Lettre n° 176

Par la grâce de D.ieu,
Dimanche 8 Tévet 5705,

Au grand Rav, 'Hassid qui craint D.ieu, érudit aux
nombreux accomplissements, le Rav E. E. Hacohen(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre du troisième jour de 'Hanouka.

Conformément à votre demande, je vous joins une copie de votre lettre, à laquelle j'ajoute mes propres remarques. Voici votre lettre:

"Comment considérer le Chabbat pour un malade dont l'état constitue un danger? Est-il simplement repoussé ou bien disparaît-il complètement(2)? Vous avez sûrement connaissance des discussions, à ce propos, opposant les Sages des premières générations, dont fait état le Beth Yossef. La formulation du Rambam semble indiquer que, selon lui, le Chabbat est repoussé. C'est également l'interprétation qu'adopte le Michna Beroura[A].

Néanmoins, à mon humble avis, un examen plus attentif doit prendre en compte, en particulier, le commentaire de la Michna du Rambam, au traité Chabbat, selon lequel une "telle transgression du Chabbat n'a été permise qu'en cas de nécessité absolue". Or, il ne rappelle pas ce principe, dans son Michné Torah. On peut en conclure qu'il modifia sa position par la suite(3).

Ce qu'il indique ici est profond et clair. Le Rambam explique, par ailleurs, que celui qui fait le voeu de ne pas dormir pendant trois jours ou de ne pas manger pendant sept jours est puni de flagellation(4) et peut dormir ou manger immédiatement. Il semble donc bien considérer qu'une interdiction ne pouvant s'appliquer parce qu'elle implique un danger est totalement supprimée(5). Rabbénou Nissim, en revanche, considère que l'interdiction reste mais qu'elle est repoussée, du fait du danger. Il nous faut comprendre tout cela[B].

On ne peut donc pas dire que, selon le Rambam, les lois du Chabbat subsistent, mais sont néanmoins repoussées à cause du danger. Cette interprétation n'est pas exacte. En fait, pour lui, les lois du Chabbat ne s'appliquent plus, en pareil cas. C'est en ce sens qu'il emploie le mot "repoussé", qui n'a donc rien à voir avec celui que le Talmud met en opposition avec la disparition pure et simple et signifie simplement que les lois du Chabbat ne s'appliquent pas pour le malade qui est en danger. Ce dernier n'est pas concerné par le Chabbat, au même titre que celui qui prononce un voeu impossible à tenir.

Ce qui vient d'être dit nous permettra de comprendre l'explication du Midrach Me'hilta, commentant le verset "celui qui le transgresse mourra". Il dit: "Celui qui l'a transgressé partiellement pourrait envisager de le transgresser entièrement. Le verset souligne donc la nécessité d'en respecter chaque instant"[C]. Ainsi, ce verset permet de rendre coupable celui qui transgresse le Chabbat, après que le danger soit passé. En effet, le danger fait que le Chabbat ne s'applique plus, comme s'il n'avait jamais existé. Une étude du verset est donc nécessaire pour réintroduire le respect du Chabbat, même pour un seul instant. Il semble bien que cette preuve soit probante.

En réalité, le doute quant au fait que le Chabbat soit repoussé ou qu'il disparaisse figure déjà dans le Yerouchalmi. Un avis parle, en effet, d'un enfant qui est en danger et les autres Sages lui demandent pourquoi on ne pourrait pas le porter. Et, il répond qu'il y a un moyen de le déplacer de manière permise. Les autres Sages considèrent donc que les lois du Chabbat ont été repoussées, en pareil cas. Il semble que ce texte soit à l'origine de ce doute[D].

Toutefois, les premiers Sages adoptent, pour la plupart, l'avis du Maharam de Rottenburg, le maître du Roch, selon lequel le Chabbat, pour un malade qui est en danger, est comme un jour de fête, au cours duquel les travaux permettant de préparer la nourriture sont permis. C'est l'avis du Beth Yossef[E], comme l'interprète le Maguen Avraham, que nous adoptons.

