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Samedi, 13 janvier 2018

  • Vaéra
Editorial

 Par temps de brume

Etrange sensation quand le monde devient gris : couverture de nuages au-dessus et bitume en dessous. Sensation des villes froides. Le citadin finit par croire que son horizon se limite par nature à ce cadre étroit, presque infranchissable. Une sorte de brume emplit les rues, dissimule les chemins de la découverte et parvient à pénétrer en chacun. Les bulletins météorologiques parleront d’épisode rigoureux, de tempête ou de dérèglement climatique, donnant une forme de dynamisme, même négatif, à l’ensemble. Mais la brume continuera de s’installer voire de progresser. Et, bien naturellement, à la brume du dehors vient parfois répondre la brume du dedans, comme une hibernation programmée. Et tout perd peu à peu de sa substance.

Mais, au fil des siècles, les hommes ont appris à réagir à cette brume qui efface l’horizon. Pour la traverser, ils ont appris à faire retentir des sons puissants qui établissent la communication avec l’autre, qui brisent les barrières et rendent libre cours à la vie. Cela s’appelle une corne de brume et elle retentit comme un appel à tout ce qui est précieux en l’humain. Notre existence tout entière n’est-elle pas similaire à cette situation sous bien des aspects ? Lorsque monte la brume et que la lumière semble avoir des difficultés à la transpercer, il nous reste le cri éternel : par la prière et l’étude, tout ressurgit brutalement. Un au-delà du brouillard apparaît, émergeant en notre cœur.

Mais qui, au quotidien, sonnera de cette corne salvatrice ? Qui lui donnera ce pouvoir quasi-mystique de disperser les nappes de brouillard ? C’est en chacun que réside cette puissance. De la même façon que rien n’arrête le long voyage de celui qui veut aller à la rencontre du monde, ainsi rien ne peut s’opposer à l’avancée de celui qui entreprend de vivre avec intensité, de ressentir avec sincérité, de comprendre avec acuité. En d’autres termes, la brume ne gêne que ceux qui en acceptent la présence, le soleil brille pour tous les autres. A chacun de choisir de quel côté il se trouve dans cette image du lien avec D.ieu. Comme toujours, si la liberté n’a pas de prix, c’est parce qu’elle a un but et que celui-ci est entre les mains des hommes.

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle Torah ?

Il nous est enseigné (Vayikra Rabba 13 : 3 paraphrasant Isaïe 51 : 4) qu’au temps de Machia’h « une nouvelle Torah sortira de Moi ». Il est pourtant clair que la Torah, Sagesse de D.ieu, ne changera jamais. Du reste, les textes soulignent : « Cette Torah-là ne sera jamais changée ». Dès lors, que signifie cette « nouvelle Torah » ?

Aujourd’hui, la Torah nous apparaît sous la forme de récits comme ceux de Lavan ou de Bilam. Lorsque le Machia’h viendra, les secrets cachés dans ces récits se dévoileront. Il se révèlera alors comment ce qui semble être de simples histoires parle profondément de D.ieu. C’est ce que signifie les mots « sortira de Moi » : il apparaîtra comment toute la Torah est une manière de dire la Divinité.

(d’après Kéter Chem Tov, sec. 84, 242)

Vivre avec la Paracha

 Vaéra

D.ieu se révèle à Moché et lui promet de faire sortir les Enfants d’Israël d’Egypte, de les délivrer de leur esclavage, de les sauver et d’en faire Son peuple choisi au Mont Sinaï. Il les conduira ensuite vers la terre qu’Il a promise aux Patriarches en héritage éternel.

Moché et Aharon se présentent à de multiples reprises pour demander au Pharaon, au nom de D.ieu : « Laisse partir Mon peuple pour qu’ils Me servent dans le désert ». Pharaon refuse. Le bâton d’Aharon se transforme en serpent puis redevient bâton et avale les bâtons magiques des sorciers égyptiens. D.ieu envoie alors une série de plaies contre les Egyptiens.

Les eaux du Nil se transforment en sang, des armées de grenouilles envahissent la terre, la vermine infecte tous les hommes et les animaux. Des hordes de bêtes sauvages déferlent sur les villes, la peste tue les animaux domestiques, des ulcères douloureux affectent les Egyptiens. Pour la septième plaie, D.ieu combine le feu et la glace qui descendent sur terre en une grêle dévastatrice. Et pourtant « le cœur de Pharaon s’endurcit et il ne libère pas les Enfants d’Israël.

