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Semaine 5

  • Bo
Editorial
Une belle et bonne justice

La justice est une entreprise à la fois nécessaire, ambitieuse et fragile. Nécessaire, elle l’est à n’en pas douter : ne constitue-t-elle pas le moyen unique de résoudre les litiges qui, dans toute société, opposent les hommes ? N’est-elle pas cet instrument merveilleux qui permet de rétablir les équilibres précieux remis parfois en cause par la folie des uns ou la passivité des autres ? Ambitieuse, elle l’est également. Quel homme peut s’arroger sans scrupule le pouvoir de juger ses semblables ? Lequel peut affirmer sans hésiter qu’il a la clairvoyance et la hauteur de vue indispensables à la justesse de l’analyse et à l’équité de la décision ? Pour cela, elle est bien sûr étonnamment fragile. Il suffit d’une compréhension trop hâtive, d’un témoignage trop vite accepté, d’une émotion mal réprimée pour que ce qui aurait dû être l’ultime refuge de l’humain devienne un piège à certitudes. Et c’est alors un piège inexorable dont peu sortent indemnes.
Pourtant, il nous faut rêver d’une bonne justice ; c’est là le seul chemin de la civilisation. Souvenons-nous : il y eut une époque où les hommes ne savaient régler leurs différends que par la force. En ces temps anciens, la seule volonté du monarque et son bon plaisir faisaient office de règle. Quant au juge, s’il existait, il n’avait d’autre pouvoir que celui, par nature limité, octroyé par le caprice du souverain. Puis, un jour, au Sinaï, la Loi fit irruption dans le monde. Parce que donnée par D.ieu, elle put d’emblée enchaîner la violence et assurer une authentique justice car elle incarne éternellement une Sagesse qui dépasse celle des hommes. N’y a-t-il pas là matière à réflexion ?
Justement voici que commence un nouveau mois dans le calendrier juif, celui de Chevat. En son premier jour, enseignent les commentateurs, Moïse commença à enseigner la Torah de manière complète, dans toutes les langues parlées par les nations. Il fallait que la Parole créatrice pénètre tous les degrés du monde. Il fallait qu’elle enseigne à tous les hommes que, décidément, la véritable humanité implique de sortir de soi, de s’élever au-dessus de ses propres limites et de prendre pleine conscience que seul le lien avec D.ieu est à la fois porteur de vérité et garant de justice.
Avec le temps, cet enracinement essentiel a parfois été perdu de vue par certains et, d’errements en errements, on en vient à s’apercevoir que quelque chose ne fonctionne plus. On en vient à comprendre que la seule référence humaine est peut-être imparfaite et faillible. Le moment est-il enfin venu de redécouvrir la Source de toute justice ?
Etincelles de Machiah
La matérialité de l’homme

A l’époque du Beth Hamikdach, les Juifs, par nature, éprouvaient le désir profond et sincère de servir D.ieu. Pour eux, les affaires de ce monde n’étaient que nécessité, ils ne les recherchaient que de manière superficielle, sans ardeur particulière.
En temps d’exil, c’est l’inverse qui est vrai. L’homme, par nature, ressent une attirance pour l’aspect matériel du monde tandis que le service divin, l’amour de D.ieu n’aboutissent qu’au terme d’un effort intense.
C’est la situation antérieure que le Machia’h rétablira.
(d’après Likoutei Torah, Ki Tétsé, p.40a)
Vivre avec la Paracha
Bo : les étincelles

