Semaine 3

  • Bechala’h
Editorial
Aux racines des choses

Le 10 Chevat éclaire cette semaine d’une lumière particulière. C’est en effet, à cette date il y a 53 ans que Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, le Rabbi de Loubavitch, que tant de Juifs partout dans le monde allaient simplement et naturellement appeler “le Rabbi”, prenait ses fonctions. Dans le monde d’alors, à peine sorti des horreurs de la guerre, dans le judaïsme des années 50, encore si proche de la Shoa, qui aurait pu imaginer que cette date du 10 Chevat prendrait une valeur nouvelle ? Qui aurait pu penser que l’on entrait dans un temps où le message éternel de la Torah retentirait plus loin, plus haut, plus fort ?
C’est tout cela qui se mettait alors en place sans que tous en soient pleinement conscients. De fait, il s’agissait bien d’une gageure. Quand beaucoup paraissaient avoir perdu leurs repères, quand la société occidentale tout entière semblait moins sûre d’elle que dans les époques précédentes, meurtrie par l’histoire récente et défiée par les événements de l’après-guerre, un homme entreprenait de changer le monde. Poursuivant et démultipliant l’œuvre de son beau-père, le précédent Rabbi de Loubavitch, il affirmait que tout était possible et envoyait peu à peu sur toute la planète, partout où des Juifs vivaient, des émissaires qui allaient en faire la démonstration concrète.
Aujourd’hui, les représentants du Rabbi de Loubavitch agissent au sein des communautés juives, les aidant, les accompagnant, répondant aux besoins de chacun avec un enthousiasme, une implication sans cesse renouvelés, que rien ne semble jamais pouvoir émousser. Lorsqu’on se demande d’où leur vient une telle force, sans doute le 10 Chevat donne-t-il un élément de réponse.
La semaine se conclut avec le 15 Chevat, le nouvel an des arbres, beau symbole de la nécessité des racines et de la capacité des êtres vivants à porter des fruits. C’est décidément un toujours jeune message que le 10 et le 15 Chevat se renvoient comme en écho. Celui-ci porte loin : c’est la venue de Machia’h qu’il évoque.
Etincelles de Machiah
Its’hak notre père

Le Talmud (traité Chabbat 89b) enseigne, commentant Isaïe (63: 16): “Dans le temps à venir (de Machia’h)… (le peuple juif) dira (à Its’hak): “Car tu es notre père” ”. Cette affirmation demande explication. En effet, si Its’hak est bien l’un de nos trois Patriarches, pourquoi est-ce à lui seul que sera dit “tu es notre père” ?
En fait, le nom “Its’hak” signifie “rire” en hébreu. Ce terme implique une notion de plaisir, de délice au sens le plus noble. Or, lors de la venue de Machia’h, quand toutes les “étincelles Divines” prises dans la matière auront été élevées, ramenées à leur source, le “plaisir” de D.ieu deviendra manifeste. C’est ce qu’indique la référence particulière à “Its’hak”, le rire.
(d’après Torah Or, Vayetsé, p. 21c)
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : la tête

Le Zohar se réfère à Moché comme “Raaya Mahémna”, une expression que l’on peut traduire à la fois par “le berger fidèle” et “le berger de la foi”. Ce dernier sens implique que Moché est “celui qui donne la foi” à Israël, qu’il est source et guide dans la foi d’Israël en D.ieu.
En fait, quand la Torah évoque la foi d’Israël en D.ieu, lors des miracles de l’Exode, elle dit: “et ils crurent en D.ieu et en Son serviteur”, utilisant le même verbe (“Vayaaminou”, “et ils crurent”) pour connoter la foi en Moché et dans le Tout-Puissant. Dans son commentaire sur le verset, le Midrach Me’hilta pousse jusqu’à en déduire que “celui qui croit en Moché, croit en D.ieu”.
Le Talmud va même plus loin appliquant la même démarche en ce qui concerne les Sages et les érudits dans la Torah de toutes les générations. Citant le verset (Deutéronome 30: 20) “aimer l’Eternel ton D.ieu et s’attacher à Lui”, il demande: “est-il possible de s’attacher au Divin ?” et répond: “mais tous ceux qui s’attachent à un érudit dans la Torah, la Torah les considère comme s’ils s’étaient attachés à D.ieu Lui-Même” (Talmud Ketoubot 111b).
Un principe fondamental de la foi juive est qu’il n’existe aucun “intermédiaire” entre D.ieu et Son monde; notre relation avec Lui n’est facilitée par aucune “tierce partie”. Quelle est donc la signification du rôle de nos dirigeants et des érudits dans la Torah en ce qui concerne notre foi et notre attachement à D.ieu?

