Semaine 29

  • Vaet’hanan
Editorial

 Prélude à la joie

Alors que cette semaine intervient, une année de plus, le jeûne du 9 Av et que, avec lui, montent encore les souvenirs du drame – la destruction du premier et du second Temple par les armées venues de Babylone et, des siècles plus tard, de Rome – l'attente de la venue de Machia'h, du Messie, ne peut être que plus impatiente. Et cette attente s'exprime, jour après jour, de façon croissante, avec une assurance renforcée par le passage du temps.
En un récit bouleversant, le Talmud rapporte qu'un paysan local, non-juif, était occupé à faire paître sa vache alors que l'envahisseur assiégeait Jérusalem. Tout à coup, l'animal eut un meuglement. «Le Temple a été détruit» déduisit l'homme. Quelques instants plus tard, l'animal fit un second meuglement. «Le sauveur du peuple juif est né» proclama le paysan. L'anecdote peut paraître étrange, pourtant nous sommes les héritiers de cette double histoire. Nous sommes ce peuple qui, ayant vécu les pires tragédies, reste porteur de bien plus qu'un espoir indomptable. Il l'est d'une certitude absolue : le monde a un sens et les actes des hommes ont un but. Depuis la création de l'univers, de génération en génération, nous avançons vers cet accomplissement ultime : la venue du Messie.
Cette idée traverse l'histoire juive avec une telle force que Maïmonide fait de l'attente incessante de cette venue un des principes fondamentaux de la foi juive. Lorsque nous regardons autour de nous, l'état du monde peut inspirer quelques craintes. Et chacun peut légitimement s'interroger sur les périls qui montent ou sur cet alanguissement généralisé qui paraît imprégner la société d'une pesante morosité. Au cœur de cette grisaille inquiète, le peuple juif connaît un chemin sûr. Il y avance avec une joie confiante et toujours ancrée dans le réel. Il sait qu'il œuvre dans la direction voulue par D.ieu et qu'il arrivera à la conclusion attendue. Alors, sans tenir compte de toutes les considérations autres, il poursuit sa voie. Certes, parfois, il s'y sent bien seul mais n'est-ce pas une part de son sort – être «un peuple qui réside solitaire» ?
Le jeûne du 9 Av passe et voici que, à l'horizon de la semaine, se tient le «Chabbat Na'hamou», celui de la consolation. Car c'est là notre vie dans son essence : la consolation après le drame, la joie après l'affliction, enfin l'avènement de l'ère messianique pour l'éternité.

H.Nisenbaum

Etincelles de Machiah

 «Y croire... Attendre sa venue»

On relève que Maïmonide, dans le Michné Torah (Hil'hot Mela'him, chap. 11), souligne la nécessité d'une double démarche en ce qui concerne notre rapport avec la venue de Machia'h : «Y croire... Attendre sa venue». Cette juxtaposition de deux impératifs dont le contenu est pourtant si proche doit être analysée. En effet, il ne s'agit pas là d'une simple répétition qui aurait pour but, par exemple, d'insister sur l'importance de l'idée.
En fait, il y a bien ici la mise en lumière de deux nécessités parallèles. Cela signifie que, de même que l'obligation de croire dans le Machia'h est constante, ainsi celle d'attendre sa venue ne l'est pas moins.
(d'après Likoutei Si'hot vol XXVIII, p. 131) H.N.

