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Samedi, 2 mars 2019

  • Vayakhel
Editorial

 Des combats éternels

C’est probablement un effet de la nature humaine : nous nous habituons avec assez de facilité aux situations connues. Aussi, quand des éléments nouveaux apparaissent brutalement, nous nous sentons comme déstabilisés. « Que se passe-t-il donc ? » avons-nous tendance à interroger, généralement sans obtenir réellement de réponse. Et cette absence d’explication rend sans doute le changement apparent encore plus inquiétant. Depuis quelques semaines, nous vivons une période de ce type. Des sentiments obscurs et nauséabonds, des mots qu’on s’efforçait de croire encore enfouis dans les poubelles de l’histoire, à défaut de celles de certaines consciences, font leur réapparition dans les rues des villes. Certes, est venu le temps des condamnations et des déclarations solennelles, et les unes et les autres sont indispensables. Reste l’éternelle question, posée de façon croissante : comment vivre au quotidien alors que c’est dans ce même quotidien que tout cela est possible ? Comment penser que l’on côtoie sans doute ceux dont les éructations défient la paix civile et l’harmonie générale ?

Le peuple juif est hélas familier de tels moments. Il a déjà vécu ces temps-là où, dans l’explosion d’une colère sociale – justifiée ou non – des éclats d’antisémitisme frappent les passants innocents. La période actuelle du calendrier juif offre ici des enseignements précieux. Elle est celle où les événements anciens vécus pendant l’exil de Babylone remontent peu à peu à fleur de conscience. C’est l’histoire de la fête de Pourim sur laquelle on reviendra le moment venu. Dès à présent, elle nous raconte comment une société aimable se transforma en un lieu de détresse parce qu’un dignitaire de l’empire, Haman, dit à son maître : « Il existe un peuple dont les lois sont différentes, dispersé partout… » L’existence d’un peuple fidèle à lui-même, à son histoire, porteur de valeurs de civilisation, le gênait, il voulut le faire disparaître.

Nous affrontons un défi similaire. Et, comme nos ancêtres, nous savons y répondre : « ne pas se courber », ne pas céder ou plier devant les barbares. Chacun en possède la force et le courage car, pour reprendre l’expression traditionnelle, nous sommes « des travailleurs du jour ». Nous avons le pouvoir de faire ressurgir la lumière au cœur même de l’obscurité ou « le jour » au sein de « la nuit ». Jusqu’à ce que celle-ci s’efface et devienne lumineuse.

Etincelles de Machiah

 Les talons de Machia’h

Le principal est notre génération, celle des « talons de Machia’h ». En effet, ce sont les talons qui maintiennent toute la structure du corps, de même notre génération maintient toutes celles qui l’ont précédées.

Cependant, c’est aussi au niveau du talon que s’accumule une saleté répugnante. Ainsi, en notre temps, le mal semble plus fort. Il faut faire briller la lumière, automatiquement le mal sera repoussé.

(D’après Séfer HaSi’hot 5689 p.50)

Vivre avec la Paracha

 Vayakhel

Moché réunit le peuple d’Israël et réitère le commandement d’observer le Chabbat. Il transmet alors les instructions de D.ieu concernant la construction du Michkan (le Tabernacle). Le peuple fait don, en abondance, des matériaux requis, apportant de l’or, de l’argent et du cuivre, de la laine teinte en bleu, violet et pourpre, des poils de chèvre, du lin tissé, des peaux de bêtes, de la laine, du bois, de l’huile d’olive, des herbes et des pierres précieuses. Moché doit leur demander de cesser leurs dons.

Une équipe d’artisans au cœur sage construit le Michkan et son mobilier (comme cela a été décrit dans les Paracha précédentes : Terouma, Tetsavé et Ki Tissa) : trois couches pour les couvertures du toit, 48 panneaux muraux plaqués d’or et 100 socles d’argent pour les fondations, le Paro’hèt (voile) qui sépare les deux chambres du Sanctuaire et le Massa’h (écran) pour le devant, l’Arche et son couvercle avec les Chérubins, la Table et ses Pains de Proposition, la Menorah à sept branches avec son huile spécialement préparée, l’autel d’or et les encens qui y sont brûlés, l’huile d’onction, l’autel extérieur pour les offrandes que l’on doit brûler et tout son équipement, les cintres, les poteaux, et les socles de fondation pour la cour et enfin le bassin et son piédestal, fait de miroirs de cuivre.

