Par la grâce de D.ieu,
28 Tichri 5715,
Brooklyn, New York,
Je vous salue largement et vous bénis,
J’ai bien reçu, quoique avec un peu de retard, votre lettre du 22 Elloul. Ma réponse a été retardée, à cause des fêtes et vous voudrez bien m’en excuser. Entre temps, vous avez sûrement reçu ma lettre, vous souhaitant une bonne année.
Je vous remercie pour votre visite à Kfar ‘Habad. Votre lettre m’indique qu’au cours de celle-ci, vous avez apporté toute l’attention nécessaire et porté un regard bienveillant. Vous avez apporté votre votre appui, au profit de ses institutions, dans toute la mesure du possible.
Vous évoquez certains points qui doivent être rectifiés ou améliorés. Vous me décrivez la situation actuelle du Kfar et j’ai donc pu me rendre compte encore une fois à quel point l’avancement a été considérable. Or, son état actuel, si on le considère de manière statique, n’est pas aussi important que son évolution dynamique. Il y a donc bien une amélioration, un avancement. C’est là l’essentiel et, le moment venu, ce qui devra être réparé le sera effectivement.
Néanmoins, il faut savoir que l’évolution dépend, avant tout, d’éléments internes et que de nombreux manques résultent de données extérieures, qui ont été imposées ou sont survenues par inadvertance, par exemple par manque de terrains disponibles ou d’équipements adéquats.
Il faut, en particulier, tenir compte de la nature des hommes du Kfar. Ceux-ci viennent d’un lieu dans lequel ils leur a fallu entrer en lutte contre leur entourage, vivre en permanence dans la clandestinité, être toujours soupçonneux. Ils ont dû s’habituer aux conditions les plus désagréables et ils ont, cependant conserver leur intégrité, non seulement celle de leur âme, mais aussi celle des âmes de leurs enfants, de même que leur mode de vie.
Après le grand miracle que furent leur sauvetage et leur sortie de ce pays, on a pu constater un autre miracle, celui de leur intégration, relativement rapide, aux conditions de vie en Erets Israël et à la vie collective du Kfar. Certes, les Juifs ont, de façon générale, une très grande capacité d’adaptation, au moins de manière extérieure. Pour autant, tous s’accorderont pour reconnaître que cinq années sont une période particulièrement courte pour un changement aussi fondamental du mode de vie.
J’espère que les personnalités et les institutions ont tenu compte de ces éléments, dans le passé et le feront encore, dans le futur. Je suis certain que toute faveur qui sera consentie au Kfar, même au prix d’une dérogation à la loi, apportera une bénédiction infiniment plus abondante.
Je voudrais souligner un autre point. Je suis concerné par tout cela et je ne suis donc pas objectif. On peut, en conséquence, me soupçonner de chercher systématiquement à les justifier. Je pense, néanmoins, pouvoir dire, en toute justice, que la nature des hommes du Kfar est particulière, non seulement pour ce qui concerne leur propre personne et leur village, mais aussi pour tout leur entourage.
On peut constater, entre eux, comme dans toutes les implantations, des différends et des oppositions, dans des domaines secondaires ou même totalement négligeables, mais au fond d’eux-mêmes, ils forment tous un bloc uni. Leur unité est établie depuis plusieurs générations, comme s’ils étaient des frères et même bien plus que cela. L’Admour Hazaken l’exprime, au chapitre 32 du Tanya, en ces termes : “ Des frères, à proprement parler, séparés uniquement par leur corps ”.
Il est clair qu’un bloc aussi uni peut être d’un apport précieux, si on lui accorde les conditions nécessaires pour se développer. Encore une fois, il faut tenir compte de leur particularité, comme le dit le Saint béni soit-Il, lorsque notre Terre Sainte fut conquise pour la première fois : “ Je le renverrai peu à peu, jusqu’à ce que tu fructifies et que tu prennes possession de la terre ”.
Concernant la visite, en Terre Sainte, des élèves de la Yechiva qui se trouvent ici, vous pensez que l’Agence juive n’en acceptera pas le principe s’il n’est pas établi d’emblée que ces élèves, pendant la durée de leur visite, poursuivront leurs études dans la Langue sacrée. Je ne veux pas esquiver cette question et j’espère que vous me pardonnerez les mots durs que je dirai plus loin.
Parmi nos élèves, certains étudient en Yiddish et d’autres en Hébreu. La spécificité de Loubavitch et notre effort, notre mission consistent à instaurer, entre eux, une unité profonde, sans imposer de contrainte à leur libre arbitre, quant à leur langue ou à leurs coutumes, pourvu qu’elles n’aillent pas à l’encontre de la Torah. Nous sommes certains que cette unité profonde instaurera, au final, un climat propice. En pareil cas, la langue importe peu, puisque tous les propos ont le même contenu.
A l’opposé, un grand nombre de ceux qui mettent l’Hébreu en exergue s’efforcent, pour notre malheur, d’obtenir que tous aient une même langue dans la bouche, mais des dissensions plein le cœur, entre les parents et les enfants, entre la jeune génération et celle qui l’a élevée. A quoi bon frapper, ce qu’à D.ieu ne plaise, physiquement ou moralement, son prochain ou son père ? Pourquoi faut-il crier “ frappez-le, frappez-le ” dans la langue de la Bible plutôt que dans celle des pays ashkénazes ?
Je suis bien conscient que le paragraphe précédent n’est pas rédigé en termes diplomatiques. Il exprime, en effet, un sentiment de douleur, non pas à cause de la conclusion de votre lettre, mais en considérant l’optique et le cheminement de la pensée, dans certains milieux de Terre Sainte qui sont à l’origine de cette situation.
En ce qui concerne l’action concrète, je cite vos propos : “ Il est clair que nul n’est habilité à diriger les élèves qui viendront étudier la Torah ici, en Terre Sainte ”. Vous craignez que ceux-ci puissent se trouver dans une institution formant des groupes séparés, que ne s’accomplissent pas les termes du verset “ Israël campa ”, au singulier. Je vous donne l’assurance la plus sincère qu’ils se trouveront dans une école où l’unité entre les visiteurs et les élèves se trouvant en Terre Sainte sera renforcée, de même qu’entre ces élèves.
Puisse D.ieu faire que les élèves formés dans toutes les écoles d’Erets Israël soient unis entre eux, au moins sur les points qui contribuent à cette unité et que possèdent effectivement les élèves des institutions Loubavitch, de sorte que les élèves se trouvant en Terre Sainte s’unissent avec ceux de France, des Etats Unis, du Canada, d’Australie et d’autres pays.
Pour conclure cette lettre, je formulerai une requête. Je vous ai écrit sans artifice et j’espère que votre réponse aura la même forme. En effet, nous avons sûrement la même motivation, qui est l’intérêt des Juifs, dans toute la mesure du possible, intérêt matériel et spirituel à la fois, car la matière ne peut exister sans la spiritualité, qui la conduit à l’existence et la fait vivre.
Avec ma considération et mes respects, dans l’attente de vos bonnes nouvelles pour tout ce qui vient d’être dit,