Par la grâce de D.ieu,
14 Mena’hem Av 5716,
Brooklyn,
Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
a de multiples connaissances, le Rav Moché(1),
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 10 Mena’hem(2), dans laquelle vous faites référence à la question des bateaux(3), pour faire suite à mon courrier. Il semble que je n’ai pas suffisamment expliqué, dans ma lettre, la situation telle qu’elle est réellement. Je le décrirai donc ici.
Comme vous le savez sans doute, les propriétaires de ces bateaux, malheureusement, accepteront une décision hala’hique uniquement dans la mesure où ils y trouvent leur compte ou, plus exactement, s’ils constatent qu’en ne l’appliquant pas, ils subiront une perte financière, autrement si le nombre des voyageurs et des envois de marchandises diminuent.
En conséquence, quiconque emprunte ces bateaux diminue les chances de voir ces propriétaires se conformer à la décision de la Torah. En effet, il est clair qu’un tel voyage est interdit, même s’il commence le dimanche, comme vous le dites vous-même dans votre lettre(4). La permission qui serait accordée de voyager à bord d’un tel bateau, même si l’on pouvait imaginer qu’elle soit absolument incontestable, ôterait le moyen de remédier à la transgression publique du Chabbat et aux travaux interdits par la Torah, qui sont effectués par les propriétaires de ces bateaux.
En l’occurrence, chacun doit donc faire ce qui est en son pouvoir pour empêcher cette situation, non seulement parce que tous les Juifs endossent une responsabilité collective, mais aussi parce qu’aux yeux des nations et d’une large part de notre peuple, les enfants d’Israël, ces bateaux sont représentatifs de l’ensemble du peuple juif et ils sont considérés comme sa propriété, comme s’ils étaient son bien propre.
A ce propos, je ne peux m’empêcher d’exprimer ma surprise et surtout ma grande peine, face au silence de l’organisation rabbinique(5), à ce sujet. Cette institution sait sûrement que les pressions exercées pour maintenir la religiosité en Erets Israël émanent de l’opinion publique aux Etats-Unis. Si elle ne succombait pas à une crainte inutile et si elle exprimait clairement son avis sur la propriété de ces bateaux, de même que sur les autres problèmes qui, là-bas, concernent le Judaïsme, il est clair que la situation serait radicalement différente de ce qu’elle est, à l’heure actuelle.
L’argument futile selon lequel il y a, là-bas, un “ maître des lieux ”(6) ne correspond, bien entendu, nullement à la réalité. On sait, en effet, que la guerre défensive menée par les Rabbanim de Terre Sainte pour la religion dépend largement de l’aide qu’ils reçoivent des Etats-Unis, car c’est d’ici que viennent les fonds(7), qui sont la clé de tous les problèmes.
Ce qui suit n’est pas directement lié à notre propos, mais je l’ai expliqué dans mes longues lettres et j’ajouterai donc un point, en relation avec votre conception selon laquelle un homme a le droit d’entreprendre un tel voyage dans les trois jours qui précèdent le Chabbat, même s’il lui faudra, de la sorte, transgresser ce jour. En effet, plusieurs, parmi les premiers Décisionnaires, traitent de cette question et vous appliquez leur avis à ce qui fait l’objet de notre propos.
A mon humble point de vue, leur avis ne s’applique pas, en la matière, car une telle permission s’entend uniquement si une certaine raison rend nécessaire ce voyage, trois jours avant le Chabbat et uniquement de cette façon. En revanche, s’il n’y a aucune justification à cela et si l’on peut voyager d’une autre façon, il est bien évident que l’on est tenu de le faire. En effet, la Guemara dit bien, au traité Mena’hot 41a : “ Justifie le fait que tu t’en dispenses ”(8), affirmation formulée à propos d’une Injonction, qui est une obligation personnelle. Combien plus en est-il ainsi s’il s’agit de transgresser un Interdit, comme le précise le Tséma’h Tsédek dans ses responsa, partie Yoré Déa, début du chapitre 92. Il me semble avoir indiqué la référence de ces responsa sur la copie de ma lettre.
Un autre point concerne également notre propos. Même s’il était obligatoire de voyager de cette façon, le Rav donnant la permission et la permission elle-même ne peuvent s’appliquer qu’au voyage proprement dit. En revanche, le voyageur n’a pas le droit d’utiliser l’eau qui lui est servie à bord, puisque celle-ci est préparée pendant le Chabbat. De façon générale, la préparation de l’eau, pour qu’elle soit douce et puisse être utilisée pour se laver, est quotidienne. Il n’y a pas de place, sur un bateau, pour aménager un réservoir d’eau douce, suffisant pour plusieurs centaines de personnes pendant vingt quatre heures.