Le facteur de la conscience
L’explication, dit Rabbi Chnéour Zalman de Liady dans son Tanya, réside dans la compréhension de la métaphore “père/fils” employée par la Torah pour décrire notre relation avec D.ieu. “Vous êtes les enfants de l’Eternel votre D.ieu” dit Moché dans Deutéronome 14: 1. Alors que nous sommes encore en Egypte, D.ieu parle de nous comme “Mon enfant premier-né, Israël” (Exode 4: 22).
De quelle façon D.ieu est-Il notre “père”? Il existe bien sûr des parallèles évidents. Comme un père, D.ieu nous crée, subvient à notre subsistance et nous guide. Il nous aime avec l’amour illimité et indulgent d’un père.
Mais Rabbi Chnéour Zalman pousse plus loin la métaphore, examinant la dynamique physiologique et psychologique du modèle père/fils et l’utilise pour mieux comprendre les relations que nous entretenons avec les hommes et avec D.ieu.
Une particule de matière microscopique, qui a son origine dans le corps du père, déclenche une génération de vie. Dans le giron de la mère, une cellule unique se développe en un cerveau, un cœur, des yeux, des oreilles, les ongles des orteils…; bientôt ils émergent au monde pour fonctionner en un être humain, pensant, sentant et agissant.
Physiquement, ce qui a été originellement dans le corps et le psychisme du père est maintenant un individu séparé et distinct. Toutefois, à un niveau plus profond, l’enfant reste inséparable de celui qui l’a engendré. Selon les paroles du Talmud: “Un fils est un membre de son père”. Au cœur même de la conscience de l’enfant réside une vérité à laquelle il ne peut échapper: il est l’enfant de son père, une extension de son être, une projection de sa personnalité. Dans leurs corps, ils sont devenus deux entités distinctes ; en essence, ils forment un.
On peut rétorquer qu’il se peut que dans l’esprit de l’enfant, dans le siège de sa conscience et de son identité, l’unicité du parent et de sa descendance subsiste. Là est ressentie la relation de l’enfant avec son père ; là réside la reconnaissance de leur unité intrinsèque. Mais le cerveau n’est qu’un des composants des nombreux organes et membres de l’enfant. Certes, le reste de sa personne émerge de sa source parentale, mais il est maintenant une entité totalement séparée.
Il est évident que cela n’est pas le cas, pas plus qu’il ne serait juste de dire que les yeux, seuls, voient, ou que c’est “seulement” la bouche qui parle. Les différents composants de l’être humain forment un tout; c’est la personne qui voit, la personne qui parle, la personne qui possède une conscience. L’ongle de l’orteil de l’enfant, par la vertu de son lien avec le cerveau, ne forme pas moins un avec le père que le cerveau lui-même, l’organe qui facilite cette unicité.
Mais que se passerait-il si l’ongle de l’orteil ou tout autre membre du corps rompait cette connexion avec le cerveau ? Cela le couperait de son propre centre de vitalité et de conscience et, par voie de conséquence, de ses origines parentales. En d’autres termes, l’unité de tous les membres et des organes de l’enfant avec l’essence du père dépend du maintien de la relation dans leur propre esprit, un lien qui les imprègne tous de la conscience de cette unité.

