Imprimer cette page

Samedi, 16 juillet 2022

  • Balak
Editorial

 Des murailles et des hommes

Le jeûne du 17 Tamouz ouvre la douloureuse période des trois semaines qui se conclura par le 9 Av. Il n’est guère utile de souligner toute la gravité, le poids aussi, des événements qui marquèrent ce jour : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. C’est du début du trop long exil du peuple juif qu’il s’agit, avec son cours plus souvent tumultueux que paisible, plus souvent chargé de drames que de bonheurs tranquilles.

La première brèche dans la muraille de Jérusalem… Ce fut le signe annonciateur de la chute prochaine. Mais un tel jour n’a pas uniquement une signification historique. Certes, la commémoration est de toute première importance. Certes, si le Peuple juif a su rester fidèle à lui-même et refuser l’oubli, c’est aussi parce que des cérémonies, des rites ont encadré la nécessaire transmission. Quel peuple sans passé pourrait avoir un avenir qui fasse sens ? Pourtant, le 17 Tamouz va bien au-delà de ces notions.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. « Les murailles sont tombées » dit-on souvent. C’est évidemment là une évolution que chacun a lieu d’approuver : la liberté de croire, de penser, de parler en ont été les traductions concrètes. Le Peuple juif, éternelle minorité, ressent, peut-être plus fortement que d’autres, le bonheur d’un tel privilège. Pourtant, la muraille était aussi protectrice, au sens matériel mais aussi aux sens moral, culturel et spirituel. Elle préservait cet espace où la différence pouvait s’exprimer. La détruire, c’était entreprendre d’éteindre la diversité. Y faire une brèche était le début du processus. Il fallait que l’envahisseur efface ce qui s’opposait à lui, qu’il détruise l’obstacle devant sa volonté d’étendre son empire sur le monde tout entier.

Il n’est évidemment pas question d’élever de nouveaux murs ou de nouvelles barrières entre les hommes. Ne faut-il pas cependant veiller à ce que l’allégresse de la liberté ne dissimule pas l’uniformisation des modes de vie et de pensée, une autre manière de dire la dictature du puissant et le renoncement à soi ? Décidément, cette première brèche dans la muraille a des accents bien contemporains tant il est vrai qu’on ne peut être un membre à part entière de la grande famille des hommes que lorsque c’est son âme et son identité éternelles et inchangées qu’on y apporte.

Etincelles de Machiah

 Une attente concrète

Dans son Michné Torah, Maïmonide (Hil’hot Mela’him, chap. 11) expose les lois relatives à Machia’h. Il y souligne notamment une double nécessité : « Crois en lui…, attend sa venue ». Il a déjà été indiqué qu’il ne s’agit pas là d’une simple répétition ayant valeur d’insistance mais que, au contraire, de nombreux sens peuvent y être trouvés. Ainsi, « attendre sa venue » implique une attitude active qui va au-delà de la simple foi en la réalité des prophéties le concernant. Il en résulte qu’apparaît ici une obligation spécifique : celle d’étudier les lois qui portent sur Machia’h.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch)

Vivre avec la Paracha

 Balak : à propos d’ânesse et de discernement

Dans l’un des récits les plus fascinants de la Torah, l’on peut voir le prophète Bilaam tentant d’obtenir l’approbation de D.ieu à son désir de maudire le Peuple juif afin de l’affaiblir, voire le détruire. Balak, roi de Moav, lui avait promis une importante récompense s’il réussissait à miner le Peuple d’Israël et le forcer à fuir la région.

Bilaam s’engage dans un dialogue avec D.ieu dans lequel D.ieu établit clairement qu’Il ne veut pas qu’Israël soit maudit. Néanmoins, Bilaam persiste à croire qu’il peut convaincre D.ieu.

C’est alors que l’ânesse de Bilaam se transforme de simple moyen de transport en une créature douée d’un langage éloquent. A trois reprises, elle voit un ange se mettre en travers de son passage. Chaque fois, elle s’écarte, provoquant la colère de Bilaam, qui lui, ne voit pas l’ange. Et chaque fois, Bilaam fouette la pauvre ânesse. Finalement, comme le rapporte la Torah : « Alors D.ieu ouvrit la bouche de l’ânesse qui dit à Bilaam : ‘Que t’ai-je fait pour que tu m’aies ainsi frappé à trois reprises ?’. Bilaam répondit à l’ânesse : ‘Parce que tu m’as humilié ; si je tenais une épée entre mes mains, je te tuerai sur le champ’. Et l’ânesse dit à Bilaam : ‘Ne suis-je pas ton ânesse que tu as toujours montée jusqu’à ce jour ? (…)’ Et il répondit : ‘non’. D.ieu ouvrit les yeux de Bilaam et il vit l’ange de D.ieu se tenant sur la route, brandissant une épée à la main. Il s’inclina et se prosterna sur sa face.

