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Samedi, 19 juillet 2025

  • Pin’has
Editorial

 La victoire par l’esprit

Il existe des périodes dont le seul nom soulève déjà des émotions profondes. Nous sommes ainsi entrés dans ce que l’habitude conduit à appeler « les trois semaines », ces vingt-et-un jours qui s’écoulent entre le 17 Tamouz, jour où une première brèche fut pratiquée dans la muraille de Jérusalem, et le 9 Av, date de la destruction du premier et du second Temple. Semaine funeste semble-t-il, de nature à nous faire jeter sur le monde un regard au mieux désabusé, au pire désespéré. Cela ne fait-il pas presque deux mille ans que nous attendons la réalisation des prophéties et la réapparition sereine du Temple, demeure de D.ieu, sur sa colline ? Est-ce à dire que seule la tristesse est à présent notre partage ?

On sait que le judaïsme ne choisit jamais une telle voie qui, en fait, est toujours celle du renoncement et jamais celle de la résurgence. Et cela est d’autant plus urgent que nous traversons un temps où, de manière globale, c’est souvent l’existence légitime de notre peuple qui est remise en cause. Voilà arrivé le moment où l’affirmation de cette légitimité est devenue un impératif vital, et pas seulement d’un point de vue spirituel. Aussi, nous devons porter sur ces trois semaines un autre regard. Certes, du point de vue de la loi juive, l’expression de la joie y connaît des limitations. Toutefois, l’idée de réparation n’est jamais loin. Et cela porte un nom.

Ce qui a été détruit par l’épée peut être reconstruit par l’esprit, et de façon pérenne. En étudiant les textes qui décrivent la structure du Temple, le traité de Michna Midot ou les lois relatives au Temple dans le Michné Torah de Maïmonide, on rétablit le lieu de la Présence Divine. C’est là l’œuvre à accomplir. Lorsqu’on s’interroge sur l’avenir, sur l’action que nous pouvons avoir devant des événements qui nous bouleversent, souvenons-nous que tout est possible pour celui qui suit le chemin éternel. Par l’étude citée, c’est enfin le monde qui parviendra à son parachèvement et le bonheur qui sera acquis pour tous les hommes. Sachons ne pas y manquer.

Etincelles de Machiah

 Pour l’éternité

Le texte de la Torah enseigne (Exode 25) : « Et ils prendront pour Moi un prélèvement ». Le Midrach Rabba (2,2) souligne : « En tout endroit où il est écrit ‘pour Moi’, cela ne disparaît jamais ni dans ce monde-ci ni dans le monde futur ».

Cela signifie que, lorsque le Machia’h viendra, ce prélèvement – la Terouma – sera également offert pour le Temple comme il fut offert pour l’édification de Michkane, du Sanctuaire dans le désert. C’est, en effet, ce qu’énonce le prophète Ezéchiel, lorsque le Machia’h se révèlera, la ville de Jérusalem et le Temple seront reconstruits tandis que le Michkane réapparaîtra.

(D’après le Midrach Rabba. Commentaire du Maharaze)

Vivre avec la Paracha

 Pin’has

Le petit-fils d’Aharon, Pin’has, est récompensé de son acte zélé qui l’a fait tuer le prince Zimri, de la tribu de Chimon, et la princesse de Midian avec laquelle il avait gravement fauté. D.ieu lui accorde une alliance de paix et la prêtrise.

Un recensement du peuple dénombre 601 730 hommes de vingt à soixante ans.

Moché reçoit les instructions concernant le partage de la terre entre les tribus et les familles d’Israël, sous forme de tirage au sort.

Les cinq filles de Tsélof’had organisent une pétition où elles demandent à Moché le droit d’hériter de la terre de leur père, mort sans laisser de fils. D.ieu accepte leur demande et l’incorpore dans les lois d’héritage.

Moché habilite Yehochoua pour lui succéder et mener le peuple vers la Terre d’Israël.

La Paracha se conclut avec une liste détaillée des offrandes quotidiennes et des offrandes additionnelles apportées le Chabbat, Roch ‘Hodèch (le premier jour du mois) et lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot et Chemini Atsérèt.

 

LE ZÉLATEUR PRAGMATIQUE

Politiquement incorrect ?

Zimri, prince de la tribu de Chimon, s’unit publiquement à Kozbi, princesse midianite, cherchant par cet acte à justifier d'autres comportements de débauche alors répandus parmi le peuple. Quelle fut la réponse divine à cette conduite perverse ? Une épidémie s’abattit sur le peuple, emportant 24 000 vies. L’intervention de Pin’has, qui les tua tous deux, était-elle l’expression ultime d’un zèle extrême, apparemment contraire au politiquement correct ?

