Lettre n° 205

Par la grâce de D.ieu,
21 Kislev 5706,

Au grand Rav, 'Hassid qui craint D.ieu, d'une immenseérudition, le Rav M. D.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je vous renvois par la présente(2) le manuscrit du Rav Ch. Sofer, présentant des commentaires 'hassidiques du Rabbi Maharach, dont vous avez souhaité faire une photographie. Je vous joins également un exemplaire de livres qui ont été imprimés selon ce procédé.

Il est assurément inutile de vous décrire la grande importance de tout cela et la satisfaction de l'auteur de ces discours 'hassidiques qui, grâce à votre prêt, vont enfin parvenir à des milliers de personnes qui les étudieront et les consulteront.

Or, à chaque étude et à chaque consultation, "les lèvres du Juste murmurent dans son tombeau", comme l'expliquent les Tossafot, au traité Yebamot 96b. Qui peut se comparer au roi David qui souhaitait tant que l'on répète son enseignement? Ainsi, considérait-il, il pourrait avoir part aux deux mondes(3) et ses lèvres murmureraient(4).

En toute chose, D.ieu agit "mesure pour mesure"(5). Il est donc certain, tout comme le Juste a part aux deux mondes, que la récompense de ceux qui investissent leurs efforts sera également double, spirituelle et matérielle à la fois, avec tout le bien physique et moral.

Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem Schneerson,
Directeur du comité exécutif

Puisque nous évoquons ce sujet, nous en profiterons pour le commenter. Nos Sages rapportent que certains désirèrent tout particulièrement que leurs explications soient répétées en leur nom, par exemple le roi David, Rabbi Yo'hanan, l'un et l'autre mentionnés par le traité Yebamot, Rav Chéchet, cité par le traité Be'horot 31b et Rabbi Its'hak, par le Zohar. Dans l'introduction du Divreï Né'hémya, le fils de l'auteur explique pourquoi leur nom doit être rappelé(6). On pourrait soulever une objection contre ses propos, mais ce n'est pas ici l'occasion de le faire.

On peut, peut-être, expliquer pourquoi la nécessité de "résider dans Ta tente pour l'éternité" les motiva, tous les quatre, plus que tout autre:

A) David tenta, par tous les moyens, d'expier sa faute et d'établir, aux yeux de tout Israël, qu'elle avait bien été pardonnée, comme l'établissent les traités Chabbat 30a et Sanhédrin 107a. Or, il est dit, dans le traité 'Haguiga 15b, que l'on peut étudier la Torah auprès d'un maître uniquement lorsqu'on le perçoit comme un ange. C'est pour cela que David voulut que l'on répète son enseignement. Ainsi, il pouvait avoir la confirmation que sa faute avait bien été pardonnée.

C'est pour cela que le Yerouchalmi Bera'hot 2,1, après avoir cité le traité Yebamot selon lequel David demanda que l'on cite ses explications en son nom, conclut: "David dit: Je me réjouis en mon coeur de la construction du Temple", ce qui semble ne rien à voir avec le contexte. Le Séfer 'Harédim supprime donc cette phrase, mais les autres livres la conservent. Or, on peut la comprendre en fonction de ce qui vient d'être dit.

En effet, David demanda que lui soit fait un signe établissant que sa faute avait été pardonnée. D.ieu lui indiqua donc que ce signe serait la construction du Temple. Ainsi, David put établir de deux manières qu'il avait été pardonné:
1. par le fait que les Juifs mentionnaient son enseignement en son nom, comme on l'a vu,
2. par le signe que D.ieu Lui-même lui faisait.

Après avoir demandé le premier point, David, selon le Yerouchalmi, se réjouit donc du second, ayant obtenu le signe divin que sa faute avait été pardonnée. Il est donc inutile de supprimer cette phrase dans le Yerouchalmi.

B) Le traité Bera'hot enseigne que Rabbi Yo'hanan perdit tous ses enfants et le Séder Hadorot se demande s'il eut, par la suite, un autre fils. Pour que son enseignement ne soit pas oublié, il devait donc former des disciples, capables de perpétuer son héritage, comme l'établit le traité Baba Batra, exposant sa conception en la matière. Il s'efforça donc que son enseignement soit largement répété.

