Semaine 3

  • Bo
Editorial
Sur le chemin du 10 Chevat

Le temps passe, les mois s’envolent sans qu’aucune interruption puisse marquer leur cours. Pourtant, certains jours demeurent. Ils sont comme des fermes points d’ancrage dans l’éphémère des choses. Sur eux, il est possible de construire une vie ou un monde.
C’était le 10 Chevat, il y a 63 ans. La nouvelle avait retenti avec la puissance des événements qui bouleversent toute existence paisible: Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi, avait quitté ce monde. Au-delà du caractère dramatique contenu dans cette nouvelle, chacun savait que l’action de Rabbi Yossef Its’hak avait radicalement changé le cours des choses. L’éducation juive avait retrouvé sa vigueur et, en ces temps de détresse encore si proches de la guerre, le judaïsme paraissait renaître. Tous commençaient à sentir de nouveau un certain bonheur d’être juif.
En ce 10 Chevat, l’action entreprise ne pouvait s’interrompre. Chacun ressentait que s’ouvrait une nouvelle époque pour poursuivre, approfondir et élargir cette œuvre. Le Rabbi allait en être la continuation. De fait, dès qu’il accepta la charge qui lui était confiée, les domaines d’intervention se multiplièrent. Aucun Juif ne devait être laissé à l’écart de l’héritage du judaïsme. Il en allait de la responsabilité de tous. Commença alors le temps des grandes avancées. D’enseignements profonds en demandes d’action, de campagnes de Mitsvot en messages adressés à tous, le Rabbi prit la tête de nouveaux développements.
Avec un recul de 63 années, chacun mesure l’ampleur des changements. A une judéité qui s’interrogeait sur son devenir a succédé un judaïsme conscient de l’importance du message qu’il porte. A une culture juive en déshérence a succédé une connaissance mise à la portée de tous. Sans doute est-ce un signe des temps – et la traduction concrète de ce long effort – que les cours de Torah se soient multipliés et que le nombre des traductions en français de textes du judaïsme ne cesse de grandir.
Il importe de prendre conscience que nous sommes les héritiers de ce dynamisme et que, de ce fait, nous devons être les porteurs de cet enthousiasme. Certes, beaucoup reste encore à accomplir et l’action entreprise ne saurait souffrir aucun relâchement. Cependant, nous savons que devant nous continue le chemin qui nous fut indiqué dès le premier 10 Chevat. Il nous appartient, très simplement, de le poursuivre. Chacun porte en tête et en coeur le but à atteindre. La tradition lui a, de toujours, donné un nom: la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Toujours se préparer au «Chabbat»

« Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier»(Ex. 20:8). A propos de ce verset, Rachi commente : «Prenez garde à vous souvenir toujours du jour du Chabbat : si quelque chose de beau se présente à toi, garde-le pour le Chabbat.»
Il en est de même pour la Délivrance future. Même lorsqu’on se trouve dans les jours profanes du temps d’exil, il faut se souvenir toujours de la Délivrance et s’y préparer. Elle est «le jour qui est entièrement Chabbat et repos pour l’éternité.»
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch – 11 Sivan 5744)
Vivre avec la Paracha
Bo : les étincelles