Le corps Israël
Israël également comprend de nombreux “organes” et “membres”. Les plus grands Sages de toutes les générations dévouent leur vie à faire assimiler l’Essence Divine de la Torah. Leur être est entièrement pénétré de la conscience de la vérité de D.ieu. Ils sont le cerveau de la nation. Israël possède également un cœur, des individus dont les vies sont des modèles de compassion et de piété, et des mains, ses grands constructeurs et bâtisseurs. Chaque individu, depuis le “Moché de la génération” jusqu’au “fantassin” ordinaire forme une partie intégrante du corps du premier-né de D.ieu, chacun est de façon équivalente “un membre du père”.
La même chose s’applique au “corps” que constitue Israël. C’est notre lien avec notre “cerveau”, les Sages et les chefs d’Israël, qui a la fois nous intègre comme une nation unique et nous permet la relation avec notre Créateur, notre Source.
En réalité, un Juif ne peut jamais rompre son lien avec D.ieu, pas plus que même le plus petit ongle d’orteil de l’enfant ne peut choisir de devenir indépendant et défaire sa relation avec le père. Mais si nous ne pouvons changer ce que nous sommes, nous pouvons déterminer dans quelle mesure notre identité d’ “enfant de D.ieu” s’exprimera dans notre vie quotidienne. Nous pouvons choisir, à D.ieu ne plaise, de nous dissocier des chefs que D.ieu a répartis parmi nous, bannissant ainsi, du subconscient de notre âme, notre relation avec Lui. Ou bien, nous pouvons resserrer notre lien avec les esprits d’Israël, faisant par là de notre relation avec le Tout-Puissant, une réalité tangible et vibrante dans notre vie.
Le Coin de la Halacha
Le coin de la Hala’ha

Qu’est-ce que Tou Bichevat ?

Le 15 (“ Tou ”) du mois juif de Chevat est un jour particulier : il est un des quatre “ Roch Hachana ” (début de l’année), en l’occurrence le Roch Hachana des arbres. On ne récite pas la prière de Ta’hanoune (supplication).
Ce Chabbat 18 janvier 2003, on mangera davantage de fruits, en particulier des fruits qui font la fierté de la terre d’Israël : blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte. On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux. On n’oubliera pas de réciter les bénédictions adéquates avant et après manger.
La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.
A Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous “ produisons ” des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.

F. L.
De Recit de la Semaine
LE PRIX DES FRUITS

L’empereur romain Hadrien était un homme cruel. C’est sous son règne qu’éclata la révolte de Bar Ko’hba qui fut violemment réprimée avec le massacre des habitants de Bétar. Cependant Hadrien avait, pourrait-on dire, un certain sens de l’humour.
Durant l’une de ses visites en Terre Sainte, il aperçut dans un verger de Tibériade un vieil homme, avec une longue barbe blanche, en train de planter un arbre. Hadrien l’aborda avec mépris : “ A votre âge ! A quoi cela sert-il ? Certainement vous n’avez rien fait dans votre jeunesse et c’est pour cela que vous êtes obligé de travailler maintenant si dur ! ”
- “ Non, Majesté, répliqua le Juif. J’ai beaucoup travaillé quand j’étais plus jeune et je ne vois pas de raison d’arrêter. Avec l’aide de D.ieu, je continuerai tant qu’Il m’en donnera la force ”.
Hadrien s’entêta :
- “ Mais certainement vous savez très bien que vous ne profiterez pas des fruits de votre labeur. Vous serez sous terre quand cet arbre produira des fruits ! ”
- “ Tout est entre les mains de D.ieu, répondit l’homme avec assurance. Nous dépendons tous de D.ieu, que nous soyons vieux ou jeunes. Si D.ieu le veut, je mangerai des fruits de cet arbre ! ”
- “ Cela me semble peu probable. Quel âge avez-vous ! ”
- “ Aujourd’hui je célèbre mon centième anniversaire ! ”
- “ Et vous espérez manger des fruits de cet arbre ? Ah, ah ! Ne réalisez-vous pas que vous n’avez aucune chance ? ”
- “ Si D.ieu le veut, cela arrivera aussi. Et sinon, mon travail n’aura pas été vain. De même que mes parents ont travaillé pour moi, de même mon labeur profitera aux générations futures ! ”
- “ A votre santé, alors ! dit l’empereur en partant. Et si vous êtes encore vivant lors de la récolte de ces fruits, faites-le moi savoir ! ”
- “ Je serai heureux d’honorer cet engagement ! ” répondit le vieux Juif.

