Lettre n° 3789

Par la grâce de D.ieu,
21 Elloul 5715,
Brooklyn,

Au grand Rav et Juste,
distingué 'Hassid qui craint D.ieu,
issu d'une illustre famille,
le Rav Chalom Yé'hezkel Shraga(1) Chlita,

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre et à ce qu'elle contenait, une discussion sur la possibilité d'utiliser une épingle à nourrice(2), pendant le Chabbat.

J'ai été horrifié par la conclusion que vous envisagez. Non seulement vous considérez que cet usage est interdit, mais vous y voyez même une transgression d'un Précepte de la Torah, ce qu'à D.ieu ne plaise. Comment quelqu'un qui est issu d'une famille comme la vôtre peut-il considérer que de nombreuses femmes juives vertueuses, de cette génération et des précédentes, ont été dans l'erreur, en la matière?

Qui est plus grand que le Korban Netanel, traité Chabbat, chapitre 7, paragraphe 6, que vous citez vous-mêmes dans vos responsa, qui s'est gardé de prononcer clairement une telle interdiction et marque uniquement son étonnement en constatant que cet usage s'est répandu? Or, tout comme la Michna dit qu'il est une Mitsva de maintenir les propos des Sages, elle affirme aussi qu'il en est une de conserver les usages des vieilles femmes juives, qu'elles ont adoptés depuis plusieurs générations, sans que personne ne cherche à les en empêcher.

On peut trouver plusieurs raisons de permettre cette pratique et il convient de les associer pour comprendre cette autorisation. Ces raisons sont les suivantes:

A) On ne peut pas coudre avec du fer ou du fil de fer. On ne peut le démontrer clairement, mais l'on peut y trouver une allusion dans le fait que tous les travaux interdits, pendant le Chabbat, sont déduits de la construction du Sanctuaire. Là, on brodait également avec du fil d'or, mais non avec des fils de fer. Si une pratique aussi surprenante avait été adoptée, la Torah aurait dû l'établir clairement.

Le traité Mena'hot 41a parle de piquets, selon l'interprétation du Arou'h. En fait, ceux-ci sont uniquement un moyen de lier et peut importe de quelle manière est réalisé ce lien, en cousant ou bien d'une autre façon. De même, dans le mélange des espèces, la Torah ne parle pas de couture, mais elle interdit leur "présence conjointe". On ne peut donc pas en déduire qu'il soit interdit de coudre pendant le Chabbat.

Parfois, un lien est réalisé, d'une manière normale, sans couture et sans fils. Plusieurs textes établissent qu'un travail interdit est une transgression du Chabbat s'il est effectué de façon normale, mais non avec une modification ou bien de manière détournée. Ce n'est pas le cas pour le mélange des espèces.

Dans vos responsa, vous établissez une analogie entre le Chabbat et le mélange d'espèces. A mon sens, on ne peut pas formuler une telle affirmation et vous connaissez la preuve que l'on tire du traité Chabbat 48b, selon lequel "ceci est un lien et cela n'en est pas un". Vous consulterez ce texte.

B) Rabbénou Yoël, dont la Hala'ha retient l'avis, dans le Choul'han Arou'h, Ora'h 'Haïm, chapitre 317, paragraphe 3, précise que le point de couture doit être définitif. De fait, on trouve, clairement défini, à propos du Chabbat, une notion de "nœud définitif". Vous consulterez, à ce sujet, le Choul'han Arou'h de l'Admour Hazaken, au début du chapitre 317.

Il s'agit donc bien de ce qui est fait une fois pour toute et, là encore, on peut expliquer simplement que c'était bien le cas, dans le Sanctuaire. Tout ce qui était cousu et attaché l'était de manière définitive.

En l'occurrence, on peut ajouter qu'une épingle, surtout à nourrice est, à l'évidence, utilisée de telle manière que le lien ne peut jamais être définitif.

C) De façon générale, on utilise une épingle à nourrice pour les besoins de la journée. En pareil cas, les Sages les plus récents permettent cette pratique, même a priori, comme l'établissent différents textes.

A mon avis, en fonction de tout cela, on ne peut nullement interdire d'enfoncer une épingle à nourrice et l'on peut même penser qu'il est permis de le faire deux ou trois fois de suite(3). En tout état de cause, s'il y a une interdiction, elle ne peut émaner que des Sages.

Je n'ai pas précisé cette analyse comme il l'aurait fallu, car cela a déjà été fait par le Ginat Vradim(4), aux chapitres17 et 19, par le Tal Orot, qui adopte l'avis du Mechiv, par le nouveau Or'hot 'Haïm, au chapitre 340, par le Meassef Le 'Hol Ha Ma'hanot, le Ketsot Ha Choul'han du Rav Avraham 'Haïm Naé, partie Chemini, chapitre 146, paragraphe 12. Vous consulterez ces textes, qui apportent tous les détails nécessaires.

A ce sujet, vous citez une preuve du traité Mena'hot. Vous rejoignez, en cela l'avis des grands, puisque la même explication figure dans le Kountrass A'haron du Choul'han Arou'h de l'Admour Hazaken, à la fin du chapitre 301, comme le signale également le Ketsot Ha Choul'han.

Avec mes respects et ma bénédiction afin que vous soyez inscrit et scellé pour une bonne année,

N. B. : Conformément à votre demande, je vous restitue votre responsa.

Notes

(1) Le Rav C. Y. S. Rubin Halbershtam, Rabbi de Tsheshinov. Voir, à son sujet, la lettre n°3397.
(2) Textuellement "une épingle de sûreté".
(3) Pour pouvoir ensuite la refermer.
(4) Ora'h Haïm, troisième partie.