Semaine 38

  • Nitsavim - Vayélé’h
Editorial
Elloul pour agir

Le mois d’Elloul est, à présent, bien enraciné dans notre calendrier. Avec le passage des jours, il prend sa pleine place dans notre conscience et vient projeter une lumière nouvelle sur notre œuvre quotidienne. Décidément, le temps n’est plus à l’oubli, il est, au contraire, à un surcroît d’attention : nous savons tous que c’est aujourd’hui que nous construisons l’année nouvelle .
Il ne s’agit pas d’une simple figure de style. Le mois d’Elloul est d’abord un temps de bilan et d’effort. Au tout début de la semaine prochaine, le 25 Elloul intervient comme pour nous le rappeler : une date que l’on ne célèbre pas. Pourtant, le 25 Elloul est un jour d’une importance incontestable : c’est alors que commença la création du monde. Roch Hachana n’a cependant pas lieu en ce début de toute chose mais seulement au sixième jour du processus, celui où l’homme fut créé, comme pour nous dire que, sans lui, sans l’effort dont il possède le secret et sans sa mise en œuvre, rien n’a de sens. En d’autres termes, dans cette absence de célébration du 25 Elloul, c’est toute la puissance de l’œuvre humaine qui se révèle.
Parfois, l’homme peut se sentir bien petit devant l’univers. Il peut finir par croire que rien ne peut jamais changer, que tout le dépasse, que ce qu’on lui demande est si énorme, si hors de portée qu’il est plus facile de ne rien entreprendre. La période d’Elloul arrive alors et elle le replace au centre des choses. Il est bien le cœur et la raison d’être de ce monde. Il est bien doté de tous les outils qui lui permettent de tout changer, en commençant par lui-même.
Elloul vient finalement poser une question essentielle : veut-on être l’acteur ou le sujet de son destin ? La vision du judaïsme est celle d’un homme libre qui choisit les chemins de l’action et sait qu’il tient, entre ses mains, les clés de la vie et du bonheur. Puissions-nous savoir nous en servir et ouvrir enfin la porte qui conduit à la félicité ultime, celle de la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
La place de la Techouva