Vivre avec la Paracha

 Vaét'hanane
Joindre idéalisme et réalisme

Il existe deux sortes d'individus : les idéalistes et les réalistes. Les idéalistes rêvent d'un monde où règnent la justice sociale, l'harmonie entre le corps et l'âme, le respect de l'environnement et une vie imprégnée d'une conscience supérieure.
Les réalistes, quant à eux, s'investissent dans des objectifs concrets et pragmatiques comme la sécurité matérielle, la gestion du temps et le respect d'un rythme de vie sain.
Pour être un véritable idéaliste, il ne faut pas tenir compte des obstacles que l'on peut rencontrer dans la réalisation de ses rêves. L'idéalisme pur suit les exigences de la vérité seule et ne se plie pas aux contraintes environnementales ou sociales.
Mais par contre, sans réflexion réaliste, les rêves risquent de rester dans le monde de l'imaginaire, jamais expérimentés, jamais réalisés dans le vrai monde et n'apportant aucune aide à quiconque.
En 1940, quand le sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its'hak Schneersohn était sur le bateau quittant l'Europe déchirée par la guerre pour les Etats-Unis, il convoqua l'un de ses secrétaires, le Rav Hodakov, et lui demanda de prendre un papier et un crayon. Le Rabbi dicterait et lui écrirait. Le Rabbi se mit alors à mettre en forme le plan d'actions destiné à épanouir le judaïsme en Amérique. Il développa la manière dont il créerait, dès son arrivée dans le nouveau pays, trois institutions : une maison d'édition, une institution éducative pour les enfants et une autre pour les adultes. Et il en détailla tous les aspects.
Après avoir dicté son plan, le Rabbi déclara : «Peut-être pensez-vous que je devrais attendre d'être arrivé en Amérique pour formuler mon plan. Je pourrais alors évaluer les besoins de la communauté américaine et y adapter mes projets. Non ! Je serais alors influencé par ce que je vois et ma vision pour l'Amérique serait altérée. Je veux un judaïsme européen et non un judaïsme américain (avec des compromis) !»
Le travail de notre vie consiste à intégrer nos idéaux les plus élevés au cadre de vie le plus concret, affirment les Cabalistes. Et cette fusion nécessite de l'intégrité et beaucoup de travail créatif.
Que sera le monde à l'ère messianique ? Les Cabalistes le caractérisent très simplement : la fusion des plus beaux idéaux pour l'humanité avec un style de vie concret ; une âme qui s'exprime pleinement et qui vit confortablement dans un corps physique.
D.ieu ne laissa pas Moché entrer en Terre d'Israël. Il pria, supplia D.ieu de lui pardonner et de lui permettre d'y pénétrer. D.ieu avait pardonné au peuple juif quand Moché avait plaidé pour lui, mais quand il s'agit de l'erreur de Moché, D.ieu ne céda pas.
D.ieu ne voulait pas de lui en Israël, péché ou pas. Le péché semble avoir été un prétexte bien utile. Au bout du compte, il n'y entrerait pas.
Cela est difficile à admettre dans la mesure où Moché n'avait jamais voulu de cette mission et que malgré tout, et durant quarante années, il fut un dirigeant dévoué. Et maintenant que le voyage atteignait son ultime destination et que le peuple allait enfin s'installer sur une terre qui était la sienne, Moché était exclu !
Le Talmud compare Moché à la lumière du soleil et Yehochoua à la lumière de la lune. L'intensité des rayons du soleil est telle que lorsqu'il brille, tout est illuminé. La lumière de la lune est plus subtile. Quand elle brille, le ciel reste noir, la nuit conserve son sombre mystère.
La puissance de Moché était telle que s'il avait conduit les Juifs en Israël, les choses auraient été simples. Ils auraient conquis la terre sans difficultés. Si Moché avait construit le Temple, sa sainteté aurait été telle qu'il n'aurait jamais été détruit.

Cela paraît extraordinaire !

Mais D.ieu ne voulait pas que les choses soient si simples. Certes Moché était dynamique et pouvait éclipser l'obscurité mais alors, les Juifs auraient été passifs et l'auraient laissé travailler pour eux. Pour prendre possession de la terre, ils devaient s'impliquer activement.
Yehochoua représentait le candidat idéal. C'était un dirigeant fort, mais pas assez pour bannir complètement l'obscurité. Lui et le peuple agiraient de concert pour surmonter les nombreux obstacles qui allaient se présenter et pour finalement s'installer sur la Terre.
Le Peuple avait une vision, un rêve : s'installer sur la Terre Promise. Concrètement, ce rêve était très difficile à réaliser. D'autres peuples vivaient dans ce pays. Il serait difficile de s'autogouverner, de s'entendre. Moché, à leur tête, aurait aplani ces difficultés. Mais D.ieu ne voulait pas qu'ils échappent au sain processus de planter les graines de la vision dans le sol brut de la réalité. Et cela, ils ne pouvaient le faire que sans Moché.
Comme pour souligner combien est sacrée cette fusion avec la vraie vie, Moché répète, dans le cinquième livre de Devarim, les Dix Commandements. Cependant, dans sa version, l'expérience sinaïtique semble bien différente. Dans le récit initial du livre de Chemot, la Torah décrit le Sinaï, rempli de fumée au moment où D.ieu descend sur la montagne, dans le feu. La nation tout entière tremble. Le tonnerre et les éclairs précèdent la voix de D.ieu. Après avoir entendu D.ieu leur parler directement, le peuple supplie Moché de transmettre les paroles de D.ieu, parce qu'à chacune de Ses Paroles, ils succombent.
Ici, dans cette seconde version, Moché ne mentionne qu'à peine tout cet apparat. Ce qu'il décrit est l'effet de l'expérience du Sinaï sur le Peuple. «Il vous fut montré que l'Eternel est votre D.ieu... Sur la terre, D.ieu montra Son grand feu et Ses paroles vous entendîtes... Face à face, D.ieu vous parla...»
Les Dix Commandements de Chemot sont à propos de D.ieu. Quand ils sont répétés dans Vaét'hanane (Devarim), ils évoquent l'impact qu'ils eurent ici-bas.
Ces deux versions s'unissent pour faire fusionner l'idéalisme spirituel de la Torah et la réalité de la vie.
La fusion réussie constitue ce que nos Sages appellent : «la Torah de Machia'h».

