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Samedi, 2 juin 2018

  • Behaaloté’ha
Editorial

 Tout au long de la route

Cela ne fait que bien peu de temps que nous avons vécu à nouveau le Don de la Torah. On l’a dit, et écrit, cet événement ne nous abandonne pas. Nous sommes donc conscients, à présent avec une intensité encore plus grande, de ce que nous sommes et de la mission éternelle qui nous a été confiée. Car, ne l’oublions pas, c’est à ce moment que tout commence. Comme le prophète Ezéchiel l’enseigne, les Hébreux deviennent un peuple avec la sortie d’Egypte. Certes, ils existaient auparavant mais ils constituaient une sorte de grande famille, une collection d’individus et ne portaient pas cette conscience qui fait les peuples. Avec le Don de la Torah, c’est une nouvelle et essentielle composante qui va s’ajouter : à présent, le peuple possède une loi qui l’inspire, l’élève et le structure. En même temps, son attachement à la terre sainte, promise par D.ieu à Abraham pour ses descendants, est rappelé et en passe de trouver sa concrétisation.

C’est qu’il ne s’agit pas d’une terre comme les autres. Elle n’est ni terre de hasard ni terre de mythe. Bien au contraire, liée à la conscience du peuple hébreu, qui deviendra le peuple juif, elle l’accompagnera tout au long de l’histoire, depuis le royaume d’Israël prospère jusqu’aux lointains lieux d’errance imposés par la cruauté des conquérants. Espoir au cœur et évocation aux lèvres, elle fait partie intégrante d’une pensée, d’un mode de vie. A telle enseigne que, même à l’époque où s’y rendre tenait de l’exploit, ce lien particulier ne s’est jamais dissous comme n’a jamais disparu la permanence de l’âme juive.

Mais le temps s’écoule et, parfois, ce qui semblait être d’une évidence parfaite prend un aspect troublé. Parfois, la solidité des certitudes finit par être ébranlée par les coups de boutoirs de la société du tam-tam, ce monde où celui qui crie le plus fort ou qui a les images les plus saisissantes l’emporte sur celui qui se contente de dire le vrai. Aujourd’hui, certains regardent la terre d’Israël sans y reconnaître l’empreinte ineffaçable laissée sur elle par nos ancêtres. Certains discutent, affirment et revendiquent. Et quelque chose les dérange : le peuple juif n’oublie pas. Il reste fidèle à lui-même, il sait d’où il vient et croit toujours que l’histoire a un sens. Soyons-en certains au sortir du Don de la Torah : le monde a déjà tenté d’éteindre notre voix, il n’y est pas parvenu. La route s’ouvre toujours au-devant de nous. Elle est aussi celle de l’harmonie, intérieure aussi bien qu’universelle.

Etincelles de Machiah

 Mesure pour mesure

Le Tanya explique, dans son chapitre 36, que toutes les révélations dont nous jouirons lorsque Machia’h sera venu, dépendent de l’œuvre que nous accomplissons pendant le temps de l’exil. Si ce principe général est connu, son application concrète demande à être précisée.
En effet, c’est l’ensemble des actions que nous menons dans le domaine de la Torah et de ses commandements qui nous conduit à la Délivrance. Cependant, le concept de “mesure pour mesure” est très présent au cœur du judaïsme. Il implique que chaque acte entraîne une conséquence spécifique. Dans cette optique, quelle est l’œuvre qui peut être à l’origine de la résurrection des morts ?
Cette interrogation appelle deux réponses :
- d’une part, la pratique des commandements de D.ieu a pour but général de transformer le monde matériel, dont le caractère éphémère renvoie à l’idée de “mort”, en un lieu de résidence pour la Divinité qui représente l’éternité,
- d’autre part, l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme est celle d’élévation des parcelles de spiritualité “exilées” dans la matière. La libération qui leur est ainsi apportée équivaut à une authentique résurrection.

(d’après Likouteï Si’hot vol. III, p. 1011)

Vivre avec la Paracha

 BEAALOTE’HA

Aharon reçoit l’ordre d’allumer la Menorah et la tribu de Lévi est initiée au service du Sanctuaire.

Un « second Pessa’h » est institué en réponse à la demande d’un groupe de Juifs qui n’avaient pu apporter le sacrifice Pascal.

D.ieu indique à Moché l’itinéraire dans le désert et le peuple part du mont Sinaï où il avait campé presqu’une année.

