Lettre n° 4226

Par la grâce de D.ieu,
11 Nissan 5716,
Brooklyn, N Y,

Je vous salue grandement et vous bénis,

Votre lettre, m’accusant réception des commentaires du Tséma’h Tsédek sur le traité Baba Metsya, a été une agréable surprise(1). J’y ai lu, avec un plaisir particulier, que vous avez une étude fixe de ce traité(2). L’étude de notre Torah, Torah de vie, est puissante, car elle conduit à l’action. Sans doute s’accomplira en vous la promesse selon laquelle “ une Mitsva en attire une autre ”. On connaît l’élévation dans le domaine de la sainteté et j’ai bon espoir que vous ferez un ajout à tout cela, quantitativement et qualitativement.

Certains sont surpris par l’affirmation de nos Sages selon laquelle “ Rabbi honorait les riches ”.

A mon sens, on peut le comprendre et l’expliquer en fonction d’un des points fondamentaux de l’enseignement du Baal Chem Tov, qui est le suivant.

Tout événement du monde, y compris le plus insignifiant, est un effet de la divine Providence. Combien plus est-ce le cas s’il a une portée globale et concerne de nombreuses personnes.

Les riches sont les personnes à qui la divine Providence a confié les moyens de faire beaucoup de bien, dans le monde du Saint béni soit-Il. Les forces de leur âme leur permettent donc de mener à bien cette mission, d’assumer un rôle beaucoup plus déterminant que celui de l’homme moyen et, a fortiori, du pauvre.

Rabbi vécut à une période de transition pour le peuple d’Israël, d’une vie relativement calme à une existence de décrets et de persécutions. Il devait donc mobiliser toutes les forces afin que les Juifs surmontent cette épreuve, en sortent intègres et forts. Pour cela, il lui fallait observer chacun et s’efforcer de mettre ses qualités à profit. Il marquait donc son respect envers ceux à qui D.ieu avait accordé des possibilités plus larges, lesquelles pouvaient ainsi servir à protéger les valeurs sacrées d’Israël, comme tous les autres accomplissements de notre saint maître(3).

Le comportement global du monde veut que chaque Juif reçoive le libre arbitre et que D.ieu le mette à l’épreuve pour s’assurer de l’amour qu’il Lui porte, pour vérifier qu’il met en pratique Ses Mitsvot, écoute Sa voix. En la matière, chaque homme riche possède également le libre choix, ainsi qu’il est dit : “ Vois, J’ai placé devant toi aujourd’hui la vie et le bien… ”. Ainsi, par un effet de ce choix, il peut mettre en pratique les termes de la fin du verset, “ et, tu choisiras la vie ”, ou bien le contraire de cela, ce qu’à D.ieu ne plaise.

Il est bien clair que ce qui est vrai pour les riches en or et en argent s’applique, a fortiori, à ceux dont la richesse réside dans l’influence qu’ils exercent sur leur entourage, proche ou éloigné.

Ce monde a un Dirigeant et rien n’y est inutile. Il en résulte que la richesse doit être utilisée de manière active et positive. Ne pas s’en servir négativement n’est en aucune façon suffisant.

En effet, une utilisation imparfaite remet en cause l’ordre de la création, dont chaque aspect doit concourir pleinement à l’objectif global et unique.

J’ai beaucoup entendu parler de vous, de votre personnalité et de vos qualités, de la manière dont vous considérez les valeurs sacrées de la Tradition d’Israël. A notre époque, des possibilités particulières vous ont été accordées, comparables à ce qui vient d’être dit, pour influencer votre entourage proche et éloigné.

Cette influence peut avoir des conséquences grandioses, en particulier le maintien de l’identité véritable de notre peuple, qui s’est constitué en recevant la Torah. Celle-ci est le fil conducteur qui a traversé et unifié toutes les époques de notre histoire, alors que, pendant ce temps, plusieurs nations, possédant une culture particulièrement développée et dominant le monde, ont été condamnées à la destruction, sans pouvoir y échapper. Les Juifs, en revanche, sont toujours présents, grâce à leur lien au Créateur du monde, Qui le dirige. Et, le Midrach Tan’houma, à la Parchat Nitsavim, dit : “ Moi, l’Eternel, Je n’ai pas changé et vous, fils de Yaakov, vous n’avez pas disparu ”.

