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Samedi, 3 août 2019

  • Mattot - Massé
Editorial

 Un temps pour construire…

Temps de commémoration, temps où l’on se souvient que des événements dramatiques se produisirent… Entre le 17 Tamouz et le 9 Av, les jours s’écoulent comme autant d’étapes d’une chute annoncée : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. Certes, voilà qui n’incite guère à la gaîté. Comment, après le début de notre trop long exil, peut-il y avoir encore une place pour le bonheur ? Et pourtant, la tristesse n’est jamais une solution. Elle n’est généralement qu’abandon. Parce qu’elle conduit au désespoir, même si elle est réelle, légitime et compréhensible, les Sages l’ont toujours rejetée avec la plus grande fermeté. Ordre n’est-il pas donné : « Servez D.ieu dans la joie » ? Les commentaires n’indiquent-ils pas que D.ieu « ne réside que sur l’homme joyeux » ? Mais où sont donc les sources du bonheur retrouvé ? En cette période où l’histoire même parle de destruction, comment faire vivre l’espoir ?

Le judaïsme nous livre parfois de ces intuitions fulgurantes : « Celui qui étudie la structure du Temple, Je le considérerai comme s’il l’avait construit ». Ainsi le Talmud fait-il s’exprimer D.ieu. C’est dire qu’en cette période de toutes les destructions, il est possible de vivre la reconstruction. En cette période de début d’exil, chacun a le pouvoir immense de la plus vraie des libérations, celle qui passe par l’étude et par la pensée, formes premières de l’action. Bien sûr, il est loisible de s’interroger : l’étude peut-elle vraiment être cet instrument libérateur ? Est-elle autre chose qu’une démarche intellectuelle, évidemment précieuse mais limitée par sa propre nature ? C’est précisément le sens de l’affirmation talmudique citée. L’étude d’un texte ne vaut pas que par la recherche de connaissance qu’elle incarne. Elle est littéralement créatrice. Lorsque l’homme s’y consacre, qu’il y investit ses facultés intellectuelles, sa pensée fait aussi œuvre de création. Dès lors, il n’est plus un simple spectateur de cette architecture prodigieuse qui fut celle du Temple, il en est le bâtisseur.

Il est difficile de décrire le sentiment de plénitude qui pénètre alors celui qui, élevé par l’étude, en ressent tout l’apport, pour lui et pour le monde qui l’entoure. Sans doute est-ce quelque chose qu’il faut vivre… Aujourd’hui, les textes sont accessibles à tous, y compris, souvent, en traduction française. Traités talmudiques Midot ou Tamid, prophétie d’Ezéchiel, Maïmonide sur les lois du Temple etc., à lire et méditer comme on vit : avec joie.

Etincelles de Machiah

 Le sens profond de l’exil

«Bein Hamétsarim », la période qui s’étend entre le 17 Tamouz et le 9 Av, a une durée de trois semaines. Or le Talmud enseigne que le chiffre trois représente une certaine force, désigne une chose fixée.

Cela contient ici une allusion. L’intention profonde de la destruction du Temple et de l’exil est de parvenir à la grandeur du troisième Temple. Il s’agit d’une « chute pour parvenir à l’élévation ».

(D’après Séfer Hasi’hot 5751 vol .2 p. 584)

Vivre avec la Paracha

 Matot-Massé

Matot

Moché transmet les lois concernant l’application et l’annulation des vœux.

Une guerre est engagée contre Midian pour son rôle dans la dégradation morale d’Israël.

La Torah procède au compte-rendu du butin et de son partage.

Les tribus de Réouven, Gad et plus tard la moitié de celle de Menaché demandent des terres à l’est du Jourdain. Moché finit par accepter cette requête à condition qu’ils se joignent d’abord au reste du peuple dans sa conquête d’Israël.

Massé

Est donnée La liste des quarante-deux voyages et campements du Peuple juif, depuis son départ d’Egypte.

Sont indiquées les limites de la Terre Promise et sont désignées des villes de refuge.

Les filles de Tsélaf’had se marient dans leur propre tribu pour préserver l’héritage paternel.

A la maison et au loin

Matot et Massé sont toujours lues durant la période de Beïn Hamétsarim, la période de trois semaines d’affliction pour la destruction du Beth Hamikdach, le Temple de Jérusalem. Cette année ces deux Parachiot sont combinées et lues le même Chabbat.

Le nom d’une Paracha apporte des renseignements sur son thème général.