Le Peuple réclame à Moché de la viande.

Moché demande aux 70 Anciens de l’assister dans la difficile gouvernance du peuple.

Miryam parle en termes critiques de son frère Moché. Elle est punie par une maladie de la peau. Moché prie pour sa guérison et la communauté entière attend sept jours jusqu’à ce qu’elle guérisse.

Beaalote’ha commence par le commandement que D.ieu adresse à Aharon, le Grand Prêtre, d’allumer la Menorah, le Candélabre, qui se trouvait dans le Tabernacle du désert. Il fut dit à Aharon que les sept branches de la Menorah devraient être allumées jusqu’à ce qu’elles brillent par elles-mêmes. La Torah poursuit par les mots : « et Aharon fit ce qui lui avait été demandé ».

Les commentateurs expliquent que ces derniers mots indiquent qu’Aharon fut félicité pour avoir accompli l’injonction exactement comme elle lui avait été adressée, sans rien y changer.

Cela paraît difficile à comprendre. Comment Aharon, le grand et saint Prêtre, aurait-il pu faire autre chose que ce qui lui avait été ordonné ? D’habitude, lorsque la Torah évoque un commandement adressé à Moché ou à Aharon, elle ne précise pas par la suite qu’ils l’ont accompli parfaitement. S’ils y ont été enjoints, nous supposons qu’ils s’en sont acquittés correctement.

La déclaration que l’on rencontre ici semble donc superflue.

La ‘Hassidout explique que ce commandement possède également un sens spirituel plus profond.

Comprendre sa signification nous permettra de saisir pourquoi Aharon fut loué de l’avoir accompli, sans l’altérer.

La Menorah représente toutes les âmes juives dont il existe sept types. C’est pourquoi la Menorah a sept branches, chacune représentant un type d’âme différent.

Mais d’une façon plus générale, il existe deux grandes catégories d’âmes. L’âme de la catégorie supérieure ressent une attirance naturelle pour le Divin. Quand bien même elle incorpore, sur terre, un corps physique, elle n’en reste pas moins attachée à la Divinité, elle est toujours attirée par des aspirations spirituelles dans lesquelles elle trouve son plaisir et qui constituent sa quête.

La catégorie inférieure des âmes n’est pas si bien lotie. Sa perception de la spiritualité ne survient qu’après un labeur important, après qu’elle se soit plongée profondément dans les concepts spirituels, qu’elle a peiné, étudié, prié, pour parvenir à une certaine sensibilité spirituelle. Avant cela, elle est seulement attirée par la matérialité du monde physique à laquelle elle ne peut s’arracher.

C’est de ce second type d’âmes dont Aharon était chargé, pour les élever et leur révéler la beauté de la spiritualité du monde. Il avait une telle sainteté que lui seul avait la possibilité d’y parvenir et de les y attirer.

Cependant, il avait le choix entre deux approches différentes.

Pour les comprendre, nous pouvons réfléchir à l’enseignement d’un maître à son élève.

Il peut lui enseigner un nouveau concept que l’élève découvre alors.

La seconde démarche l’affecte plus profondément. Non seulement le maître lui apporte un nouvel élément de connaissance mais il lui enseigne également comment étudier et comment développer des concepts par lui-même. L’élève devient alors à la fois un réceptacle de savoir et également une nouvelle source de savoir.

Aharon avait deux moyens de développer la sensibilité spirituelle dans ces âmes.

D’une part, il pouvait leur donner une révélation extraordinaire d’En Haut, leur révéler une spiritualité prodigieuse à laquelle elles deviendraient sensibles.

Mais il pouvait également adopter une approche différente où il ne la leur donnerait pas mais les guiderait pour qu’elles parviennent par elles-mêmes à cette appréciation et cette attirance pour le Divin.

Et c’est cette seconde démarche qui fut commandée à Aharon. Comme l’exprime la Torah et le commente Rachi : les lumières de la Menorah devaient être allumées jusqu’à ce qu’elles brillent par elles-mêmes.

Et là est la raison des louanges adressées à Aharon : il ne changea pas le commandement. Vu son immense sainteté, il aurait pu élever les âmes lui-même, mais il suivit la prescription à la lettre et travailla sur les âmes jusqu’à ce qu’elles changent par elles-mêmes et parviennent de façon autonome à la perception de la spiritualité, de la Divinité.

