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Samedi, 22 juin 2019

  • Behaaloté’ha
Editorial

 Au jour le jour

L’année juive avance de fête en fête et elle offre ainsi des périodes qui la rythment avec force. C’est ainsi que nous sommes passés de Pessa’h, la sortie d’Egypte, à Chavouot, le Don de la Torah. Chacun a ressenti ces accents mis sur les jours qui passent et chacun en a immanquablement tiré la vitalité nécessaire. Cependant, après cette floraison spirituelle, quand même les « jours de complément » qui suivent la fête de Chavouot se sont terminés, tout se passe comme si s’étendaient à présent devant nous la plaine monotone des jours sans aspérités. Certes, le Chabbat continue de scander nos semaines mais la régularité du rythme hebdomadaire conduit chacun à s’interroger : n’y aurait-il plus de place pour l’aventure, la découverte ? Faudra-t-il donc se contenter d’un merveilleux ordinaire qui, tout merveilleux qu’il soit, reste justement bien trop ordinaire ?

Voici donc qu’un nouvel enjeu nous est proposé. Car il existe un autre chemin que celui du regret des grandes heures passées. Il nous faut donner une âme au quotidien et c’est sans doute là que réside le but de la création. De fait, s’interrogeant sur la volonté de D.ieu de créer l’univers dans toutes ses dimensions, nos Sages déclarent : « Dieu eut le désir d’avoir une demeure en bas. » La notion d’en bas présentent de nombreux degrés différents, tant il est vrai qu’on se trouve toujours « en bas » d’un élément plus élevé. Mais, si la volonté Divine recherche le « bas », c’est qu’il doit s’agir de ce qui est le plus bas degré qui se puisse être. Ainsi, D.ieu ne choisit pas les mondes spirituels mais bien notre monde matériel et c’est du reste là qu’Il donne Sa Torah.

Dans notre vie, nous connaissons aussi des temps qu’on peut qualifier de « haut » et d’autres qu’on désignera comme « le bas ». Incontestablement, les fêtes constituent un « haut ». Elles portent chacun à un niveau spirituel supérieur et apparaissent comme une lumière qui jaillit au cœur de l’obscurité. Ces jours sont indispensables et la force qu’ils apportent ne laisse personne inchangé. Puis vient le quotidien, sans doute le « bas » comparé à ces jours d’excellence. N’est-ce pas précisément là que nous atteignons à l’essence des choses ? Jour après jour, nous lier au Créateur. Savoir le découvrir dans une vie simple d’être humain, dans l’effort, matériel et spirituel. Assumer enfin notre condition : être le couronnement de la création. Le temps en est venu.

Etincelles de Machiah

 Le cerveau et le cœur

Il est souvent expliqué que l’exil présente un certain nombre d’aspects positifs : il est « une chute pour permettre une élévation supérieure », il manifeste « la supériorité de la lumière qui provient de l’obscurité » etc. Toutefois, toutes ces explications s’adressent au cerveau. Pour les sentiments du cœur, l’amertume de l’exil les rend toutes inacceptables.

C’est pourquoi, bien que ces explications aient été données et comprises, le peuple juif ne cesse de demander que l’exil se termine enfin et que la Délivrance arrive.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –

Chabbat Parchat Nitsavim 5741)

Vivre avec la Paracha

 Behaaloté’ha

Aharon reçoit l’ordre d’allumer la Menorah et la tribu de Lévi est initiée au service du Sanctuaire.

Un « second Pessa’h » est institué en réponse à la demande d’un groupe de Juifs qui n’avaient pu apporter le sacrifice pascal.

D.ieu indique à Moché l’itinéraire dans le désert et le peuple part du mont Sinaï où il avait campé presqu’une année.

Le peuple réclame à Moché de la viande.

Moché demande aux 70 Anciens de l’assister dans la difficile gouvernance du peuple.

Miryam parle en termes critiques de son frère Moché. Elle est punie par une maladie de la peau. Moché prie pour sa guérison et la communauté entière attend sept jours jusqu’à ce qu’elle guérisse.

 

La Paracha évoque avec force détails l’épisode de la Manne, la nourriture céleste qui nourrit le Peuple juif pendant son séjour de quarante ans dans le désert.

En ce qui concerne la Manne, le Talmud relève que le verset déclare : « lorsque la rosée tombait sur le campement, durant la nuit, la Manne se posait sur elle. » (Bamidbar 11 :9). Il semblerait donc, à la lecture de ce verset que la Manne descendait à l’intérieur du campement.

