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Semaine 43

  • Le’h Le’ha
Editorial
Place à l’homme

Emportés par la tempête des jours qui passent, sans doute est-ce désemparés que nous voyons le souvenir des fêtes de Tichri s’éloigner à vive allure. Ce temps-là fut celui de toute les merveilles, un prodigieux voyage au cœur d’un autre monde, mais voici qu’il s’est achevé. Les choses ont repris leur place avec la même implacable certitude que l’appel a retenti : “Yaacov est parti sur son chemin”. Pourtant alors que la grisaille semble s’installer, les expériences spirituelles que nous venons de vivre et le grand retour au quotidien laissent en nous un message précieux : c’est de l’homme que tout dépend, c’est de son action que naîtra l’avenir dont chacun rêve.
C’est qu’il serait si facile de voir l’univers comme une mécanique sans âme et l’existence comme une aventure sans raison. Alors que l’année commence et que, dans le cycle annuel de lecture de la Torah, les mots de la création se sont élevés à nouveau, que la geste des hommes, avec ses allers et ses retours, ses avancées et ses méandres, a recommencé de se dérouler, voici que tout reprend son sens. D.ieu, est-il dit, créa l’univers afin que l’homme y agisse et le perfectionne. Car le monde est amendable. Apparu doté d’une réelle plénitude, il peut parvenir à une plénitude encore supérieure. Et si les errements de certains semblent parfois le ramener loin en arrière, si parfois la barbarie éclabousse la civilisation, nous savons qu’au-delà des drames, surmontant le bruit et la fureur, s’élève le chant profond de l’humanité.
Nous savons ainsi que l’homme, capable d’accomplir le meilleur, peut apporter la lumière qui semble trop souvent si cruellement manquer. La nouvelle année offre à chacun de mettre en œuvre ce potentiel unique. Le bonheur n’est pas une idée abstraite, il est à la portée de tous. Il suffit d’effort, de volonté et surtout d’acte, seul à même de changer la matière. Un petit pas pour D.ieu n’est-il pas un grand pas pour l’univers entier ?
Etincelles de Machiah
La parole pour tous

Lorsque le Machia'h viendra, la matière inanimée commencera à parler et à raconter. La terre elle-même se plaindra à voix haute : "Pourquoi les hommes m'ont-ils piétinée alors qu'ils ne pensaient pas à des mots de Torah et n'en parlaient pas ?
(d'après les Iguerot Kodech du Rabbi Précédent, vol.IV, p. 151)
Vivre avec la Paracha
D.ieu dit à Avraham: "va-t-en, de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père, vers la terre que Je te montrerai". (Genèse 12:1)

Qu'est-ce qui pousse un homme à quitter son pays, son lieu de naissance et la maison de son père pour une destination inconnue? Et pourtant il est vrai que nous sommes attirés, à la recherche de quelque chose de plus que ce que nos parents, nos maîtres, et en vérité, notre nature même, ont à nous offrir. Notre vie est une quête incessante après que nous ayons rejeté l'identité innée et acquise de notre jeunesse et de notre naissance.
Une partie non négligeable du livre de la Genèse est consacrée à la vie d'Avraham, le premier Juif. Plus curieusement, toutefois, nous rencontrons Avraham plutôt tard dans le cours de son existence: le premier événement de la vie d'Avraham décrit en détails par la Torah se produit alors qu'il est âgé de soixante-quinze ans! A ce moment, Avraham est capable de porter le regard sur une vie fructueuse, voire sans précédent dans ses accomplissements. Jeune enfant, il avait su discerner une vérité plus grande, implicite dans le déroulement de la nature et il en était venu à reconnaître le D.ieu Unique. Homme seul face à l'univers tout entier, il avait combattu la perversité païenne de son temps, conduisant de nombreux hommes à une croyance et une moralité monothéistes.
Puis vint un événement d'une telle importance qu'il éclipsa les premières sept décades et demi de la vie d'Avraham; un événement qui marqua l'amorce d'un nouveau phénomène, le Juif, et redéfinit le voyage de la vie.
Cet événement, c'était l'appel de D.ieu à Avraham: "Pars pour toi, de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai". Maintenant que tu as réalisé la capacité totale de tes forces conscientes, va en toi-même. Je te montrerai un lieu qui est l'essence de ton propre moi, un lieu qui existe au-delà de la "terre", du "lieu de naissance" et de la "maison de ton père" que tu connais.