Cela s’applique donc à nos deux Parachiot. Le sens littéral de Matot est « bâtons de bois ». Quant à Massé, cela signifie « voyages ».

En ce qui concerne leurs affiliations en tribus, l’on se réfère souvent au Peuple juif dans les termes de Chevatim et Matot, « branches » et « bâtons ». Une branche est un tronçon qui, même coupé, reste humide et souple. Par contre, un « bâton » est un morceau de bois tout à fait sec. Il est donc solide et ferme.

Il en va de même à propos de l’utilisation de ces termes pour décrire le Peuple juif. Chevatim et Matot signifient tous deux que les âmes juives sont enracinées dans « l’arbre » de la Divinité. Chevatim dénote une connexion révélée, comme celle qui se produit durant la prière ou toute activité semblable. Généralement, cela se réfère à l’âme dans son statut « En Haut » et plus spécifiquement, à la situation du Peuple juif à l’époque du Beth Hamikdach.

Matot, à l’opposé, décrit le Peuple juif tel qu’il se retrouve lorsqu’il est renvoyé du « Palais du Roi ». Dans un sens général, cela se réfère à la descente de l’âme dans le corps. Et plus particulièrement encore, cela décrit la descente en exil, là où la Divinité n’est pas révélée et donc où la personne est moins spirituellement raffinée.

Massé fait également allusion au voyage de l’âme qui descend dans ce monde, un voyage dont le but ultime est un progrès spirituel par le service de la Torah et des Mitsvot. Très spécifiquement, Massé fait allusion à la descente en exil, dans la mesure où les quarante-deux voyages (étapes) dans le désert symbolisent notre errance dans le « désert des nations », tout au long de la période d’exil.

En effet, pendant l’exil, les Juifs ne sont pas « à la maison », ils sont dans un voyage qui les emmène loin de leur demeure naturelle.

Le but de ce voyage dans l’exil est de faire surgir l’attitude positive de Matot, c’est-à-dire de renforcer le service de D.ieu. Les épreuves et les tribulations de l’exil obligent la personne à être ferme comme un bâton, à être forte dans son observance de la Torah et des Mitsvot, dans toutes les circonstances.

La même chose est vraie pour le « voyage » de Massé dans le « désert des nations ». Cela sert également le dessein de parvenir à une ascension spirituelle, une élévation qui n’aurait pas été possible sans les défis de l’exil.

Le fait que les deux Parachiot Matot et Massé soient combinées indique que la leçon de chacune d’entre elles porte en elle la leçon de l’autre.

Bien que le service spirituel en temps d’exil soit comme Matot, un bâton solide qui n’est pas endommagé par les difficultés de l’exil, l’homme ne peut s’en satisfaire et se reposer sur ses lauriers, en restant simplement au même niveau spirituel. Le service spirituel de Matot doit s’accompagner de Massé, un élan de force en force, dans tous les sujets de la Torah et des Mitsvot.

Aussi, doit-on veiller au fait qu’il ne suffit pas que nous étudiions la Torah mais nous devons encourager d’autres à le faire également. Non seulement accomplissons-nous les Mitsvot mais nous le faisons de la manière la plus rigoureuse et la plus belle.

En outre, partir de son lieu d’habitation courant peut causer une faiblesse dans notre service spirituel. Nous sommes « partis » d’un lieu où nous avions l’habitude de servir D.ieu, le mieux possible.

Massé est donc liée à Matot. Cela nous enseigne que notre service spirituel au cours de ce voyage doit être caractérisé par la ténacité d’un solide bâton. Même lorsque la personne se retrouve en exil, loin de son lieu d’habitation coutumier, elle doit rester aussi solide par rapport à la Torah et aux Mitsvot qu’elle l’était à la maison.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le 9 Av ?

Le 9 Av commémore de tristes dates de l’histoire juive, comme l’épisode des explorateurs, l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, de nombreux pogromes mais surtout la destruction des deux Temples de Jérusalem.

Les garçons à partir de treize ans et les filles à partir de douze ans doivent jeûner cette année depuis le samedi 10 août 2019 à partir de 21h 15 jusqu’au dimanche soir 11 août 2019 à 21h 58 (horaires pour l’Ile-de-France). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un Rabbin compétent à propos du jeûne.

Vendredi 9 août, on apporte les chaussures en toile à la synagogue pour pouvoir les enfiler dès samedi soir.

