Imprimer cette page

Samedi, 6 novembre 2021

  • Toledot
Editorial

 Un choix lumineux

Cette période de l’année a toujours des accents bien mélancoliques : l’obscurité paraît toute puissante et les jours n’en finissent pas de raccourcir. L’horizon semble souvent bouché par la grisaille et, quand le soleil paraît, il ne diffuse qu’un froid cruel. Tout cela n’est certes que réalité physique, simple constatation météorologique liée aux rythmes climatiques que l’homme connaît d’aussi loin que porte sa mémoire. Cependant, c’est une idée classique : le monde matériel est aussi – voire d’abord – l’expression d’une réalité spirituelle qui le sous-tend. C’est dire que, lorsque le froid et la nuit dominent, le risque existe de laisser glisser notre cœur et notre esprit sur cette pente facile. Le risque existe de laisser l’engourdissement de l’attente envahir notre âme.

C’est justement dans cette épaisseur de la nuit que la lumière naît et c’est le mois qui commence qui en est le porteur ; il s’appelle Kislev. Ce nom résonne déjà comme un cri de victoire : ne nous rappelle-t-il pas ‘Hanouccah, fête des lumières, et le 19 Kislev, Roch Hachana de la ‘Hassidout ? Mais surtout, il est cette période où le jour démontre qu’il est, par nature, l’inévitable vainqueur des forces de l’ombre. Plus encore, parce qu’elle surgit de la nuit, la lumière est plus puissante qu’à l’accoutumée. Elle est ainsi à même de briser toutes les limites, de chasser jusqu’à l’obscurité la plus profonde. Chacun est, à présent, comme le témoin d’un prodige. Chacun voit poindre ce surprenant éclat, annonciateur de renouveau.

Comme toutes les créatures, l’homme vit dans l’espace et dans le temps. Ces deux éléments définissent tant son existence qu’il ne peut pas ne pas en ressentir l’influence. Mais aussi, parce qu’il est le couronnement de la création, il ne peut pas ne pas choisir d’être l’acteur du changement plutôt que son spectateur ou sa victime. Si l’obscurité et le froid sont grands alentour, si une lumière apparaît, c’est aussi parce que l’homme possède tout cela en lui. Il est cet être qui peut susciter froideur ou enthousiasme, lumière ou obscurité, en lui-même, dans son entourage et, plus largement, dans l’ensemble du monde. En ces matières, pouvoir c’est déjà devoir. C’est ainsi que, jour après jour, nous construisons un monde de lumière jusqu’à ce que la venue du Machia’h nous introduise à la Lumière éternelle.

Etincelles de Machiah

 La Techouva et la Délivrance

Maïmonide enseigne : « Israël finira par se repentir et sera immédiatement libéré » (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5).

Maïmonide précise ainsi que la Délivrance arrive grâce au repentir, à la Techouva. Cela n’est pas simplement dû au fait qu’ainsi toutes les fautes sont effacées. C’est le processus même de la Délivrance qui nécessite l’œuvre spirituelle en question car celle-ci est, par essence, l’expression du niveau le plus élevé de l’âme appelé « Yé’hida », seul à même d’effacer toute trace d’une faute éventuelle. Or, la venue de la Délivrance est justement une manifestation du niveau Divin équivalent, qui transcende toutes les limites du monde matériel. C’est ce degré-là dont il nous faut, par nos actes, susciter la révélation.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. IV, p. 1071)

Vivre avec la Paracha

 TOLEDOT

Au bout de vingt ans, les prières d’Its’hak et de Rivkah pour avoir un enfant sont exaucées. Devant les difficultés de Rivkah, D.ieu lui annonce : « Deux nations sont en ton giron » et la plus jeune prévaudra.

Essav naît le premier, suivi de Yaakov qui le tient par le talon.

Essav devient un « chasseur rusé, un homme des champs » alors que Yaakov est celui qui réside « dans les tentes de l’étude ».

Yaakov préfère Essav et Rivkah est plus proche de Yaakov.

Essav, épuisé et affamé après une partie de chasse, vend son droit d’aînesse à Yaakov en échange d’un plat de lentilles rouges.

A Grar, terre des Philistins, Its’hak présente Rivkah comme sa sœur, de peur d’être tué par quelqu’un qui convoiterait sa beauté. Il cultive la terre et creuse une série de puits. Les deux premiers suscitent des affrontements avec les Philistins mais Its’hak finit par jouir tranquillement des eaux du troisième.

Essav épouse deux femmes ‘Hitites.