Aharon méritait ces louanges non seulement pour ce qu’il accomplit mais aussi pour la manière dont il le fit.

Le Coin de la Halacha

Qu’est-ce que l’éducation juive ?

Certains parents s’efforcent d’acheter pour leurs enfants de beaux vêtements afin qu’ils n’aient pas honte devant leurs camarades. Mais cette satisfaction ne dure qu’un jour ou une semaine ou une année. Par contre, l’éducation juive est une obligation dont l’influence s’étend sur toute la vie.

Le père a l’obligation d’enseigner lui-même la Torah à son fils dès que celui-ci commence à parler. S’il ne le peut pas, il a l’obligation de payer quelqu’un pour le faire à sa place. La communauté peut l’obliger à payer un professeur et, si vraiment il n’en a pas les moyens, la communauté doit fournir à l’enfant l’éducation juive adéquate.

On veillera à ce que le professeur soit un exemple vivant de ce qu’il enseigne.

A partir de l’âge de trois ans, on peut enseigner à l’enfant les lettres hébraïques puis, progressivement, on lui enseignera le ‘Houmach, la Michna, la Guemara et les lois.

De même qu’on doit s’occuper de l’éducation de ses enfants, de même on doit s’occuper de celle de ses petits-enfants.

Les filles et femmes ont l’obligation d’apprendre au moins les lois qui les concernent plus particulièrement (Cacherout, Chabbat, pureté familiale) ainsi que toutes les lois « négatives » (« Ne fais pas… ») et les lois qui ne dépendent pas du temps comme croire en D.ieu, L’aimer et Le craindre. De nos jours, les femmes et filles ont accès à de nombreuses connaissances générales et il est donc normal qu’elles aient aussi accès à de solides connaissances juives.

Pour cela, il est nécessaire de leur enseigner ce qui peut renforcer leur amour du judaïsme comme par exemple les commentaires de la ‘Hassidout.

Les parents ont l’obligation de se dévouer pour l’éducation juive de leurs enfants, même si cela implique des sacrifices financiers. Ils offriront aux enfants des cadeaux en fonction de leur âge pour les encourager à étudier la Torah.

 (d’après Hamivtsaïm Kehil’hatam - Rav Shmuel Bistritzky)

Le Recit de la Semaine

 Le survivant qui ne voulait pas s’asseoir

Mon père est né à Mounkatch en Tchécoslovaquie (actuellement Mukachevo en Ukraine). Il y fréquenta la Yechiva du Rabbi de Mounkatch, Rav ‘Haïm Eléazar Spira, l’auteur du livre Min’hat Eléazar.

En 1944, les Nazis déportèrent les Juifs de la ville dans des ghettos puis à Auschwitz et enfin à Dachau. Ils y endurèrent des souffrances inimaginables et, au bord de la mort par maladie, mon père fut sauvé grâce à l’intercession de son père auprès du responsable de la cuisine, Oscar Heller, qui lui accorda quelques morceaux de nourriture supplémentaires.

Après la guerre, mon père parvint en Australie, le plus loin possible de l’Europe. Il s’y maria et monta une entreprise de textile florissante. Mais, à cause du traumatisme de la Shoah, il ne mettait plus en pratique les Mitsvot. Ce n’est qu’en 1956 qu’il accepta d’entrer dans une synagogue, pour ma Brit Mila (circoncision) : il était fâché avec le bon D.ieu.

Alors que mon père se remettait quelque peu et commençait à reprendre goût à la vie, ma mère décéda à l’âge de 38 ans : mon frère et moi n’étions que des adolescents et ce drame ne fit que renforcer l’amertume de mon père et son ressentiment vis-à-vis de D.ieu.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, j’ai commencé moi à m’intéresser au judaïsme et, après le lycée, je décidai d’aller étudier à la Yechiva Loubavitch de Melbourne. Quand mon père me vit porter la Kippa et les Tsitsit, il ne put le supporter et tenta de me convaincre de quitter la Yechiva. Comme je résistais, il décida de se rendre à New York et d’en parler avec le Rabbi. Je suppose qu’il envisageait d’offrir une belle contribution pour ses institutions et que, reconnaissant, le Rabbi accepterait de m’inciter à quitter la Yechiva.