L’un des aspects les plus déconcertants, dans la description que donne la Torah de Moché, est sa difficulté à s’exprimer. Dans notre Paracha, il se décrit lui-même comme Aral Sfatayim, signifiant littéralement : « aux lèvres circoncises » et expliqué par les commentateurs comme impliquant qu’il avait une difficulté d’élocution. Il semble pour le moins curieux que Moché, le chef suprême du Peuple juif, d’une intelligence et d’une sainteté sublimes, trouve difficile de s’exprimer.

Il est évident que ce fait, comme tous les détails que donne la Torah, est significatif et vient nous apporter un enseignement.

La mystique juive explique cette caractéristique de Moché en s’attachant à sa nature spirituelle particulière.

Un peu plus loin, la Torah décrit Moché comme l’homme le plus humble de toute l’humanité et d’autres commentateurs ajoutent qu’il n’était pas seulement humble dans ses relations avec les hommes mais également avec D.ieu Lui-même. Moché avait une si extraordinaire humilité, une annulation de sa personne si totale, ce que l’on appelle Bitoul, en hébreu, qu’il se considérait comme « rien » devant son Créateur. Il avait une telle compréhension de la profondeur de la Divinité qu’il se sentait complètement annulé devant une telle révélation.

C’est d’ailleurs pour cette même raison que D.ieu choisit précisément Moché pour la tâche de transmettre Sa parole. Nous lirons plus tard que D.ieu s’exprimait par la « gorge de Moché ». Cela n’était possible que parce qu’il avait atteint un tel niveau d’humilité qu’aucune motivation personnelle, aucun égo ne venaient interférer avec la Révélation Divine.

Il arrive à chacun de nous de nous trouver parfois dans un contexte où c’est nous qui donnons et à d’autres occasions, où nous recevons.

Parfois nous donnons des ordres, parfois nous en recevons. Parfois nous réceptionnons des informations et parfois nous devons en transmettre aux autres.

Cependant, une chose est sûre, nous ne pouvons transmettre et recevoir au même moment.

Le même concept s’exprime dans la loi juive. Prenons pour exemple un morceau de viande. Il ne peut en même temps absorber quelque chose et donner du jus ou un goût. Ou bien il absorbe ou bien il donne quelque chose.

La même chose se passe au niveau spirituel.

Moché, dans sa grande humilité pouvait atteindre un très haut niveau de sainteté et recevoir une révélation extraordinaire. Mais il était dans une situation où il ne faisait qu’absorber, recevoir de plus en plus de sainteté, de plus en plus de Divinité. Et dans ces circonstances, il trouvait extrêmement difficile de devenir Machpia, « celui qui donne » à autrui.

Certes, à certains moments, il pouvait recevoir ces révélations et les transmettre ensuite, mais il désirait constamment être un réceptacle pour une révélation de plus en plus intense de l’Infini de D.ieu et se rapprocher de plus en plus de D.ieu.

Ce qui se passait au niveau spirituel s’exprimait également physiquement dans la personne de Moché. Il voulait toujours être celui qui écoute et trouvait très difficile pour lui de s’exprimer, c’est-à-dire de transmettre. La bouche étant l’organe par lequel passe cette transmission orale, c’est la raison pour laquelle il disait ne pas pouvoir parler correctement.

A la lumière de cette explication, l’on peut comprendre l’entêtement de Moché, sa réticence à accepter le commandement de D.ieu d’aller voir le Pharaon, pour lui demander la libération des Juifs.

Ne désirait-il pas se rapprocher de D.ieu en obtempérant à Son injonction ?

Mais nous pouvons désormais comprendre sa perspective. Certes, il désirait ardemment se rapprocher de D.ieu. Cependant, le chemin qu’il pensait devoir emprunter pour le faire n’était pas de transmettre la Parole de D.ieu mais de conserver sa proximité et son lien avec D.ieu, en absorbant la Divinité. La transmettre à autrui n’était pas sa manière, à lui, de servir D.ieu. C’est pourquoi il s’écria qu’il avait « les lèvres circoncises » ! Il trouvait difficile de parler aux autres.