La période d’Elloul est celle de la Techouva, de retour à D.ieu. A ce sujet, une question se pose: si la Techouva est bien cette notion essentielle, incontournable, elle doit concerner chacun. Or, si un homme n’a commis aucune erreur, ou si son lien avec D.ieu est parfait, quel rapport une telle idée a-t-elle avec lui ?
Nos Sages nous enseignent (traité du Talmud Chabbat 153 a) qu’un homme doit “passer tous ses jours dans la Techouva”. Cela veut bien dire que cet effort est demandé à tous. En effet, quel que soit le degré spirituel auquel on soit parvenu, si l’on a renoncé, ne serait-ce qu’un instant, à son niveau de prière ou d’étude, cela constitue déjà une chute. La Techouva est, dès lors, indispensable.
(d’après Or Hatorah, Chir Hachirim, p. 688)
Vivre avec la Paracha
La voie la plus longue et la plus courte Rabbi Yehochoua ben ‘Hananiah dit: “un jour, un enfant m’a vaincu. J’étais en voyage, et à un carrefour, j’ai rencontré un enfant. Je lui ai demandé ‘quel est le chemin qui mène à la ville?’ et il a répondu: ‘ce chemin est court et long et celui-là est long et court’. J’ai emprunté le chemin ‘court et long’. Bientôt je suis arrivé à la ville, mais mon approche a été obstruée par des jardins et des vergers. Aussi suis-je revenu sur mes pas et j’ai dit à l’enfant: ‘Mon fils ne m’as-tu pas dit que ceci était le chemin court ?’ L’enfant a répondu: ‘Ne t’ai-je pas aussi dit qu’il était également long?’” ( Talmud Erouvin 53b) Dans la vie aussi on rencontre un chemin “court mais long” et un chemin “long mais court”. Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman de Liadi établit les fondements de l’approche de la vie selon la ’Hassidout ‘Habad. Sur la page de garde de sa “Bible du ’hassidisme” il définit son œuvre ainsi : “(Ce livre) est basé sur le verset (Deutéronome 30:14) ‘(car la Torah et ses préceptes) sont quelque chose qui est très près de toi, dans ta bouche, dans ton cœur pour que tu puisses le faire’, c’est dire, avec l’aide de D.ieu, combien c’est extrêmement proche , d’une façon longue et courte à la fois ”. La Torah et ses commandements ( Mitsvot) constituent le plan divin pour la Création, décrivant en détails la manière exacte selon laquelle D.ieu veut que la vie soit vécue, que Son but dans la création soit accompli. Mais une vie comme elle est ordonnée par la Torah est-elle possible ? Est-il réaliste d’attendre du “Monsieur Tout Le Monde ” d’accomplir chaque acte, de prononcer chaque parole et de mener chaque réflexion en accord avec les impératifs les plus exigeants de la Torah? La Torah elle-même est assez claire sur le sujet: “la Mitsva que Je t’ai ordonnée ce jour n’est ni au-dessus ni éloignée de toi. Elle n’est pas dans le ciel…ni au-delà de la mer…C’est plutôt quelque chose qui est très proche de toi, dans ta bouche, dans ton cœur, pour que tu puisses l’accomplir.” La Torah ne représente pas un idéal abstrait, un point de référence vers lequel aspirer mais un but à atteindre concret et accessible. Mais comment est-ce possible? Dans le Tanya, Rabbi Chnéour Zalman développe l’approche ‘hassidique, une approche spirituelle de la vie dans laquelle l’esprit et l’intellect jouent le rôle central et dirigeant. Tout d’abord, l’individu doit étudier, comprendre et méditer sur les vérités quintessencielles de l’existence : la réalité de D.ieu qui transcende tout, embrasse tout et pénètre tout, la racine et l’essence de l’âme et son lien intrinsèque avec son Créateur, la mission de l’homme dans la vie et ses ressources et les défis qui lui sont lancés pour qu’ils les relèvent. Puisque ces concepts sont extrêmement subtils et abstraits, il faut accomplir “un labeur de l’âme et un labeur de la chair” pour les appréhender et entrer en relation avec eux. L’étape suivante de cette approche consiste à traduire cette connaissance et cette compréhension dans les sentiments et les émotions. Etant donné que le Créateur a imprégné la nature humaine de la supériorité intellectuelle de l’âme sur le cœur, la compréhension, l’assimilation et la méditation sur ces concepts divins aboutira au développement des émotions appropriées dans le cœur: l’amour et la crainte de D.ieu. “L’amour de D.ieu” est défini par Rabbi Chnéour Zalman comme le désir inextinguible d’aller vers Lui et de s’unir à Son essence ; la “crainte de D.ieu” est la haine absolue de tout ce qui érige des barrières entre Lui et l’homme. En dernier ressort, quand l’individu a orienté son esprit et tant transformé son cœur, son observance de la Torah ne devient pas seulement possible mais un besoin absolu. Il aspire à l’accomplissement des Mitsvot avec chaque fibre de son être puisqu’elles constituent un pont entre lui et D.ieu, les moyens, et les seuls moyens, de se lier à son Créateur. Et chaque transgression de la volonté divine, quelle qu’attrayante qu’elle soit pour sa nature matérielle, le révolte littéralement puisqu’elle rompt sa relation avec D.ieu et va à l’encontre de son véritable être. Mais l’on pourrait rétorquer : pourquoi passer sa vie dans la quête de ce rythme très contraignant pour l’esprit et le cœur? Pourquoi lutter pour comprendre et sentir? Pourquoi ne pas emprunter l’approche directe : ouvrir les livres et suivre les instructions? Je suis un Juif simple, peut soutenir cette personne, et atteindre de tels idéaux spirituels comme la “compréhension du Divin”, l’“amour de D.ieu” et la “crainte de D.ieu” sont trop profonds pour moi. Je connais la vérité, je sais ce que D.ieu veut de moi, la Torah épelle assez clairement les “fais” et les “ne fais pas”. J’ai une nature matérialiste et égocentrique? Une inclination innée vers le mal et les désirs auto-destructifs? Je peux les contrôler. Ma foi, ma détermination et ma volonté feront le travail. Cela représente toutefois, le chemin court mais long. Comme la ligne la plus directe et simple entre deux points, elle paraît le chemin le plus direct vers la ville, mais en réalité, cette approche directe est une impasse. Comme la route qu’emprunta d’abord Rabbi Yehochoua, elle paraît conduire directement à la ville, mais d’une certaine manière, elle n’y mène jamais. Car son chemin constitue une lutte qui ne finit jamais, la scène d’un duel perpétuel entre l’âme animale de l’homme tournée vers elle-même et son âme divine qui aspire à la Divinité. En réalité, l’homme a reçu le libre-arbitre et suffisamment de force et de puissance spirituelle pour relever ce défi moral; mais la possibilité d’échec, à D.ieu ne plaise, existe aussi. Quel que soit le nombre de ses triomphes, demain apportera encore une épreuve. Sur le chemin court mais long, l’on peut gagner bataille après bataille, mais il n’y a jamais de victoire décisive dans la guerre de la vie. Par contre, le chemin long mais court est tortueux, il s’étire comme la vie elle-même. Il est parcouru de hauts et de bas, de marches arrière et de frustrations. Il demande chaque mesure d’élan intellectuel et émotionnel que peut fournir l’être humain. Mais c’est une voie qui conduit sûrement à ce vers quoi l’on aspire, à destination. Quand finalement l’on acquiert les aptitudes et le goût pour le divin, et une répulsion pour le mal, la victoire est certaine. L’homme s’est transformé en un être dont chaque pensée, parole et action est en harmonie avec son moi essentiel et son but dans la vie..
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que les Seli’hot ?

