Lettre n° 8785

Par la grâce de D.ieu,
jours de Pourim 5724,
Brooklyn, New York,

A l’attention du distingué et agréable ‘Hassid qui craint
D.ieu, élu du peuple et le surpassant, recherchant le bien
de son peuple, ayant des comportements généreux, issu
d’une illustre famille, le Rav Chnéor Zalman(1) Chlita,

Je vous salue et vous bénis,

Comme à l’accoutumée(2), me basant sur la Mitsva et la coutume de la maison d’Israël, je voudrais, par la présente, mettre en pratique le Précepte(3) de l’envoi de mets à son ami et le faire, selon les termes du verset, par un intermédiaire. Pour cette raison et pour d’autres encore, qui seront exposées ci-dessous, je vous adresse ceci, avec la présente lettre, par un émissaire spécifique. Selon les informations dont je dispose, ce qui y est dit est d’actualité. En outre, on évitera ainsi que la présente passe dans toutes les mains. Certes, “ la Torah a pitié de l’argent des Juifs ”(4), mais, en l’occurrence, elle n’interdira pas une telle initiative.

A) Je viens d’avoir connaissance d’un fait qui, s’il se réalise, peut susciter une nouvelle controverse et exacerber les penchants entre ceux que l’on appelle dernièrement “ les religieux ” et le camp opposé. Je dis, à dessein, qu’on les appeler dernièrement ainsi, car une telle dénomination ne peut pas décrire réellement ce qu’elle désigne. En l’occurrence, tous les enfants d’Israël sont des “ croyants, fils de croyants ”(5), sans la moindre exception. Néanmoins, certains, selon la formulation du Rambam(6), “ sont victimes de leur mauvais penchant ” et ils s’imaginent, de ce fait, que l’expression : “ croyants, fils de croyants ” ne s’appliquent pas à eux. Mais, au final, la vérité sera victorieuse, car le verset donne l’assurance que : “ nul ne sera écarté ”.

Il s’agit du fait suivant. D’après ce que j’ai appris, l’Université hébraïque de Jérusalem s’apprête à publier une nouvelle version de la Loi écrite, tenant compte des toutes dernières découvertes et des différents manuscrits, en particulier de celui qui est appelé Alepho Codex, ce qui signifie : “ couronne de la Torah ” ! Bien plus, et c’est ce qui fait l’objet de la présente, ces éditeurs ont eu l’idée de choisir un texte qui ne reprend pas la formulation traditionnelle et sainte, sur la base de laquelle de nombreuses génération de fils et filles d’Israël ont reçu leur éducation, y compris ceux qui, à notre époque, sont victimes de leur mauvais penchant. Ils veulent la remplacer par ce codex. Or, une large part en manque, un tiers me semble-t-il et ils le complèteront donc avec d’autres manuscrits qu’ils considèrent comme fiables. Dans les notes, en bas de page ou en fin de volume, ils indiqueront aussi le texte traditionnel et celui d’autres manuscrits.

On peut comprendre la tempête qui sera déclenchée si l’on dresse une barrière entre les différents groupes de Juifs, y compris pour ce qui concerne la Loi écrite. Nous devons nous suffire des différentes barrières qui ont d’ores et déjà été dressées par des hommes corrompus, dans des domaines divers et variés. Pour l’heure, néanmoins, tous possèdent encore la même version de la Loi écrite, ce qui distinguent les enfants d’Israël de ceux qui se réfèrent à la traduction des septante ou à celle des samaritains. Et, les Juifs qui combattent la Loi écrite, contestent la sortie d’Egypte et le don de la Torah eux-mêmes n’ont pas fait la guerre, jusqu’à maintenant sur le texte de la Torah. Or, désormais, on s’apprête à dresser une barrière également dans ce domaine, ce qu’à D.ieu ne plaise.

