Semaine 5

  • Michpatim
Editorial
Demain, un autre jour

Lorsque la journée a semblé trop longue, lorsque les soucis du quotidien ont pesé d’un poids trop lourd, qui ne s’est pas dit fugitivement : “Demain sera un autre jour” ? Qui n’a pas espéré qu’avec la nuit, tout s’effacerait et qu’avec le jour suivant, le monde aurait d’autres couleurs, plus vives et plus belles? Pourtant, si un tel espoir est, comme par nature, enraciné dans le cœur de l’homme, l’esprit peine parfois à en saisir la profondeur, la puissance et la portée.
De fait, attendre du lendemain ce que la veille n’a pas offert est un sentiment qui peut simplement sembler utile pour absorber les incertitudes du quotidien. Cependant, il peut aller bien au-delà d’une telle évidence. Car chaque jour s’ouvre effectivement sur un monde radicalement nouveau. Pour la vision juive, ce n’est qu’en apparence que la création est éternellement stable. Plus profondément, D.ieu la renouvelle à chaque instant, ce qui implique que l’univers que nous connaissons dans la période précédente est remplacé par une création nouvelle dans celle qui suit.
Au-delà des conséquences spirituelles de cette conception, il est clair qu’elle entraîne, pour chacun, une autre ouverture. En effet, de même que nous affrontons des obstacles nous semblant insurmontables, nous savons que, essentiellement, ils n’ont pas plus de réalité que l’instant qui passe. Alors même que tout espoir paraît vain, nous savons qu’il ne peut que naître à nouveau. C’est ici que l’immédiateté qui caractérise notre époque prend un sens plus riche et plus profond. Loin d’être l’oubli incessant de la réalité des choses, la perte de sens qui frappe souvent les évènements rencontrés, cette immédiateté devient ainsi une opportunité inespérée. Le monde change et tout devient possible. Plus rien n’est hors de notre portée. Les obstacles s’évanouissent devant la volonté de celui qui veut les surmonter. Décidément, demain peut être non seulement un autre jour mais véritablement un jour différent. Il suffit, dans ce sens, que nous nous en saisissions afin qu’il devienne ce lendemain éternel où la lumière de Machia’h brillera pour toujours.
Etincelles de Machiah
D.ieu sera Un

Le prophète Zacharie (14 :9) annonce pour les temps messianiques : “En ce jour, Dieu sera Un et Son Nom sera Un”. Cette phrase demande explication: l’unité de D.ieu n’est-elle pas une réalité constante, aussi assurée aujourd’hui qu’elle le sera plus tard ?
En fait, en notre temps, cette unité n’est pas manifeste, à telle enseigne que l’univers créé paraît être une entité indépendante dotée d’une existence autonome. Au contraire, dans l’avenir, l’unité du Créateur sera visible à tous. Chacun verra clairement comment l’univers est fondamentalement inexistant devant la Lumière Divine qui se déverse en lui et l’anime.
(d’après Torah Or, Vaéra, p.55c)
Vivre avec la Paracha
Michpatim
Mélanges et fusions : un aperçu sur l’inexplicable

Ne cuisinez pas le veau dans le lait de sa mère (Chemot 23:19).

La viande a son origine dans l’attribut divin de justice, le lait dans celui de la miséricorde (Chaloh).

Dans le monde futur de Machia’h, l’interdiction de mélanger la viande et le lait sera annulée (Rabbénou Be’hayé).

