai invitée chez nous et, petit à petit, vraiment très progressivement, elle retourna au judaïsme… elle aussi !
Une «Nechama» et encore une «Nechama»… Il n’y a pas que des fleurs et du fromage en Hollande !

Rav Binyamin Jacobs – Kfar Chabad n°1394
traduit par Feiga Lubecki