Lors de «l’Alliance entre les parties», D.ieu dit à Avraham : «Sache que tes enfants seront des étrangers sur une terre qui ne sera pas la leur et ils les asserviront et les feront souffrir… et par la suite, ils sortiront avec de grandes richesses.»
Certes, pour la plus grande partie de notre histoire, nous avons été des étrangers sur une terre qui ne nous appartenait pas. Il y eut l’exil égyptien, l’exil babylonien, l’exil grec et notre présent exil qui commença avec la destruction du Temple par les Romains en 69. L’exil est bien plus qu’un départ du pays natal. Un individu en exil est arraché à l’environnement qui nourrit son mode de vie et son identité spirituelle. En exil, c’est sur lui seul que tout repose.
Pourquoi sommes-nous en exil ? L’exil est généralement considéré comme une punition pour des erreurs collectives ou individuelles. En fait, les prophètes le décrivent comme tel et dans nos prières, nous nous lamentons sur le fait qu’ «à cause de nos péchés nous avons été exilés de notre terre». Mais si l’exil n’avait pour but que de corriger nos fautes, son intensité devrait diminuer peu à peu. Et pourtant, nous observons qu’il va s’assombrissant. Plus complexe encore est le fait que notre situation d’exil avait été prédite à Avraham, dans son alliance avec D.ieu, comme partie intégrante de la mission historique du peuple Juif, bien longtemps avant que les péchés que l’exil expie ne soient accomplis.
On peut avoir une clé du sens profond de l’exil dans «les grandes richesses» qui allaient résulter du séjour du Peuple Juif en Egypte, promises par D.ieu à Avraham. Cette promesse constitue un thème récurent dans le récit que fait la Torah de l’exil égyptien et de l’Exode, au point que l’on a même l’impression que là était le but réel de notre esclavage en Egypte. Quand D.ieu entre en communication avec Moché, au Buisson Ardent et le charge de la mission de sortir les Juifs d’Egypte, durant la plaie de l’obscurité et juste avant l’Exode, D.ieu semble réellement supplier les Enfants d’Israël de sortir sa richesse de l’Egypte ! Le Talmud explique que le Peuple Juif n’était pas enclin à retarder son départ d’Egypte pour rassembler des richesses : A quoi est-ce comparable ? A un homme enfermé dans une prison à qui il est dit : demain tu seras libéré et on te donnera beaucoup d’argent. Il répond : Je vous en supplie, libérez-moi aujourd’hui et je ne demande rien de plus… [Ainsi D.ieu devait les enjoindre :] Je vous en prie ! Demandez aux Egyptiens des ustensiles d’or et d’argent pour que le Juste [Avraham] ne dise pas : Il a accompli : «Ils seront asservis et torturés» mais Il n’a pas accompli «et par la suite ils sortiront avec de grandes richesses». Mais il est sûr qu’Avraham lui-même aurait renoncé à cette promesse pour hâter la libération de ses enfants. Il apparaît donc clairement que l’or et l’argent que nous transportâmes hors d’Egypte constituaient un élément indispensable à notre rédemption.

L’éclat de l’or
Le Talmud offre du phénomène de l’exil l’explication suivante: «le peuple d’Israël fut exilé parmi les nations dans le seul but que les convertis puissent s’ajouter à lui». Au sens littéral, cela fait référence aux nombreux non-Juifs qui, au cours des siècles de notre diaspora, sont entrés en contact avec le Peuple Juif et ont désiré se convertir au Judaïsme. Mais la ‘Hassidout explique que le Talmud fait également référence à des âmes d’une nature différente qui se trouvent transformées et élevées au cours de nos exils : les étincelles de sainteté que contient la réalité matérielle.
Le grand cabaliste Rabbi Its’hak Louria enseignait que chaque objet, chaque force et chaque phénomène qui existent ont en eux une étincelle de spiritualité, un petit point de divinité qui constitue leur âme, leur essence spirituelle, leur raison d’être. Cette étincelle représente le désir divin que la chose existe et sa fonction dans la perspective générale du projet divin de la création. Quand un homme utilise quelque chose pour servir son Créateur, il pénètre son écorce de matérialité et révèle et réalise son essence divine.
C’est à cette fin que nous fûmes dispersés à la surface du globe : pour entrer en contact avec ces étincelles de divinité qui attendent la rédemption dans tous les coins du monde. Chaque âme possède ses propres étincelles éparpillées dans le monde et qui forment une partie intégrante d’elle-même : aucune âme n’est complète tant qu’elle n’a pas libéré ces étincelles constituant son être. Ainsi l’être humain avance dans la vie, mu de lieu en lieu, d’occupation en occupation par des forces qui semblent aléatoires. Mais tout est issu de la Providence Divine qui guide chacun vers des occasions et des circonstances en étroite relation avec son âme.