Le Coin de la Halacha

 Comment marque-t-on le deuil du Temple de Jérusalem ?

Depuis la destruction du Temple de Jérusalem en l'an 69 (ou 70) de l'ère commune, aucune joie ne peut plus être complète : «Les portes de la prière sont fermées, la prophétie n'appartient plus aux prophètes mais aux Sages, aux fous et aux enfants, la royauté de David s'est arrêtée ; la violence et le mensonge règnent...»
Rambam (Maïmonide) écrit dans les «Lois de la maison d'Élection» : «Bien que le Temple ait été détruit à cause de nos fautes, il convient de se conduire comme s'il se dressait encore dans toute sa splendeur : on n'entre pas dans les endroits où on n'avait pas le droit d'entrer, on ne s'assoit pas dans ce qui servait de cour, on ne s'y conduit pas avec légèreté car, bien qu'il soit détruit, la sainteté y subsiste».
Il est écrit dans les Tehilim (Psaumes 137) : «Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite m'oublie... Si je ne place pas Jérusalem au sommet de ma joie ».
Celui qui fait construire une nouvelle maison, doit y laisse un carré sans peinture. Une femme ne met pas tous ses bijoux. Le fiancé brise un verre à la fin de la cérémonie du mariage.

Qu'est-ce que le 15 Av (cette année, lundi 22 juillet 2013) ?

Le 15 Av est un jour particulièrement joyeux, propice aux mariages. On ne récite pas le Ta'hanoun (supplications) et les fiancés, le jour de leur mariage, ne jeûnent pas.
En ce jour, les hommes de la génération du désert ont arrêté de mourir pour la faute des explorateurs ; les tribus ont reçu à nouveau l'autorisation de se marier entre elles après la terrible faute commise par la tribu de Binyamine (Juges 19) ; Hochéa Ben Éla détruisit les barrières mises en place par le roi Yéroboam pour empêcher les Juifs de son royaume de se rendre en pèlerinage à Jérusalem ; la coupe du bois pour les sacrifices du Temple était terminée ; les morts de la ville de Bétar purent enfin être enterrés, trois ans après la chute de la ville sous le règne des Romains.
A partir du 15 Av, on augmente l'étude de la Torah durant la nuit. Certains affirment qu'on peut déjà se souhaiter une bonne et douce année en prévision des fêtes de Tichri.
F. L. (d'après Séfer Hatodaa)

Le Recit de la Semaine

 L'énigme est résolue !

