Lettre n° 4580

Par la grâce de D.ieu,
Roch ‘Hodech Mena’hem Av 5716,
Brooklyn, New York,

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre télégramme(1). Ma réponse a été retardée parce que ce télégramme n’était pas signé. Une recherche spécifique a donc été nécessaire pour déterminer que vous en étiez l’auteur.

Entre temps, vous avez sûrement reçu ma lettre du 23 Tamouz, qui répond, d’ores et déjà à la question suivante : un bateau peut-il être conduit automatiquement pendant vingt quatre heures, sans transgression du Chabbat ? J’ajouterai, néanmoins quelques points ici.

Dans un bateau, de même que dans un chemin de fer ou dans une usine, il existe trois catégories de machines :
A) celles qui le font fonctionner,
B) celles qui produisent de l’énergie,
C) celles qui relient les différents services, transmettent et reçoivent les instructions, servent à ce qui n’est pas indispensable, mais, néanmoins, nécessaire.

Dans un bateau, la transmission des ordres au conducteur, à la chambre des machines ou à la radio se fait par téléphone ou par écrit. Dans certains cas, quelques instructions sont données par l’allumage d’une lumière électrique. Il en est de même pour l’envoi des télégrammes et leur réception. Pour ce qui concerne notre propos, je fais essentiellement allusion aux télégrammes fixant la trajectoire du bateau et ses détails. De ce point de vue, il est indispensable d’envoyer et de recevoir ces télégrammes afin de diriger et d’orienter le bateau.

En l’absence de tout cela, un bateau moderne ne peut pas fonctionner.

En plus de ces trois catégories de machines, qui sont directement liées à la conduite du bateau, il en est d’autres, servant pour les services rendus aux voyageurs et à l’équipage. Ces services sont très divers, adoucissement de l’eau en la faisant bouillir(2), distribution de cette eau, éclairage, chauffage, purification de l’air, transmission des plats d’un étage à l’autre. De telles machines ne sont pas directement liées à la direction du bateau.

Parmi toutes ces machines, celles qui permettent de conduire, d’émettre et de recevoir des télégrammes, ne peuvent en aucune façon fonctionner automatiquement.

Note : Dans des cas exceptionnels, par exemple quand le bateau va dans une direction unique et précise, sans en changer, on peut le conduire avec une machine automatique et se contenter d’une surveillance. Néanmoins, il ne peut en être ainsi que pour un moment limité. En effet, la direction du bateau est modifiée par le vent. Il faut donc l’orienter en sens inverse, afin d’en faire disparaître l’effet. Mais, avant tout, il est concrètement impossible qu’un bateau ne change pas de direction pendant vingt quatre heures, surtout si l’on tient compte des vents, des vagues de la mer et de l’océan, des informations que l’on reçoit à propos des bateaux que l’on croise en chemin.

Les machines fournissant de l’énergie ne sont pas non plus automatiques, en continu, pendant plusieurs heures. Bien entendu, cela ne peut pas être le cas pendant vingt quatre heures. La fourniture des éléments nécessaires, l’eau, l’essence, le pétrole, ne peut se suffire d’une simple surveillance. Un réglage est nécessaire, de temps à autre. Il faut prendre en compte des paramètres qui évoluent, par exemple la hauteur de l’eau dans la cuve, la variation dans le réservoir d’essence, les modifications de la pression atmosphérique. En fonction de tout cela, il faut ajouter ou enlever du pétrole ou de l’eau dans la cuve. Il faut donc allumer du feu ou l’éteindre.

Il en est de même pour la vidange des matières usagées, par exemple les déchets d’essence et d’eau. Là encore, une action est nécessaire et une simple surveillance ne suffit pas.

On pourrait penser, logiquement, que les machines faisant concrètement avancer le bateau peuvent fonctionner automatiquement, pendant une durée illimitée, mais ce n’est pas le cas. En effet, plusieurs fois, au cours des vingt quatre heures, il faut les régler, les adapter, ce qui rend nécessaire l’intervention de l’homme.