C) Ce qui vient d'être dit de Rabbi Yo'hanan s'applique également à Rabbi Its'hak. Selon le Zohar, celui-ci avait bien un fils, mais il n'était pas apte à hériter de lui et nos Sages disent qu'une telle situation équivaut à la mort, pour le père.

Le Zohar dit que le fils de Rabbi Its'hak "n'eut pas le mérite d'avoir accès à la Torah". Rabbi Its'hak s'efforça donc que l'on répète son propre enseignement, car les disciples sont considérés comme des fils.

Ceci permet de comprendre la requête que Rabbi Its'hak formula dans le Zohar: "Que l'on répète mon enseignement et que l'on enseigne la Torah à mon fils". Il fit aussi une troisième demande, qui est expliquée par ailleurs.

D) Le Chaar Haguilgoulim et le Séfer Haguilgoulim donnent l'explication de la phrase que prononçait Rav Chechet: "Mon âme se réjouit en Toi, elle T'appelle, elle T'apprend". En effet, Rav Chechet savait que son âme avait vécu une première vie dans le corps de Baba Ben Bouta, à qui il ne restait que très peu de chose à accomplir, ce que compléta Rav Chéchet au cours de cette seconde vie.

En pareil cas, la récompense de la Torah et des Mitsvot accomplies dans la seconde vie sont uniquement pour l'âme et non pour le corps. En effet, lors de la résurrection des morts, son âme retournerait dans le premier corps, qui avait permis la majeure partie de ses accomplissements. En conséquence, le corps de Rav Chéchet était triste. Il constata donc que "mon âme se réjouit", mais non mon corps.

Mais, à mon humble avis, on peut, sans doute, avancer que tout cela était vrai uniquement pour ses autres accomplissements, dans le domaine de la Torah et des Mitsvot. Par contre, lorsque l'on répète l'enseignement de Rav Chéchet, ses lèvres remuent dans la tombe, en ce monde matériel. Il est alors bien clair que les lèvres du corps physique de Rav Chéchet sont en mouvement et non celles de Baba Ben Bouta. C'est pour cela qu'il s'efforça de faire répéter son enseignement.

Néanmoins, il disait "mon âme se réjouit en Toi", car il faisait allusion, par ces mots, à sa propre étude de la Torah, comme l'explique le traité Pessa'him. Par contre, la répétition de son enseignement fait, bien entendu, allusion à celui qu'il a transmis à ses élèves, lesquels devaient le répéter par la suite.

Remarque: Rabbi Its'hak demanda à Rabbi Yehouda de répéter son enseignement, pour une raison qui est expliquée par ailleurs.

Certes, Rabbi Its'hak conteste, dans le Zohar, l'interprétation selon laquelle le verset "Il fait bouger les lèvres de ceux qui dorment" fait allusion à la parole. Mais, l'on peut penser qu'il en eut connaissance par la suite et l'accepta alors. On peut également admettre qu'il accepte cette explication sur son principe et conteste uniquement le fait de la déduire de ce verset. Tous s'accorderaient donc pour dire que l'on peut, de cette façon, "résider dans Ta tente pour l'éternité"(7).

Dans le Yerouchalmi Chekalim, c'est précisément Rabbi Its'hak qui commente le verset "Il fait bouger les lèvres de ceux qui dorment". Mais, on peut penser qu'il ne s'agit pas du même Rabbi Its'hak. Le Talmud, en effet, fait état de plusieurs Sages portant ce nom.

Notes

(1) Le Rav Moché Dov Ber Rivkin, directeur de la Yechiva Torah Vedaat, à New York.
(2) Cette lettre est un complément de la lettre n°193. Voir également la lettre suivante.
(3) Ce monde-ci et le monde futur.
(4) Dans son tombeau.
(5) De la manière dont l'homme lui-même agit.
(6) Lorsque l'on cite leurs explications.
(7) En obtenant que son enseignement soit répété.