C’est toujours une bonne surprise quand quelqu’un vous annonce : «Je veux vous raconter une histoire de votre Rabbi». Donc la voici :

C’est au milieu des années soixante qu’Ezra Berkowitz décida de quitter le quartier de Bedford Stuyvesant, agité par d’importantes tensions raciales ; la plupart de ses clients en firent d’ailleurs de même. Il pensait installer sa boucherie cachère à Long Island quand un de ses amis, Loubavitch, lui suggéra de prendre conseil auprès du Rabbi dont le bureau était situé dix blocks plus loin, au 770 Eastern Parkway. «Pourquoi pas ? Je n’ai rien à perdre !» se dit-il et, quelques jours plus tard, il se retrouva dans le bureau du Rabbi tandis que son ami l’attendait dans le couloir, très tard le soir.

Quand Ezra raconta son projet, le Rabbi sortit d’un tiroir une carte de Westchester et montra un important carrefour à White Plains en suggérant à Ezra d’y installer sa nouvelle boucherie (plutôt qu’à Long Island) car une nouvelle communauté juive s’y développait et avait besoin d’une boucherie cachère.

En sortant du bureau du Rabbi, Ezra ne savait que penser. Il expliqua à son ami qu’il était simplement venu demander une bénédiction et non pas un conseil. Il avait prévu de s’installer à Long Island et maintiendrait son projet. Son ami proposa d’aller néanmoins visiter ce carrefour de White Plains, ne serait-ce que par politesse et par respect pour avoir pris du temps du Rabbi.

Tous deux se rendirent donc à White Plains et eurent la joie d’y trouver une belle communauté qui se développait harmonieusement et, de plus, avec un emplacement idéal pour une boucherie. Cependant, quand Ezra entendit que le loyer était de 300 dollars par mois (une jolie somme à l’époque), il abandonna l’idée. Mais son ami ne l’entendait pas ainsi et le supplia d’aller informer le Rabbi des résultats de leur expédition. Il accepta.

Le Rabbi insista : il était très important qu’une boucherie cachère s’ouvre dans ce quartier et le Rabbi était prêt à en payer le loyer pendant les deux premières années ! Ezra qui était un homme d’affaires avisé accepta cette proposition et s’installa à White Plains.

Deux ans plus tard, l’affaire avait prospéré mais avait toujours besoin de l’aide financière du Rabbi. C’est ainsi qu’un beau jour de printemps, Ezra retourna au 770 pour un rendez-vous nocturne afin de solliciter le prolongement de l’aide ; son ami l’attendait à nouveau dans le couloir.

Après avoir entendu l’exposé de la situation, le Rabbi demanda au boucher s’il pouvait savoir quand un de ses clients célébrait la fête de Pessa’h et organisait un Séder chez lui. Ezra répondit que si un client achetait habituellement un seul poulet mais en achetait deux la semaine avant Pessa’h, cela signifiait qu’il célébrait sans doute la fête avec un Séder à la maison. Le Rabbi suggéra alors à Ezra de distribuer une boîte de Matsot Chmourot (rondes, faites à la main, confectionnées avec de la farine spécialement préservée de tout contact avec l’humidité) à ces clients qui respectaient la fête de Pessa’h et prenaient le repas du Séder ; il lui souhaita aussi beaucoup de succès dans son affaire.

Ezra sortit très préoccupé du bureau du Rabbi : non seulement il n’avait pas obtenu une extension de l’aide du Rabbi mais, de plus, le Rabbi l’avait chargé d’un autre poids financièrement très lourd à supporter puisqu’il devrait distribuer gratuitement des paquets de Matsot qu’il devrait se procurer de son propre argent. Excédé, il apostropha son ami : «Qu’est-ce que le Rabbi veut de moi ? Pourquoi m’en veut-il ainsi ?».

Trois semaines plus tard, Ezra reçut un gros colis de Matsot Chmourot faites à la main depuis le 770 Eastern Parkway, sans un mot d’explication. Mais il avait déjà compris comment il devait en disposer.

J’avais rencontré M. Berkowitz en 2002, lors d’une Bar Mitsva à White Plains. Après m’avoir raconté son histoire, il me regarda droit dans les yeux et ajouta :

- Rabbi Teldon ! La nouvelle que je distribuai ce cadeau de Matsot Chmourot à toute personne qui, apparemment, préparait le Séder, se répandit rapidement dans la ville ; si bien qu’après Pessa’h, mon affaire avait non pas doublé de taille, non pas triplé mais plus que quadruplé ! L’année suivante, je vendis 100 pounds de Matsot Chmourot et, quand je revendis mon affaire pour prendre ma retraite l’année dernière, je vendais 1000 pounds de Matsot chaque année ! C’est cela, la force de votre Rabbi !

Non, M. Berkowitz ! Ce n’est pas mon Rabbi ! C’est notre Rabbi à tous !

Rav Tuvia Teldon – Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki