Par la grâce de D.ieu,
10 Elloul 5716,
Brooklyn,
Au jeune homme, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
Naftali Ha Cohen(1),
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 5 Elloul et à celle qui la précédait, dans lesquelles vous me faites part de ce que l’on vous demande(2). Vous étudiez actuellement le Tanya dans un endroit proche et l’on attend de vous que vous vous rendiez en un lieu beaucoup plus éloigné. Il semble que les raisons en soient les suivantes :
A) Le cours ayant lieu à proximité s’en trouvera affaibli et, a fortiori, il ne se développera plus.
B) Pendant le troisième repas du Chabbat, vous ne participerez plus, comme vous le faites actuellement, à la réunion au cours de laquelle est récité un discours ‘hassidique. A la place de cela, vous suivrez un cours d’Ethique.
Vous avez fait valoir que nombre de vos amis ne prennent pas part à ce cours d’Ethique et l’on vous a répondu que ceux-ci n’assistent pas non plus à la réunion ‘hassidique, pendant laquelle on prononce des paroles de Torah, alors que vous-même y êtes présent.
Vous me demandez de quelle manière vous devez réagir, par rapport à ces exigences.
Je suis surpris par une telle question. Je sais, en effet, que vous étudiez profondément la Guemara et ses commentaires, depuis quelques temps déjà. Or, même une étude superficielle de celle-ci permet de déterminer la manière de considérer de telles demandes. Cette déduction sera faite par ordre croissant de complexité :
A) Même si l’on considère toutes ces modifications comme un simple changement de coutume, conservant un contenu identique pour tout ce qui concerne la Torah et les Mitsvot, vous connaissez la Hala’ha relative aux lacets(3). En effet, lorsque l’objectif, la volonté profonde est la recherche de la faute, la transgression d’un certain aspect de la Torah et des Mitsvot, on applique à ce décret toutes les caractéristiques de la pratique que l’on cherche à supprimer.
Il en est de même, en l’occurrence. D’après ce que vous écrivez, il est clair que le but de ces deux modifications est d’affaiblir votre étude d’une partie de la Torah, de vous en éloigner. Or, la Torah est intègre et toutes ses parties furent données sur le mont Sinaï. Il faut donc considérer cette exigence comme une demande qui vous est faite de réduire votre étude de la Torah ou une partie de celle-ci et d’influencer les autres pour qu’ils en fassent de même.
B) Un autre point s’ajoute à cela. Si ce changement aboutit à une situation plus mauvaise que la précédente, il est clair qu’il est d’autant plus grave. En effet, on fait l’acquisition de la Torah, en particulier, en s’attachant à des compagnons d’étude et en discutant avec les élèves. Il faut donc appliquer, en la matière, l’enseignement de nos Sages selon lequel “ un homme doit étudier le texte qui l’attire ”.
Il en est de même pour vos compagnons dans cette étude et ceux avec lesquels vous la discutez. La réussite et la manifestation de la bénédiction ne sont pas identiques pour tous. Jusqu’à maintenant, vous avez étudié la Torah avec un ami et vous avez connu le succès. Il n’est pas certain, si vous le faites avec un autre ami, que vous recevrez la même bénédiction.
La manière de considérer une telle exigence peut aussi être déterminée, par un raisonnement a fortiori, établi à partir de l’affirmation du Choul’han Arou’h, Yoré Déa, chapitre 240, paragraphe 25, selon laquelle la révélation de la bénédiction, même au bénéfice du doute, écarte l’injonction et le risque…(4). Vous consulterez ce texte.
Il en est de même, à l’autre extrême, pour ce qui concerne le fait d’adopter, à un certain moment, une étude en divergence avec votre comportement actuel. Tous les moments ne sont pas identiques, du point de vue de l’étude qui peut y être menée. Vous avez connu la réussite, pour une certaine étude, à un certain moment. Là encore, il est à peu près certain qu’un changement ne pourrait avoir qu’une issue négative. C’est bien évident.
C) Pour ce qui est de la seconde exigence, celle de remplacer, pendant le troisième repas du Chabbat, l’étude de l’enseignement profond de la Torah par un cours d’Ethique, vous connaissez l’enseignement du Ari Zal, qui a été accepté par tous les milieux du peuple juif, ‘Hassidim ou non. Selon les termes de son disciple, Rabbi ‘Haïm Vital(5) :
“ L’Eternel D.ieu nous a éclairés et nous a envoyés un homme saint, venu du ciel, le grand et divin Rav, le ‘Hassid, mon maître, Rav Its’hak Lourya Ashkénazi, dont le mérite nous protégera. Celui-ci est empli de Torah comme une grenade de graines. Il connaît la Loi Ecrite, la Michna, le Talmud, le commentaire, les Midrachim et les récits de nos Sages ”.
Dans un autre texte, le Taameï Ha Mitsvot, à la Parchat Vaét’hanan, Rabbi ‘Haïm Vital dit encore : “ Mon maître, dont le mérite nous protégera, avait une intelligence si profonde, qu’il pouvait envisager la Hala’ha de six manières différentes ”.
Or, le Ari Zal dit lui-même que le Chabbat est particulièrement propice pour l’étude de l’enseignement profond de la Torah. A fortiori ne convient-il pas d’annuler la pratique positive, déjà adoptée, consistant à se consacrer à cette étude pendant le saint Chabbat.
Note : Je suis surpris et étonné par ce que vous dites, de l’usage de fixer un cours d’Ethique précisément pendant le troisième repas du Chabbat.
En effet, s’agissant de la journée du Chabbat, en général, le verset dit clairement : “ Tu appelleras le Chabbat plaisir ”. La Hala’ha retient ce principe et y interdit toute peine, y compris celle qui aura pour effet certain de mettre en pratique une Mitsva, comme le rappellent les commentateurs du Choul’han Arou’h, Ora’h ‘Haïm, chapitre 287.
En outre, le saint Zohar explique par le détail(6), précisément à propos de l’après-midi du Chabbat, que ce moment est particulièrement propice, là-haut. C’est alors que l’on dit, durant la prière de Min’ha, dans toutes les communautés juives, “ Voici ma prière, adressée à Toi, Eternel, en un moment propice ”.
Comment se présenter devant notre Père et notre Roi, précisément à ce moment, avec un cours d’Ethique qui, de façon générale, est basé sur le thème : “ Ecarte-toi du mal ” et décrit précisément les défauts des hommes ? Le Ari Zal souligne qu’il ne faut pas mettre en éveil l’Attribut de rigueur céleste, pendant le troisième repas du Chabbat. Un tel usage dépasse même la lecture du Ta’hanoun, pendant le Chabbat et les fêtes.
Vous consulterez le Rambam, lois du Chabbat, chapitre 24, paragraphe 7, le Choul’han Arou’h, Ora’h ‘Haïm, début du chapitre 339, le Séfer Ha Mitsvot du Tséma’h Tsédek, à la Mitsva de ne pas allumer du feu(7).
Et, vous connaissez le principe hala’hique selon lequel on retient l’avis de la Kabbala, lorsque le Talmud et les Décisionnaires ne le contestent pas.
Tout cela est absolument évident et j’ai donc bon espoir qu’il n’y ait qu’un malentendu, dans cette discussion entre vous-même et ceux qui ont exprimé ces exigences.
Je vous adresse ma bénédiction afin de donner de bonnes nouvelles de tout cela et “ il n’est de bien que la Torah ”, considérée dans son intégralité, c’est-à-dire quand elle est “ bonne pour les cieux et bonne pour les créatures ”. Vous consulterez Iguéret Ha Kodech, de l’Admour Hazaken, au chapitre 26. Et, vous serez inscrit et scellé pour une bonne année.
M. Schneerson,
Vous citez le Michna Beroura, au chapitre 292. Ce texte ne s’applique pas à notre cas, car il envisage le moyen de s’écarter de l’interdiction que sont les discussions inutiles, dans la maison d’étude. Vous consulterez le Choul’han Arou’h, Ora’h ‘Haïm, au début du chapitre 307.