Samedi après-midi, 10 août, on avance la prière de Min’ha. On ne lit pas les Pirké Avot. On prend un repas normal (avec de la viande éventuellement) et on veille à le terminer avant 21h 15.

Samedi soir, après la prière d'Arvit ou avoir dit « Barou'h Hamavdil ben Kodech Le'hol », on récite la bénédiction « Boré Meoré Haèch » sur la bougie tressée. On lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E’ha).

 Le 9 Av, on ne se lave pas, sauf les mains le matin, ou pour des raisons d’hygiène.

Dimanche matin, on ne récite pas la bénédiction : « Chéassa Li Kol Tsorki » (« Qui veille pour moi à tous mes besoins ») car on ne porte pas de vraies chaussures en cuir.

Dimanche matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, on ne dit pas les Ta’hanoun et on lit les « Kinot ».

On n’étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple), et on assiste à un « Siyoum », à la conclusion du traité Talmudique Moèd Katane (qu’on peut aussi écouter sur Radio J dimanche à 14h 30).

Jusqu’au milieu de la journée de dimanche (environ 13h 30, 14h) on ne s’assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu’on ne se salue pas le 9 Av.

Dimanche après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min’ha et on rajoute les passages « Na’hem » (« Console les endeuillés de Sion ») et « Anénou » (« Répond-nous »).

Dimanche soir, à l’issue du jeûne, on se lave les mains rituellement (sans bénédiction) et on se rince la bouche. On enlève les chaussures en toile et on remet les chaussures en cuir. On prononce la bénédiction de Kiddouch Levana pour la lune. On récite la Havdala mais sans la bénédiction des « Bessamim » (sur les épices) et sans la bénédiction « Meoré Haèch » (sur les flammes de la bougie tressée). La Havdala consistera en 2 bénédictions :

- « Boré Péri Haguafen » sur la coupe de vin.

- Puis : « Hamavdil Ben Kodech Le’hol ».

On peut s’occuper du linge (lessive…) dès dimanche soir. On ne mange la viande qu’à partir de lundi matin 12 août.

Le Recit de la Semaine

 De Tchernobyl au parlement européen

C’est un homme occupé, très occupé. Gary (Tsvi Hirsch) Logvinsky représente l’Ukraine, son pays natal au parlement européen à Strasbourg. Mais son parcours n’a jamais été évident et il a dû franchir de nombreux obstacles avant d’être aperçu serrant la main de dirigeants internationaux.

Né à Kiev en Ukraine dans les années 70, il subit les affres du communisme soviétique qui y régnait d’une main de fer surtout contre la communauté juive. Quand la centrale nucléaire de Tchernobyl explosa, elle dissémina quantité de particules radioactives dans toute l’Europe. Les enfants de la région étaient particulièrement sensibles à ces radiations et nombre d’entre eux en subirent de plein fouet les conséquences dramatiques : ils étaient, de fait, condamnés du point de vue sanitaire, leur santé était en jeu.

C’est alors que le Rabbi de Loubavitch demanda à ses émissaires de faire sortir un maximum d’enfants juifs de la région, de les amener en Israël pour les y soigner et pour qu’ils respirent un air pur, non contaminé. Ces opérations s’étalèrent sur plusieurs mois à cause d’une bureaucratie tatillonne mais aussi à cause des réticences des parents comme des enfants (sans compter les sommes énormes nécessaires pour ces transferts et l’accueil des enfants en Israël). Gary arriva en Israël et fut admis en internat dans le village ‘hassidique de Kfar ‘Habad. Ne connaissant pratiquement rien du judaïsme, il fut patiemment éduqué comme ses camarades aussi bien du point de vue religieux que séculaire et célébra sa Bar Mitsva : son plus beau cadeau fut… quelques bouteilles de boisson gazeuse, un luxe auquel l’Ukraine ne l’avait pas habitué… Il se jura alors que, que si un jour il gagnait de l’argent, il distribuerait des barres de chocolat aux enfants du village ! Et comment parvint-il à réaliser son rêve ? Grâce au Rabbi !

Gary n’était pas un enfant facile. Il écrivit au Rabbi, le Rabbi qui l’avait aidé à fuir Tchernobyl mais qui lui répondit en 1992 (par l’intermédiaire du secrétariat de Kfar ‘Habad) qu’il fallait qu’il retourne chez ses parents, en lui souhaitant bénédiction et réussite. Après l’avoir sauvé médicalement, le Rabbi le sauvait mentalement.