À la fin de la Paracha de la semaine précédente, la Torah rapportait l’action décisive de Pin’has : il transperça Zimri et Kozbi de sa lance, interrompant ainsi la progression de l’épidémie.

La Paracha de cette semaine s’ouvre sur l’éloge de la Torah à l’égard de Pin’has, pour son courage qui apaisa la colère divine et sauva le peuple menacé par cette décadence générale.

Lorsqu’il est fait mention de Pin’has, à la fin de la Paracha précédente comme au début de celle-ci, il est désigné comme « fils d’Élazar, fils d’Aharon, le Cohen ».

Une question se pose : pourquoi la Torah ressent-elle le besoin de mentionner son grand-père Aharon ? Il aurait suffi d’indiquer simplement le nom du père. La filiation d’Élazar avec Aharon avait été mentionnée plusieurs fois précédemment.

Suivre les pas d’Aharon

Une réponse s’appuie sur le commentaire de Rachi : Aharon était connu pour sa recherche infatigable de la paix, sa tolérance illimitée et son amour inconditionnel. En mentionnant Aharon, la Torah indique que l’acte de Pin’has ne fut pas motivé par la cruauté, mais par le même amour altruiste que manifestait son grand-père. Il agissait pour sauver le peuple de la souffrance et de la mort.

Le transfert

Le Zohar (vol. 3 : 317a) propose une interprétation plus mystique : au moment où Pin’has s’approcha de Zimri et Kozbi, les âmes de Nadav et Avihou (les deux fils aînés d’Aharon, morts pour avoir présenté une offrande non autorisée au Sanctuaire) pénétrèrent en lui, rectifiant ainsi leurs propres fautes. Ainsi, la Torah le désigne comme le « fils d’Élazar, fils d’Aharon », non seulement au sens généalogique, mais aussi spirituel : il portait désormais en lui l’âme des deux autres fils d’Aharon.

Le Zohar indique que les âmes de Nadav et Avihou furent réparées par leur fusion avec Pin’has. Selon le Talmud, leur faute ne résidait pas uniquement dans l’offrande non autorisée, mais surtout dans le fait qu’ils ne consultèrent pas Moché, leur maître. Leur passion ardente pour le Divin les aveugla, leur faisant perdre de vue l’importance du respect dû à l’autorité spirituelle suprême.

Le Talmud (Sanhédrin 82a) rapporte deux opinions : selon Rav, Pin’has consulta Moché pour se remémorer la loi concernant l'acte de zèle légitime. Moché lui répondit de l’exécuter. Selon Chmouel, dans les situations d’urgence où le Nom de D.ieu est profané, il n’est pas nécessaire de consulter son maître. Pourtant, Pin’has choisit tout de même de le faire.

Pourquoi alors cette consultation, si elle n’était pas requise ? Le Rabbi de Pano répond : c’est précisément cette démarche humble qui permit la réparation de l’âme de Nadav et Avihou. Parce qu’ils avaient laissé leur passion surpasser leur obligation d’honorer Moché, Pin’has (qui portait leurs âmes) montra un profond respect pour Moché.

Pin’has : plusieurs identités en une

Le Zohar identifie Pin’has au prophète Élie, le prophète zélé qui ne mourut jamais mais s’éleva au ciel dans un char de feu, présent à chaque Brit Mila et lors du Séder de Pessa’h, et annonciateur de la venue du Machia’h.

Comment relier la personnalité de Pin’has et celle d’Élie ? Tous deux étaient animés par une ferveur spirituelle intense. Mais une question s’impose : comment associer le zèle avec l’avènement messianique et la paix universelle ?

Anatomie du vrai zélateur

Pour comprendre ce paradoxe, il faut analyser la nature du zélateur authentique qui va à l’encontre de l’image populaire d’un fanatique.

Revenons à l’idée que le zèle de Pin’has était le produit du transfert des âmes de Nadav et Avihou. Ils ne pouvaient être considérés comme zélés, au sens conventionnel du terme. Ils avaient une obsession unique dans leur vie : se rapprocher de D.ieu autant que possible, au point de vouloir quitter ce monde pour s’unir au Divin, parce que cela signifiait qu’ils laissaient derrière eux ce monde matériel et éphémère.

Le vrai zélateur est celui qui ajoute à cette passion le sens impératif de sa responsabilité à l’égard de ses prochains.

Cela explique la fusion des âmes de Nadav et Avihou avec Pin’has : ils avaient la passion, Pin’has avait le sens de la responsabilité pour son peuple affligé. Il incarnait la responsabilité morale, ancrée dans le monde réel.

Le véritable zélateur doit réconcilier ces deux tendances : une quête spirituelle ardente et la capacité à descendre dans l’arène de la réalité terrestre pour sauver sa communauté du désastre. Il doit s’engager dans le monde matériel, y agir avec discipline, même par des moyens extrêmes, parfois contraires à sa nature, mais toujours guidé par un objectif noble.

Le faux zélateur est celui qui cache une propension à la violence sous un vernis d’idéalisme. Le véritable zélateur est, au contraire, celui qui maîtrise ses élans, ne se laisse pas dominer par eux, et agit dans un souci sincère du bien commun, même au prix de sa propre élévation spirituelle.

La synthèse messianique

Ainsi se comprend le rôle d’Élie identifié par le Zohar comme Pin’has (lui-même portant Nadav et Avihou) dans l’avènement de l’Ère Messianique, d’une ère de paix universelle.

La question a été posée : comment un zélateur violent peut-il être associé à la paix ultime ?

L’Ère de Machia’h ne sera pas une fuite du monde matériel mais l’union parfaite entre le céleste et le terrestre, entre la passion divine et l’engagement humain.

Pour parvenir à cet idéal, nous ne devons ni nous détacher de ce monde au nom de la spiritualité, ni nous enliser dans sa matérialité. À l’image de Pin’has, nous devons aimer D.ieu avec ferveur tout en œuvrant concrètement à réparer le monde.

Cette synthèse transformera les « Trois Semaines de deuil » (commémorant la destruction du Temple) en « Trois Semaines de joie », à l’aube de la Délivrance finale, guidés par Élie et le Machia’h à notre tête.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le Temple de Jérusalem ?

Le Temple qui se dressait à Jérusalem avait été construit pendant sept ans par le roi Salomon et fut détruit 410 ans plus tard, en 586 avant l’ère commune par le roi Nabuchodonosor de Babylone. Les Juifs furent alors déportés et ne revinrent que 70 ans plus tard, reconstruisirent le Temple qui fut à nouveau détruit, cette fois par les Romains en 69 après l’ère commune, enclenchant la très longue période actuelle d’exil et de souffrances du peuple juif hors de sa terre.

Le Temple fut construit sur une montagne bien spéciale : c’est là qu’Adam fut créé, c’est là qu’Avraham se prépara à sacrifier son fils Yits’hak (Isaac), c’est là que Yaakov (Jacob) rêva de l’échelle qui relie la terre au ciel… De même que la terre d’Israël est considérée comme le centre spirituel du monde, de même Jérusalem en est le point essentiel et c’est dans le Temple qu’on peut le mieux ressentir la sainteté - même quand celui-ci est détruit. C’était dans le Temple qu’on pouvait offrir les sacrifices : du fait de sa destruction, près de la moitié des commandements de la Torah ne peuvent plus être appliqués.

La destruction du Temple représenta une catastrophe pour le peuple juif mais aussi pour toute l’humanité car on y priait pour la paix dans le monde entier. De nombreux miracles s’y produisaient quotidiennement et on ne pouvait y pénétrer qu’après s’être purifié avec les eaux lustrales mélangées aux cendres de la vache rousse.

Les deux Temples ont été détruits un 9 Av : le premier à cause du pêché de l’idolâtrie, le second à cause de la haine gratuite. Ces destructions sont commémorées par des jours de jeûne mais aussi par différentes coutumes comme le bris d’un verre sous la Houpa (le dais nuptial) pour rappeler qu’aucune joie ne sera complète tant que le Temple ne sera pas reconstruit.

Les sacrifices ont été remplacés par les prières quotidiennes.

Il est défendu de nos jours de pénétrer sur le Mont du Temple car nul ne peut être purifié tant qu’on n’aura pas procédé au sacrifice de la vache rousse. Quand Machia’h (le Messie, descendant du roi David) reconstruira le Temple, cela signifiera que la Présence de D.ieu sera évidente dans le monde entier.

(d’après chabad.org)

Le Recit de la Semaine

 CE N’EST PAS QUE MOI QUI PRIE POUR VOUS…

Elle habite dans une des grandes villes à population presqu’exclusivement religieuse. Son jeune fils avait contracté une infection qui avait dégénéré au point de rendre nécessaire une opération. Alors qu’il se remettait dans la salle de réanimation, un autre enfant gisait dans le lit à côté, entouré de sa famille qui ne le quittait pas un instant.

Notre apparence ‘hassidique, aussi bien de mon fils que de moi-même et des membres de notre famille, ne semblaient pas du tout plaire à l’autre famille qui ne prenait même pas la peine de cacher l’antipathie profonde que nous leur inspirions.

Malheureusement la situation médicale de leur enfant ne s’améliorait pas, bien au contraire et les parents s’inquiétaient - tout en nous jetant des regards furieux qui sous-entendaient toutes sortes de préjugés à notre égard.