Les Tossafot parlent d'un enfant qui a subi la circoncision pendant le Chabbat, mais l'on ne peut rien en déduire, car ce cas est différent de toutes les autres maladies faisant courir un danger, comme le souligne le Maguen Avraham.

Je me suis aperçu que le Yechouot Yaakov cite une preuve évidente[F], renforçant l'avis qui considère que le Chabbat disparaît pour un malade en danger. Le traité Chabbat 30a dit, en effet: "S'il s'agit d'un malade qui court un danger, la transgression du Chabbat devrait lui être permise". Et l'on ne peut considérer qu'en pareil cas, le Chabbat est seulement repoussé.

En effet, le traité Beïtsa affirme, à propos d'un malade courant un danger, pour les besoins duquel la lumière a été éteinte pendant le Chabbat, que celui qui l'a fait "ne doit pas être puni". Il ne dit pas, comme dans le traité Chabbat, que cela est "permis" car il est possible de transporter cette lumière dans une autre maison ou bien de dresser un paravent pour qu'elle ne gène plus le malade. C'est donc ce que cet homme aurait dû faire. Néanmoins, s'il a préféré éteindre cette lumière, il n'encourt aucune punition, dès lors qu'il l'a fait pour un malade qui était en danger.

Il en résulte que, selon le Talmud[G], il faut adopter l'avis du Roch, du Tour et du Beth Yossef, selon lequel le Chabbat disparaît totalement pour un malade qui est en danger. A ce propos, le 'Hatam Sofer réfute la comparaison entre le Chabbat et l'impureté, en affirmant que le Chabbat disparaît totalement alors que l'impureté est seulement repoussée.

Il résulte de tout cela que, selon les Sages des premières et des dernières générations, le Chabbat disparaît totalement pour un malade qui est en danger. C'est l'avis du Rambam, comme je l'ai montré, qui se base sur le Midrach Me'hilta."

Voici maintenant mes remarques:

[A] L'avis du Rambam est que le Chabbat est repoussé en cas de danger. C'est ce que disent le Beth Yossef, le Baït 'Hadach, le Ramah, le Korban Netanel, l'Admour Hazaken, le Ma'hatsit Hachekel, le Min'hat 'Hinou'h et d'autres encore. Le Arou'h Hachoul'han considérait que la formulation du Rambam n'est pas précise et que, selon lui, le Chabbat disparaît. Mais, par la suite, il est revenu sur sa position en disant: "Il n'y a aucune raison de modifier le sens simple des propos du Rambam".

[B] On peut se demander si le voeu de ne pas manger pendant sept jours est lié à notre propos. En effet, il peut manger immédiatement, en pareil cas, parce qu'il a fait un voeu qu'il lui est impossible de mettre en pratique. Qu'importe donc que le voeu soit repoussé, qu'il disparaisse ou qu'il fasse référence à une situation naturelle, comme l'impossibilité de ne pas dormir pendant trois jours?

Le Yerouchalmi considère qu'un tel voeu s'applique car, selon lui, il ne va pas à l'encontre de la nature ou ne contredit pas la Mitsva, puisque celle-ci ne concerne pas l'homme pour lequel elle suscite un danger.

On peut aussi appliquer à tout cela ce qui était dit dans les responsa présentées dans le quatrième numéro du Kovets Loubavitch(6).

[C] Le sens de ce passage du Midrach Me'hilta semble évident(7). Il déduit de ce verset que celui qui reçoit la permission, du fait du danger, de transgresser une partie du Chabbat ne peut pas, pour autant, le transgresser entièrement. On trouve une même explication dans le traité Nazir 42b, bien que, concernant le Nazir, aucune déduction n'est faite du verset, ce qui rend ce cas incomparable à celui du Chabbat.

On peut aussi avancer une autre explication. Le temps s'écoule de manière continue. Un verset est donc nécessaire pour signifier que l'on doit respecter la fin du Chabbat, bien que l'on ait été autorisé à transgresser son début. A l'opposé, chaque action du Nazir est à considérer de manière indépendante. Ce qui concerne une action passée ne s'applique donc pas nécessairement à un acte à venir.

On peut illustrer cette idée de la manière suivante. Celui qui a mangé, au matin de Yom Kippour, doit-il, néanmoins, jeûner pendant le reste de la journée? Le Moadim Behala'ha mentionne différents livres de responsa qui traitent de ce sujet, mais je ne dispose pas de ces livres. Et l'on peut encore s'interroger sur la formulation, très longue, du Midrach Me'hilta.

[D] Il ne s'agit pas ici d'un doute, mais simplement d'une question et d'une réponse.

En tout état de cause, selon le traité Yoma, même dans un cas où il est permis d'utiliser(8) ce qui est impur, nul n'est, pour autant, dispensé de se procurer des éléments purs, dans la mesure où cela est possible. Et il doit en être de même pour ce qui fait l'objet de notre propos.

Néanmoins, on peut dire aussi que le service de D.ieu dans le Temple est particulier(9), car il comporte deux aspects de Mitsva. D'une part, effectuer ce service est une nécessité. D'autre part, le Cohen qui le fait accomplit lui-même une Mitsva. Pour autant, tout cela ne repousse pas l'impureté.

En revanche, d'après celui qui dit que l'impureté est bien repoussée, rien n'empêche le Cohen d'effectuer le service et pourquoi renoncerait-il à ses prérogatives? Et, le Yerouchalmi indique simplement qu'il n'est pas une Mitsva d'apporter les éléments purs nécessaires au service de D.ieu en passant par le domaine public.

[E] Le Beth Yossef dit clairement que le Chabbat est repoussé et rien ne permet d'affirmer qu'il est revenu sur cette position, dans le Choul'han Arou'h. Le Maguen Avraham explique pour quelles raisons on peut faire la Che'hita, pendant le Chabbat, pour donner de la viande à un malade, d'après celui qui dit que le Chabbat est repoussé et d'après celui qui considère qu'il disparaît, mais il n'indique pas comment le Choul'han Arou'h tranche.

Toutefois, il semble bien que, selon le Choul'han Arou'h, le Chabbat soit effectivement repoussé. Ainsi, il dit que "l'on donne à manger au malade par petites quantités"(10). Le Rambam, comme l'interprète le Beth Yossef, le Rachba et Rabbénou Nissim considèrent donc que le Chabbat est repoussé. Le Roch pense qu'il disparaît, mais il est le seul à être de cet avis et le Choul'han Arou'h doit donc adopter l'avis majoritaire.

[F] Je ne dispose pas du Yechouot Yaakov. Néanmoins, le commentaire de la Michna du Rambam dit: "Le malade est considéré comme étant en danger s'il n'est pas transportable ou bien s'il est impossible de lui cacher la lumière".

La Michna dit aussi "A cause du malade", c'est-à-dire sans aucune autre motivation, par exemple celle de ne pas vouloir le déranger. Ceci supprime la preuve qui est citée par le Yechouot Yaakov.

[G] La formule courante est: "Le danger repousse (et non supprime) le Chabbat". Il est donc bien clair qu'il s'agit uniquement de repousser le Chabbat, mais non de le faire totalement disparaître.

M. Schneerson,
Directeur du comité exécutif(11)

Notes

(1) Rav Efraïm Eliézer Hacohen Yallès, de Philadelphie.
(2) Voir, à ce propos, les lettres n°132 et 278.
(3) Le Michné Torah est ultérieur au commentaire de la Michna.
(4) Parce que, à la légère, il a fait un voeu impossible à tenir.
(5) Il devrait donc en être de même pour le Chabbat, lorsque le malade court un danger.
(6) Voir la lettre n°132.
(7) Voir, à ce propos, la lettre n°183.
(8) Dans le Temple.
(9) On ne peut donc rien en déduire pour les autres cas.
(10) Ce qui souligne bien que les lois du Chabbat ne disparaissent pas totalement.
(11) De Ma'hané Israël.