Le ciel et la terre

« Selon tout ce que Je te montre, la forme du Tabernacle et la forme de tous ses ustensiles ; et ainsi tu (les) feras. » (Chemot 25 :9)

Le ‘Houmach (les « Cinq Livres de Moché ») est un ouvrage très concis. Il est constitué de moins de 80 000 mots et il renferme la Torah toute entière. Tout y est : toute la Hala’ha (la loi de la Torah), les histoires du Midrach, la vaste mer homilétique de la Aggadah, les innombrables perspectives des œuvres mystiques, philosophiques et éthiques de toutes les générations. En fait, il n’existe pas un mot ou une lettre qui soit superficielle dans le ‘Houmach. Si un verset se répète, si deux mots sont utilisés là où un seul aurait suffi ou un mot plus long est à la place d’un équivalent plus court, c’est qu’il y a là un message, un nouveau concept ou une autre loi. Le Talmud relate que Rabbi Akiva tirait « des montagnes et des montagnes de lois à partir de la graphie d’une lettre » dans la Torah.

Et pourtant, il y a deux sections dans le ‘Houmach : Vayakhel (Chemot 35 :1-38 :20) et Pekoudé (Chemot 38 :21- 40 :38) qui semblent être une répétition apparemment inutile.

Dans les Paracha précédentes de Teroumah et Tétsavé (Chemot 25-30), la Torah donne un récit détaillé des instructions de D.ieu à Moché concernant la construction du Sanctuaire (le « Tabernacle »), son ameublement et les vêtements sacerdotaux portés par ceux qui y accompliraient leur service.

Dans Vayakhel et Pekoudé, elle relate comment le Peuple d’Israël accomplit ces commandements. Et nous sommes à nouveau informés de la construction du Tabernacle, dans tous les détails, jusqu’aux dimensions de chaque pilier, de chaque panneau, de chaque tapisserie, des matériaux de chaque vêtement et des formes décoratives sculptés dans l’or de la Menorah (vingt-deux gobelets, onze sphères et neuf fleurs).

Une seule phrase, sous forme de : « et les Enfants d’Israël firent le Sanctuaire conformément à ce que D.ieu avait ordonné à Moché » aurait « épargné » à la Torah plus d’un millier de mots !

La traduction

En fait, il y avait deux Sanctuaires : un modèle céleste et un édifice matériel. Dans Ses instructions à Moché, D.ieu Se réfère à « la forme qui t’est montrée sur la montagne ». Sur le sommet du Mont Sinaï, Moché eut la vision d’un édifice dans lequel D.ieu désirait résider. Au pied du Mont Sinaï, le peuple d’Israël traduisit cette vision en une structure concrète, de cèdre et d’or.

Jamais dans l’histoire un traducteur ne fut aux prises avec deux « langages » si différents. L’esprit est subtil, la matière est concrète. L’esprit est infini, la matière se définit par le temps et l’espace. De plus, et c’est le plus important, l’esprit est par nature subordonné, prêt à témoigner d’une vérité supérieure alors que la matière ne reconnaît rien d‘autre que sa propre immanence.

Et pourtant, c’est d’une résidence matérielle dont D.ieu avait le désir. C’était dans le Sanctuaire terrestre que la Présence Divine vint résider et non dans le Sanctuaire spirituel en haut du Mont Sinaï.

Il est vrai que l’univers matériel est le plus bas des créations divines. Plus bas dans le sens où c’est celui qui est le moins conscient de sa petitesse inhérente devant la grandeur de D.ieu, le moins expressif de sa source et de sa mission divines. Mais c’est précisément à cause de leur « bassesse » que D.ieu désira que les substances matérielles soient utilisées pour fabriquer un Sanctuaire qu’Il habiterait.

D.ieu désire que le monde matériel, avec toutes ses limites et toutes ses imperfections, soit sanctifié et élevé en étant utilisé pour Le servir.

Telle est la leçon des deux Sanctuaires : ne soyez pas découragés par l’immense fossé qui sépare l’esprit et la matière, la théorie et la pratique, l’idéal et le réel. En réalité, il est virtuellement impossible de reproduire sur terre la perfection de l’esprit. Mais ce n’est pas cette reproduction que désire D.ieu.