Le monde de l’expérience de nos cinq sens est diversifié et présente de nombreuses facettes. Nous faisons la distinction entre la matière et l’esprit, la lumière et l’obscurité, l’animé et l’inanimé, le masculin et le féminin; nous faisons entrer dans des catégories les plantes et les animaux, selon leur espèce, et évaluons les minéraux selon leur valeur marchande. Mais dans quelle mesure ces distinctions sont-elles réelles ? Quelle est la différence profonde entre l’or et le cuivre, une pomme et une orange, un bœuf et un âne ?
Car nous ressentons également une unité dans l’univers. Plus nous avançons dans la découverte des secrets de la création, plus nous découvrons l’unité sous la diversité. Le nombre incalculable d’objets qui peuplent notre monde s’avère provenir de composants issus de quelques blocs élémentaires de matière; les forces diverses qui les maintiennent ou les séparent se révèlent constituer les mutations de quelques lois fondamentales. En dernier ressort, nous croyons que la science découvrira la formule unique décrivant l’ensemble de l’existence matérielle. Cette unicité sous-jacente de l’univers complète notre perception spirituelle de la réalité: toute entité et toute force existantes ne sont qu’une seule expression de la vérité singulière de D.ieu, Qui les a créées dans un but unique et unificateur.
En fait, la pluralité de notre monde fait partie intégrante du dessein divin pour l’existence. Au cours des six jours de la création, nous voyons D.ieu faire des catégories d’espèces et placer les limites entre la lumière et l’obscurité, la matière et l’esprit, la terre et la mer. Et de fait, le Nom divin qui connote l’implication de D.ieu dans la création, Elokim, est au pluriel, mettant l’emphase sur l’implication spécifique de D.ieu dans les détails et les distinctions qui marquent Sa création.
C’est pourquoi, la Torah, les instructions que D.ieu communique à l’humanité, ne fait pas que “séparer entre le pur et l’impur”, définissant le permis et l’interdit, mais interdit également le mélange des espèces et des catégories dans le domaine du permis lui-même. La Torah précise les animaux dont le Juif peut manger le lait et la viande, et les espèces dont le lait et la viande sont interdits; mais elle interdit également la consommation du lait et de la viande cuits ensemble, même si chacun, seul, est autorisé. De la même façon, les lois des Kilayim (hybrides) interdisent de porter un vêtement combinant le lin et la laine, le croisement de certaines espèces animales et la greffe ou les semailles de certaines espèces végétales. Selon les mots de Na’manides, “D.ieu a créé les espèces de Son monde… commandant qu’elles émergent chacune selon son espèce… de sorte que celui qui croise deux espèces corrompt l’œuvre de la création…”.

Trois catégories
Toutefois, il existe des exceptions. Malgré l’interdiction de mélanger le lin et la laine dans la confection d’un vêtement, la Torah donne l’instruction spécifique d’élaborer un tel mélange pour fabriquer plusieurs des habits sacerdotaux portés par les Cohanim dans leur service du Beth Hamikdach (le Saint Temple). Et également, juste après l’injonction: “ne portez pas de Chaatnez - lin et laine ensemble”, la Torah nous commande “faites des franges aux quatre coins de vos habits”, le Talmud nous expliquant qu’il est permis de mélanger la laine et le lin pour observer la Mitsvah des Tsitsit.
Cependant, la permission de mêler deux espèces pour accomplir une Mitsvah n’est accordée que dans le cas des Tsitsit. En ce qui concerne les autres interdictions des Kilayim, nous ne trouvons aucune autre exception. Et d’ailleurs, à propos de la viande et du lait, la Torah va même jusqu’à nous instruire spécifiquement qu’ils ne peuvent être combinés, même dans le but de servir de D.ieu.
Dans Chemot 23:19, nous lisons: “les premières récoltes de votre terre, vous les apporterez à la Maison de l’Eternel, votre D.ieu; ne cuisez pas un veau dans le lait de sa mère”. Pourquoi ces deux lois, apparemment sans lien, sont-elles citées dans le même verset? Le Midrach explique que la Torah désire préciser que l’interdiction de mélanger la viande et le lait s’applique également dans le cas de la cuisson des Kodachim, la viande sainte des offrandes apportées à D.ieu dans le Beth Hamikdach.
Une observation attentive nous permet de distinguer trois catégories de mélanges interdits:
a) le mélange de lin et de laine, interdit dans la fabrication de vêtements destinés à un usage mondain, quotidien, mais permis dans le cas des Tsitsit et des vêtements sacerdotaux, dans le but de servir le Tout-Puissant.
b) la cuisson de la viande avec du lait, interdite spécifiquement par la Torah, même pour des desseins exclusivement saints.
c) l’interdiction sans équivoque de croiser les plantes et les animaux. Ici, la Torah ne trouve pas même nécessaire de réitérer qu’il est également interdit d’opérer ce croisement pour une Mitsva, supposant que nous comprendrons cette interdiction comme s’appliquant de la même façon aux sujets mondains et saints.

