Lettre n° 219

[Hiver 5706(1)]

La présente édition est consacrée au 19 Kislev, date de la libération de l'Admour Hazaken. Je répondrai donc ici à quelques questions qui m'ont été posées à propos du Tanya.

Question: Le Tanya, au début du chapitre 30, reproduit l'explication suivante de nos Sages, "Sois humble devant tout homme", une citation du traité Avot 4, 10. Or, ce texte emploie le mot Adam pour désigner l'homme alors que le Tanya dit Haadam, avec un article défini.

Réponse: Dans toutes les éditions du Tanya que j'ai pu voir, il est écrit Haadam, avec un Hé(2). Il n'y a donc pas là une faute d'imprimerie.

Dans notre Michna, qui appartient au traité Avot, certaines versions retiennent le mot Adam, sans Hé, alors que d'autres disent Haadam(3). Le Tanya adopte ici la seconde version et je parle bien du Tanya car, dans d'autres textes, l'Admour Hazaken mentionne Adam sans Hé, comme nous le citerons plus loin. Il en est de même dans le traité Avot tel qu'il est rapporté dans le Sidour(4).

Chaque mot du Tanya est particulièrement précis. Chaque lettre en plus ou en moins a un sens(5). Certes, il s'agit, en l'occurrence, d'une modification qui semble sans importance, car, de fait, la présence ou l'absence de ce Hé est-elle déterminante? Mais, une brève réflexion permet de conclure que cette lettre modifie complètement la compréhension de ce passage. C'est pour cela que l'Admour Hazaken devait écrire ici Haadam, avec un Hé, alors qu'il retient par ailleurs Adam, sans Hé.

L'explication est la suivante. Il est deux manières d'être "humble devant chacun":

A) Nos Sages enseignent: "Ne juge pas ton prochain tant que tu ne te trouves pas à sa place". En effet, l'endroit dans lequel il se trouve peut le conduire à mal agir. Il peut lui-même être, par nature, fortement attiré par les plaisirs du monde. Son mauvais penchant lui livre donc un combat d'une terrible intensité. Chacun doit donc se demander s'il sert réellement D.ieu, à la mesure de ce combat, comme le Tanya l'explique longuement, au chapitre 30.

B) C'est par l'intermédiaire des autres que l'on peut obtenir sa propre perfection. L'image du corps humain permettra de l'établir. En effet, la tête en est le stade le plus élevé et les pieds, la partie la plus basse. Or, ces derniers sont nécessaires pour marcher. Ils font tenir debout le corps et la tête. Bien plus, une saignée au pied peut soulager la migraine, même si le pied tire lui-même sa vitalité de la tête. Le Likouteï Torah l'explique longuement, à la Parchat Nitsavim.

Ces deux conceptions diffèrent en deux points:

La première provoque l'humilité, la tristesse et l'amertume. Pour autant, elle est nécessaire(6) et nos Sages disent que l'on doit "exacerber son bon penchant contre son mauvais penchant", pourvu qu'il parvienne à le vaincre, "s'écarte du mal et fasse le bien". C'est ce que le Tanya explique, au chapitre 31.

Par ailleurs, une telle réflexion provoque l'humilité non seulement face aux Juifs, mais aussi devant les non-Juifs, à la manière, par exemple, de Dama Ben Netina, lorsqu'il honorait son père, selon le récit du traité Kiddouchin 31a.

La seconde conception conduit à l'humilité, mais non à la tristesse. En outre, elle régit la relation avec son prochain Juif, car tous les enfants d'Israël ne constituent qu'un seul et même grand corps, dont chaque membre a besoin de tous les autres. Elle n'a, en revanche, aucun sens face à un non-Juif.

Or, nos Sages précisent que "vous êtes appelés Adam", à la différence des non-Juifs. A l'opposé, ceux-ci peuvent être appelés Haadam, selon le traité Yebamot 61a et les Tossafot.

Ainsi, lorsque la mélancolie empêche l'homme de lutter contre son mauvais penchant(7), qu'il faut alors faire reculer, humilier, lorsque l'on doit se convaincre qu'il est inférieur aux animaux impurs, il est nécessaire d'opter pour la première manière, c'est-à-dire de marquer son humilité également face à un non-Juif. C'est pour souligner cette idée que l'Admour Hazaken dit Haadam, avec un Hé.

A l'opposé, lorsqu'il s'agit de marquer son amour pour un autre Juif, une telle réflexion n'a plus sa place. Il faut alors méditer au fait que tous les Juifs ne constituent qu'un seul et même corps, que chacun peut contribuer à la perfection des autres. L'Admour Hazaken dit alors Adam, sans Hé. On consultera, à ce propos, Igueret Hakodech, fin du chapitre 22, Likouteï Torah, début de la Parchat Nitsavim et le Sidour, à la porte d'Elloul(8).

Il en est de même pour le service de D.ieu des Justes et, plus généralement, pour la forme la plus haute de ce service, transcendant le fait de s'écarter du mal. Là encore, méditer à la bassesse du mauvais penchant n'est d'aucune utilité. Il faut, bien au contraire, se dire que son prochain est plus élevé que soi et que l'on doit être animé du désir de l'égaler. A ce propos, on peut effectivement employer le mot Adam, sans Hé. On verra, à ce propos, le Torah Or, aux Sidrot Toledot, Mikets et le Likouteï Torah, à propos de Chemini Atséret.