Il entra donc en Ye’hidout (entrevue privée) auprès du Rabbi en 1975 mais ce n’est que des années plus tard que j’appris ce qui s’était passé. En entrant, mon père refusa de s’asseoir devant le Rabbi qui lui offrait une chaise : « J’ai appris à Mounkatch qu’on ne s’assied pas devant un Rabbi ! ». A cela, le Rabbi répondit : « Si vous ne vous asseyez pas, je ne m’assiérai pas non plus ! ».

Le Rabbi se leva et resta debout derrière son bureau ! A un certain moment, il s’avança et se tint à côté de mon père. Il lui posa de nombreuses questions sur le Rabbi de Mounkatch, sur ce que mon père avait étudié à la Yechiva. Puis il lui posa des questions sur la guerre : les ghettos, les camps... Quand mon père commença à parler de cela, il éclata en sanglots. Le Rabbi posa son bras sur son épaule…

Ils n’avaient pas du tout effleuré la question de mon séjour à la Yechiva.

Quand la conversation cessa, le Rabbi réconforta mon père : « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien ! ».

Mon père ne m’avait jamais raconté tout cela mais le fait est qu’il cessa de tenter de me persuader de quitter la Yechiva. Ce n’est que récemment qu’il a raconté tout cela à mon fils ‘Haïm et, comme j’insistais, à moi aussi. Mon père résuma ainsi cette Ye’hidout si particulière : « Quand j’en suis sorti, je me sentis comme libéré d’un grand poids sur mes épaules ! ».

Bien plus tard, à la fin des années 80, mon frère, mon père et moi-même sommes allés ensemble au 770 Eastern Parkway alors que le Rabbi distribuait du gâteau au miel durant Souccot. Quand le Rabbi aperçut mon père dans la queue, il stoppa la queue et fit signe à mon père (qu’à l’évidence il avait reconnu parmi ces milliers de personnes) d’avancer. Ils se parlèrent durant trois à quatre minutes. Le Rabbi demanda comment il allait et comment la situation avait évolué depuis la dernière fois mais mon père ne nous raconta jamais aucun détail sur cette conversation impromptue.

Cependant, il nous fit part d’une autre surprise qu’il avait expérimentée. Mon père avait connu le regretté Mena’hem Begin bien avant que celui-ci ne devienne le Premier ministre d’Israël : de fait, il était l’un de ses principaux soutiens financiers. Ils se rencontrèrent une fois pour un dîner à Paris – je crois que c’était en 1975 – et mon père lui demanda : « A votre avis, qui est le plus grand dirigeant du peuple juif ? ». Et, sans hésiter une seconde, Begin répondit immédiatement : « Le Rabbi de Loubavitch ! ». Mon père n’en revenait pas et lui demanda la raison de son affirmation. Begin expliqua que le Rabbi avait élevé toute une génération après la Shoah et avait aidé le peuple juif à croire à nouveau en lui-même.

Et cela, mon père qui l’avait lui-même expérimenté pouvait parfaitement le comprendre et y adhérer…

Au début des années 90, mon père fut confronté à de gros problèmes commerciaux. Il avait investi des capitaux considérables dans le textile en Australie mais tout s’écroula avec l’entrée en force de la Chine sur le marché international. Lui et son associé employaient des milliers de personnes dans leurs usines : leur faillite impliquait donc tout un pan de la population. L’émissaire du Rabbi à Sydney, Rav Pin’has Feldman conseilla à mon père et son associé d’écrire au Rabbi. Ils pensaient que le Rabbi leur donnerait quelques conseils commerciaux de bon sens pour leurs affaires mais ce ne fut pas le cas. Le Rabbi leur demandait simplement de faire vérifier leurs Téfilines. Or ni l’un ni l’autre ne mettaient les Téfilines à l’époque. Ils commencèrent donc à les mettre sérieusement chaque jour et, rapidement, leurs affaires reprirent – même s’il leur fallut plusieurs années pour retrouver vraiment leur fortune initiale.

C’est tellement extraordinaire ! Ils s’attendaient à des conseils « pratiques » mais ce fut une aide toute différente qu’ils reçurent. Ceci illustre plus que tout comment le Rabbi désirait que les gens deviennent eux-mêmes les réceptacles qui leur permettraient de recevoir les bénédictions du Ciel.

Meir Moss – Sydney (Australie) - JEM

Traduit par Feiga Lubecki