Les Seli’hot sont des prières de supplication qui rappellent les besoins de l’homme mais aussi sa petitesse et ses faiblesses. En récitant les Seli’hot, le Juif procède à une introspection approfondie qui lui permet d’aborder la nouvelle année avec la crainte et l’humilité requises.
Dans les communautés ashkénazes et ‘hassidiques, on commence à réciter les Seli’hot à partir du samedi soir précédant (d’au moins quatre jours) la fête de Roch Hachana: cette année samedi soir 20 septembre 2003 vers 1 h 30. Puis on récite les Seli’hot, à partir du lundi 22 septembre 2003, avant la prière du matin. Dans ce cas, on aura au préalable récité les “bénédictions du matin” ainsi que les bénédictions de la Torah.
On ne commence les Seli’hot qu’en présence de dix hommes adultes (plus de treize ans) afin de pouvoir prononcer le Kaddich.
Si possible, on reste debout pendant les Seli’hot, au moins lorsqu’on prononce les “Treize Attributs de Miséricorde” et le “Vidouy” (confession des fautes). Celui qui ne prie pas avec un Minyane (dix hommes) ne prononce ni les “Treize Attributs” ni les prières en araméen.
L’officiant s’enveloppe d’un “Talit” (châle de prière). S’il fait encore nuit, il ne prononcera pas la bénédiction: il serait alors préférable qu’il emprunte un Talit à un ami ou à la synagogue.
L’endeuillé (durant les sept premiers jours) ne sort pas de chez lui et ne peut donc aller à la synagogue pour les Seli’hot, excepté la veille de Roch Hachana (vendredi 26 septembre 2003) où les Seli’hot sont particulièrement longues.

Que fait-on la veille de Roch Hachana ?

On ne récite ni le Ta’hanoune ni les Psaumes 20 et 86 durant la prière du matin. On ne sonne pas le Choffar, afin de marquer la différence entre la coutume (du mois d’Elloul) et l’obligation (de Roch Hachana, cette année seulement le 2ème jour).
En présence de dix hommes, chacun récite le texte de “Hatarat Nedarim”, l’annulation des vœux, afin de pas commencer la nouvelle année tandis qu’on n’aurait pas accompli tout ce qu’on a promis l’année précédente: en effet, à Roch Hachana, chacun promet de mieux faire. Mais quelle serait la valeur d’une telle promesse si on n’a pas tenu les promesses de l’année précédente?
On se coupe les cheveux, on s’immerge dans le Mikvé (bain rituel) et on revêt les vêtements de fête car on est confiant que D.ieu jugera chacun avec miséricorde.
On augmente les dons à la Tsédaka en s’assurant que chacun a de quoi faire face aux dépenses de la fête.
Nombreux sont ceux qui se rendent au cimetière sur les tombes des êtres chers disparus et des Tsadikim (Justes) afin qu’ils intercèdent en faveur de leurs descendants et de leurs fidèles.
De nos jours, on évite de jeûner et on préfère donner à la Tsédaka (charité) l’argent équivalent aux repas consommés.

F. L. (d’après “Cheva’h Hamoadim” - Rav Shmuel Halevy Hurwitz)
De Recit de la Semaine
Du “ Kaddich ” à la vie

Dans une petite ville de Russie, se trouve un vieux Mikvé (bain rituel). En piteux état, il n’en a pas moins une histoire originale qui témoigne des terribles conditions de vie dans l’ex-Union Soviétique. Ce Mikvé est remarquable, non pas par son confort plus que rudimentaire, car il n’a jamais cherché à attirer l’attention mais par l’histoire de l’homme qui l’a construit.