Mais finalement, les faits ne lui donnaient pas raison puisqu’il devait aller parler au Pharaon et faire sortir les Juifs d’Egypte.

Cela vient nous enseigner qu’en dépit du fait que nous devons sans cesse aspirer à nous rapprocher de D.ieu et nous impliquer de tout notre être dans Sa connaissance et Sa sainteté, nous ne devons pas pour autant oublier qu’il est nécessaire que nous entretenions des liens étroits avec les autres, que nous partagions ce que nous connaissons. Ainsi, non seulement nous devons rester proches de D.ieu mais nous devons également rapprocher les autres de la Divinité et par là-même, nous lier tous ensemble à notre Source.

Le Coin de la Halacha

 Comment se prépare-t-on au Chabbat ?

« Tu appelleras le Chabbat un délice pour sanctifier D.ieu et L’honorer ».

On honore le Chabbat en portant des vêtements propres. On l’appelle délice grâce à une nourriture plus importante qui plait au corps – chacun selon ses habitudes. A priori, on n’est pas obligé de manger de la viande et de boire du vin : cependant ces aliments sont considérés comme plus importants que les autres et il est donc d’usage d’en consommer.

« Toute l’alimentation et les dépenses de l’homme sont fixées depuis Roch Hachana (le début de l’année juive) – sauf les dépenses pour l’honneur et le plaisir du Chabbat et des fêtes ». D.ieu promet de rembourser l’argent utilisé pour les dépenses du Chabbat ; néanmoins, il est préférable de ne pas s’endetter outre mesure pour autant.

Toute la semaine, on doit réfléchir au Chabbat et le préparer, par exemple en mettant de côté des aliments particuliers qui honoreront le Chabbat.

Ezra institua qu’on fasse la lessive le jeudi afin d’avoir des vêtements propres pour Chabbat. Il est recommandé de se lever plus tôt le vendredi pour les préparatifs du Chabbat. Chacun a la Mitsva de préparer le Chabbat, quelle que soit sa position sociale : les plus grands Sages tenaient par exemple à procéder eux-mêmes aux achats, à aiguiser les couteaux, à ranger la maison, à couper le bois ou à couper les légumes.

Il est recommandé de prendre un bain avant Chabbat, de se couper les ongles et, éventuellement, les cheveux. On revêt des vêtements réservés pour ce jour et, si possible, aussi un autre Talit pour Chabbat. On évite de manger juste avant l’entrée de Chabbat afin de garder l’appétit pour les repas de Chabbat.

 (d’après Chemirat Hachabbat – Rav Chimon Guedassi)

Le Recit de la Semaine

 Redescendre sur terre…

(Le 24 Tévet est le jour de la Hilloula de Rabbi Chnéor Zalman)

Il n’avait pas plu à Lyozna depuis un certain temps. Les fermiers avaient épuisé toutes leurs ressources : argent, temps, énergie… Ils avaient labouré et semé mais, sans pluie, la terre ne donnait aucune récolte ; le sol était parcheminé et craquelé et les larmes des hommes ne suffisaient pas à l’irriguer. Ils avaient prié et jeûné, distribué la charité et encore prié…

Cinq des fermiers les plus âgés – qui étaient aussi des ‘Hassidim de Rabbi Chnéor Zalman – se rendirent chez leur Rabbi pour lui exposer la gravité de la situation.

Mais le Rabbi ne répondait pas. De fait, il ne réagissait même pas : il restait assis comme s’il ignorait leur présence, regardant dans le vague comme pour signifier qu’il ne pouvait remédier à la situation.

Les ‘Hassidim étaient comme paralysés, leurs yeux suppliaient silencieusement le Rabbi d’agir ou, au moins, de leur donner une réponse ou même juste de les regarder.

Au bout de quelques minutes, l’un d’entre eux quitta le bureau à reculons et les autres le suivirent, comprenant qu’il n’y avait rien à attendre. Une fois sortis, ils éclatèrent en sanglots, désespérés.

Mais le jeune Mena’hem Mendel, le petit-fils du Rabbi (qui plus tard deviendrait lui-même Rabbi sous le nom du Tséma’h Tsédek), Rabbi Its’hak de Homil ainsi qu’un 3ème ‘Hassid étudiaient justement dans la salle attenante et s’interrompirent quand ils entendirent ces pleurs.