Cependant, un verset affirme également : « les gens sortaient la (la Manne) ramasser ». Cela semble donc impliquer que les gens devaient sortir du camp pour l’obtenir.

Une autre référence indique même : « les gens s’éloignaient et ramassaient (la Manne) ». En d’autres termes, ils devaient emprunter un long chemin pour la recevoir. 

Comment concilier ces trois versets ?

Le Talmud répond que ces versets évoquent trois catégories différentes de Juifs. Les Justes trouvaient la Manne directement devant l’entrée de leur tente. Les hommes « moyens » devaient parcourir une courte distance pour la ramasser. Les impies, quant à eux, devaient aller plus loin.

La Manne est décrite dans la Torah comme « le pain du ciel ». C’est en fonction de ces mots que certains Sages affirment que la bénédiction que l’on prononçait sur la Manne était « Qui fait sortir le pain du ciel ».

La différence entre le pain matériel et le pain céleste est que le premier requiert une grande mise en œuvre pour le préparer. De plus, il produit des déchets. Il n’en va pas de même avec la Manne. Aucune forme de travail n’était nécessaire pour sa fabrication et de plus, elle n’engendrait aucun déchet.

Cette nourriture très particulière fut consommée par tous les Juifs dans le désert, nourrissant les pieux, les gens moyens et les impies. Et même chez ces derniers, elle ne produisait aucun déchet. En d’autres termes, elle gardait sa nature essentielle, quel que soit le type de Juifs qui la consommaient.

Et non seulement la Manne elle-même n’était sujette à aucune détérioration mais elle allait jusqu’à engendrer un changement pour le mieux chez ceux qui l’absorbaient : elle avait pour effet de raffiner, y compris les impies.

C’est la raison pour laquelle nos Sages, de mémoire bénie, déclarent que c’est en mangeant la Manne, que le peuple juif put mériter de recevoir la Torah et de l’expliquer.

Ainsi, l’effet de la Manne fut-il ressenti par chacun des 600 000 Juifs qui reçurent la Torah. Car de fait, chaque Juif a une contribution unique à faire. En mangeant la Manne, même celui qui se trouvait au plus bas devenait capable de révéler et d’expliquer la part unique de la Torah qui lui revenait.

Et quand bien même il est vrai que, même après avoir consommé de la Manne, certains des impies le restaient et ne s’élevaient pas même à la catégorie intermédiaire, elle avait néanmoins un effet positif sur eux.

A la lumière de ce qui précède, nous pouvons mieux comprendre le conseil de nos Sages : « si l’on ignore la Paracha que l’on doit lire Chabbat, il faut lire la partie qui évoque la Manne car elle fut transmise le Chabbat. »

Cette déclaration demande à être élucidée. De nombreuses parties de la Torah furent prononcées le Chabbat et notamment le passage contenant les Dix Commandements. Pourquoi ne pas réciter ce passage-là lorsque l’on a un doute concernant le passage à lire ?

Mais si l’on se réfère à ce qui précède, l’explication en devient compréhensible car une relation très particulière unit la Manne et le Chabbat.

La nature de la Manne était telle que même lorsqu’elle descendait, depuis son domaine spirituel dans ce monde, elle ne perdait aucune de ses caractéristiques spirituelles, à tel point que même lorsqu’elle était absorbée par un impie, elle ne produisait aucun déchet et allait même jusqu’à le raffiner.

L’on retrouve les mêmes caractéristiques dans le Chabbat. La sainteté du Chabbat est si grande que bien que ce soit une Mitsva de se délecter ce jour dans les plaisirs matériels, l’on nous assure néanmoins que, contrairement aux jours de la semaine, où le fait de trouver de la satisfaction dans les délices de la matérialité nous alourdit, ce délice du Chabbat n’affecte pas notre spiritualité. Bien au contraire, il devient lui-même une Mitsva.

Le Coin de la Halacha

 La Tsedaka (charité) : guide pratique

- En une fois ou en plusieurs fois ?

Chaque moment compte : le pauvre qui a faim ne doit pas avoir besoin d’attendre qu’on soit prêt à lui donner à manger. C’est la raison pour laquelle on ne prononce pas une bénédiction avant de donner la Tsedaka. De plus, le plus grand mérite de notre ancêtre Avraham lors de la Akéda (la ligature d’Its’hak - Isaac) fut son empressement à accomplir l’ordre de D.ieu : de lui, nous apprenons qu’une Mitsva doit être accomplie le plus rapidement possible. Il est donc préférable de donner immédiatement, même une somme modique.

Une promesse de Tsedaka doit être tenue rapidement sans attendre d’amasser davantage d’argent pour effectuer un don plus conséquent. De même, on devrait donner la Tsedaka de son vivant et ne pas encourager les pauvres à espérer le décès du donateur pour toucher l’héritage…

- Quand donner la Tsedaka ?

On donne la Tsedaka chaque jour, avant la prière du matin et de l’après-midi – afin d’éveiller la compassion de D.ieu pour nos besoins.

Vendredi, on double la somme habituelle (puisqu’on ne donne pas d’argent pendant Chabbat).

Femmes et jeunes filles ont la coutume de donner la Tsedaka avant d’allumer les bougies de Chabbat et de Yom Tov (fêtes juives).

On donne la Tsedaka avant d’accomplir une Mitsva, avant de se rendre chez le médecin, avant tout événement important, pendant toute réunion (cours de Torah, réunion de famille, visite chez des amis…)

(d’après A Chassidisher Derher)

Le Recit de la Semaine

 Amis d’enfance, amis toujours…

Après la Seconde Guerre mondiale, la ville de Tchernovitz, en URSS, à la frontière avec la Roumanie, abritait une poignée de Juifs pratiquants : l’un s’était enfui de sa ville natale parce que le KGB le « recherchait » ; l’autre avait renoncé à retourner chez lui, sachant que sa ville avait été détruite, d’autres recherchaient la proximité de la frontière roumaine, espérant pouvoir retourner dans la ville de Viznitz en profitant d’une fente éventuelle dans le rideau de fer.

La famille Wishedski se distinguait particulièrement pour son attachement sans concessions à la Torah ; le père, le ‘Hassid Rav Moché avait été arrêté par la police secrète à cause de ses activités contre-révolutionnaires (comprenez : religieuses) et la mère devait élever seule ses enfants. En plus de ses soucis financiers, elle s’inquiétait pour l’avenir spirituel de sa famille. Aucune école juive n’existait bien entendu mais elle réussit à persuader un certain Rav Moché Kolikov de donner quelques cours à son fils, Bentsion, âgé de douze ans, tous les après-midis.

C’est alors qu’arriva dans la ville un ‘Hassid de Viznitz nommé Rav Haïm Meir Kahana : de Roumanie, il s’était enfui en URSS pendant la guerre et, après de nombreuses péripéties (dont un long emprisonnement en Sibérie), il tentait de regagner son pays d’origine. En attendant, il insufflait un esprit nouveau dans la ville, encourageant les uns à étudier la Torah, d’autres à mettre les Téfilines etc. Son épouse, Gertrude, originaire d’Allemagne, s’occupait de l’éducation juive des jeunes filles comme la regrettée Dvonia Gorodetsky qui était la sœur de Rav Moché Wishedski et Bella Gurevitch. Quand Rav Kahana remarqua que le jeune Bentsion était avide d’étudier, il lui fixa un cours de Guemara, tous les jours à six heures du matin, chez lui, à condition que tout ceci se déroule dans la plus parfaite clandestinité car tous les deux, aussi bien le maître que l’élève, risquaient gros s’ils étaient remarqués. A l’approche de la Bar Mitsva de Bentsion et en l’absence de son père (emprisonné), ce fut Rav Kahana qui offrit à l’enfant des Téfiline et lui apprit à les mettre. Bien entendu, aucune fête ne marqua l’événement. Par la suite, d’autres jeunes garçons se joignirent au cours clandestin.

Bentsion finit par trouver du travail dans une grande usine où l’on fabriquait des machines à tricoter : grâce à ses relations avec les directeurs, il parvint à ne pas travailler le Chabbat.

Pendant ce temps, Rav Kahana fit la connaissance d’une veuve de guerre dont le fils, Uri Weisberg, recherchait du travail afin de subvenir aux besoins de sa famille. Sous l’influence de Rav Kahana, la veuve rendit sa cuisine cachère et le jeune Uri (âgé de quinze ans) apprit lui aussi à mettre les Téfilines et à réaliser qu’il était juif, malgré le manque de vie communautaire organisée. Après bien des efforts, Uri fut admis lui aussi dans la fabrique de machines et put respecter le Chabbat. Malheureusement, lors d’un contrôle particulièrement minutieux, on s’aperçut qu’Uri ne travaillait pas le Chabbat et il fut immédiatement renvoyé ! Qui peut décrire sa détresse et celle de sa mère ?