C’était au début de la Révolution bolchevique en 1917. Un des leaders du mouvement communiste, qui attirait les foules par ses discours enflammés, n’était autre que Trotski, un Juif assimilé, ami personnel de Lénine et théoricien remarquable. De nombreux jeunes Juifs s’enthousiasmaient pour ses idées d’égalité et de fraternité qui devaient hélas, par la suite, tourner au cauchemar, à la pauvreté absolue, aux massacres et aux déportations de masse en Sibérie.
Parmi les fidèles de Trotski, se trouvait un certain Chlomo Zalman qu’on appelait “ Chlouzeman ”. C’était un jeune homme enthousiaste, fervent partisan de la Révolution supposée offrir au peuple la liberté, la justice et les droits de l’homme.
Il quitta le domicile familial et fonda avec ses amis une cellule active du mouvement communiste. En même temps, d’ailleurs, il abandonna la pratique religieuse que ses parents lui avaient inculquée avec amour, leur causant ainsi un chagrin et une honte indescriptibles.
Les années passèrent et les parents de Chlouzeman quittèrent ce monde. Quant à lui, il continuait de participer non seulement aux réunions théoriques mais aussi aux combats de rues où le meurtre, le vol et le pillage étaient pratiqués au grand jour.
Et voici qu’un beau matin, alors qu’approchait la date anniversaire du décès de son père, Chlouzeman ressentit très fort l’envie de réciter le “ Kaddich ” devant dix Juifs comme le veut la tradition. Pour cela, il se rendit dans l’une des trois synagogues de la ville.
Le jeune communiste ne s’attendait pas à la scène qui suivit. En effet, à peine avait-il franchi le seuil de la synagogue que tous les fidèles se figèrent, pétrifiés: qui pouvait prévoir ce que ce membre influent du Parti venait espionner? Qui allait-il dénoncer? Qui allait-il faire emprisonner ou déporter?
Un à un, les fidèles s’éclipsèrent prestement, comme s’ils s’étaient donné le mot. Et Chlouzeman se retrouva seul, sans Minyane, sans dix hommes devant lesquels réciter le Kaddich.
Qu’à cela ne tienne ! Ennuyé et blessé, il se rendit alors dans la seconde synagogue. Mais la réaction des fidèles y fut identique ! En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les quelques Juifs qui osaient encore prier à la synagogue la quittèrent le cœur battant, en espérant que Chlouzeman ne les avait pas reconnus, n’allait pas les dénoncer.
C’est alors que Chlouzeman réalisa combien il était encore attaché à son peuple, combien la méfiance de ses coreligionnaires à son égard lui faisait mal. Et puis, comment pourrait-il réciter Kaddich dans ces conditions?
La tête basse, Chlouzeman se rendit dans la troisième synagogue, celle des ‘Hassidim. Il entra sur la pointe des pieds, pour ne pas effrayer les fidèles. Ceux-ci le remarquèrent, mais restèrent à leurs places. L’un d’entre eux, un vieillard à la barbe blanche s’approcha de lui! Chlouzeman était fasciné par son regard doux et amical.
“Que désirez-vous, jeune homme?” demanda le ‘Hassid.
“Kaddich. Je veux réciter le Kaddich à la mémoire de mon père” dit Chlouzeman, honteux.
“Et les Téfilines? Avez-vous déjà mis les Téfilines aujourd’hui?”
Non, Chlouzeman n’avait pas mis les Téfilines ce matin. Ni les autres matins. Depuis bien longtemps. Il ne s’était pas attendu à cette question et secoua la tête négativement.
Immédiatement le ‘Hassid sortit ses propres Téfilines de son sac de velours brodé et aida Chlouzeman à les mettre avec la bénédiction adéquate sur le bras et la tête.
Les fidèles étaient restés dans la synagogue, Chlouzeman pouvait donc prononcer le Kaddich à la mémoire de son père grâce au livre de prières que le vieux ‘Hassid lui avait mis entre les mains. Les mots lui revenaient et l’émotion faisait trembler sa voix: étonnés, les ‘Hassidim le regardaient, le comprenaient…

* * *

Les “camarades” de Parti de Chlouzeman l’attendirent patiemment, longtemps, mais il ne revint pas. La synagogue des ‘Hassidim devint sa seconde maison; c’est là qu’il passait maintenant chaque moment libre. Il avait retrouvé le bon chemin, celui que son père lui avait enseigné.
Les autorités bolcheviques avaient fermé le Mikvé (bain rituel) local sous prétexte d’un manque d’hygiène. Il était cependant évident qu’il s’agissait d’empêcher la pratique religieuse. Chlouzeman entreprit de relever le défi: dans l’épaisse forêt qui bordait la synagogue, il se mit à creuser avec l’aide de ses amis. Durant de longues nuits, à l’abri des regards indiscrets, les ‘Hassidim déblayèrent, creusèrent, cimentèrent ce qui allait devenir un Mikvé cachère qui permettrait à la vie juive de s’épanouir à nouveau dans ce village selon les lois de la Torah.
Le Kaddich, hommage à un mort, avait permis le développement de la vie…

“ Meorot Hadaf HaYomi ”
traduit par Feiga Lubecki