Its’hak vieillit et devient aveugle. Il désire alors bénir Essav, avant de mourir. Profitant de l’absence d’Essav, parti chasser, Rivkah revêt Yaakov des habits de son frère, prépare le plat qu’Essav destinait à Its’hak et envoie Yaakov le lui offrir. Yaakov reçoit alors les bénédictions de son père pour « la rosée du Ciel et le gras de la terre » ainsi que celle de la domination sur son frère. A son retour, Essav découvre la supercherie et Its’hak le bénit alors pour pouvoir survivre par son glaive et prendre la suprématie lorsque son jeune frère faiblira.

Yaakov s’enfuit de ‘Haran pour échapper à la colère d’Essav et trouver une épouse dans la famille du frère de sa mère, Lavan.

Essav épouse une troisième femme, Ma’halat, la fille d’Ichmaël.

Un plan pour le mariage

Dans la Paracha de la semaine dernière, le Torah relatait le mariage d’Its’hak et de Rivkah, le premier « mariage juif ». Cette semaine est évoquée la naissance de leurs enfants.

Quarante et soixante

La Torah indique qu’Its’hak avait 40 ans lors de son mariage avec Rivkah et 60 ans à la naissance de ses enfants. En revanche, le texte ne fait aucune mention de l’âge de Rivkah. Cette singularité suggère que ce n’est pas l’âge d’Its’hak et de Rivkah qui préoccupe la Torah. Et de fait, les chiffres 40 et 60 ne décrivent pas seulement un âge mais communiquent un profond message sur le mariage et le fait d’avoir des enfants. Quel est-il ?

La Paracha commence par le verset : « Voici les générations d’Its’hak… » Le mot hébreu pour « générations » est Toledot. Dans notre texte, il s’épèle avec un Vav (le son « o ») alors que dans le livre de Ruth, il s’écrit avec deux Vav. Que nous enseigne cette différence ?

Un autre fait nous interpelle dans cette Paracha. En effet, il est dit que Rivkah attendait des jumeaux, T(e)omim en hébreu. Or l’écriture de ce mot, ici, omet une lettre : un alèf. Le commentateur Rachi nous explique pourquoi ce mot est incomplet : l’un des jumeaux ne serait pas un juste. Mais pourquoi la Torah omet-elle spécifiquement cette lettre ?

Un lieu de compréhension

Lorsque nous bénissons le marié et la mariée, lors de leur mariage, nous leur souhaitons de construire un « édifice (ou foyer) éternel » : Binyane Adé Ad.

Lorsque vous décidez de construire une maison, il vous faut un plan. Le plan de chaque foyer juif est la Torah et plus particulièrement les lois de la Torah.

La loi est inébranlable. Par contre, le Talmud est rempli d’opinions et d’arguments divergents. Mais nous savons que, quand bien même ils se contredisent catégoriquement, nous les considérons tous comme valides : « Ceux-ci et ceux-là sont les mots du D.ieu vivant. » (Erouvin 13b)

La loi est ferme et stable comme les fondations d’un édifice. Pour recevoir l’ordinatation rabbinique, celui qui a maîtrisé et enseigne la loi juive doit avoir atteint l’âge de 40 ans (Rama, Yoreh Deah, 242 :31). Cet âge est connu comme celui de la Binah, la compréhension.

Pour pouvoir épouser Rivkah et construire avec elle une maison juive, Its’hak devait au préalable atteindre l’âge de 40 ans. Cela implique la compréhension et notamment la compréhension des besoins de son épouse, le fondement d’un mariage juif et d’une maison juive. En outre, le foyer (le mariage) est construit sur la loi de la Torah, éternelle et immuable.

La perpétuité juive

Le chiffre 60 représente la force de l’infini, la fertilité et la continuité. En hébreu, 60 a la valeur numérique de la lettre Samé’h dont la graphie représente un cercle, comparable à une alliance (bague) ou à un cercle infini, la Lumière Infinie qui nous entoure dans notre cheminement pour accomplir notre but dans le monde.

Quand Its’hak atteignit l’âge de 60 ans, cela signifiait que D.ieu lui avait donné le pouvoir de perpétuer les générations du Peuple juif. Et c’est la raison pour laquelle le mot Toledot ne possède qu’un seul Vav (comme nous l’avons souligné plus haut). La lettre Vav fait également allusion à la continuité. Mais cette force ne sera celle que d’un seul des jumeaux, Yaakov, le fils juste, et non Essav qui est impie.

