Lettre n° 175

Par la grâce de D.ieu,
Troisième jour de 'Hanouka 5705,

A mon très cher ami, monsieur Dov Padver(1),

Je vous salue et vous bénis,

J'ai demandé, à différentes reprises, des nouvelles de vous-même et des membres de votre famille à monsieur Bezboradko(2). J'ai donc été très heureux d'apprendre que votre installation ici s'est bien passée et que vous allez bien, de même que tous les membres de votre famille.

Puis, j'ai reçu, avec beaucoup de joie, votre courte lettre, dans laquelle, toutefois, je note que vous ne dites absolument rien concernant votre propre personne.

Votre lettre a réveillé en moi le souvenir de la période que nous avons passé ensemble à Vichy et à Nice(3), chacun de nous dans des conditions de vie auxquelles nous n'avions nullement été habitués.

Lorsqu'un homme est arraché à l'environnement dans lequel il évolue depuis un certain temps, il doit nécessairement traverser une période d'adaptation aux conditions et aux exigences nouvelles. Dès lors, apparaissent à l'évidence les traits profonds de son caractère, tels qu'ils sont réellement, sans le fard et l'apparat qui sont imposés par la société.

Très souvent, ces traits de caractère profonds révèlent tout le bien qu'un homme porte en lui, à l'état latent et dont il n'avait peut-être lui-même pas pris conscience auparavant, tant celui-ci est enseveli par les "convenances du monde". Heureux celui qui sait, dès lors que ces traits de caractère ont été révélés, ne pas leur permettre de se voiler encore une fois(4), même lorsqu'il retrouve le calme(5).

L'homme qui est appelé au sacrifice(6) se trouve dans le même état d'esprit, mais dans une proportion beaucoup plus large, qualitativement et quantitativement. Dès lors, les forces les plus élevées se dévoilent en lui(7), des forces qui émanent de l'essence de lui-même. Par la suite, son existence sera modifiée d'une extrême à l'autre(8).

C'est la raison pour laquelle celui qui fait don de sa propre personne et accepte ainsi d'aller à l'encontre de son existence peut connaître le miracle(9), qui est lui-même une remise en cause des lois de la nature. D.ieu agit ainsi, envers lui, "mesure pour mesure"(10).

Ce qui vient d'être dit reçoit également une dimension plus générale et concerne l'ensemble de notre nation. C'est effectivement ce qui se passa "à cette époque-là, en ces jours-ci"(11). Israël, humble parmi les peuples, se dressa contre une nation puissante, la Grèce. De la sorte, "les forts furent placés dans les mains des faibles, les nombreux dans les mains de ceux qui étaient peu nombreux"(11).

Je vous adresse ma bénédiction, à l'occasion de 'Hanouka et je vous demande de transmettre mon salut à tous les membres de votre famille. Avec ma bénédiction de Techouva immédiate, délivrance immédiate,

Rav Mena'hem M. Schneerson

N. B. : J'ai demandé que l'on vous adresse, par colis séparé, quelques uns des livres publiés par notre maison d'édition. Je suis certain que ceux-ci vous intéresseront.

Notes

(1) Voir également la lettre n°204.
(2) Voir, à son propos, la lettre n° 135, qui lui était également adressée.
(3) Durant la seconde guerre mondiale. Voir, en particulier, les Rechimot, les carnets que le Rabbi rédigea pour son usage personnel, dans lesquels figurent différents textes rédigés dans ces villes.
(4) Faire que l'élévation résultant de l'épreuve soit acquise de manière définitive.
(5) La vie ordinaire, à l'issue de l'épreuve.
(6) De sa vie et doit donc aller contre sa personnalité profonde, puisqu'il est dit que "un homme est capable de donner tout ce qu'il possède pour sauver sa vie". Accepter, de manière délibérée, de risquer sa vie pour préserver son Judaïsme n'est donc pas une situation naturelle et fait appel aux forces les plus profondes émanant de l'âme juive.
(7) Qu'il n'est pas capable de mettre en évidence, en période normale.
(8) Le fait d'arriver à un tel stade d'abnégation, d'être prêt à donner sa vie, fait que, si on la conserve néanmoins, on ne peut plus vivre de la même façon.
(9) En l'occurrence, avoir été sauvé de l'Europe occupée par les nazis.
(10) Adoptant envers cet homme la même attitude qu'il a eu lui-même envers D.ieu.
(11) Selon la formule du rituel de 'Hanouka, fête pendant laquelle cette lettre fut rédigée.