Une paix graduelle
Le but proclamé de la Torah est de “faire la paix dans le monde”. Faire la paix signifie unir et intégrer, rassembler des éléments divergents, des individus et des peuples en une entité harmonieuse. Aussi le prophète Tséphania décrit-il l’ère messianique, la réalisation du plan de la Torah pour la vie sur terre, dans ces termes: “Alors Je convertirai toutes les nations dans un langage plus pur pour qu’elles clament le Nom de D.ieu pour Le servir dans un consentement uni”. Aujourd’hui, l’humanité et la nature sont fragmentées et en conflit, puisque chacun de leurs composants multiples cherche l’accomplissement et la réalisation par des voies différentes et conflictuelles. La Torah vient apporter à tous un dessein unique, les unifier dans le but commun de servir leur Créateur.
Comment concilier cela avec le rôle de la Torah décrit plus haut qui renforce les limites? N’avons-nous pas affirmé que la Torah différencie et distingue, préserve les démarcations de la création de D.ieu ?
En réalité, toutefois, il n’y a pas de contradictions. La paix ne consiste pas à effacer les frontières et à oblitérer les identités. La paix ne dicte pas aux nations et aux individus de désavouer leur particularisme et de fusionner en un tout sans distinction. Bien au contraire, une telle “paix” est toujours superficielle et artificielle, puisqu’elle va à l’encontre de la nature et de l’essence de ses partenaires et en dernier ressort elle se désintègre en chaos et anarchie. La paix véritable est un état dans lequel les entités diverses unissent leurs forces vers un but commun, chacune contribuant à l’accomplissement de cette harmonie par ses qualités distinctes.
Et c’est là que réside le sens profond de ces trois catégories de mélanges définies par la Torah.
Croiser des espèces différentes est toujours négatif, même lorsque l’objectif est une Mitsva, l’acte ultime de servir le Tout Puissant. Le croisement crée une créature nouvelle, hybride, qui n’est ni l’un ni l’autre de ses géniteurs, une créature dans laquelle les différences entre les deux espèces ont été éradiquées. La frontière définie de la création est effacée, causant un hiatus plutôt qu’une consolidation, dans le développement universel de la paix.
Par ailleurs, la combinaison du lin et de la laine dans la confection d’un vêtement ne viole l’intégrité d’aucun de ces composants. La laine reste de la laine et le lin reste du lin. On peut toujours effilocher et séparer les fibres. Ce qui s’est passé est que deux éléments de la création, chacun préservant (et employant) ses caractéristiques et ses qualités ont été combinés pour créer un objet d’esthétique et d’utilité.
Néanmoins, une telle combinaison, quand elle est utilisée à des fins profanes ou personnelles, est négative et destructrice. Certains éléments (comme le lin et la laine) représentent des forces spirituellement divergentes qui vont inévitablement se confronter plutôt que s’unifier. Selon les Cabalistes, la laine représente le ‘Hessed (la bienveillance) et le lin la Gvourah (la sévérité, la retenue). C’est pourquoi la Torah a interdit leur union. Ce n’est que lorsqu’elles sont unies dans la réalisation ultime de leur dessein: servir leur Créateur, que ces forces convergent harmonieusement plutôt que de façon conflictuelle.
Une troisième catégorie, qui se place entre les deux précédentes, est le mélange, par la cuisson, du lait et de la viande. Ici, l’effacement de la distinction n’est pas si absolu que dans le cas du croisement, où la quintessence des deux espèces (c'est-à-dire leur force de reproduction) a été effacée : seules les propriétés physiques (le goût, l’arôme, la couleur etc.) de la viande et du lait sont mêlées mais leurs substances essentielles restent inaffectées. L’on pourrait donc penser que la comparaison entre ce plat interdit à un vêtement tissé de lin et de laine est adéquate. C’est pourquoi la Torah doit spécifiquement indiquer qu’il n’en est rien, la cuisson de lait et de viande est une violation plus sévère des frontières de la création que le Chaatnez. En cuisant, la viande se sature de lait, et vice-versa, au point qu’ils ne sont plus distincts l’un de l’autre. Cuits en une masse inséparable, ce mélange “hybride” ne peut représenter la réalisation d’une paix véritable et c’est pourquoi il est inutilisable même dans l’environnement le plus harmonieux soit-il, celui de la “Maison de D.ieu”.

Une vue future
Citant des sources de la Cabbale, Rabbénou Bé’hayé (Rabbi Bé’hayé ben Acher 1265?-1340?) écrit que dans le futur âge parfait de Machia’h, l’interdiction du mélange du lait et de la viande sera abolie.
Le monde de Machia’h est un monde dans lequel “ton Maître ne sera plus enveloppé de mystère; tes yeux verront ton Maître”, un monde dans lequel la matérialité de notre existence ne renfermera plus et ne cachera plus l’Essence divine de la réalité.
La combinaison du lait et de la viande sera permise parce que deux changements auront lieu. Tout d’abord, la vie ne consistera plus en domaines “profane” et “saint”. Dans un monde imprégné de l’immanence et de la conscience de D.ieu, tous nos actes et nos accomplissements seront des actions saintes, des actions en harmonie parfaite avec la raison d’être de chaque création.
D’autre part, notre perception de la réalité sera plus profonde et plus vraie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Dans la réalité superficielle que nous habitons aujourd’hui, le lait et la viande cuits ensemble sont devenus virtuellement un seul aliment; nous n’avons pas accès aux différentes forces combinées ensemble. C’est donc Kilayim, une destruction des frontières naturelles. Mais à la lumière de leur quintessence, la viande et le lait restent deux entités, aussi complètement qu’ait pu être effectué le mélange ; en fin de compte, ils ressemblent à la combinaison du lin et de la laine du Chaatnez, plutôt qu’à la réalité hybride des Kilayim des animaux et de végétaux croisés. Dans la réalité de Machia’h, une telle combinaison ne compromettra pas l’unicité de chaque élément. En réalité, lorsque l’essence spirituelle de chaque chose sera réelle et tangible, la viande et le lait représenteront un véhicule de véritable harmonie dans lequel les éléments variés de la création de D.ieu s’unissent pour Le servir.
Le Coin de la Halacha
Le coin de la Hala’ha