D.ieu veut un Sanctuaire concret, un Sanctuaire construit avec les matériaux limités, finis, de la vie physique.

C’est pour mettre l’accent sur ce point que la Torah rallonge d’environ deux cents versets « superflus » son récit de la construction effective du Sanctuaire. Chaque panneau, chaque piquet et chaque tasseau fabriqué par les Enfants d’Israël renvoyait l’image, dans ses plus infimes détails, du modèle spirituel décrit quelques chapitres plus tôt. Mais c’était quelque chose de différent, un Sanctuaire différent.

Oui, la terre doit être faite pour refléter les Cieux, pour reproduire dans chaque détail, l’empreinte divine de la vie. Mais elle reste concrète, dans sa nature et sa substance, elle reste un édifice matériel pour D.ieu, qui utilise sa caractéristique unique d’exprimer la vérité divine.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une « Paracha » supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.

• La première s’appelle « Chekalim ». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner chaque année un demi-Chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30, versets 11 à 16) est lue le Chabbat qui précède Roch ‘Hodech Adar II (cette année le Chabbat Vayakhel 2 mars 2019). On sortira donc deux rouleaux de la Torah :

- un pour la Paracha de la semaine : Vayakhel (sept montées)

- un pour la Paracha Chekalim (un appelé qui lira aussi la Haftara tirée du livre des Rois - 11, 17 pour les Séfaradim ou 12, 1 à 17 pour les Achkenazim).

• La seconde s’appelle « Za’hor » et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek (Devarim - Deutéronome 25, 17 à 19). Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année Chabbat Vayikra, le 16 mars 2019. La Haftara relate le combat du roi Chaoul contre Amalek (Samuel I – 15, versets 1 à 34).

• La troisième s’appelle « Para » (Bamidbar – Nombres 19, versets 1 à 16) et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue Chabbat Chemini, 30 mars 2019. La Haftara rappelle la pureté du Temple (Ezékiel 16 à 38).

• La quatrième s’appelle « Ha’hodech » (Chemot – Exode 12, versets 1 à 20) et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Tazrya, Roch Hodech Nissan, le 6 avril 2019. Ce Chabbat, on sortira 3 rouleaux de la Torah : pour Chabbat, pour Roch Hodech et pour la Paracha Ha’hodech. On lira la Haftara dans Ezékiel de 45,15 à 46,18.

Le Recit de la Semaine

 Le sage conseil de la Rabbanite

Le 20 Av 1981 eut lieu la conclusion du premier Séfer Torah écrit pour le mérite de tous les enfants juifs de par le monde : cette initiative du Rabbi de Loubavitch avait soulevé l’enthousiasme des éducateurs, des parents et surtout des enfants qui, pour la somme symbolique d’un dollar, acquéraient une lettre dans le rouleau sacré de la Torah. (Par la suite, plusieurs autres Sifré Torah furent écrits dans le cadre de cette campagne d’unification du peuple juif).

Le regretté Rav Zalman Gourarie comprit combien cette initiative était chère aux yeux du Rabbi et lui demanda s’il pouvait avoir le mérite d’offrir une couronne en or pour ce Séfer Torah. Le Rabbi accepta – à la condition qu’il puisse en choisir la forme.

Un soir, Rav Hodakov (le secrétaire personnel du Rabbi) demanda à l’un des responsables de la grande synagogue du 770 de retirer discrètement la couronne qui ornait le Séfer Torah de Machia’h dans la grande synagogue du 770 et de l’apporter à Rav Gourarie : celui-ci l’apporta à un joaillier qui en reproduisit exactement le modèle, conformément à la demande du Rabbi.

La cérémonie devait prendre place le 20 Av en Israël. Une semaine auparavant, Rav Gourarie reçut un coup de téléphone de Rav Hodakov lui demandant de bien vouloir être l’émissaire du Rabbi pour apporter cette couronne à Jérusalem de sa part.

Un des problèmes posés par ce projet, c’était que la fille de Rav Gourarie, Mme Esther Sternberg était enceinte et devait subir une césarienne programmée pour le 17 Av. Or Mme Sternberg était sa fille unique et il était très proche d’elle : inquiet pour le déroulement de l’opération, il désirait rester à son chevet et demanda donc au Rabbi de le dispenser de ce voyage. Mais le Rabbi répondit : « Selon le Choul’hane Arou’h (le Code de Lois Juives), puisque vous n’êtes pas docteur, vous n’avez pas le droit de rester dans la salle d’accouchement et il n’y a donc aucune raison que vous n’assistiez pas à cette cérémonie de conclusion du Séfer Torah ! ».