L’ange de D.ieu lui dit : ‘Pourquoi as-tu fouetté cette ânesse, par trois fois ? Voici, je suis venu pour contrecarrer tes desseins…’ »

Le commentateur biblique Rachi souligne qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que l’ânesse voit l’ange : « L’ânesse vit, mais (Bilaam) ne vit pas car D.ieu permet à l’animal une perception plus grande que celle de l’homme. Puisque (l’homme) possède l’intelligence, il serait devenu fou s’il avait vu l’ange menaçant. »

Une question est souvent posée : pourquoi D.ieu discuta-t-Il a priori avec Bilaam, lui signifiant qu’Il désapprouvait son voyage, mais le laissant poursuivre sa route et essayer de maudire Israël, pour finalement faire échouer son plan ? Pourquoi ne l’arrêta-t-Il tout simplement pas dans sa démarche ?

Le Talmud (Makot 10b) répond à cette question :

On peut suivre l’itinéraire que l’on a décidé de poursuivre, comme il est écrit : « D.ieu dit à Bilaam, tu n’iras pas avec eux », puis : « si les hommes viennent t’appeler, lève-toi et suis-les ».

L’essence de l’humanité est le libre-arbitre. La liberté est « l’image de D.ieu » selon laquelle Adam et ‘Hava furent créés.

La source de Tout a défini des principes moraux et conceptuels absolus. Vivre une vie qui exprime ces principes est la définition du Bien. Cependant, à chaque tournant, nous sommes totalement libres de rejeter un tel mode de vie. C’est cette liberté qui donne du sens et de la substance à notre choix quand nous « choisissons la vie ».

A quelques rares occasions, nous recevons un éclair de ce qu’est la vérité (comme lors de la Révélation sinaïtique), tout juste pour que nous sachions ce que nous recherchons. Mais le libre-arbitre ne peut réellement exister que dans un environnement d’ignorance naturelle qui demande du discernement et de l’intelligence pour la surmonter. Nous devons vivre dans un monde où ni le Créateur ni la création ne sont évidents. Nous avons reçu l’aptitude d’utiliser alors les forces de notre analyse intellectuelle et de notre discernement pour reconnaître que ce tableau extraordinaire a été conçu par un Artiste et que notre être peint sur ce tableau signifie que notre présence est une nécessité fondamentale pour que l’entreprise créatrice forme un tout harmonieux.

Nous pouvons, bien entendu, nier la beauté et le dessein de ce tableau et rester dans l’état d’ignorance avec lequel nous sommes nés. Nous pouvons, et hélas le faisons souvent, utiliser ce magnifique tableau de notre vie en nous préoccupant de vétilles dont nous nous débarrassons très vite. Nous pouvons utiliser nos fantastiques forces intellectuelles pour atteindre le superficiel et l’éphémère, tout en nous plongeant tous, et de mille et une manières, dans une insatisfaction profonde. Bilaam peut écouter D.ieu ou ne pas le faire. Il peut être reconnaissant vis à vis de son ânesse ou lui rendre ses bienfaits par des coups de fouet.

Mais si nous voyions le processus de la création et la Présence Divine dans tout, si nous voyions le flux d’énergie de la Source Infinie dans tout, renouvelant sans cesse le processus créatif, nous ne posséderions pas de libre-arbitre en choisissant le bien. Cela serait évident.

Male-akh, le mot hébreu pour « ange » signifie simplement « messager ». Un ange est un véhicule qui transporte la force vitale à une entité ou une situation particulière.

Dans un sens métaphorique, l’ange barrant le chemin de Bilaam signifiait que D.ieu lui offrait l’information que cet itinéraire était une mauvaise idée. L’ânesse vit cette réalité et l’accepta.

Si nous étions confrontés à une telle situation, et en avions conscience, nous contournerions notre intellect et notre choix et serions obligés d’accepter la réalité de la Présence Divine.

Ainsi un animal qui ne possède ni libre choix ni intelligence abstraite peut-il tout voir. L’ânesse de Bilaam ne fut pas écrasée par la vision des forces spirituelles qui dirigent tout parce qu’elle était insensible aux conséquences intellectuelles de cette apparition. Elle n’avait pas besoin des outils intellectuels qui nous donnent à nous, êtres humains, la mesure des implications de ce que nous voyons.

Il nous a été donné le discernement et l’intelligence pour percer, de manière autonome, le voile de l’ignorance jeté sur l’humanité, si nous choisissons de le faire. Il faut donc que ce voile reste enfermé là où il est, jusqu’à ce que nous le transpercions avec les clés qui nous ont été données.

On entend souvent dire : « Si D.ieu m’apparaissait et me le demandait, je vivrais une vie en accord avec la Torah ! »

C’est là un bon mode de raisonnement… pour une ânesse !

En outre, comme le montrèrent la suite des événements, même lorsque Bilaam put voir les choses du point de vue de l’ânesse, cela ne l’aida pas. Il continua à suivre le « chemin qu’il voulait suivre ».

D.ieu nous a donné une qualité, bien supérieure à la vision de l’ânesse : le défi de la liberté et le don du discernement.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?

Cette année, le jeûne du 17 Tamouz est repoussé au dimanche 17 juillet 2022.