Et, le danger est d’autant plus grand que l’on semble se prémunir contre lui en avançant l’argument suivant : ceci est “ exigé par la science pure ”, comme si la version qui nous est rapportée par la tradition n’était basée que sur le texte de Yaakov Ben ‘Haïm ! Or, de nouveaux manuscrits ont été découverts et l’on veut avancer que le Rambam lui-même disposait d’une autre formulation. Et, il y a, avant tout, le codex précédemment cité. En conséquence, les Juifs sachant faire preuve d’abnégation, ces hommes partent en “ guerre de Mitsva ”, pour ainsi dire, sur la pureté de la Loi écrite, pourvu que le texte en soit modifié, en fonction de ce qui vient d’être exposé. D’après ce que l’on m’a dit, les modifications ne sont pas très apparentes. Il s’agit, avant tout, de lettres en plus ou en moins, de signes de ponctuations ou de cantillation. Toutefois, ce n’est pas la quantité de modifications qui est en cause, mais le principe même de dresser une barrière et de semer la discorde.

Mon propos n’est pas, par la présente, d’exclure toute comparaison entre les manuscrits, bien au contraire. Pour autant, il ne faut pas en modifier le texte, qui doit conserver la formulation traditionnelle. De ce fait, les différentes versions sont signalées dans des notes ou dans une introduction et, bien plus, plus on les détaille et mieux c’est, à condition de ne pas faire passer sa propre théorie pour la conclusion finale adoptée pat le plus grand nombre ou bien pour une évidence, mais en s’efforçant de citer l’auteur de tous les propos. De cette façon, on ne contrevient pas à l’honneur dû à la science, on le fait de façon agréable et pacifique. Ainsi, la ligue que l’on sait se verra contrainte de mener le combat contre les “ croyants, fils de croyants ” dans un autre domaine.

Selon l’usage des “ hommes de science ”, à notre époque, une telle discussion ne peut être abordée qu’après avoir cité des preuves, avoir affirmé que tel professeur est bien de cet avis. Cela n’est pas mon domaine, mais il me semble bien que l’allemand Kittel(7), dans ses premières éditions de la Bible, n’a pas eu l’effronterie d’en changer le texte. Toutes ses notes ont été présentées en bas de page. C’est seulement après la seconde guerre mondiale et l’extermination qui en a découlé que l’on a publié une nouvelle édition, la troisième, dont le texte est basé sur un manuscrit de Leningrad, sous la direction de son associé, P. Kahle(8). Depuis lors, plusieurs non Juifs l’ont imité, mais cela ne veut pas dire qu’il faille en faire autant dans la ville sainte de Jérusalem !

Selon les informations dont je dispose, le chef de ce projet est le professeur Gochen – Gotstein. Je ne sais pas quelle relation il entretient avec la religion, l’amour du prochain, la paix entre les enfants d’Israël ou bien si son propos est la défense farouche de la science. En tout état de cause, il est préférable de prendre les devants, face à cet événement malencontreux, d’une manière discrète et au plus vite. Comme je le disais, c’est pour cette raison que la présente vous est adressée par un émissaire spécifique. Je m’en remets donc à votre entendement afin de déterminer si vous devez personnellement prendre les choses en main et de quelle façon. Puisse D.ieu faire que vous connaissiez le succès, en la matière. J’attends de vos bonnes nouvelles. Je souligne encore une fois que tout ce qui vient d’être dit serait valable également si ce codex était complet. Combien plus est-ce le cas alors qu’un tiers en manque et qu’il faudra, de toute façon, le compléter avec d’autres manuscrits.

B) Pour passer d’un sujet à l’autre, j’évoquerai également les jours de Pourim. Le décret fut annulé(9) parce que Morde’haï le Juif réunit des milliers d’enfants étudiant la Torah et qu’il leur enseigna la Torah de D.ieu. Ils lui dirent alors : “ Nous sommes avec toi pour la vie ou…(10) ”. En conséquence, j’aborderai encore une fois le douloureux problème des missionnaires, pour faire suite à notre conversation téléphonique. En effet, j’ai appris qu’il a été décidé de leur imposer également la loi de la scolarisation obligatoire et de l’inscription obligatoire, ce qui devrait limiter leur action. Ce projet a été confié à une commission spécifique qui devra évaluer la situation et rendre un rapport.