- Comment se fait-il que vous pleurez alors que vous sortez de chez le Rabbi ? N’importe quel ‘Hassid danse de joie quand il sort d’une entrevue avec le Rabbi !

Mais quand ils entendirent ce qui s’était passé…

Le petit-fils du Rabbi rompit le silence, écrivit quelques lignes sur un papier et appela celui qui avait été choisi pour assister le Rabbi ce jour-là, un homme simple mais dévoué.

- Mon ami ! Nous sommes ici trois ‘Hassidim et nous formons donc un Beth-Din, un tribunal rabbinique. Souviens-toi : tu dois accomplir la mission que nous te confions sous peine d’être puni d’exclusion de la communauté. Transmets au Rabbi ce qui est écrit sur ce papier !

Quand l’homme lut ce qui était écrit, il pâlit, trembla et faillit s’évanouir ! Comme il aurait voulu refuser mais… un ordre d’un Beth-Din… ! Il n’avait pas le choix !

Il entra dans le bureau et, d’un ton saccadé, débita :

- Rabbi ! J’ai été mandaté par un Beth-Din constitué de votre petit-fils, de Rabbi Its’hak de Homil et d’un troisième ‘Hassid pour vous lire ce papier, sinon je serai sévèrement puni…

Il baissait la tête, regardait le papier pour ne pas voir l’expression étonnée du Rabbi, se racla la gorge et commença :

- Si vous ne pouvez pas aider les fermiers qui viennent de sortir de votre bureau, vous êtes un voleur ! Pourquoi ne pas leur accorder ce qui leur est dû ? Et si vous ne les aidez pas parce que vous ne pouvez pas le faire, comment pouvez-vous accepter de diriger des milliers de Juifs qui ont toute confiance en vous ?

En entendant cela, Rabbi Chnéor Zalman plia les bras sur la table et se cacha le visage dans ses mains durant un long moment. Submergé de honte, l’homme aurait tellement voulu sortir lui aussi du bureau mais on lui avait fait si peur…

Soudain un souffle de vent passa à travers la fenêtre et le ciel se couvrit de nuages sombres. Des nuages ! Le Rabbi releva la tête puis se cacha à nouveau le visage. Des fines gouttes de pluie se mirent à tomber. Une troisième fois et la pluie tomba à torrents !

A l’extérieur du bureau, les fermiers s’aperçurent que la pluie se mettait enfin à tomber : émerveillés, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et se mirent à danser.

Rabbi Its’hak de Homil se tourna avec stupéfaction vers le jeune Mena’hem Mendel comme pour lui demander d’où il avait appris ce stratagème. Et comment pouvait-il être si sûr de la réponse ?

- C’est simple, répondit le Tséma’h Tsédek. C’est écrit explicitement dans le Talmud (Taanit 24 b) : « La sécheresse régnait et les fermiers se rendirent chez Rav Pappa pour lui demander de prier. Il déclara un jour de jeûne et tous obéirent. Ce fut une journée difficile au point que Rav Pappa lui-même devint si faible qu’il dût manger un peu de bouillie pour rester conscient et continuer de prier. Mais même ainsi, la pluie ne tomba pas. Arriva alors Rav Na’hman bar Ouchpazti qui proposa d’un ton presque moqueur : Rav Pappa ! Si vous mangiez un autre bol de bouillie, pensez-vous que la pluie tombera ? Le Talmud conclut que Rav Pappa eut honte et la pluie se mit à tomber ».

Je me suis toujours demandé, ajouta le futur Rabbi Tséma’h Tsédek : certainement le Talmud ne voulait pas nous encourager à faire honte à un grand Sage, D.ieu préserve ! Mais maintenant j’ai compris : Rav Pappa était l’homme le plus saint de sa génération. Cependant, il peut arriver qu’un tel Tsaddik devienne si pur et atteigne un degré si élevé qu’il n’a plus de lien avec le monde ici-bas ! Il faut alors le faire redescendre pour ainsi dire afin qu’il accorde sa bénédiction. C’est ce qu’avait fait Rabbi Na’hman au temps du Talmud et c’est ce que j’ai fait pour mon grand-père le Rabbi ! C’est ainsi que j’ai ramené le Rabbi dans ce monde matériel peuplé de gens qui ont tant besoin de lui !

Living with the Rebbe

Traduit par Feiga Lubecki