Lors de «l’Alliance entre les parties», D.ieu dit à Avraham : «Sache que tes enfants seront des étrangers sur une terre qui ne sera pas la leur et ils les asserviront et les feront souffrir… et par la suite, ils sortiront avec de grandes richesses.»
Certes, pour la plus grande partie de notre histoire, nous avons été des étrangers sur une terre qui ne nous appartenait pas. Il y eut l’exil égyptien, l’exil babylonien, l’exil grec et notre présent exil qui commença avec la destruction du Temple par les Romains en 69. L’exil est bien plus qu’un départ du pays natal. Un individu en exil est arraché à l’environnement qui nourrit son mode de vie et son identité spirituelle. En exil, c’est sur lui seul que tout repose.
Pourquoi sommes-nous en exil ? L’exil est généralement considéré comme une punition pour des erreurs collectives ou individuelles. En fait, les prophètes le décrivent comme tel et dans nos prières, nous nous lamentons sur le fait qu’ «à cause de nos péchés nous avons été exilés de notre terre». Mais si l’exil n’avait pour but que de corriger nos fautes, son intensité devrait diminuer peu à peu. Et pourtant, nous observons qu’il va s’assombrissant. Plus complexe encore est le fait que notre situation d’exil avait été prédite à Avraham, dans son alliance avec D.ieu, comme partie intégrante de la mission historique du peuple Juif, bien longtemps avant que les péchés que l’exil expie ne soient accomplis.
On peut avoir une clé du sens profond de l’exil dans «les grandes richesses» qui allaient résulter du séjour du Peuple Juif en Egypte, promises par D.ieu à Avraham. Cette promesse constitue un thème récurrent dans le récit que fait la Torah de l’exil égyptien et de l’Exode, au point que l’on a même l’impression que là était le but réel de notre esclavage en Egypte. Quand D.ieu entre en communication avec Moché, au Buisson Ardent et le charge de la mission de sortir les Juifs d’Egypte, durant la plaie de l’obscurité et juste avant l’Exode, D.ieu semble réellement supplier les Enfants d’Israël de sortir sa richesse de l’Egypte ! Le Talmud explique que le Peuple Juif n’était pas enclin à retarder son départ d’Egypte pour rassembler des richesses : A quoi est-ce comparable ? A un homme enfermé dans une prison à qui il est dit : demain tu seras libéré et on te donnera beaucoup d’argent. Il répond : Je vous en supplie, libérez-moi aujourd’hui et je ne demande rien de plus… [Ainsi D.ieu devait les enjoindre :] Je vous en prie ! Demandez aux Egyptiens des ustensiles d’or et d’argent pour que le Juste [Avraham] ne dise pas : Il a accompli : «Ils seront asservis et torturés» mais Il n’a pas accompli «et par la suite ils sortiront avec de grandes richesses». Mais il est sûr qu’Avraham lui-même aurait renoncé à cette promesse pour hâter la libération de ses enfants. Il apparaît donc clairement que l’or et l’argent que nous transportâmes hors d’Egypte constituaient un élément indispensable à notre rédemption.

L’éclat de l’or
Le Talmud offre du phénomène de l’exil l’explication suivante: «le peuple d’Israël fut exilé parmi les nations dans le seul but que les convertis puissent s’ajouter à lui». Au sens littéral, cela fait référence aux nombreux non-Juifs qui, au cours des siècles de notre diaspora, sont entrés en contact avec le Peuple Juif et ont désiré se convertir au Judaïsme. Mais la ‘Hassidout explique que le Talmud fait également référence à des âmes d’une nature différente qui se trouvent transformées et élevées au cours de nos exils : les étincelles de sainteté que contient la réalité matérielle.
Le grand cabaliste Rabbi Its’hak Louria enseignait que chaque objet, chaque force et chaque phénomène qui existent ont en eux une étincelle de spiritualité, un petit point de divinité qui constitue leur âme, leur essence spirituelle, leur raison d’être. Cette étincelle représente le désir divin que la chose existe et sa fonction dans la perspective générale du projet divin de la création. Quand un homme utilise quelque chose pour servir son Créateur, il pénètre son écorce de matérialité et révèle et réalise son essence divine.
C’est à cette fin que nous fûmes dispersés à la surface du globe : pour entrer en contact avec ces étincelles de divinité qui attendent la rédemption dans tous les coins du monde. Chaque âme possède ses propres étincelles éparpillées dans le monde et qui forment une partie intégrante d’elle-même : aucune âme n’est complète tant qu’elle n’a pas libéré ces étincelles constituant son être. Ainsi l’être humain avance dans la vie, mu de lieu en lieu, d’occupation en occupation par des forces qui semblent aléatoires. Mais tout est issu de la Providence Divine qui guide chacun vers des occasions et des circonstances en étroite relation avec son âme.

La leçon
Il est des circonstances où l’on est tenté d’échapper à l’exil en s’enfermant dans un cocon de spiritualité, dévouant nos jours et nos nuits à l’étude de la Torah ou à la prière. Mais au lieu de le fuir, on ne fait que s’y enfoncer davantage car l’on abandonne alors les membres de notre propre âme, les étincelles de spiritualité, dans le désert d’une matérialité que l’on se refuse à raffiner.
Ce n’est qu’en relevant les défis que la Providence Divine met sur notre chemin, en utilisant chaque parcelle d’or et d’argent matériels à une fin divine que nous pouvons soustraire ces étincelles à leur exil, que nous parvenons à une délivrance personnelle et que nous hâtons la Rédemption universelle.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce qu’un prénom juif ?