Il est bien évident que je ne peux pas exprimer clairement ma position sur ce sujet. Néanmoins, elle est la suivante. Il n’est pas d’autre moyen de venir à bout de cette plaie, liée à l’idolâtrie et à tout ce qui la concerne, que de la faire disparaître. Quels que soient les palliatifs à caractère provisoire, il reste nécessaire d’avoir recours au seul moyen de guérir cette plaie, de faire en sorte que l’opinion publique ne soit pas abusée, en lui faisant croire que l’application de la loi sur la scolarisation obligatoire apportera une solution à ce problème, qu’elle n’oublie pas cette question et qu’elle ne soit pas anesthésiée. Une telle décision semble évidente, mais celui qui agit mal, détourne les autres du droit chemin en les conduisant vers l’idolâtrie, ne doit pas s’en trouver récompensé. Comme vous l’avez dit vous-même lors de notre conversation, une loi, tant qu’elle est en vigueur, s’impose à tous. Or, ce sont précisément ces hommes détournant les autres qui en ont été dispensés. Il ne s’agit donc pas d’une décision nouvelle, mais, plus exactement, de l’application d’une loi ancienne. On n’a donc pas même commencé à résoudre le problème des missionnaires.

On se demande s’il est possible de résoudre le problème des missionnaires, à notre époque, qui est celle de la démocratie, car que diront les nations ? Or, dans plusieurs pays, une telle loi existe depuis de nombreuses années déjà. C’est le cas en Autriche, en Norvège et dans d’autres états encore, sans que personne n’y trouve à redire, sans y voir la moindre contrainte ou ce qui heurterait la liberté des consciences.

Selon les informations dont je dispose, les difficultés auxquelles on est confronté proviennent essentiellement de la France, pays duquel est issue la mission la plus forte, en Terre Sainte. Autre point, qui est essentiel, des relations particulières existent avec la France et ce pays exige donc de traitements de faveur fréquents. D’après ce que l’on dit, le premier à protester, comme un cosaque volé, a été l’ambassadeur de France, qui s’appuie, semble-t-il, sur ces relations privilégiés. J’ai entendu également que cet ambassadeur est lui-même un homme très pieux. Il se sert donc de ces relations dans un domaine qui lui tient à cœur. Certains pensent qu’il y a, en la matière, un accord secret accordant certains privilèges à la France. C’est pour cela qu’on leur a autorisé l’élevage des porcs, même si la raison officielle est leur consommation personnelle. En réalité, il s’agit, comme je l’ai dit, de ne pas réduire les droits des français.

De tous les points de vue, cet argument et cette requête sont donc bien justifiés : pourquoi les privilèges de la France en Terre Sainte auraient-ils pour effet de conduire les fils et filles d’Israël à abjurer ? De tels “ privilèges ” sont-ils concevables ? Et, de quel droit se plaignent-ils ? La diffusion du christianisme n’est pas l’objectif national de la France, mais plutôt celui du Vatican ! Et, sans doute y a-t-il d’autres explications diplomatiques qui peuvent influencer les français. Avec ma considération, mes respects et ma bénédiction,

M. Schneerson,

Notes

(1) C. Z. Chazar, président d’Erets Israël. Voir, à son sujet, la lettre n°8682.
(2) Voir le Likouteï Si’hot, tome 23, à la page 342 et tome 24, à la page 428.
(3) Du jour de Pourim.
(4) Selon le traité Roch Hachana 27a.
(5) Selon le traité Chabbat 97a.
(6) Dans ses lois du divorce, à la fin du second chapitre.
(7) Voir, à ce sujet, la lettre n°7558.
(8) En anglais dans le texte.
(9) Selon le Midrash Esther Rabba, chapitre 9, aux paragraphes 3 et 4.
(10) Pour le contraire de celle-ci.