Commentant le verset : « La terre fournira sa production »(1), nos Sages expliquent, dans le Torat Cohanim : « Non pas comme elle le fait actuellement, mais comme c’était le cas à l’époque d’Adam, le premier homme. Comment sait-on que l’on plantera en terre et qu’elle produira des fruits en un jour ? Parce qu’il est dit : ‘Il fit un souvenir de Ses merveilles’(2). De même, il est dit : ‘Que la terre produise des végétaux’(3). Cela veut dire que les fruits seront produits le jour même de la plantation. ‘Et, l’arbre du champ produira son fruit’, non pas comme elle le fait actuellement, mais comme c’était le cas à l’époque d’Adam, le premier homme. Les fruits seront produits le jour même de la plantation. Comment sait-on que l’arbre lui-même sera comestible ? Parce que le verset dit : ‘arbre fruit’, qui ne peut pas vouloir dire qu’il produit des fruits, puisqu’il est déjà dit : ‘Qui produit des fruits’. Que signifie donc l’expression : ‘arbre fruit’ ? Cela veut dire que, tout comme le fruit est comestible, l’arbre l’est aussi. Comment sait-on que les arbres qui ne produisent pas de fruits en porteront ? Parce qu’il est dit : ‘l’arbre du champ donnera son fruit’. »

A différentes références, nos Sages font l’éloge des grandes merveilles qui se produiront dans le monde futur. Ainsi, dans le traité Ketouvot(4), « Erets Israël produira de beaux fruits... Le blé sera comme un palmier et se dressera jusqu’au sommet des montagnes... Le blé sera comme les deux reins d’un grand bœuf ». Or, décrivant le monde futur, le Rambam dit(5) que : « le monde entier se consacrera uniquement à la connaissance de D.ieu. Les Juifs seront donc de grands Sages, connaissant les éléments cachés et ils percevront le Créateur, selon les capacités de l’homme, ainsi qu’il est dit : ‘Car, la terre s’emplira de Connaissance de D.ieu, comme l’eau recouvre le fond de la mer’(6) ». Il est clair que les Juifs, parvenus à ce stade, ne tiendront plus aucun compte des miracles physiques se produisant sur les fruits de la terre. Selon les termes du Rambam, « tous les plats délicieux seront courants comme de la poussière ». Certes, si : « le bien est abondant », il en résultera que : « les Juifs seront libres de se consacrer à la Torah et à la Sagesse. Ils ne rencontreront aucun obstacle ». Cependant, pourquoi les Sages accordent-ils tant d’importance à ces merveilles matérielles ? Nos Sages posent la même question à propos de la récompense des Mitsvot énoncée dans la Parchat Be’houkotaï : « Si vous marchez dans Mes Décrets, gardez Mes Mitsvot et les faites, Je donnerai vos pluies ». Les récompenses énumérées, par la suite, dans les versets, sont, pour la plupart, matérielles. Pourtant, la perfection de cette récompense sera spirituelle.

Les commentateurs expliquent, selon l’avis du Rambam(7), que : « ces récompenses ne sont pas essentielles et tout ce qui est mentionné dans cette Paracha est uniquement la suppression des obstacles. Cela veut dire que, si tu respectes Mes Mitsvot, J’ôterai tout ce qui te fait obstacle, les guerres, les armées, la famine, la détresse, afin que tu puisses servir D.ieu sans embûche. En revanche, la récompense essentielle du monde futur n’est pas mentionnée ici, afin que l’on serve le Créateur pour Lui-même, non pour obtenir une récompense, ou bien par peur de la punition »(8). Selon d’autres commentateurs, en revanche, c’est bien la rétribution de la Torah et des Mitsvot qui est définie par la Parchat Be’houkotaï et celle-ci est donc essentiellement matérielle. Car, pourquoi la Torah décrit-elle longuement la récompense de l’étude de la Torah et de la pratique des Mitsvot, alors qu’il est dit : « Ne soyez pas comme les serviteurs qui servent le maître pour obtenir une récompense. Soyez comme les serviteurs qui servent le maître de façon désintéressée »(9) ? C’est qu’une telle forme du service de D.ieu est très haute et, selon les termes du Rambam, « c’est une très grande qualité, à laquelle tous les Sages n’ont pas accès »(10).