L'instinct, l'environnement et la raison
Les facteurs innombrables impliqués pour faire de nous ce que nous sommes peuvent être groupés en trois catégories: le naturel, l'inculqué et l'acquis.
Nous commençons une vie déjà programmée avec les tendances et les inclinations qui forment une psychologie et un caractère innés. Et puis commence, depuis le moment de la naissance, l'influence de notre environnement quand nos parents, nos maîtres et nos compagnons imprègnent nos âmes de leurs manières et de leurs attitudes. Finalement, vient une troisième et principale influence: celle de l'aboutissement de la maturité intellectuelle: l'homme, seul parmi les créatures de D.ieu a été doté d'un intellect objectif dont il peut, dans une grande mesure, contrôler les stimuli auxquels il est exposé et la manière dont ils l'affectent. Avec son esprit, il a la force de se développer, au-delà et même contre son moi précédent.
C'est la signification plus profonde des mots "ton pays", "ton lieu de naissance" et "la maison de ton père" dans l'appel de D.ieu à Avraham. Erets, le mot hébreu pour "pays" et "terre" a la même racine étymologique que le mot Ratson "volonté" et "désir"; ainsi "ta terre" peut également être traduit par "tes désirs naturels". "Ton lieu de naissance": Moladete'ha est une référence à l'influence de la maison et de la société. Et Beth Avi'ha "la maison de ton père" se réfère à l'homme comme être humain mûr et rationnel, forgeant son esprit, son caractère et son comportement avec l'objectivité de l'intellect.
Selon les critères traditionnels, cela constitue l'apogée dans les accomplissements de l'être humain: le développement de ses instincts naturels, l'assimilation des vérités observées et apprises et la reconstitution du moi à travers l'arbitrage objectif de l'esprit. Pourtant en réalité, l'intellect n'en reste pas moins une part de notre humanité, restant toujours sujet aux déficiences et aux limites de la nature humaine; s'il est vrai qu'il peut dépasser les confins de ce qui est inné et appris, l'intellect, en dernier ressort, n'est jamais véritablement libéré de l'ego et de ses préjugés.
Mais l'homme possède un moi plus élevé, un moi libre de toutes les limites de son humanité. C'est "l'étincelle de divinité" qui est le coeur de son âme, l'essence divine que D.ieu lui insuffla, l' "image de D.ieu" selon laquelle il fut créé: le Erets que D.ieu promit de montrer à Avraham.
Dans son voyage de découverte, Avraham doit, de toute évidence, quitter "la terre, le lieu de naissance et la maison de son père", sa Mésopotamie natale. Il doit rejeter la culture païenne de Our Kasdim et 'Haran. Mais il ne s'agit pas du départ dont nous parlons dans le verset cité ci-dessus. Car Avraham reçut cet appel de nombreuses années après avoir rejeté les habitudes païennes de sa famille et de sa patrie, reconnu D.ieu et produit un impact profond sur la société environnante. Et pourtant, il lui est encore dit: "Va! Pars de ta nature, de tes habitudes, pars de ton moi rationnel. Après avoir rejeté tes origines idolâtres, négatives, tu dois maintenant aussi transcender ton passé positif et enrichissant. Atteins le plus profond de toi-même, même si c'est un moi parfait".
La perfection humaine est tout simplement insuffisante. Car tout ce qui est humain, même l'intellect objectif, appartient néanmoins à la réalité créée, lui est toujours assujetti et est limité par elle. Et malgré tout, D.ieu nous invite, dans Son premier commandement au premier juif, à expérimenter ce qui transcende toutes les limites et les définitions: Lui-Même.
Mais d'abord, nous devons faire le "Le'h Le'ha", aller au plus profond de nous-mêmes, en arriver à notre moi que seul D.ieu peut nous montrer, le moi qui forme un avec Lui.
Le Coin de la Halacha
En quoi consiste la Mitsva de visiter les malades ?

Quand une personne tombe malade, c’est une Mitsva (un commandement de la Torah) de lui rendre visite. Les personnes proches du malade (sa famille) lui rendent visite immédiatement. Les autres personnes attendent trois jours, sauf si sa situation s’aggrave, auquel cas on ne devra pas attendre.
Plus on rend visite à un malade, plus grande est la Mitsva, à moins que les visites ne représentent un fardeau pour le malade qui a besoin de se reposer.
Le point principal est de se renseigner sur les besoins du malade : a-t-il assez à manger ? A-t-il besoin de vêtements propres ? Qui s’occupe des membres de sa famille ? etc… On veillera donc à s’occuper des besoins du malade et de ses proches et on priera D.ieu d’envoyer une guérison rapide et complète.
On évite de rendre visite tôt le matin et tard le soir quand le malade risque de subir des soins et des examens.
On veillera à entretenir une conversation digne et encourageante ; on évitera d’évoquer devant le malade des situations qui pourraient le déprimer et de lui faire des remontrances en insinuant qu’il est plus ou moins responsable de sa maladie. On l’encourage à prier pour lui-même et pour les autres malades.