A quoi cela sert-il de mettre les Téfilines juste une fois à un Juif ?

A la veille de la “Guerre des Six Jours”, en juin 1967, le Rabbi de Loubavitch a lancé une campagne mondiale pour que chaque Juif mette les Téfilines, en affirmant que c’était la meilleure protection contre les ennemis. Depuis, les ‘Hassidim aident partout des Juifs à mettre les Téfilines, même ceux qui n’ont jamais fêté leur Bar Mitsva.
Le Rambam (Maïmonide) affirme (Hil’hot Techouva 3. 4): “Chacun doit considérer qu’il est à moitié méritant et à moitié coupable. De même, il doit considérer le monde entier comme moitié méritant et moitié… S’il fait une seule ‘Mitsva’, voici qu’il aura fait pencher sa propre balance et la balance du monde entier vers le côté du mérite et il provoquera la délivrance!” On comprend qu’une Mitsva, même si elle n’est accomplie qu’une fois, a une très grande importance, non seulement pour le Juif qui l’accomplit mais pour le monde entier.
Par ailleurs, un Juif qui aura mis des Téfilines cachères au moins une fois dans sa vie, ne sera plus considéré comme ayant “une tête qui n’a jamais mis les Téfilines”, ce qui est décrit comme très grave dans le Talmud.
Dans les “Pirké Avot” (Maximes des Pères) il est écrit (et l’expérience le prouve): “Une Mitsva en entraîne une autre”. Celui qui met les Téfilines une fois sera certainement amené à accomplir d’autres Mitsvot et donc à se rapprocher d’une vie juive complète.
Il est écrit que, avant de mettre les Téfilines, un Juif doit vérifier que son corps est propre et que ses pensées sont pures. Cependant, nul ne peut avoir des doutes sur la propreté du corps ou la pureté des pensées d’un autre Juif, en effet: “Et Ton peuple, ce sont tous des Justes” (Isaïe 60. 21). Rabbi Moché de Coucy, un des Baalé Tossefot, écrit: “Il n’existe pas un Juif assez méchant pour ne pas être digne de mettre les Téfilines !”.
Sachant que la plupart de nos correligionnaires n’ont pas eu accès à un minimum d’éducation juive, on doit donc les aider par tous les moyens à accomplir les Mitsvot.

F. L. (d’après Rav Yossef Guinzbourg)
De Recit de la Semaine
Espagne, Pologne… Kippa !

Depuis près d’un an, je discutais avec ma femme au sujet de la Kippa : devais-je la porter tout le temps ou seulement à certains moments ? La conversation se terminait toujours par la même question : quel argument ou quel événement me donnerait le courage – oui, c’est bien le mot qu’il faut – pour le faire ? C’est finalement arrivé mais pas du tout d’une manière que j’aurais pu imaginer.
Cet été j’ai effectué un voyage en Espagne et en Pologne et je suis rentré en portant une Kippa. Les émotions furent multiples mais c’est une image en particulier qui m’a libéré, qui m’a convaincu de réaliser ce que j’avais si longtemps envisagé.
Ce tour d’Europe a commencé par la visite des villes du nord-est de l’Espagne : Barcelone, Gérone (ville natale du grand Kabbaliste et commentateur Na’hmanide), de ville en village, de quartier médiéval en splendide restaurant. J’essayai de manger cachère autant que possible, mettant ma Kippa pour manger et prononcer les bénédictions puis la remettant en poche tout de suite.
En Espagne comme en Pologne et en Allemagne, on trouve des Juifs et des communautés organisées dans les grandes villes. Et c’est réconfortant. Mais on traverse tant de villages “ Judenrein ”, vides de Juifs alors qu’il fut une époque où la vie juive s’y épanouissait et contribuait à la splendeur de l’Espagne que j’en devins un peu déprimé.
De plus, entendre tous les subterfuges auxquels les Juifs eurent recours sous l’Inquisition pour conserver leur mode de vie sans éveiller les soupçons me brisait le cœur.