La majorité et même la quasi-totalité des voyageurs est juive et l’on ne peut donc émettre aucune permission, en la matière. Bien évidemment, on ne peut pas appliquer ici le principe selon lequel “ la bougie allumée pour une personne en éclaire cent ”. De même, on ne peut pas se servir de l’électricité pendant toutes ces vingt quatre heures, y compris pendant la nuit. Et, il y a de nombreuses autres restrictions encore.
Il faut noter également qu’en l’occurrence, l’interdiction de voyager sur ces bateaux ne résulte pas uniquement du travail qui est accompli de la sorte, mais aussi de la profanation publique du Chabbat qui en résulte, à bord. En l’occurrence, il ne s’agit pas seulement de mettre un instrument(9) en état de repos(10). Ce qui doit être accompli concerne le voyage de plusieurs centaines de passagers. Plus leur nombre est important et plus la profanation du Chabbat est considérable.
En effet, il est bien évident que l’on ne peut comparer une profanation du Chabbat qui est le fait de dix personnes et celle émanant de plusieurs centaines de Juifs, au vu et au su de tous, ce qu’à D.ieu ne plaise. Chaque passager prend donc une part de cette aggravation. Et, ceci commence depuis le début du voyage. En pareil cas, chacun sait que les passagers et les membres de leur famille se trouvent sur un bateau qui transgressera le Chabbat, malgré l’interdiction émise, à ce sujet.
Il est un autre point et, là encore, je suis surpris que l’on n’en ait pas parlé. Il y a, sur le bateau, une cuisine cachère, sous surveillance rabbinique. Cette cuisine, les aliments et les boissons appartiennent aux propriétaires du bateau, comme tout ce qui s’y trouve. Or, ceux-ci transgressent le Chabbat publiquement et l’on peut donc se demander dans quelle mesure on peut leur faire confiance, quant à la Cacherout de ces aliments, ou même s’en remettre au surveillant rituel. Il est clair que ceci s’applique, en particulier, au vin. De plus, il y a le réfrigérateur dans lequel sont conservés les aliments. Celui-ci fonctionne au moyen de machines mises en action par celles du bateau, qui sont en marche pendant le Chabbat. Il y a, en la matière, une transgression d’un Interdit de la Torah, comme c’est le cas pour la distribution de l’eau.
Il est bien clair que le Rav donnant cette autorisation ne peut pas prétendre qu’il a été interrogé uniquement sur le voyage proprement dit, qu’il n’est donc pas tenu de formuler une mise en garde sur tous les points qui viennent d’être évoqués. En effet, c’est, en l’occurrence, le grand public qui est concerné. Pour lui, une permission relative à ce voyage s’appliquera à tous les points qui le constituent, y compris à la nourriture et à la boisson. Il est bien clair que nul ne jeûnera pendant le Chabbat.
On dit que, d’ici deux ou trois semaines, un certain bateau voyagera, qui ne partira pas à la veille du Chabbat. Selon certains, tous les billets sont déjà vendus. En effet, les voyageurs, pour la plupart, désirent passer les jours redoutables, Roch Hachana, les dix jours de Techouva et le jour sacré(11), en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie par notre juste Machia’h. Chaque jour au cours duquel il est possible de faire savoir l’importance d’emprunter de tels bateaux doit donc être pleinement utilisé.
Car, une telle situation est proprement incroyable ! Pour passer Roch Hachana dans le Palais du Roi, Roi des rois, le Saint béni soit-Il, fera-t-on un acte duquel il est dit que celui qui le réalise…(12) ? C’est pourtant ce que disent le Choul’han Arou’h, Yoré Déa, chapitre 2, paragraphe 6, que vous consulterez, le Kountrass A’haron de l’Admour Hazaken, au paragraphe 10, les responsa Tséma’h Tsédek, Yoré Déa, chapitre 1, paragraphe 3, selon la mention inscrite à même le texte.
Beaucoup se basent sur la prétendue permission que vous avez donnée. Plus tôt on rectifiera cette fausse interprétation et plus l’on allègera l’épreuve à laquelle on est confronté pour réparer cette situation. On pourra, par exemple, acquérir un billet d’avion. Je prends donc la liberté de vous proposer que vous diffusiez votre avis tranché, avec la publicité qui convient et au plus vite.
Avec mes respects, ma bénédiction et dans l’attente de vos bonnes nouvelles,
Notes
(1) Le Rav Moché Feinstein.
(2) Av.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°4555.
(4) Voir Iguerot Moché, partie Ora’h ‘Haïm, chapitre 92.
(5) Des Etats-Unis, dont le Rav M. Feinstein était le président.
(6) Le grand rabbinat d’Erets Israël.
(7) Des collectes.
(8) Une telle justification est donc bien nécessaire.
(9) Appartenant à un Juif.
(10) Pendant le Chabbat, ce qui est une obligation.
(11) Yom Kippour.
(12) Est considéré comme s’il abjurait.