A cette époque, alors que Bentsion avait perdu presque tout contact avec Uri et que le cours clandestin s’était arrêté faute de participants, arriva dans la ville le ‘Hassid Rav Mendel Futerfass qui venait d’être libéré d’un « séjour » de huit ans en Sibérie. Rav Mendel se mit immédiatement « au travail » pour réorganiser la vie juive à Tchernovitz. Un jour, il demanda à Bentsion : « Quoi de neuf ? » Et Bentsion raconta qu’il avait reçu une lettre de son ami, Shimshon Kahana, réfugié à Samarkand. Celui-ci lui demandait, entre autres, des nouvelles d’Uri et de sa mère. En entendant cela, Rav Mendel s’exclama : « Effectivement ! Que se passe-t-il avec Uri ? Tu dois absolument retrouver du travail pour Uri ! » Je répondis que c’était impossible : l’URSS de Kroutchev traversait une terrible crise économique : chaque offre de travail était convoitée par de très nombreux chômeurs et, de plus, les contrôles étaient innombrables : impossible de soudoyer un quelconque directeur qui risquerait sa vie en embauchant un « parasite » qui ne travaillerait pas Chabbat. Mais Rav Mendel ne se laissait pas convaincre par ce genre d’arguments : un Juif était privé de subsistance ainsi que sa mère et il fallait trouver du travail à Uri : « Ce que tu dois faire, insista Rav Mendel, c’est éveiller en toi-même une volonté de fer d’aider Uri et ne pas oublier ce problème un seul instant, y penser 24 heures sur 24 ! Alors certainement D.ieu t’aidera ! »

J’acceptai car, de fait, devant son intransigeance, je n’avais pas le choix ! Au bout de quelques jours passés dans cette obsession, je me rappelais soudain d’un Juif nommé Rudolinski qui avait travaillé avec nous ; j’insistai auprès de lui pour qu’il embauche Uri malgré toutes les offres qu’il recevait par ailleurs, je le suppliai tant et plus qu’il fut pratiquement obligé d’accepter ! Je crois que Rav Mendel fut encore plus heureux qu’Uri lui-même !

Je perdis alors contact avec Uri ; mon père fut libéré du Goulag, Rav Mendel reçut l’autorisation de quitter l’URSS et, nous-mêmes, avons pu monter en Israël en 1966. Pour nous, Tchernovitz entrait dans l’histoire, avec ses souvenirs heureux et les autres.

* * *

Au début du mois de Tamouz de cette année, apparut dans le fascicule Sichat Hachavoua un récit dont la source était attribuée à Rav Bentsion Wishedski.

« Je ne suis pas un lecteur assidu de ce fascicule, raconte Uri, bien que je l’apprécie beaucoup. Mais, à l’occasion, je le lis avec plaisir. Quand j’ai vu le nom Wishedski, je me suis demandé si par hasard… Moi-même, j’étais monté en Israël en 1967, j’ai fait mon service militaire et mes périodes de réserve, j’ai travaillé dur, je me suis marié avec une immigrante venue du Maroc (ancienne élève des institutions Loubavitch là-bas) et nous avons élevé nos enfants dans une ambiance juive traditionnelle. Même nos petits-enfants fréquentent maintenant des écoles religieuses. Avec la guerre de Kippour en 1973 où j’ai combattu à la frontière sud contre l’Égypte, après avoir subi les attaques effrayantes où le réflexe est tout naturellement de se tourner vers D.ieu, notre seul Protecteur, j’ai décidé de revenir à une vie juive plus complète. Après avoir lu Sichat Hachavoua, j’ai recherché si, par hasard, il s’agissait bien de mon ami Bentsion et… »

Qui peut décrire l’émotion suscitée par la rencontre dernièrement de ces deux amis d’enfance après cinquante ans de séparation, leur joie et les heures passées à rappeler leurs épreuves communes ?

Rav Wishedski insiste sur l’importance de l’éducation même d’un seul enfant juif : « Grâce aux efforts investis dans l’éducation d’Uri, nous voyons déjà trois générations de Juifs rattachés à la Torah. Par ailleurs, je reste encore stupéfait de la détermination de Rav Mendel qui n’était certainement pas un faiseur de miracles mais dont la foi était capable de déraciner les montagnes ! »

« Je comprends enfin tout ce qui m’est arrivé à Tchernovitz ! » conclut pour sa part Uri, encore sous le coup de l’émotion de ces retrouvailles. « Jamais je n’avais su à quel point les Loubavitch s’étaient occupés de moi ! »

Rav Moshe Marinovsky – Kfar Chabad n° 1514

Traduit par Feiga Lubecki