Le début du service de D.ieu est effectivement intéressé et nos Sages constatent que : « un homme doit se consacrer à la Torah et aux Mitsvot, même de manière intéressée »(11). En conséquence, « quand on enseigne aux enfants, aux femmes, aux ignorants, on leur demande de servir D.ieu par crainte et pour recevoir une récompense, jusqu’à ce que leur intellect se développe »(12). La Torah envisage le cas majoritaire et les Juifs, pour la plupart, recherchent une récompense pour la Torah et les Mitsvot qu’ils accomplissent. Celle-ci est donc longuement décrite ici. Et, ce qui est vrai de la récompense s’applique aussi à son contenu. Seules sont précisées les récompenses matérielles, qui attirent la plupart des hommes et les encouragent à mettre en pratique la Torah et les Mitsvot. Et, il en est de même également pour le monde futur. Les Sages font l’éloge des merveilles matérielles parce qu’alors, chacun ne parviendra pas d’emblée au sommet de la spiritualité, au service de D.ieu désintéressé, basé sur l’amour de D.ieu. Il y aura encore des élévations, d’une prouesse vers l’autre. Nul n’atteindra la plénitude de la connaissance et de l’amour de D.ieu dès sa naissance. Des miracles matériels seront donc nécessaires pour encourager la pratique de la Torah et des Mitsvot.

Toutefois, cette explication semble difficile à admettre, car la Parchat Be’houkotaï et les autres textes de la Torah évoquant la récompense des Mitsvot s’appliquent à tous les Juifs, y compris à ceux qui ont une haute stature morale. Or, il est inconcevable que ces textes ne les concernent pas. Même si la Torah envisage le cas majoritaire, elle s’adresse à tous et la minorité doit aussi en tirer un enseignement. En outre, commentant le verset : « Si vous marchez dans Mes Décrets... », nos Sages, cités par le commentaire de Rachi, disent(13) : « en faisant des efforts dans la Torah », en l’étudiant dans le but de la garder et de la mettre en pratique. Il est donc bien fait allusion ici à une pratique qui n’est pas courante, à un effort accru, à une pratique plus intensive.

Par ailleurs, Be’houkotaï, Mes Décrets, est de la même étymologie que ‘Hakika, gravure. Cela veut dire que l’effort ne suffit pas, que la Torah et les Mitsvot doivent être gravées en le cœur de l’homme, au profond de son être, comme les lettres gravées, qui sont partie intégrante de la pierre, à la différence des lettres écrites, qui se surajoutent au parchemin. Un homme doit faire corps avec la Torah qu’il étudie et mettre en pratique les Mitsvot de toutes ses forces. C’est donc un niveau élevé du service de D.ieu qui est décrit ici et il est clair que les promesses matérielles n’y ont pas leur place. Pourquoi sont-elles énoncées précisément pour celui qui a atteint une telle perfection ?

L’explication est la suivante. La Torah est : « ta vie et la longueur de tes jours »(14). Elle ne se surajoute pas à l’existence d’un Juif. Elle est sa vie, à proprement parler. De façon générale, on distingue, chez l’homme, la tête, le corps et les pieds. La tête est le siège des forces élevées, l’intellect, la vision, l’audition. Le corps abrite le cœur, siège des sentiments et les pieds permettent de marcher, ce qui est la force la plus basse de l’homme. En revanche, l’essence de la vitalité est la même en tous ces membres à la fois, car elle est la nature profonde de l’homme. C’est pour cela que la Guemara décrit(15) l’effet du plaisir, force de l’esprit la plus haute, sur le talon, ainsi qu’il est dit : « Une bonne nouvelle fait grossir les os »(16). Bien plus, ce qui est profond en l’homme se révèle non seulement en ses forces les plus hautes, mais aussi en son talon, tout comme l’homme qui médite à une idée joyeuse s’en pénétrera non seulement en sa pensée et en sa parole, mais aussi en son action, au point de se mettre à danser. Et, il en est de même pour l’amour, la crainte, la peine. Il en résulte que la Torah est la vie de l’homme quand elle exerce son effet, non seulement sur son âme, mais aussi sur son corps et sur tous les domaines matériels qui le concernent.

Si la récompense de la Torah et des Mitsvot n’était que spiritualité, elle ne ferait pas la preuve que celles-ci sont toutes la vie de l’homme. Une récompense morale n’est envisageable que pour un service de D.ieu spirituel. En revanche, quand elle est également matérielle, « Je donnerai vos pluies en leur temps et l’arbre du champ fournira son fruit », elle établit que la Torah et les Mitsvot ne se surajoutent pas à l’existence de l’homme, mais qu’elles sont bien sa nature profonde, qu’elles lui sont donc bénéfiques dans tous les domaines, y compris en ce monde matériel. Il en est ainsi parce que : « la Torah et le Saint béni soit-Il ne font qu’un »(17). D.ieu possède l’Existence véritable, à l’origine de toutes les formes de perfection, dans l’ensemble de la création. De même, la Torah apporte toutes les formes de bien véritable, spirituel et matériel, à tous les êtres. Il en résulte que la récompense matérielle fait la preuve que la Torah est gravée en l’homme, au point de devenir toute son existence.

C’est pour cela que les promesses matérielles figurent aussi dans les versets et les commentaires de nos Sages sur le monde futur, comme ceux qui ont été mentionnés au préalable. Elles font la preuve de la perfection atteinte par les Juifs, en leur étude de la Torah et en leur pratique des Mitsvot. A l’heure actuelle, un homme satisfait ses besoins par l’effort, s’impose un âpre travail pour produire des fruits, non seulement à cause de la faute de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui provoqua une chute dans le monde, « la terre est maudite à cause de toi, tu mangeras dans la difficulté... tu consommeras du pain à la sueur de ton front »(18), mais aussi parce que les objets matériels du monde ne sont pas des réceptacles capables d’intégrer les bénédictions divines. Et, celui qui pratique la Torah et les Mitsvot de la manière qui convient n’en reçoit pas immédiatement la bénédiction, car les biens matériels ne sont pas unifiés à leur source spirituelle. Tel sera donc le fait nouveau du monde futur. La plantation permettra d’obtenir un fruit immédiatement, car la matérialité sera alors unifiée à sa source, la Parole de D.ieu.

La gravure sur la pierre et la gravure de part en part permettent de préciser la différence entre la perfection de ce monde et celle du monde futur. Les lettres gravées sur la pierre en sont partie intégrante, mais elles restent comparables aux lettres écrites. Elles peuvent donc voiler la pureté de la pierre. A l’inverse, les lettres gravées de part en part, comme celles des Tables de la Loi, n’ont pas d’existence propre et elles sont radicalement différentes des lettres écrites. Selon la même distinction, ce qui est gravé en l’homme sans être devenu une partie de lui-même peut ne pas pénétrer tous les aspects de sa personne. A l’inverse, quand la Torah et les Mitsvot sont gravées en lui de part en part, deviennent l’essence de sa personne, elles pénètrent toutes ses forces, tout ce qu’il accomplit dans ce monde. Dès lors, il n’y a plus d’interruption entre son action et les fruits qu’elle fait pousser. En pareil cas, la bénédiction du Saint béni soit-Il se révèle immédiatement.

Tout ceci apparaîtra clairement dans le monde futur. Chacun atteindra alors un stade de gravure comparable à celui des Tables de la Loi, ainsi qu’il est écrit : « gravé (’Harout) sur les Tables »(19) et nos Sages disent : « Ne lis pas ‘Harout, gravé, mais ‘Hérout, liberté »(20), « libéré de l’ange de la mort »(21). C’est cette liberté que l’on obtiendra dans le monde futur, lors de la délivrance véritable et complète, par notre juste Machia’h, très bientôt et véritablement de nos jours.

(Discours du Rabbi, Otsar Likouteï Si’hot, tome 2, seconde causerie de la Parchat Be’houkotaï)

(1) Be’houkotaï 26, 4.
(2) Tehilim 114, 4.
(3) Béréchit 1, 11.
(4) A la page 111b.
(5) A la fin de ses Lois des rois.
(6) Ichayahou 11, 9.
(7) Dans ses Lois de la Techouva, chapitre 9, au paragraphe 1 et son commentaire de la Michna, traité San-hédrin, dans l’introduction du chapitre ‘Hélek. (8) Selon les termes du Kéli Yakar, à cette référence.
(9) Traité Avot, chapitre 1, à la Michna 3.
(10) Dans les Lois de la Techouva, chapitre 10, au paragraphe 2.
(11) Traité Pessa’him 50b et références qui sont indiquées. Rambam, Lois de l’étude de la Torah, chapitre 3, au paragraphe 5, Lois de la Techouva, chapitre 10, au paragraphe 5 et commentaire de la Michna, à la même référence. Tour, Choul’han Arou’h, Yoré Déa, chapitre 246, au paragraphe 20. Lois de l’étude de la Torah de l’Admour Hazaken, chapitre 4, au paragraphe 3.
(12) Rambam, Lois de la Techouva, à la même référence. Il en est de même dans le commentaire de la Michna, à la même référence.
(13) Selon le Torat Cohanim sur ce verset.
(14) Devarim 30, 20. Traité Bera’hot 61b. Et, dans la bénédiction: < Un amour éternel » du Chema Israël, il est dit: <Car, elles sont notre vie et la longueur de nos jours ».
(15) Dans le traité Guittin 56b.
(16) Michlé 15, 30.
(17) Zohar, cité par le Tanya, notamment au chapitre 4 et au début du chapitre 23. On verra aussi le Zohar, tome 1, à la page 24a, tome 2, à la page 60a et les Tikouneï Zohar, Tikoun n°6, à la page 21b et Tikoun n°22, à la page 64a.
(18) Béréchit 3, 17 et versets suivants.
(19) Chemot 32, 16.
(20) Traité Avot, chapitre 6, à la Michna 2.
(21) On verra le Midrash Chemot Rabba, chapitre 41, au paragraphe 7, avec les références qui sont indiquées.