Le point commun à toutes ces machines est le suivant. Chacune doit être enduite d’une huile spéciale afin d’éviter les frottements, du fait de petits orifices existant sur les pièces qui sont en contact, de resserrer les parties ou les boulons. Tout cela n’est que partiellement automatique et uniquement pour les grandes machines. Là encore, plusieurs réglages sont nécessaires, au cours des vingt quatre heures.

Toutes les machines ont, en outre, le point commun suivant. Pour déterminer leur mode de fonctionnement, on a recours à différents instruments de mesure. Pour certains d’entre eux, il est nécessaire d’allumer des lumières. De plus, on inscrit les résultats de ces mesures dans des carnets prévus à cet effet.

Par ailleurs, il est clair que les machines au service de l’équipage et des passagers ne peuvent pas fonctionner automatiquement pendant vingt quatre heures. En effet, des changements doivent être pris en compte, durant cette période. Certains services sont rendus essentiellement durant la nuit et seulement de manière partielle pendant le jour. Parfois, le contraire est vrai.

Si l’on observe la pratique concrète, donner la permission de naviguer à un bateau revient à autoriser également la manière dont il le fait, ce qui inclut toutes les situations précédemment décrites.

En plus de cette discussion sur les machines, et comme je le disais dans ma lettre précédente, il y a aussi l’absence de repos, selon l’interprétation qu’en donnent le Ramban et le ‘Hatam Sofer. Il y a également l’interdiction de faire du bruit. De nos jours, en effet, un bateau est considéré comme une petite ville. Il y a, en outre, une circonstance aggravante, en la matière, puisqu’un voyageur, dans une certaine mesure, n’est pas réellement indépendant, ce qui n’est pas le cas dans une ville. Et, il y a d’autres points encore.

* * *

J’ai fait des recherches et une analyse sur la manière de permettre ces bateaux et, bien entendu, j’ai envisagé la possibilité de faire fonctionner les machines, pendant le Chabbat, par un non Juif. Mais, concrètement, il est impossible que quelques personnes suffisent pour cela. Un bateau conduisant des centaines de personnes doit avoir un équipage important, comprenant des spécialistes expérimentés. A mon sens, il n’y a pas lieu de procéder ainsi, selon la Hala’ha de la Torah, car les propriétaires du bateau sont juifs. La majorité des passagers, ou même leur quasi-totalité, l’est également. Dès lors, à quoi bon permettre de faire effectuer quelques travaux, ou même l’ensemble d’entre eux, ce qui est, de toute façon, impossible, par des non Juifs ?

En la matière, un acte de vente(3) n’a pas de sens non plus, pas même pour régler le problème de la propriété(4). Car, une ruse(5) n’est, de ce point de vue, d’aucune utilité. Elle s’annule d’elle-même, pendant le Chabbat, par chaque pas qui est fait par le capitaine et par l’équipage(6).

A mon humble avis, il n’est pas d’autre solution que d’immobiliser le bateau pendant le Chabbat. De toute façon, il n’y a pas, en permanence, d’autres bateaux sur son chemin. On peut donc faire en sorte que la perte financière découlant d’une telle façon de voyager soit minimale.

Une autre note : D’après la Hala’ha, on peut permettre le voyage si le bateau s’immobilise, même en pleine mer et que l’on éteigne les machines pour toute la durée du Chabbat. Alors, l’eau alimentant les machines et l’essence deviennent inutiles, de même que les mesures. Cependant, les récepteurs des télégrammes devront fonctionner. En outre, dans la pratique, il est clair que l’on n’éteindra pas les machines à l’heure, qu’on ne les rallumera pas plus à l’heure qui convient. De même, il y a les services que l’on doit rendre aux voyageurs et à l’équipage. Même si, dans un premier temps, on se préservera d’une interdiction, ceci ne tiendra pas, à la longue.

La solution est donc d’arrêter le bateau dans l’un des ports, puisqu’il y en a plusieurs sur la trajectoire de ce voyage.

C’est, à mon humble avis, la seule et unique manière d’organiser de tels voyages.