De retour en Ukraine, Gary retrouva ses parents, étudia le droit et devint avocat et homme d’affaire prospère. Il a même été nommé Avocat assermenté durant deux années de suite, un honneur rare accordé par le président de l’état. Voici par exemple comment il eut à gérer le cas kafkaïen de Vadim Rivkin, un cas digne du Livre des Records, sourit Gary : « Son avocat m’avait rencontré dans les couloirs du parlement et m’avait averti que, si je ne m’occupais pas de lui, il risquait de mourir en prison, à cause de sa tension artérielle très élevée. Personnellement, je ne voulais pas m’impliquer parce que Vadim était accusé de crimes terribles. Mais son avocat insista. Je lui demandai tous les documents que j’étudiai attentivement. Je proposai de parvenir à un compromis avec le procureur pour qu’il puisse sortir immédiatement de prison surtout en raison de son état de santé. L’avocat accepta mais son « client » ne voulut pas en entendre parler ! Cela me sembla étrange : un prisonnier qui refuse d’être libéré ?

« Je suis allé lui parler en prison et il m’expliqua que, s’il signait, cela équivaudrait à reconnaître des fautes qu’il clamait ne pas avoir commises ! Il parlait avec tant de conviction et de peine que je me mis moi aussi à douter de sa culpabilité. Mais que pouvais-je faire ? Sa santé se détériorait de jour en jour et j’exigeai donc un examen médical approfondi. Les autorités pénitentiaires refusèrent et je fus obligé de faire appel au tribunal qui refusa sa mise en liberté mais accepta de le faire examiner dans un hôpital. On le sortit donc de prison et il fut hospitalisé. Mais là, un nouveau problème surgit : c’était un hôpital « de luxe » où étaient soignées les plus hautes autorités de l’état et on ne voulait pas soigner ce repris de justice aux vêtements déchirés… Je m’interposai et m’adressai directement au directeur de l’hôpital : « Si je sors d’ici et que lui n’y entre pas, je me chargerai – dans le cadre de mes fonctions – que vous ne puissiez pas continuer à diriger cet établissement ! ». Il comprit l’allusion et Vadim fut immédiatement examiné sérieusement. On découvrit qu’il souffrait d’une hémorragie interne et qu’il perdait beaucoup de sang, ce qui expliquait sa tension si élevée. S’il n’avait pas été soigné dans les trois ou quatre jours, il aurait normalement perdu la vie.

Pendant ce temps, je m’intéressai à son dossier et je me mis à examiner les « preuves » contre lui. De fait, ces « preuves » étaient inexistantes : il avait soi-disant été reconnu seulement par sa voix car l’agresseur était masqué. Le témoin sur lequel reposait toute l’accusation avoua qu’il avait désigné Vadim parce qu’il était juif – tout simplement.

Vadim put sortir et fut condamné à une liberté surveillée à domicile. Mais il n’avait pas de domicile… Je réussis à persuader le juge d’accepter de le laisser séjourner dans la synagogue d’Oujhorod. Je pense qu’il mérite vraiment d’entrer dans le Livre des Records car il est le seul homme condamné à une liberté surveillée pendant deux ans alors que sa maison était, de fait, une synagogue. Finalement, il été blanchi de toutes les accusations, sa santé s’est améliorée et, à force de fréquenter la synagogue, il est devenu un Juif honnête, intègre et de plus en plus pratiquant.

De mon histoire personnelle, conclut Gary, je retiens qu’il n’existe pas de meilleur investissement que l’enfant. Et non les machines ou le pétrole. Le Rabbi et ses émissaires ont travaillé sans relâche pour nous sauver physiquement et spirituellement de notre affreuse situation à Tchernobyl et leurs efforts ont connu le succès. Je m’adresse à tous ceux qui ont la possibilité d’investir : vous ne voyez pas toujours de suite les fruits de votre générosité mais si vous aidez les institutions éducatives, vous pourrez être fiers de votre investissement dans dix ou vingt ans. L’argent qu’on a misé sur mon éducation a été bien employé, bien mieux que s’il avait été investi dans l’immobilier ou la bourse. Moi aussi, maintenant que j’en ai la possibilité, j’essaie d’améliorer l’éducation dans mon pays.

Et pas seulement en accomplissant mon rêve de distribuer des chocolats à tous les enfants de Kfar ‘Habad !

‘Haïm Gil - Kfar Chabad N° 1816

Traduit par Feiga Lubecki