Rav Gourarie était très proche de la Rabbanite ‘Haya Mouchka, l’épouse du Rabbi et Mme Sternberg présume qu’il lui avait fait part de son dilemme – ce qui expliquerait l’attention inhabituelle dont elle fut l’objet de la part de la Rabbanite.

Le jour prévu, Mme Sternberg donna naissance à une petite fille. A partir de ce jour, la Rabbanite téléphona deux fois par jour à la maternité pour prendre de ses nouvelles. De plus, elle téléphonait aussi chaque jour au domicile de Mme Sternberg pour avoir des nouvelles des autres enfants qui étaient gardés par leur grande sœur, rentrée pour cela d’une colonie de vacances : la Rabbanite demandait comment se portait chacun des enfants, s’ils mangeaient bien et quel avait été le menu…

Comme on le sait, le 20 Av est la date de l’anniversaire de décès de Rabbi Lévi Its’hak Schneerson, le père du Rabbi, qui, détenu puis exilé, décéda en 1944 à Almaty, aux confins de la Chine. A cette occasion, le Rabbi procède à un Farbrenguen, une réunion ‘hassidique. Ce jour-là, la Rabbanite téléphona à Mme Sternberg pour avoir de ses nouvelles et des nouvelles du bébé puis, soudain, lui demanda :

- Avez-vous un moyen d’écouter le Farbrenguen de ce soir ?

(Il faut se souvenir que personne ne disposait alors de téléphone portable. Cependant, Mme Sternberg possédait une ligne spéciale de téléphone qui lui permettait d’être en permanence reliée au WLCC, le Bureau Central Loubavitch des Communications. En effet, quand le Rabbi distribuait des billets d’un dollar (à remettre à la charité) à la fin de ses discours, Mme Sternberg était chargée d’aider les dames qui passaient devant le Rabbi. Quand elle ne pouvait pas assister aux Farbrenguen (car elle s’occupait de ses enfants), on la prévenait grâce à cette ligne spéciale de téléphone et elle se précipitait alors à la synagogue du 770 dès le début de la distribution des dollars pour accomplir sa tâche). Elle répondit donc par l’affirmative à la question de la Rabbanite.

- Dans ce cas, se réjouit la Rabbanite, ce serait une très bonne idée que vous preniez votre petite fille dans votre lit et placiez le récepteur du téléphone entre votre oreille et celle du bébé. Ainsi vous pourriez toutes les deux écouter le Farbrenguen en direct du 770. En effet, il est très important que les enfants écoutent la ‘Hassidout !

Stupéfaite par ce qu’elle venait d’entendre, Mme Sternberg promit à la Rabbanite de suivre son conseil. Elle prit le bébé âgé d’à peine trois jours dans son lit et plaça le receveur du téléphone entre son oreille et celle du nourrisson de sorte que toutes les deux purent écouter la réunion ‘hassidique. Elle se souvint comment la petite fille resta calme durant toute la durée du Farbrenguen.

Cette anecdote nous donne un faible aperçu de la totale abnégation de la Rabbanite (dont nous célébrerons l’anniversaire le 25 Adar Cheni) et son attachement à la parole du Rabbi. Cela nous indique aussi une approche spécifique de l’éducation ‘hassidique qui insiste sur l’importance de tout ce que voit ou entend l’enfant – dès son plus jeune âge : combien on doit veiller à l’entourer d’objets et d’expériences saines et saintes, de versets de la Torah, de livres sacrés, de conversations et de chants purs. Ce fut d’ailleurs un des points soulignés par le Rabbi lors de ce Farbrenguen du 20 Av 1981 : « Comme il a été découvert scientifiquement récemment (ce que la Torah nous a révélé déjà depuis des milliers d’années), les objets qui entourent l’enfant ont une influence sur son développement ultérieur. On ne doit pas attendre que l’enfant soit assez mûr pour comprendre la différence entre le bien et le mal et on ne doit pas s’imaginer que l’enfant ne comprend rien de toute manière… ». Oui, l’éducation juive commence dès le berceau !

Rav Yossef Greenberg - Alaska

Traduit par Feiga Lubecki