La leçon
Il est des circonstances où l’on est tenté d’échapper à l’exil en s’enfermant dans un cocon de spiritualité, dévouant nos jours et nos nuits à l’étude de la Torah ou à la prière. Mais au lieu de le fuir, on ne fait que s’y enfoncer davantage car l’on abandonne alors les membres de notre propre âme, les étincelles de spiritualité, dans le désert d’une matérialité que l’on se refuse à raffiner.
Ce n’est qu’en relevant les défis que la Providence Divine met sur notre chemin, en utilisant chaque parcelle d’or et d’argent matériels à une fin divine que nous pouvons soustraire ces étincelles à leur exil, que nous parvenons à une délivrance personnelle et que nous hâtons la Rédemption universelle.
Le Coin de la Halacha
Peut-on se mettre en colère ?

Nos Sages affirment : «Quiconque se met en colère est considéré comme se soumettant aux idoles !»
Celui qui se met en colère se sépare de D.ieu : en effet, s’il était sincèrement persuadé que tout vient de D.ieu, il ne se mettrait pas en colère contre celui qui lui fait du mal ; il comprendrait que cet épisode vexant ou douloureux recèle un bien caché (cependant, la personne qui a causé cette impression désagréable mérite d’être punie pour avoir choisi d’être l’émissaire chargé de cette mission).
La colère provient d’un «petit cerveau» : celui qui se laisse aller à la colère manque de patience pour comprendre ce qui est contraire à ses opinions.
La colère provient aussi de l’orgueil ; elle obscurcit la lumière de l’intellect et de l’âme. Elle diminue les capacités intellectuelles et émotionnelles.
Un des conseils donnés par nos Sages est de décider avec force, dès qu’on ressent la colère, de ne pas parler pendant quelques instants. L’expérience prouve que cela atténue la tension.
Il arrive qu’on soit obligé de se mettre en colère contre des membres de sa famille ou de sa communauté afin d’affirmer avec force ses opinions. Dans ce cas, la colère est comparée à un médicament dangereux, qui s’accompagne d’effets secondaires redoutables. Il serait préférable d’agir comme si on était en colère sans l’être vraiment.
Nos Sages recommandent de s’éloigner de la colère au point de ne pas ressentir les événements, paroles, actes qui pourraient la provoquer : «Ainsi se comportent les Justes : on les met dans l’embarras mais eux, ne font honte à personne. Ils entendent les injures qu’on leur adresse mais n’y répondent pas…»