Comme on le sait, sortir de Russie à l'époque du communisme triomphant était particulièrement ardu pour ne pas dire impossible. Surtout quand la destination prévue était la Terre Sainte ! Nombreux étaient ceux qui présentaient une demande d'émigration pour quitter le «paradis soviétique» à l'OVIR – le bureau chargé de gérer ces demandes – et qui se voyaient opposer une fin de non-recevoir, sans compter, parfois, une menace de perdre son emploi. Combien de fois avais-je déjà tenté ma chance et essuyé des réponses sèches et même brutales !
En 1966, mon beau-frère, le regretté Rav Moché Wishedski réussit à sortir de ce pays et, avec toute sa famille, à s'installer en Israël. Avant son départ, je l'avais supplié que, dès qu'il aurait le privilège de se rendre à Brooklyn auprès du Rabbi, qu'il mentionne mon nom afin que je puisse, moi aussi avec toute ma famille, sortir enfin pour pouvoir mener une vie juive normale et éduquer mes enfants dans le judaïsme sans être obligé de me cacher.
Au mois de Tichri de cette même année, j'ai fait un rêve troublant : un homme impressionnant, au beau visage entouré d'une barbe fournie, me tendait un papier en affirmant : «Avec ce papier, tu sortiras de Russie et tu monteras en Israël !»
Je voulus – toujours dans mon rêve – lui demander qui il était, quel était ce papier mais, avant que j'ai pu articuler un son, il avait disparu.
Bouleversé, je me suis réveillé : jamais il ne m'était arrivé pareille aventure. Je ne connaissais pas cet homme et tout ceci ne me semblait pas simple du tout. D'abord, j'ai pensé que, après tout, ce n'était qu'un rêve et qu'il ne convenait pas d'y attacher trop d'importance. Mais par ailleurs... cet homme avait l'air si sûr de ce qu'il affirmait... en quoi cela pouvait-il poser problème ? Je ne risquais rien à tenter à nouveau ma chance.
Le même jour, je me suis présenté à nouveau au bureau de l'OVIR et j'ai demandé pour la énième fois les formulaires d'émigration. Quand le fonctionnaire m'a aperçu – il me connaissait bien maintenant – il me regarda avec colère : «Ne t'avais-je pas déjà signalé que ta demande avait été refusée ? Pourquoi reviens-tu ?»
Je n'ai pas prêté attention à ses paroles acides et j'insistai pour obtenir à nouveau ces formulaires. Une fois les papiers remplis, je les ai tendus au fonctionnaire dans un silence glacial et j'ai attendu.
A peine quelques jours plus tard, je n'en crus pas mes yeux : un coursier, spécialement envoyé par l'OVIR, sonna à ma porte et m'apporta à la maison le permis tant espéré ! J'étais tellement troublé que je ne compris pas ce qui se passait : depuis tant d'années, j'avais déposé si souvent ma demande et là, même pas une semaine après mon dernier passage à l'OVIR, j'avais déjà le papier dans la main ! De plus, normalement, il fallait retourner se présenter au bureau en personne mais là, un coursier avait été spécialement sommé de m'apporter le papier à la maison ! Seuls ceux qui ont eu affaire à la bureaucratie en Union Soviétique peuvent comprendre ma stupéfaction.
Qui peut décrire notre soulagement à la vue de ce papier tant espéré, depuis autant d'années ? Nous avions maintenant déjà un pied au dehors et un pied en Israël !
Je compris que tout cela n'était pas simple et que le rêve que j'avais fait quelques jours auparavant était bien réel : certainement, y avait-il un lien avec cette permission miraculeuse !
Après les derniers préparatifs, nous avons enfin pu partir puis fouler le sol de la Terre Sainte. Mon beau-frère nous accueillit à notre descente d'avion et nous amena directement chez lui à Kfar 'Habad. Quand j'entrai chez lui, j'aperçus sur le mur un énorme portrait : je me suis arrêté comme frappé de paralysie. J'étais si bouleversé que je ne pouvais plus avancer : je regardai encore et encore ce portrait et ce n'est qu'au bout de quelques minutes que je parvins à demander :
- Qui est cet homme représenté sur ce portrait ?
- Comment ? Tu ne le connais pas ? C'est notre Rabbi !
- C'est incroyable, balbutiai-je... Cet homme... Cet homme... C'est lui que j'ai vu dans mon rêve... Il m'avait promis, oui il m'avait promis... que je sortirai de Russie et que je monterai en Israël... !
J'étais en proie à un tel choc que, respectueusement, les membres de ma famille attendirent un long moment que je me calme. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce portrait du Rabbi, ce Rabbi que je n'avais jamais vu bien que je fus attaché de toutes les fibres de mon âme à tout ce qu'il représentait : les photos du Rabbi étaient inconnues en Union Soviétique même si son action était ressentie par ses 'Hassidim avec lesquels il entretenait une relation toute particulière et pour lesquels il luttait nuit et jour.
Tous restaient autour de moi, attendant que j'ouvre la bouche et que j'explique ce qui m'arrivait.
J'ai alors raconté ce rêve étrange qui m'avait poussé à demander encore une fois les visas tant attendus.
- Alors moi, je vais te raconter la première partie de l'histoire, déclara mon beau-frère. Lors de ma visite chez le Rabbi, il y a quelques mois justement, dès que je suis arrivé, j'ai écrit un mot au Rabbi en mentionnant ton nom et ceux de tous les membres de ta famille en demandant que vous puissiez bien vite sortir d'URSS. Le jour même, j'ai reçu une réponse du Rabbi comme quoi tu recevrais très rapidement les visas nécessaires.
Nous avons récapitulé les dates exactes de nos interventions respectives et toutes les pièces du puzzle se mirent en place à la perfection !

Rav Chalom Dov Ber Raskin (zal)
Kfar Chabad n° 1510
Traduit par Feiga Lubecki