Les Sages de l’époque du Midrach recommandaient de nommer un enfant d’après une personne de valeur car, parfois, le prénom a une influence sur la conduite de l’homme et son avenir. Les parents juifs ont ainsi toujours cherché à nommer leurs enfants de façon positive, souvent d’après des personnes proches disparues ou des érudits remarquables en Torah.
Rabbi Yehouda Ha’hassid (1150 – 1217) écrit que les actes de valeur d’une personne affectent tous ceux à qui on a donné son nom.
Donner le prénom de ses parents est une façon de leur manifester de l’honneur.
On distingue plusieurs sortes de prénoms juifs :
- Bibliques
- Talmudiques
- Prénoms d’après certains animaux (souvent traduits dans d’autres langues que l’hébreu)
- Prénoms d’après les faits de la nature
- Prénoms qui incluent le Nom de D.ieu.
- Noms d’anges
Ces prénoms ont connu au fil des siècles d’infinies variations et diminutifs. Le garçon reçoit son prénom juif lors de la Brit Mila (circoncision) ; la petite fille, lorsque son père est appelé à la lecture de la Torah à la synagogue après sa naissance. Les parents sont considérés comme bénéficiant de l’esprit de prophétie au moment de nommer leur enfant. Si le prénom juif n’a pas été donné à ce moment-là, une personne de valeur (rabbin, professeur…) peut toujours le faire par la suite pour la jeune fille. Le prénom juif devrait être utilisé le plus souvent possible, de préférence à d’autres prénoms éventuels.
En cas de doute, on demandera l’opinion d’une autorité rabbinique compétente.