F. L. d’après Rav Yosef Ginsburgh
De Recit de la Semaine
Comment vont les Juifs du Yémen ?

Durant deux ans, dans les années 50, j’ai eu la chance d’être éduqué dans les écoles du mouvement Loubavitch à Kfar ‘Habad. J’étais présent dans la synagogue quand des Fedayines ont pénétré et ont tiré dans tous les sens. Un des élèves eut la présence d’esprit d’éteindre la lumière, ce qui permit à plusieurs étudiants de s’enfuir en sautant par la fenêtre sans constituer une cible pour les terroristes. Quand ceux-ci estimèrent avoir terminé leur horrible travail, ils s’enfuirent par les vergers attenant au village, laissant derrière eux un spectacle effroyable : je fus l’un des premiers à sortir de ma cachette pour découvrir les corps de cinq de mes camarades et de leur professeur, le jeune Sim’ha Zilberstraum, que leur sang soit vengé !
Cette vision ne s’effacera jamais de ma mémoire.
J’ai gardé un bon contact avec mon ancienne école et ne manque pas de participer à toutes les réunions d’anciens élèves.
Il y a un peu plus de dix ans, le village dont j’étais le Président du Conseil, Bné Ayich, a eu la chance d’accueillir un émissaire fixe du Rabbi, Rav Aharon Karniel. J’assiste régulièrement à ses cours et je l’aide chaque fois que possible.
En 1987, plusieurs familles de ma ville, originaires du Yémen, vinrent me demander mon aide : ces immigrants étaient eux-mêmes parvenus à quitter leur pays en passant par le Soudan en 1961 mais leurs proches étaient restés sur place. Depuis l’opération «Paix en Galilée» en 1982, on recevait des nouvelles inquiétantes des Juifs habitant encore au Yémen : des synagogues avaient été transformées en mosquées et les autorités gouvernementales opprimaient les petites communautés de toutes les manières possibles. Le gouvernement israélien ne voulait rien entreprendre en leur faveur.
Nous avons alors fondé un Comité pour le sauvetage des Juifs du Yémen ; on me choisit pour le présider. Nous avons contacté des touristes en leur confiant des objets de culte pour ces Juifs en danger qui nous firent aussi connaître leurs besoins. Par leurs lettres, nous avons compris que le seul moyen d’obtenir leur émigration serait d’exercer des pressions par l’intermédiaire du gouvernement américain. Pour cela, il fut décidé que je me rendrai aux Etats-Unis afin de contacter personnellement des hauts fonctionnaires du Département d’Etat. Pour des raisons que je ne peux pas expliquer ici, on me demanda de me laisser pousser la barbe. C’est ainsi que je suis arrivé en hiver 1987, le visage orné d’une barbe touffue à New York. Bien entendu, fidèle à l’éducation que j’avais reçue à Kfar ‘Habad, je tenais à recevoir au plus vite la bénédiction du Rabbi : comment aurait-il pu en être autrement ?
Je fis la queue durant de longues heures mais quand j’arrivai devant le Rabbi, je lui expliquai que j’étais en mission pour aider au sauvetage des Juifs du Yémen. Les secrétaires voulurent m’empêcher de parler trop longtemps mais, sur un signe du Rabbi, ils me laissèrent finalement lui parler pendant près de quarante minutes. Le Rabbi m’écouta avec attention tout en me regardant intensément puis me dit quelque chose que je ne compris pas et termina en me confiant un dollar : «C’est pour la bénédiction et la réussite des Juifs du Yémen».
Je suis resté plusieurs mois aux Etats-Unis et j’ai réussi à établir des contacts importants avec diverses personnalités. D.ieu merci, ces initiatives ont porté leurs fruits. Je suis rentré en Israël et, quelques années plus tard, grâce à un travail intensif de notre organisation, nous avons obtenu des permis d’émigration pour de nombreuses familles du Yémen. Cela marqua l’apothéose de mon travail en leur faveur. Les habitants yéménites de Bné Ayich étaient fous de joie : ils allaient revoir des parents, des frères et sœurs qu’ils n’avaient pas vus depuis trente ans ! Un avion spécial emmena ces Israéliens en 1992 aux Etats-Unis, là où devaient atterrir leurs proches.
Il est impossible de décrire ces retrouvailles à l’aéroport de New York : celui qui n’a pas vu des parents embrasser leurs enfants ne sait pas ce que signifie le mot émotion. Les larmes de joie coulaient des yeux de tous, comme des fleuves impossibles à arrêter : elles auraient pu faire fondre la neige qui s’amassait dans les rues de New York !
Comme tout ‘Hassid qui se respecte – bien que je n’en ai pas l’aspect extérieur – j’avais prévu de me rendre chez le Rabbi. A ‘Hanouccah, près de cinq ans après ma première visite, je ne portais plus la barbe et j’avais bien entendu un peu vieilli.
Quand j’arrivais devant le Rabbi après avoir fait la queue plusieurs heures, il se tourna vers moi et m’adressa un grand sourire. Avant que j’ai pu prononcer un mot, le Rabbi me demanda : «Comment vont les Juifs du Yémen ?»
Que puis-je rajouter ? Combien de Juifs étaient passés durant ces cinq ans devant le Rabbi, combien de sujets l’avaient préoccupé mais, en une seconde, il m’avait reconnu, s’était souvenu du problème que j’avais évoqué… et tout cela alors que mon aspect extérieur avait bien changé ! Je n’ai aucun doute qu’il s’agit là de «Roua’h Hakodech», d’inspiration divine. Le Rabbi est vraiment le berger fidèle qui conduit son peuple, qui s’inquiète de la situation des Juifs du Yémen.
J’ai raconté au Rabbi comment nous avons réussi à réunir toutes ces familles et j’ai ajouté avec une émotion que je ne cherchais pas à cacher : «Rabbi ! ces jours-ci, les premières «étincelles» sont arrivées ! (en allusion aux étincelles de sainteté répandues de par le monde lors de la Création)». Le visage du Rabbi exprima une profonde satisfaction et il adressa de nombreuses bénédictions envers mes nouveaux compatriotes.
Ce fut un des épisodes les plus marquants de ma vie : rencontrer face-à-face le chef du peuple juif !

David Suker
(propos recueillir par Arie Samit – Kfar Chabad)
traduit par Feiga Lubecki