* * *

En Pologne, je voyageai avec des journalistes venus assister à l’inauguration d’un nouveau monument à la mémoire des Juifs assassinés durant la Shoah à Jedwabné.
Durant dix jours, nous avons visité Varsovie, Cracovie, Tikochine et Bialystok. Le Bureau polonais du Tourisme a toujours veillé à nous fournir des repas cachères. Deux hommes dans ce groupe portaient toujours la Kippa et s’efforçaient de manger glatt-cachère aussi souvent que possible. Ils avaient d’ailleurs emporté de la nourriture en conserve pour les occasions où rien de cachère ne serait disponible. Leur exemple m’encouragea à porter la Kippa plus souvent, même en-dehors des repas.
Nous passâmes le vendredi soir au Centre Ronald S. Lauder à Casimierz. Cette nuit-là, la salle à manger étroite mais haute de plafond, était pleine à craquer de gens de tous âges. Yonah Bookstein, directeur de la Fondation Lauder à Varsovie, est un jeune homme débordant d’énergie et d’enthousiasme et, avec l’aide de deux jeunes étudiants de Yechiva Loubavitch, il réussit à faire danser les hommes et les garçons, alors que tout le monde chantait et tapait des mains. Je n’avais jamais passé un Chabbat pareil.
Le lendemain midi, les convives étaient encore plus nombreux et l’atmosphère était vraiment très spéciale.
Avant de partir, je remerciai les deux jeunes de Brooklyn – qui ne me donnèrent que leurs prénoms : Avi et ‘Haïm – pour la merveilleuse ambiance de ce Chabbat. Je faillis leur recommander de faire attention à eux ici, en Pologne, mais je me retins de jouer au papa-poule et me gardai de leur dire ce qu’ils devaient faire.

* * *

Jedwabné : à cet endroit, il y a soixante ans, les Polonais avaient assassiné leurs voisins juifs, faisant au moins mille six cents victimes. Depuis soixante ans, une plaque apposée en ce lieu en faisait porter la responsabilité aux soldats nazis. Mais des enquêtes récentes avaient révélé que c’était bel et bien les Polonais qui avaient réalisé ce terrible pogrome de huit heures qui s’acheva dans une grange où les survivants furent brûlés vifs. Un nouveau monument porterait une inscription admettant cette douloureuse réalité.
Ce fut une journée extraordinaire. Le président de Pologne fit même un pas supplémentaire en demandant pardon pour les Juifs assassinés. Le dévoilement de la plaque fut solennel, mais la citation refusait toujours de nommer les Polonais comme responsables de ce pogrome.
Et quand ce grand événement médiatique prit fin, rien n’avait changé à Jedwabné. Certains citoyens prétendaient que tout ceci n’était que mensonges et propagande. Les gens soulevaient les rideaux des fenêtres, regardaient et refermaient les rideaux. Des voyous polonais, saoûls et bruyants, déambulaient dans les rues en se moquant de quiconque portait Kippa.
Puis je vis le spectacle le plus extraordinaire. Il y avait là ‘Haïm et Avi, les deux Loubavitch, à l’autre bout de la place principale : ils aidaient les Juifs qui avaient assisté à la cérémonie à mettre les Téfilines. J’étais soulagé de les voir vivants et en bonne santé et engageai la conversation. Eux, tout ce qu’ils voulaient savoir était si j’étais d’accord de mettre moi aussi les Téfilines.
J’hésitai un instant puis remontai la manche gauche de ma chemise. Tout en observant comment Avi attachait les traditionnelles lanières de cuir noir autour de mon bras, je m’étonnais encore davantage de la force morale de ces deux jeunes qui avaient été prêts à se rendre dans ce pays où la haine des Juifs est encore si vivace. Je répétai lentement les mots de la bénédiction, réalisant seulement à ce moment-là qu’il y a de nombreuses façons d’être un Juif caché, qu’on peut passer une grande partie de sa vie à être convaincu de l’importance du judaïsme mais sans être capable de faire quelque chose d’aussi courageux que ce qu’accomplissaient ces deux jeunes gens : défier la colère, le mépris et peut-être même la violence de la foule pour enseigner aux autres comment garder un peu mieux la tradition.
C‘est alors que j’ai décidé de montrer mon judaïsme, de mettre toujours ma Kippa par respect pour la lueur d’éternité qu’Avi et ‘Haïm m’avaient donné à comprendre au sein même de Jedwabné.

Robert Leiter (Philadelphie)
traduit par Feiga Lubecki