F. L. (d’après Rav Yosef Kolodny)
De Recit de la Semaine
SA PROPRE CHAIR

Anya Gold, l’aînée de leur huit enfants, avait été choisie par ses parents pour quitter la Pologne et s’établir aux Etats-Unis : ils avaient économisé sou après sou pour payer ce voyage. Au moins un de leurs enfants échapperait aux pogromes, à la pauvreté et au désespoir qui guettait les Juifs d’Europe. Elle serait bientôt rejointe par sa famille, lui promit-on.
A Baltimore, Anya trouva refuge chez une tante, attentive et affectueuse. Elle ne manquait de rien, si ce n’est l’essentiel : sa propre famille.
Alors que les parents avaient pratiquement réussi à économiser assez d’argent pour un second billet, ils furent rattrapés par les Nazis. Anya, qui avait reçu plusieurs lettres de Pologne auparavant, cessa brusquement d’en avoir. Craignant le pire, elle n’osait plus espérer mais ce n’est qu’après la guerre qu’elle apprit de la bouche de rares survivants ce qui s’était passé : toute sa famille avait été déportée, nul n’était revenu de l’enfer. Elle était la seule survivante.
La terrible nouvelle lui brisa le cœur. Mais elle devait vivre, vivre pour eux. Elle n’avait plus de famille : elle devait créer la sienne ! Elle se marierait et aurait beaucoup d’enfants auxquels elle donnerait les noms de ses parents, frères et sœurs disparus à jamais.
Elle épousa Sol, un homme admirable avec qui elle pouvait tout partager : les joies comme les peines, les réussites comme les échecs. Mais une chose manquait à leur bonheur : ils n’avaient pas d’enfants et les spécialistes consultés ne leur laissaient aucun espoir.
« Et si nous adoptions un enfant… ? » finit par suggérer Anya. Elle y pensait depuis longtemps mais s’y était toujours refusée : elle aurait tant voulu s’occuper d’un enfant à elle, mais il n’y avait pas d’autre solution. Son mari qui, bien sûr, y avait pensé depuis longtemps, fut heureux de l’entendre : « Oui, je me suis déjà renseigné, il y a un organisme juif à New York ! »
Il se rendirent à New York, le cœur battant. On les avait informés qu’un bébé venait d’être abandonné à la naissance par sa mère, une adolescente juive en détresse. Mais à leur arrivée, on s’excusa : la grand-mère avait décidé d’adopter le bébé et elle était, bien sûr, prioritaire.
Ils étaient donc venus à New York pour rien ?
« Si vous voulez, dit la fonctionnaire, je peux vous proposer une adorable petite fille de huit ans, Myriam, elle a terriblement besoin de retrouver une famille ».
C’était vrai, Myriam était charmante mais elle avait déjà huit ans, une histoire, des souvenirs…
« Non, dit Anya, je voudrais tellement un bébé qui me connaîtrait comme si j’étais sa mère, que je pourrais bercer dans mes bras… »
- « Je comprends, dit la fonctionnaire, mais la petite Myriam a tant souffert dans sa vie qu’elle mérite de retrouver une vie de famille normale ».
- « Désolée, dit Anya, je préfère attendre une autre occasion ».
Un an passa. Anya avait contacté d’autres agences à travers tous les Etats-Unis mais aucun bébé, juif n’était proposé.
« Nous avons peut-être été trop rapides dans notre décision : cette petite Myriam était vraiment adorable et je n’arrête pas de penser à elle. Téléphonons à l’agence : peut-être est-elle toujours-là… »
Oui, elle n’avait toujours pas été adoptée. « Mais il y a une petite complication, expliqua la responsable de l’agence. Son petit frère a été retrouvé dans un orphelinat en Europe. Bien entendu, les deux enfants ne veulent plus se séparer et il faudra adopter les deux ensemble. Qu’en pensez-vous ? »
Anya et Sol retournèrent à New York. Une fois de plus, Anya fut impressionnée par les bonnes manières de Myriam : son petit frère Moché était également adorable.
« Oui ! » dirent en chœur Anya et Sol.
De retour à Baltimore, Anya fit entrer les enfants dans leur nouveau foyer : ils regardaient avec de grands yeux étonnés les meubles et les tapis, les napperons et les cadres… Soudain Myriam s’arrêta devant le piano et pâlit. Elle montrait du doigt une photo. D’une voix tremblante elle demanda : « Pourquoi la photo de ma grand-mère se trouve-t-elle ici ? »
- « Comment ? » dit Anya, troublée.
- « Ma grand-mère ! D’où avez-vous sa photo ? »
Anya contempla le portrait de sa mère, assassinée dans des circonstances si terribles. De quoi parlait cette petite fille ?
Myriam se précipita vers la valise qu’elle avait apportée de l’orphelinat. D’une enveloppe usée, elle retira une photo flétrie et la montra à Anya : « Vous voyez ? Je possède la même photo ! Ma grand-mère ! »
- « Ma mère ! » murmura Anya, bouleversée.
- « Voulez-vous voir la photo de ma mère ? » dit Myriam en montrant une autre photo.
- « C’est Sara ! » s’écria Anya tandis que ses genoux s’entrechoquaient.
- « D’où connaissez-vous le nom de ma mère ? » demanda Myriam qui n’y comprenait plus rien…

* * *

Sans le savoir, Anya avait adopté les deux enfants survivants de sa sœur Sara. Ils étaient la chair de sa chair. Ils devinrent ses propres enfants…

Yitta Halberstam et Judith Leventhal
« Small miracles for the Jewish Heart »
traduit par Feiga Lubecki