Yom Kippour dans la synagogue du saint Baal Chem Tov…
Qui peut imaginer la concentration des fidèles, la faveur des ‘Hassidim, l’émotion qui étreint les femmes dans la galerie qui leur est réservée ? Chacun se retire en soi-même, chacun recherche son moi profond, chacun est conscient que le moment est grave, que l’année tout entière dépend sans doute des efforts de chacun pour se débarrasser des pensées, des paroles et des actes négatifs, pour adopter un comportement meilleur avec D.ieu, avec Ses créatures… 
Cette année-là, davantage que les autres années ! La tension est palpable, le moment est grave mais que se passe-t-il ? Rabbi Israël Baal Chem Tov tente à l’évidence d’opérer un retournement de situation «là-haut». La prière de Neïla, la clôture de la journée approche et le Baal Chem Tov prie, pleure, implore, supplie, s’efforce de rappeler au Maître du monde les mérites de Son peuple, les souffrances de Ses «protégés». Mais une accusation plane sur le peuple juif, un décret terrible semble être sur le point d’être adopté et le Baal Chem Tov intercède, exige, promet… Ses pleurs se multiplient et les disciples comprennent : eux aussi réalisent qu’un effort supplémentaire est exigé et c’est maintenant toute la synagogue qui est plongée dans un sérieux désarroi, dans une amertume et une inquiétude difficilement soutenable. Le cœur brisé, les larmes aux yeux, les fidèles observent les disciples du Baal Chem Tov et le Rabbi lui-même, qui pleurent tout en prononçant les prières ancestrales.
Bientôt Yom Kippour s’achèverait, les portes du ciel se refermeraient et il était évident que le Baal Chem Tov n’avait pas obtenu ce qu’il désirait le plus au monde : une bonne et douce année pour tout le peuple juif avec l’annulation du décret. Enveloppé dans son Talit, le Baal Chem Tov pleurait de plus en plus fort, sa douleur était immense, il n’avait pas réussi. La solennité du moment était telle que pas une seule personne dans la synagogue n’avait les yeux secs : hommes et femmes essuyaient leurs larmes, comme si la partie était déjà jouée, comme si plus rien ne pouvait faire évoluer favorablement la situation…
Parmi tous les fidèles plongés dans leurs livres de prières se trouvait un jeune villageois, un berger qui ignorait tout du judaïsme, qui ne comprenait pas ce qu’était Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année. Troublé, il regardait autour de lui, il sentait qu’il fallait faire quelque chose, que tous tentaient par leurs supplications d’obtenir la pitié du Maître du monde… Que pouvait-il ajouter, lui qui ne connaissait rien de la vie juive, lui qui n’était bon qu’à s’occuper des animaux de la ferme ? Ah oui ! Il s’en occupait bien, il vivait parmi ces animaux, les comprenait, veillait sur eux et était sensible à l’intonation de leurs cris, aux variations de leurs pépiements. Silencieux, il observait le visage du ‘Hazane, l’officiant choisi par le Baal Chem Tov et dont la voix n’était plus qu’un long cri d’angoisse…
Le jeune garçon écoutait attentivement. Lui aussi savait crier, lui aussi savait exprimer des sentiments forts. Il avait instinctivement appris à imiter le beuglement des vaches, le hénissement des chevaux, le bêlement des moutons… Mais ce dont il était le plus fier, c’était de son imitation du chant du coq, cette fierté conquérante de l’animal qui accueillait l’aube, qui encourageait l’homme à se lever pour remercier son Créateur.
«Cocorico !» s’exclama le jeune berger d’une voix de stentor. «Cocorico ! D.ieu ! Aie pitié de nous !» 
C’était sa façon toute simple de prier. C’était le cri de son cœur. C’était son cadeau de remerciement à D.ieu, sa façon à lui d’affirmer que toutes les possibilités étaient ouvertes, qu’en un instant D.ieu pouvait «changer d’avis» et accorder à tout le peuple juif une bonne et douce année.
Dans la synagogue, le scandale était indescriptible ; dans la galerie, les femmes étaient horrifiées de cette audace et, en bas, les hommes s’affolaient.
Cependant, en plus de son retentissant Cocorico ! Le jeune garçon avait ajouté : «Oh D.ieu ! Aie pitié de nous !» et ces paroles plus «conventionnelles» démontraient que le jeune homme n’avait pas agi par provocation mais par une volonté sincère. Et tandis que certains fidèles étaient outrés par ce cri et demandaient qu’on le fasse sortir de la synagogue pour cette conduite incorrecte, le jeune berger protestait : «Moi aussi je suis Juif !»
C’est alors qu’on entendit le Baal Chem Tov, puis ses disciples dévoués, terminer la prière de Neïla et, d’une voix enthousiaste prononcer les versets qui proclament l’unité de D.ieu : «Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un !» « Béni soit le Nom de la Gloire de Sa royauté à tout jamais !» et «l’Eternel est le seul D.ieu !» Puis une mélodie joyeuse emporta tous les fidèles qui se mirent spontanément à danser malgré la fatigue, malgré l’angoisse des moments précédents.
Lors du repas qui suivit le jeûne, le Baal Chem Tov expliqua à ses disciples qu’il avait compris qu’une grave accusation planait sur une certaine communauté juive. Il avait eu beau protester, on lui avait répondu que c’était de sa faute, à lui, le Baal Chem Tov !
En effet, c’était lui qui avait encouragé les Juifs à s’installer dans de petites villes, dans des endroits où ils étaient susceptibles d’apprendre les mauvaises manières des paysans alentour : la situation avait atteint un point de non-retour, prétendaient les accusateurs et la balance céleste penchait de leur côté.
Mais soudain un cri vainqueur avait percé les cieux, était parvenu jusqu’au trône du Tout Puissant et le strident «Cocorico !» «Oh D.ieu, aie pitié de nous !» du jeune berger avait causé à D.ieu une telle satisfaction que toutes les accusations avaient disparu et que tout le peuple juif avait été béni d’une bonne et douce année !

Traduit par Feiga Lubecki