Si, de tout temps, il fut nécessaire de mobiliser les forces des Juifs pour préserver et protéger la Torah et les Mitsvot, secret de la pérennité d’Israël, combien plus est-ce le cas à notre époque, dont le rôle est déterminant, mais qui est aussi celle de la crise et de l’épreuve, d’une des épreuves les plus considérables qu’a connu notre peuple.

Ceux qui sont riches par leurs possibilités et leurs capacités ont une responsabilité beaucoup plus considérable et donc l’obligation sacrée, le grand mérite de les mettre au service de la protection des valeurs sacrées d’Israël, c’est-à-dire de notre Torah éternelle et de ses Mitsvot, surtout quand on se trouve dans le palais du Roi, le pays “ vers lequel toujours sont tournés les yeux de D.ieu, du début de l’année à la fin de l’année ”.

Cette fonction vous a été confiée et, à n’en pas douter, vous avez d’abord reçu tout ce qui est nécessaire pour la mener à bien. Néanmoins, le Créateur du monde souhaite que cette situation découle de votre libre décision, ainsi qu’il est dit : “ Et, tu choisiras la vie ”.

M’en remettant à ce que j’ai entendu, vous concernant, je présume que vous ne m’en voudrez pas pour ces quelques lignes, bien qu’il s’agisse de la première lettre que je vous adresse. Vous voudrez bien accepter ces propos dans l’esprit qui a présidé à leur rédaction.

Puisse D.ieu m’accorder le mérite que ces propos n’en restent pas là(4).

Avec mes respects et ma considération, en vous souhaitant une fête de Pessa’h cachère et joyeuse,

Ce paragraphe aurait peut-être dû figurer au début de ma lettre. Je vous demande, en effet, de m’excuser de ne pas l’avoir introduite en faisant mention de vos titres. Là encore, je m’en suis remis à ce que l’on dit de vos vertus et de vos qualités morales, en me disant que vous me comprendriez sûrement.

Depuis que j’ai commencé à fréquenter le ‘Héder et même encore avant cela, j’ai commencé à me représenter, en mon esprit, ce que serait la délivrance future, la libération du peuple d’Israël de son dernier exil, une délivrance se déroulant de telle façon qu’elle donnerait un sens aux souffrances de l’exil, aux décrets et aux persécutions.

L’un des aspects de ce futur brillant et de cette délivrance est “ le chef(5), qui est le roi, non pas un chef de tribu, mais bien celui auquel seul l’Eternel son D.ieu est supérieur ”, selon les termes du traité Horayot 11a. Alors, de tout son cœur et avec une compréhension parfaite, “ on dira, ce jour-là : je Te loue, Eternel, car Tu m’as réprimandé(6) ”.

Ceci vous explique pourquoi il m’est si difficile d’employer ce terme(7) pour désigner le peuple des enfants d’Israël, alors que “ Yaakov est petit ”, que les Juifs sont “ persécutés, martyrisés, écartelés, tourmentés et victimes de souffrances ”.

Je pourrais mentionner ce terme uniquement par un artifice de langage. Néanmoins, on m’a dit que vous êtes un homme vrai et je ne veux donc pas mentir, en mon âme. Vous voudrez bien m’en excuser(8).

Notes

(1) Cette lettre est adressée à Its’hak Ben Tsvi, président de l’état d’Israël. Le Rabbi expliquera, par la suite, pourquoi le titre de président n’est pas cité, en tête de cette lettre.
(2) Voir, à ce sujet, la lettre n°3919.
(3) Expression qui désigne Rabbi.
(4) Mais soient effectivement suivis d’effet.
(5) Nassi, que l’on peut traduire également par président.
(6) Par les souffrances de l’exil.
(7) De Nassi, chef, président.
(8) De n’avoir pas employé le terme de Nassi.