Et c’est aussi la raison pour laquelle au mot T(e)omim (« jumeaux ») manque un aleph, lettre désignant le Maître de l’Univers. Essav ne comprenait pas le Maître de l’Univers. La première loi du Code des Lois juives nous enjoint : « J’ai placé D.ieu devant moi, toujours. » Essav malheureusement n’observait pas cette loi.

Its’hak a pavé le chemin pour se marier à 40 ans et avoir des enfants à 60 ans. Nous, les enfants d’Its’hak avons hérité de ses gènes et de ses accomplissements spirituels. C’est pour cela que nous n’avons pas besoin d’attendre 40 ans pour nous marier ou 60 ans pour avoir des enfants. A l’âge de 18 ans (Maximes de nos Pères, 5 :22), nous avons déjà la possibilité d’accomplir ces deux Mitsvot.

De plus, alors que nous nous approchons de l’Ère messianique, nous commençons à ressentir un avant-goût du Monde futur, une ère où « la connaissance de D.ieu remplira le monde entier tout comme les eaux couvrent la mer ». Cet avant-goût nous permet d’acquérir une compréhension spirituelle plus rapide que jamais dans notre histoire. Nous pouvons ainsi devenir rabbins ou guides à un bien plus jeune âge.

La percée finale

Dans le Livre de Ruth, le mot Toledot est utilisé en relation à la naissance de Perets, l’ancêtre du Machi’ah. Il possède deux Vav, car lors de la venue du Machia’h, Essav sera transformé en juste partisan de Yaakov. Le but de la perpétuation juive sera alors accompli car les deux enfants de notre matriarche Rivkah suivront le plan divin de la Création et serviront leur Maître.

Tout au long de ses exils, et jusqu’à aujourd’hui, le Peuple juif a emprunté deux chemins essentiels, correspondant aux deux Vav. Nous avons maintenu le chemin de la prière et de l’étude de la Torah, celui de Yaakov et avons suivi la route ultime d’Essav, celle de s’abstenir de l’impiété et de transformer l’obscurité en clarté. Ces deux cheminements attesteront, ultimement, de la perfection spirituelle du Peuple juif. Ils nous conduiront également à incarner le sens du mot Perets : « brèche » ou « percer ». Puisse D.ieu faire que nous percions les murs de l’exil, maintenant !

Le Coin de la Halacha

 Quelques lois sur la Tsedaka (suite)

  • Si celui qui est à l’évidence dans le besoin refuse de recourir à la Tsedaka, on peut lui proposer un prêt qu’il remboursera quand cela lui sera possible.
  • Les collecteurs de Tsedaka ne doivent pas obliger un homme trop généreux à donner s’ils savent qu’il a tendance à donner plus que ce que sa situation ne lui permet et que cela lui posera des problèmes (il ne pourra pas faire face à ses dépenses personnelles et cela causera des tensions dans son foyer).
  • Les pauvres de la famille ont préséance sur ceux de la ville. Ceux-ci ont préséance sur ceux d’une autre ville.
  • Si deux pauvres se présentent pour de la nourriture ou des vêtements, on donnera d’abord à la femme plutôt qu’à l’homme car sa honte est plus grande. Si plusieurs pauvres se présentent, on donnera d’abord au Cohen, puis au Lévi puis au Israël. Dans tous les cas, l’érudit a préséance sur l’ignorant.

(d’après Hil’hot Matnot Aniim – Rambam)

Le Recit de la Semaine

 La puissance du Tanya

Rav Nissan Mangel, rescapé d’Auschwitz, est devenu un ‘Hassid de Loubavitch, passionné et passionnant. Ses conférences attirent un public nombreux, avide de connaissances, qui repart toujours renforcé par sa force de conviction et sa confiance en D.ieu qui ne s‘est jamais démentie.

A la fin des années 50, alors que je n’étais qu’un étudiant en Yechiva, le Rabbi m’envoya plusieurs fois en mission à la Yechiva de Lakewood : je devais y étudier des livres de ‘Hassidout, si possible avec les élèves de cette Yechiva, leurs professeurs et même les directeurs. Une année, pendant Hol Hamoèd Souccot, le Rabbi me demanda encore une fois d’y aller : pour moi, cela signifiait que je ne pourrais pas profiter de l’atmosphère joyeuse du 770 Eastern Parkway et surtout de la présence du Rabbi pendant une journée.

Quelle ne fut pas ma surprise quand Rav Hodakov, son secrétaire personnel m’appela et déclara que le Rabbi voulait que j’emporte non seulement un Loulav et un Étrog mais aussi des Hochaanot, ces branches de saule que l’on frappe par terre le jour de Hochaana Rabba pour « adoucir les rigueurs ». J’étais étonné, un peu peiné à vrai dire de devoir y passer plusieurs jours mais évidemment prêt à obéir puisque telle était la volonté du Rabbi.