Je décidai de ne pas tenir compte de cette ambiance qu’ils avaient choisi d’instaurer dans la pièce : après tout, leur souffrance était compréhensible et je n’avais pas à juger quoi que ce soit. Les nombreuses incitations antireligieuses distillées jour après jour dans la presse ne pouvaient qu’entretenir les préjugés d’une grande partie du public israélien à notre encontre. J’ai essayé de proposer mon aide, de faire des courses pour eux par exemple mais on me répondait avec dédain et nervosité. « Peut-être puis-je au moins vous aider en priant pour votre fils ? Donnez-moi son nom complet et le vôtre - selon la tradition - de toute manière, je suis assise ici en lisant des Tehilim (Psaumes) et je peux ajouter le nom de votre fils dans ma liste ».

La mère m’a regardée, désabusée : « Non, ce n’est pas la peine, merci. Je ne crois pas dans ces trucs-là ! ».

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai insisté, bien que ce ne soit pas dans mes habitudes : « Qu’est-ce que cela peut faire ? Même si cela n’est d’aucune aide, cela ne peut pas faire de mal. De toute manière, je prie pour de nombreux malades, je serais contente de prier pour votre fils ! ».

Elle me regarda à nouveau, étonnée cette fois-ci puis céda à ma « folie » et, d’une voix lasse, commença : « Mon fils s’appelle Yaniv Maor fils de… ». Je l’interrompis et terminai sa phrase : « Yaniv Maor ben Mikaela ? ».

Stupéfaite, elle ne put que balbutier : « Comment connaissez-vous son nom complet et le mien ? ».

Sans répondre, je lui tendis la liste de noms que je conservai dans mon livre de prières et où figurait le nom de son fils : « Je ne comprends pas ! Je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais rencontrée, comment est-il possible que vous priez pour mon enfant ? ».

J’avoue que moi aussi, j’étais très étonnée. J’avais reçu ce nom la semaine précédente d’une amie qui centralisait ces demandes de bénédictions et voilà que je retrouvai, tout-à-fait par hasard - ou plutôt par une Providence Divine incroyable - cet enfant dans la même chambre que mon fils. Bien vite, je retrouvai mes esprits et ajoutai doucement : « Ce n’est pas que moi qui prie pour votre fils. Il y a aussi mon mari et de nombreuses autres personnes dévouées qui prennent à cœur de prier pour votre fils et d’autres malades. Une des infirmières qui travaille dans cet hôpital transmet chaque semaine des noms que nous mentionnons dans notre synagogue au moment de la sortie de la Torah. Surtout d’ailleurs des noms de malades pour lesquels apparemment personne ne prie. Et c’est ainsi que, depuis une semaine, tous les fidèles de notre synagogue prient pour votre fils ! ».

- Depuis une semaine ? Mikaela me regarda, de plus en plus ébahie, sans savoir comment réagir. Elle se rapprocha du lit de son fils et garda le silence pendant longtemps.

Moi aussi, j’étais sidérée et je me suis remise à lire des Tehilim.

Peut-être deux heures plus tard, Mikaela s’approcha de moi, me proposa un verre de jus de fruits puis me demanda mon nom. J’ai répondu « Chira », avec un grand sourire, en appréciant cette boisson fraîche. Elle était visiblement choquée de toute cette conversation et je tentai de détendre l’atmosphère.

- C’est si difficile pour moi aussi, avec un enfant malade, expliqua-t-elle. Notre situation n’est pas simple. Au début, les médecins ne nous laissaient presque pas d’espoir mais soudain, il y a environ une semaine, quelque chose a changé et ils sont redevenus prudemment optimistes.

- Quel bonheur ! rétorquai-je en souriant.

- Vous ne pouvez pas comprendre ce que vous me révélez, soupira Mikaela. Quand vous êtes entrée dans cette chambre, j’ai regardé votre tête couverte, les péot qui entourent la tête de votre fils, j’étais vraiment en colère. Moi, je participe à toutes les manifestations anti-gouvernementales et la dernière chose que je voulais voir, c’était des gens comme vous, fanatiques, obscurantistes, parasites… Mais soudain, vous me racontez que, depuis une semaine, vous ainsi que tous les fidèles de votre synagogue, vous priez pour mon enfant, un enfant que vous ne connaissiez pas. Et justement depuis une semaine, la situation de mon fils évolue pour le mieux…

Mikaela pleurait, sincèrement et ne parvenait plus à s’exprimer. J’ai serré sa main dans la mienne et je l’ai assurée que je comprenais combien elle était bouleversée de constater l’ampleur dévastatrice de ses préjugés.

- Certainement, affirmai-je, votre petit Yaniv Maor pourra très bientôt rentrer à la maison, en bonne santé.

Mikaela me regarda, les yeux remplis de larmes et ne put que murmurer un mot : Amen !

Zvi Neker - Dromi

traduit par Feiga Lubecki