* * *

Les années passèrent et le petit arbre grandit et produisit des figues. Le vieil homme vécut assez longtemps pour pouvoir apprécier ces fruits délicieux, qui font la gloire du pays d’Israël. Il était encore en bonne santé et décida de se présenter devant l’empereur.
Après quelques difficultés pour franchir les barrages devant le palais royal, le vieil homme obtint une audience, mais l’empereur ne le reconnut pas.
- “ Que voulez-vous, vieillard ? Et qu’avez-vous dans votre panier ? ”
Le Juif rappela à l’empereur dans quelles circonstances ils s’étaient déjà rencontrés et la promesse qu’il lui avait fait faire. Il expliqua que son panier était rempli de figues succulentes pour le plaisir de l’empereur.
Celui-ci était stupéfait. Le Juif n’avait-il pas déjà cent ans quelques années auparavant ? Mais, beau joueur, l’empereur demanda qu’on apporte un fauteuil en or pour cet invité âgé et il ordonna de remplir son panier d’or à la place des figues.
Les serviteurs d’Hadrien furent très surpris de l’honneur accordé à ce vieux Juif, mais l’empereur leur raconta ce qui était arrivé : “ Si le Créateur lui a accordé une si longue vie, admit-il, c’est certainement parce qu’il le méritait ! ”
Le vieillard rentra dans sa ville en grande pompe et tous ses voisins vinrent à sa rencontre.
Quand une des villageoises entendit ce qui s’était passé, elle devint très jalouse et se mit à harceler son mari : “ Espère de paresseux ! N’as-tu pas entendu que l’empereur adore les figues ? Cet imbécile de vieil homme lui a apporté un petit panier de figues et il est revenu chargé d’or ! Va chez l’empereur et apporte-lui un chariot rempli de figues. Il le remplira certainement avec des pierres précieuses ! ”
Le mari trouva que sa femme avait eu une bonne idée et se rendit au palais avec un âne tirant un chariot rempli de figues. Ne sachant que faire, les gardes envoyèrent un soldat informer l’empereur qu’un villageois se présentait avec une énorme quantité de figues pour lesquelles il exigeait d’être bien payé.
L’empereur qui avait compris l’imposture était furieux : “ Que ce paysan stupide reste devant l’entrée du palais et nous lui ferons goûter ses figues ! Chaque passant devra ramasser une figue et la lui jeter au visage ! ”
L’empereur avait ordonné, chacun s’employa à lui obéir. Le pauvre homme dut se tenir debout sans bouger jusqu’au soir, jusqu’à ce que toutes les “ munitions ” furent épuisées. Il rentra chez lui, épuisé, affamé, le visage enflé et rougi de douleur et de honte.
Pour couronner le tout, sa femme le houspilla pour n’avoir pas réussi dans sa mission. Le mari trouva la force de suggérer qu’à l’avenir, elle mène elle-même à réalisation ses brillantes idées. “ J’aurais souhaité que tu aies été présente avec moi pour partager ma richesse ! ” ajouta-t-il.
“ Au moins, dit-elle, tu peux être reconnaissant pour une chose : il s’agissait de figues sèches et non de citrons frais ! ”

Traduit par Feiga Lubecki