Le Choul’han Arou’h emploie le verbe “ multiplier(8) ”, parce qu’il fait allusion à une interdiction du Chabbat, dont l’équivalent serait permis, pendant la semaine. En effet, il peut y avoir des discussions inutiles et néanmoins permises, par exemple pour celui qui ne sait pas étudier la Torah. C’est le cas, entre autres, de la “ grand-mère ”, qui n’est pas astreinte à l’étude de la Torah, à laquelle font allusion les Tossafot, au traité Chabbat 113b. Pour les autres personnes, en revanche, il est interdit même d’en dire peu et même dans la semaine, comme le souligne le traité Yoma 19b.
Vous consulterez également le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, lois de l’étude de la Torah, chapitre 3, paragraphes 5 et 6, Ora’h ‘Haïm, chapitre 156, paragraphe 16, adoptant une position rigoriste, par rapport à ce que dit le Maguen Avraham, à la même référence.
Mais, vous verrez aussi le Zohar, tome 1, page 32a, le Séfer ‘Hassidim, au chapitre 110, les additifs au Torah Or, à la fin de la Parchat Ki Tissa, la lettre du Gaon de Vilna à sa famille, quand il se rendit en Terre Sainte, le Arou’h Ha Choul’han, début du chapitre 307. En tout état de cause, ce point ne sera pas développé ici.
Bien plus, lors de la prière de Min’ha du Chabbat, il y a, de façon générale, dix personnes qui sont réunies et vous verrez, à ce propos, Iguéret Ha Kodech, au chapitre 23.
Le Beth Yossef et le Baït ‘Hadach, sur le Tour, chapitre 290 disent que l’on instaure, le Chabbat, une étude portant sur les récits de la Torah, qui insufflent la crainte de D.ieu, écartent de la faute et guident vers la Techouva. Il est bien clair qu’il ne doit pas s’agir de propos faisant souffrir et rappelant les fautes. Bien au contraire, il est ici question de récits de la Torah et le Sifri, Ekev, 11, 22 souligne qu’une telle étude permet de “ connaître le Saint béni soit-Il ”.
Le Rambam, dans ses lois des fondements de la Torah, au début du chapitre 2, fait allusion à tout cela, en ces termes : “ Comment parvenir à L’aimer et à Le craindre ? En méditant, en observant Sa Sagesse qui est sans aucune commune mesure, en éprouvant une profonde envie de connaître Son grand Nom, ainsi qu’il est dit : Je verrai Ton ciel, que Tu as fait de Tes doigts ”.
Or, tous savent quelle est l’étude montrant “ Sa Sagesse qui est sans aucune commune mesure ” et ce “ que Tu as fait de Tes doigts ”. Vous consulterez le Chneï Lou’hot Ha Berit, porte des lettres, début de la lettre Kouf. S’agissant de “ Son grand Nom ”, vous verrez le Radal sur les Pirkeï de Rabbi Eliézer, chapitre 3, paragraphe 10. Vous verrez également, dans le Séfer Ha Si’hot de mon beau-père, le Rabbi, sa causerie du Chabbat ‘Hol Ha Moéd Pessa’h 5700(9).
Notes
(1) Le Rav N. Roth de Jérusalem. Voir, à son sujet, la lettre n°4368.
(2) La demande émane vraisemblablement de la direction d’une Yechiva ou d’un organisme communautaire, étranger à la ‘Hassidout.
(3) S’appliquant lorsque les non Juifs portent des lacets rouges et les Juifs, des lacets noirs. Si les non Juifs émettent un décret faisant obligation de porter des lacets rouges, dans le but de les persécuter, ceux-ci sont tenus de faire don de leur vie plutôt que de s’y conformer.
(4) D’un mauvais usage de cette étude.
(5) Le Rabbi note, en bas de page : “ Dans son introduction à la ‘Porte des Introductions’, également imprimée dans le Ets ‘Haïm, édition de Varsovie, 5651 ”.
(6) Le Rabbi note, en bas de page : “ Zohar, tome 2, page 156a. Vous consulterez également le Mikdach Méle’h. Zohar, tome 3, page 129a. Vous verrez les responsa du Rachba, citées par le Birkeï Yossef et le Ma’hzik Bera’ha, Ora’h ‘Haïm, chapitre 292.
(7) Pendant le Chabbat.
(8) Les paroles inutiles.
(9) 1940.