* * *

On vient de m’apporter une copie d’une lettre émanant de la compagnie maritime qui représente la Zim(7) ici, traitant spécifiquement de cette question et faisant réponse à ceux qui veulent donner une permission, en la matière. Celle-ci fait référence aux paquebots Israël et Tsion. Elle dit(8) :

“ Ces bateaux sont dirigés par des turbines modernes, dont le fonctionnement est entièrement automatique. Du reste, les activités de l’équipage, dans la salle du moteur, consistent à surveiller plus qu’à faire fonctionner.

A ce propos, sachez, pour plus ample information, que la vitesse moyenne de ces bateaux est de dix huit nœuds par heure. Le Israël et le Tsion ne peuvent donc pas atteindre un port européen pendant la période donnée de sept jours. ”

J’ai objecté que cette lettre aurait due être signée par un spécialiste, par exemple un capitaine. Je n’ai pas eu de réponse claire, mais, officieusement, on a su que…(9).

En tout état de cause, cette formulation permet d’établir ce qu’il en est réellement. Ecrit sous les pressions, ce texte fait référence uniquement aux machines qui font avancer le bateau et non à celles qui produisent de l’énergie. L’endroit où celles-ci se trouvent s’appelle “ salle du feu ”(10) et non “ salle du moteur ”(11), comme le dit cette lettre(12).

Il n’y est pas question non plus des émetteurs radio, des instruments de mesure, des appareils de transmission des ordres, de machines qui assurent le service des passagers. Tous ces instruments provoquent la transgression d’interdictions de la Torah, comme je l’ai dit auparavant.

Bien plus, il est dit que les machines faisant avancer le bateau sont automatiques, que l’équipage fait de la surveillance plutôt que d’en assurer le fonctionnement. Aucune autre précision n’est donnée. De même, le second paragraphe affirme qu’il est impossible de parvenir dans un port européen en sept jours. Là encore, on devait se préserver de l’erreur et c’est pour cela que l’on a opté pour cette formulation.

Or, cette formulation fait bien la preuve que ce qui est dit ne concerne pas notre propos, car, comme je le disais dans ma précédente lettre, il y a de nombreux îles et ports entre les Etats Unis et l’Europe. Et, un travail répété quelques fois pendant le Chabbat, même s’il ne concerne que quelques machines, est interdit également, d’autant que…(13).

Le télégramme évoque une visite que je ferai à un bateau actuellement ancré ici. Tout d’abord, cela(14) présente plusieurs difficultés et, par rapport à ces questions, tous les bateaux modernes sont identiques(15). De plus, il est clair que les machines ne fonctionnent pas de la même façon au repos, quand le bateau est ancré et pendant le voyage. Or, j’ai déjà vu des machines en fonctionnement. De plus, tout cela est expliqué dans les livres traitant de tout cela et sur la base desquels j’ai rédigé ce qui est dit ci-dessus.

Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) La version revue et corrigée de cette lettre parut en 5718-1958 dans un fascicule particulier et dans le Likouteï Si’hot, tome 6, page 403. Elle est présentée ici, selon cette formule corrigée. Voir également la lettre n°4555. Cette analyse est adressée au grand Rabbin ashkénaze d’Israël, le Rav Its’hak Aïzik Herzog. Voir, à son sujet, la lettre n°4306. Sur le contenu de cette lettre, voir également la lettre n°4555.
(2) Ce qui est bien l’un des travaux interdits pendant le Chabbat.
(3) Du bateau à un non Juif, au même titre qu’on lui vend le ‘Hamets à la veille de Pessa’h.
(4) D’un Juif d’un bien utilisé pendant le Chabbat.
(5) Puisque tous savent que cette vente est fictive.
(6) Faisant la preuve de leur propriété.
(7) La compagnie des bateaux israéliens.
(8) Toute cette citation est en anglais dans le texte.
(9) Aucun spécialiste n’aurait écrit pareille chose.
(10) En anglais dans le texte, “ fire room ”.
(11) En anglais dans le texte “ engine room ”.
(12) Ce qui prouve bien que cette lettre n’a pas été écrite par un spécialiste.
(13) Il s’agira en l’occurrence de nombreuses fois pendant le Chabbat et de nombreuses machines.
(14) Une telle visite.
(15) Il suffit donc d’en visiter un seul.