Il en résulte que la version essentielle de cette Michna est Adam, sans Hé. C'est donc celle que l'Admour Hazaken rapporte dans son Sidour.

En effet, cette Michna, au sens simple, évoque avant tout l'étude de la Torah. Elle demande que l'on soit humble devant chacun et que l'on apprenne de tous ou encore que l'on conserve son humilité, même si l'on est un érudit de la Torah, ce qui, bien évidemment, se conçoit uniquement envers les Juifs.

* * *

Si tout ce qui vient d'être dit peut être déduit d'une seule lettre du Tanya, combien d'enseignements peut-on découvrir dans un mot, une phrase, un paragraphe ou, plus encore, un chapitre!

Notes

(1) Cette lettre et les trois suivantes ont été éditées dans le quatrième numéro du Kovets Loubavitch, consacré à la période "du 19 Kislev au 9 Adar 5706". Seule la date de la lettre n°221, le 20 Mena'hem Av 5706, nous est connue avec précision. Des trois autres, nous savons seulement qu'elles ont été écrites avant la parution du périodique, c'est-à-dire durant l'hiver 5706. Certes, dans les notes que le Rabbi rédigea, en bas de page, pour la présente lettre, il renvoie au Tanya, édition de Munich de 5707 et au Sefer Kitsourim Veaarot, imprimé à la fin de 5708 et l'on consultera, à ce propos, les lettres n°236 et 295. Il semble, en fait, que ce périodique, qui aurait dû paraître en 5706, ne fut concrètement édité qu'à la fin de 5707. C'est alors que le Rabbi ajouta ces références. Puis, sa publication fut encore une fois retardée et il fut disponible seulement en 5708.
(2) Le Rabbi note, en bas de page: "Les éditions de Slovita 5556-5557, Zolkwa 5559, Chklov 5566, Chklov 5574, Altona 5580, Koenigsberg 5587, Lemberg 5616, Lemberg 5620, Lemberg 5622, Lemberg 5624, Vilna 5632, Vilna 5633, Vilna 5656, Vilna 5660, Vilna 5669, édition dont les matrices ont été réutilisées de nombreuses fois, Shanghaï 5703, Munkatch 5703, ces deux dernières étant une photographie de l'édition de Vilna 5669, Tel Aviv 5703, Munich 5707, qui est également une photographie de l'édition de Vilna 5669, édition de Vienne, édition «de cette manière, vous aurez une longue vie» [?]. Dans toutes ces éditions, à l'exception de celle de Vienne, il est écrit Haadam, avec un Hé. Dans les deux Tanya manuscrits, qui ne sont pas des originaux, se trouvant dans la bibliothèque de mon beau-père, le Rabbi Chlita et ont vraisemblablement été recopiés avant l'impression du Tanya, on trouve effectivement des modifications par rapport à la version imprimée, mais ceux-ci ne comportent pas le chapitre 30 et ce qui est le chapitre 31, dans nos éditions, y est présenté comme le chapitre 30".
(3) Le Rabbi note, en bas de page: "Selon le commentaire de Rabbi Yona. Le 'Hen Tov, mentionné dans le commentaire du Melé'het Chlomo sur le traité Avot le dit également. Dans le traité Dére'h Erets Zouta, on trouve également le mot Haadam."
(4) Le Rabbi note, en bas de page: "Le Chaar Hacollel précise qu'il existe différentes versions du traité Avot. C'est sans doute pour cette raison, dit-il, que l'Admour Hazaken en donne le texte dans son Sidour".
(5) Le Rabbi note, en bas de page: "Voir le Kitsourim Veaarot le Tanya, page 118. Une tradition, dans la famille du Rabbi, rapporte que Rabbi Yehouda Leïb de Yanovitch vit, une fois, son frère, l'Admour Hazaken, qui méditait, près de sa table d'écriture. Un peu plus tard, l'Admour Hazaken retrouva ses esprits, aperçut son frère près de lui et lui dit: "Je réfléchis, depuis trois semaines, à la manière d'écrire ceci". Il lui montra une feuille manuscrite du Tanya, posée devant lui, sur laquelle un mot pouvait être écrit avec un Vav de coordination. Il dit: "Pour un Vav figurant dans le «livre des hommes moyens», il est justifié de consacrer six semaines. Ainsi, dès la septième semaine, brillera la lumière la plus essentielle. Chaque fois que j'ai écris un Vav dans le Tanya, j'ai repensé tout le livre". Mon beau-père, le Rabbi Chlita, écrivit tout cela dans une lettre datée du 28 Tamouz 5692).
(6) Bien que la tristesse, qui en résulte, est un sentiment négatif, qui doit être proscrit.
(7) Le Rabbi note, en bas de page: "Voir le chapitre 29 du Tanya et les suivants".
(8) Le Rabbi note, en bas de page: "Le Torah Or, à la Parchat Michpatim, donne la même explication. C'est pour cela qu'il y est dit Adam, sans Hé".