Pendant tous les jours intermédiaires de Souccot, je n’ai pas perdu une seconde. Non seulement je suivais le programme d‘étude de la Yechiva mais, de plus, j’avais de longues discussions animées avec les jeunes gens de la Yechiva et du Kollel. Toutes les nuits, nous célébrions Sim’hat Beth Hachoéva, en chantant et en dansant, en échangeant des paroles de Torah avec une joie intense. Bien entendu, j’étais épuisé car je n’avais que très peu de temps pour dormir.

  • Arriva la nuit de Hochaana Rabba, il était peut-être une heure du matin et il ne restait que très peu de gens dans la grande salle de la Yechiva : le directeur, son fils et quelques jeunes gens. Un homme entra alors dans la salle, jeta un regard sur qui s’y trouvait et se dirigea vers moi :
  • - Etes-vous Loubavitch ?
  • - Oui !
  • - Puis-je vous demander un grand service ?
  • - Oui, bien sûr !
  • - Venez avec moi !
  • Je le suivis dans son appartement qui faisait partie d’un ensemble de logements réservés aux étudiants plus âgés. De fait, il me demanda d’étudier avec lui un chapitre de Tanya (il n’avait pas voulu le faire en présence du directeur). Malgré ma fatigue, je me forçai à lire et expliquer, très lentement et très profondément, tout un chapitre de Tanya. Il m’écoutait attentivement et, au bout de ces 45 minutes où j’avais fourni un effort intense pour rester éveillé, il insista :
  • Puis-je vous demander un autre service ?
  • Bien sûr !
  • Pouvez-vous m’enseigner encore un chapitre ?

J’avais du mal à garder les yeux ouverts mais si quelqu’un me demande d’expliquer un chapitre de Tanya – surtout alors que le Rabbi m’avait envoyé explicitement à Lakewood – je ne pouvais pas refuser et nous avons encore passé 30 à 45 minutes sur un chapitre de Tanya, en nous attardant sur chaque mot, chaque virgule… Il me remercia.

  • Je vois que vous êtes très fatigué mais puis-je vous demander encore un service ?
  • D’accord, allons-y pour un troisième chapitre…

Croyez-moi, ce fut une épreuve inimaginable : je dus lutter contre le sommeil de toutes mes forces pour étudier lentement, correctement, profondément. Puis il me raconta pourquoi il avait voulu étudier le Tanya cette nuit-là (je savais déjà pourquoi il n’avait pas voulu étudier dans la grande salle) :

  • J’ai déjà plus de trente ans et je ne suis pas marié. Tous les Chidou’him (rencontres qu’on avait arrangées pour moi en vue du mariage) échouaient l’un après l’autre. Pourtant, je suis un élève-modèle de cette prestigieuse Yechiva mais, inexplicablement, rien ne fonctionnait. Je décidai de sauter le pas et, bien que le directeur de notre Kolel n’ait pas de contact avec le mouvement Loubavitch, je me rendis il y a quelques mois chez le Rabbi pour lui demander sa bénédiction. Il me conseilla : 
  • - Etudiez chaque jour un chapitre de Tanya et vous vous marierez bientôt !

C’est ce que j’ai fait, fidèlement, chaque jour.

Et aujourd’hui, Hochaana Rabba, je me suis fiancé ! Et, pour remercier le Rabbi, j’ai décidé d’étudier aujourd’hui non seulement un chapitre mais trois ! Dites-moi, quand retournez-vous à New York, à Brooklyn chez le Rabbi ?

  • Cet après-midi (le Rabbi m’avait demandé de rester à Lakewood jusqu’à Hochaana Rabba, je pouvais donc revenir pour Chemini Atséret).

Il s’assit pour écrire longuement au Rabbi et annoncer qu’il venait de se fiancer, une lettre que je pourrais déposer dans son bureau le jour-même. Effectivement, dès que j’arrivais à Brooklyn, je tendis la lettre à Rav Hodakov pour qu’il la transmette encore avant la fête. Le lendemain de Sim’hat Torah, j’eus droit à une Ye’hidout (entrevue privée) et, à peine entrai-je dans le bureau que le Rabbi m’accueillit avec un visage rayonnant et un énorme sourire :

  • Il n’a pas eu peur de vous annoncer qu’il étudiait le Tanya ?

Rav Nissan Mangel – JEM

Traduit par Feiga Lubecki