F. L. (d’après Rav Dovid Zaklikowski – www.chabad.org)
De Recit de la Semaine
La bénédiction de Rabbi Yossef Its’hak

L’année 5687 (1937) fut une année noire dans le combat qui opposait le gouvernement russe communiste au judaïsme actif. Les hommes de la Yevisekzia (la division juive du KGB, le service secret tant redouté) cherchaient par tous les moyens à éteindre la flamme du judaïsme. Leur moyen favori était l’encouragement de la délation : de nombreux espions étaient introduits dans tous les milieux, semant la terreur dans les cœurs.
Dans la ville de Koutaïssi, en Georgie, habitait un jeune homme qui avait été un des meilleurs étudiants de la Yechiva Tom’heï Tmimim récemment établie dans cette contrée d’Asie Centrale. Il avait la fonction de ‘Hazane (chantre) dans la synagogue séfarade et on l’appelait ‘Ha’ham, le maître. Quand le gouvernement avait fait fermer la Yechiva, il avait décidé d’enseigner la Torah clandestinement aux jeunes enfants, sachant très bien qu’ainsi, il mettait vraiment sa vie en danger.
Bien vite, il reçut avec effroi l’ordre de se présenter dans les bureaux du NKVD. On l’interrogea cruellement mais devant ses réponses évasives et inoffensives, l’interrogateur décida de le déstabiliser en lui demandant à brûle-pourpoint :
- Qui te paie pour enseigner aux enfants ?
Sans se départir de son flegme, il répondit innocemment :
- Des enfants ? Quels enfants ? Payer ? Moi ? Qui est intéressé à donner une instruction à ses enfants ?
- S’il en est ainsi, rétorqua l’interrogateur, pourquoi visites-tu certaines maisons chaque jour à heure fixe – si ce n’est pour enseigner aux enfants ?
- Les gens m’appellent pour enlever le «Ayine Hara», le mauvais œil !
L’interrogateur éclata de rire :
- J’espère au moins que tu es efficace !
- On ne peut pas savoir, répliqua le ‘Hassid, pensif. Chaque cas est spécial. On me paie et on me demande de revenir. Ce n’est pas mon problème de savoir si c’est efficace ou non !
Il s’était préparé pour cela et il continua de jouer au simplet tout en évitant soigneusement les questions pièges. Les interrogateurs ne le lâchaient pas et le bombardaient de questions, tentant de lui extorquer une confession. Cependant, le ‘Hassid se montrait coriace et ils lui demandèrent de quitter la pièce pour qu’ils puissent débattre de son cas.
Continuant de jouer le simplet, il se dirigea droit vers la sortie. Le garde l’arrêta mais le ‘Hassid expliqua calmement qu’on lui avait demandé de partir. Certain que nul ne quittait la salle des interrogatoires sans permission, le garde le laissa partir.
Conscient que revenir à la maison était dangereux puisqu’une battue serait bien vite organisée pour le retrouver, l’homme se rendit chez un ami pour quelques jours puis il alla directement à Rostov où il espérait pouvoir demander conseil et bénédiction à Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, le précédent Rabbi de Loubavitch.
- Le Rabbi a été arrêté ! lui annoncèrent les ‘Hassidim, désespérés. Il a été envoyé en exil à Kostroma !
Sans hésiter, le ‘Hassid prit le train pour cette ville et, après bien des efforts, reçut la permission d’entrer en Ye’hidout, en entrevue privée. Là, le Rabbi lui donna des instructions curieuses : Allez à Moscou, rencontrez-y certains ‘Hassidim qui possèdent des permis légaux pour acheter de la marchandise ; essayez d’obtenir vous aussi un tel document à votre nom puis retournez à Koutaïssi, présentez-vous au NKVD ! Racontez-leur que vous avez compris lors de leur interrogatoire qu’ils n’étaient pas contents de vos méthodes pour gagner votre vie et que vous avez donc décidé de vous lancer dans les affaires : c’est pour cela que vous avez quitté précipitamment la ville : pour acheter de la marchandise.
Rabbi Yossef Its’hak lui donna alors une lettre adressée au ‘Hassid Reb Barou’h Chalom pour qu’il le mette en rapport avec les hommes d’affaires. Il avisait ce ‘Hassid de détruire immédiatement le papier après l’avoir lu.
Après Chabbat, le jeune ‘Hassid se rendit à Moscou. La gare était noire de monde et truffée d’agents secrets du NKVD, ce qui impliquait de prendre un surcroit de précautions pour passer inaperçu. Le ‘Hassid prit le premier bus venu et s’assit à côté d’un vieil homme à la barbe blanche. Les deux hommes s’examinèrent discrètement l’un l’autre pour s’assurer qu’ils étaient bien tous deux des ‘Hassidim puis le plus âgé demanda : «D’où vient un Juif ?»
- Kostroma ! répondit le plus jeune, ce qui remplit de joie son interlocuteur. Peut-être connaissez-vous Reb Barou’h Chalom ? demanda-t-il à son tour.
- C’est moi-même !
Le vieux ‘Hassid l’emmena chez lui, lui demanda des nouvelles du Rabbi ; après avoir lu la lettre que le Rabbi lui adressait, il la brûla conformément à sa recommandation. Quant au jeune homme, il était stupéfait d’avoir ainsi trouvé immédiatement son interlocuteur dans cette grande ville où il ne connaissait personne : sa joie était d’autant plus grande que Reb Barou’h Chalom déclara qu’il ne voyageait jamais avant la prière de Chaharit mais, ce jour-là, il s’était réveillé avec une envie inexplicable de se rendre à la gare. «Comme les voies de D.ieu sont merveilleuses, s’écria le jeune homme. Quand on voyage avec les forces du Rabbi, les miracles sont monnaie courante !»
Le lendemain, l’homme participa à une joyeuse réunion ‘hassidique durant laquelle il donna des nouvelles du Rabbi (qui devait être miraculeusement libéré d’exil quelques semaines plus tard).
Maintenant qu’il avait été en contact avec les gens qu’il fallait et qu’il était en possession des papiers nécessaires, il retourna à Koutaïssi. Dès qu’il arriva, il informa sa famille que, bien qu’il fût recherché, il n’avait nullement l’intention de se cacher mais qu’au contraire, il allait directement se présenter au bureau du NKVD. Ses parents le supplièrent de reprendre ses esprits mais il avait confiance dans la directive du Rabbi. Le même gardien qui l’avait laissé sortir la première fois le reconnut, le saisit et l’amena au bureau des interrogatoires : «Vous n’étiez pas content que cet homme soit parti, voyez, il est revenu de lui-même !»
Le ‘Hassid fut immédiatement bombardé de questions : «Pourquoi avais-tu pris la fuite ?»
- Je ne me suis pas enfui, vous m’aviez dit de sortir ! De toute manière, qui peut vous échapper ?
- Et où étais-tu pendant ce temps ?
- Vous n’étiez pas content de ma façon de gagner ma vie et voici les papiers prouvant que j’ai trouvé une autre occupation !
- Parfait, s’exclama l’officier en charge de son dossier. Tu as bien fait de ne pas être un ‘Ha’ham et de choisir les affaires. Mais si tu veux écouter mon conseil, laisse tomber les affaires et deviens ouvrier ! En tous cas, tu as bien fait de te présenter de toi-même car si nous t’avions trouvé, tu aurais été condamné à dix ans en Sibérie !
Chaque année, le 12 et le 13 Tamouz, le ‘Hassid célébrait sa libération les mêmes jours que son Rabbi dont il avait si heureusement suivi les directives.

Pniné Hakéter – A Chassidisher Derher
Traduit par Feiga Lubecki