On ne mange ni ne boit depuis le matin à 3h42 (en Ile-de-France) jusqu’à la tombée de la nuit à 22h37 (en Ile-de-France). On récite la prière « Avinou Malkénou » le matin et l’après-midi.

C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.

Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (dimanche 7 août 2022), on augmente les dons à la Tsédaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple sur un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.

Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).

Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du jeudi soir 28 juillet 2022), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera à la radio juive), ce qui est une joie permise durant cette période.

Le Recit de la Semaine

 Beth ‘Habad sur roues

Depuis 1988, Rav Levi Baumgarten conduit un grand camion dans les rues de Manhattan. Bien décoré, ce camion est aménagé confortablement et diffuse de la musique ‘hassidique dans ce quartier dont dépend le monde entier ou presque. On y trouve tout ce dont on a besoin pour apprendre le judaïsme et en pratiquer les Mitsvot principales, surtout les Téfilines pour les messieurs et les bougies de Chabbat pour les dames. Mais aussi des adresses utiles, des conseils, des livres, des fascicules explicatifs…

D’habitude j’attends que les gens entrent dans le camion mais, un jour, j’ignore pourquoi, j’ai abordé un homme dans la rue en lui demandant s’il était juif. Interloqué, il m’a regardé, complètement éberlué :

- Euh… je suppose que oui, finit-il par répondre.

Je l’ai invité à monter dans le camion. Il portait un crucifix et je lui demandai donc de l’enlever avant d’entrer.

- Je suis prêtre dans une église à quelques blocs d’ici, raconta-t-il. Jamais je ne marche de ce côté de la rue. Mais aujourd’hui – allez savoir pourquoi – j’ai eu un moment d’inattention, je suis passé devant votre camion et vous me posez cette question…

Nous avons bavardé quelques minutes et je l’ai convaincu de mettre les Téfilines – la première fois de sa vie ! Tandis que j’enroulais les lanières autour de son bras, il se mit à trembler et à pleurer sans pouvoir se contrôler : il m’a fallu vingt minutes pour parvenir à le calmer.

Je n’ai plus revu cet homme mais je sais avec une certitude absolue que ces vingt minutes ont changé sa vie : je l’ai constaté de mes yeux !

*  *  *

Chaque lundi, je me gare sur les rues Broadway et Liberty, à un bloc des tours jumelles. Les Juifs qui travaillaient dans ces bureaux passaient chez moi et, avec le temps, je finis par en connaître nombre d’entre eux. Ce lundi 10 septembre 2001, Josh, un des employés que je connaissais bien arriva avec un de ses amis. Naturellement, Josh fut heureux de mettre les Téfilines mais son ami hésitait :

- Si vous mettez les Téfilines, je vous garantis que vous en verrez les effets positifs très rapidement. En effet, quand vous mettez les Téfilines, vous nouez un pacte avec D.ieu et Il vous comblera de bénédictions dans les jours qui suivent !

Il accepta de mettre les Téfilines et récita le Chema Israël avec beaucoup d’émotion.

Le lendemain, comme tous le savent, la plus grande attaque terroriste de tous les temps frappait les tours jumelles, causant des milliers de morts et de blessés, semant la désolation et pétrifiant le monde entier. Quant à moi, je tentai d’établir le contact avec tous mes amis qui travaillaient dans ces bureaux pour m’assurer qu’ils avaient échappé à un sort effroyable. D.ieu merci, la plupart d’entre eux avaient survécu. J’essayai d’appeler Josh plusieurs fois et, finalement, au bout de quelques jours, il me répondit qu’il allait bien. Je lui demandai aussi des nouvelles de son ami et Josh répondit mystérieusement : « Je préfère qu’il te téléphone lui-même ! ».

Effectivement, l’ami de Josh me téléphona le jeudi soir, complètement hystérique :

- Vous m’avez sauvé la vie ! Lundi, vous m’avez convaincu de mettre les Téfilines et vous m’avez assuré que je verrai la bénédiction de D.ieu tôt ou tard. Sachez que mon bureau était situé au 78ème étage de la tour, face à la fenêtre sur laquelle l’avion s’est écrasé.

Je suis très ponctuel. J’arrive toujours à l’heure exacte. Jamais je n’ai raté mon train ou ne suis arrivé en retard à mon travail. Mardi, ce fut la première fois de ma vie que j’ai raté le train - à trente secondes près. J’étais vraiment très ennuyé quand j’ai réalisé que je devais attendre le train suivant. Bien entendu, celui-ci connut du retard et j’étais affreusement angoissé à l’idée de ne pas arriver à l’heure au travail. Quand je suis descendu à Manhattan, j’ai aperçu ce spectacle effrayant des tours disloquées et écrasées au sol dans une panique indescriptible. Monsieur le rabbin, si j’avais été dans mon bureau, je serais mort immédiatement ! Vos Téfilines m’ont certainement sauvé la vie !

- Je n’ai rien fait, répondis-je. C’est D.ieu Tout-Puissant qui vous a sauvé la vie. Et le Rabbi qui a encouragé les Juifs du monde entier à mettre les Téfilines !

Rav Levi Baumgarten

IllumiNations - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki