Semaine 2

  • Vaéra
Editorial

Histoire de saint et de profane

Dans tout voyage, il existe des étapes différentes des autres, des moments d’arrêt qui, quelle qu’en soit la raison, laissent une trace profonde dans notre souvenir et, de ce fait, sans doute dans notre conscience. Mais notre peuple est porteur d’une histoire particulière. Il vécut un grand voyage qui le porta de la terre d’Egypte jusqu’au pays d’Israël au terme de quarante longues années d’errance après 210 ans de servitude ; la lecture hebdomadaire de la Torah nous le rappelle en ce moment. Ce voyage-là n’est pas seulement une sorte de parcours initiatique, il est un acte fondateur. Avec lui, c’est l’être juif qui se construit et, pour cette raison, les instants dont il est fait sont autant d’éléments précieux devenus partie intégrante de notre héritage. Quant aux étapes que les textes nous racontent, elles recèlent des enseignements éternels et indispensables.
Alors que ce long périple approchait de sa fin, le 1er jour du mois de Chevat – qui tombe cette semaine – Moïse entreprit d’exposer la Torah dans «les langues des soixante-dix peuples». Etait-ce simplement la première traduction « officielle » de la parole de D.ieu ? Si l’événement se limitait à cela, une telle annonce relèverait de l’anecdote. C’est en effet une véritable révolution qui se produit. Jusqu’ici on pouvait encore penser que le spirituel et le matériel – ou le saint et le profane – sont deux domaines séparés par essence, qu’aucun point de passage ne peut exister de l’un à l’autre. La place du Divin serait « en haut » tandis que les hommes ne pourraient connaître que «l’en bas». Voici que, par cet acte, la Sagesse Divine entre dans l’histoire. Loin d’être limitée à un ordre du surnaturel, elle apparaît dans la nature et, finalement, dans la vie quotidienne.
Rappeler un tel jour, c’est souligner et comprendre ses conséquences. En un temps où la démarche spirituelle semble parfois remise en question par certains comme illégitime, le 1er Chevat nous dit que, au fil des siècles, les sociétés ont choisi des options très diverses. Elles se sont parfois définies par la référence à D.ieu et, souvent, par le seul souci de satisfaire leurs désirs. Le peuple juif a continué son chemin. Il sait que cette grande Voix qui retentit un jour au Sinaï, pénétrant le monde, ses langues et les visions qu’elles portent, l’accompagne toujours. Il sait qu’il est, quant à lui, le porteur d’un message, accessible à celui qui seulement le souhaite. Il sait aussi qu’il lui appartient d’en devenir l’acteur. Pour un monde meilleur.

Etincelles de Machiah

Yaacov se réjouira

Quand la Délivrance viendra, Yaacov se réjouira plus que tous les autres Patriarches, comme il est dit : «Yaacov exultera, Israël se réjouira».

Pourquoi Yaacov se réjouira-t-il plus que les autres Patriarches ? Rav dit : «Quand quelqu’un marie sa fille, qui se réjouit plus que le père de la mariée ?» En d’autres termes, quand la Délivrance arrivera au monde, à Israël, Yaacov se réjouira plus que les autres Patriarches. Il est donc écrit : «Yaacov exultera, Israël se réjouira».
(D’après le Midrach Tehillim) H. N.

Vivre avec la Paracha

Vaéra : Le réchauffement de l’Egypte

«D.ieu veut le cœur» (Talmud, Sanhédrin 106b)

Il y a trois cents ans, le Baal Chem Tov utilisait cet adage pour déclencher un changement révolutionnaire dans l’esprit juif : «bien que vous puissiez y consacrer vos mains habiles et même votre processus intellectuel, n’omettez pas de donner à D.ieu un morceau de votre cœur».
Quand le Baal Chem Tov entra en scène, à l’aube du XVIIIème siècle, une grande partie du judaïsme européen était en état de grande souffrance. Des siècles de persécutions et de violent antisémitisme avaient trouvé leur apogée dans les massacres de Chmielnitzki, au cours des années 1648-1649, et avaient annihilé environ six cent mille Juifs et laissé en lambeaux l’infrastructure juive, au point de vue économique et social. Tout espoir de stabilité fut éradiqué devant les massacres perpétrés par les Cosaques, sous le regard impassible de leurs voisins.
Et puis s’installa un engourdissement émotionnel collectif. Bien que la plupart des Juifs se soient accrochés aux rites religieux, leur cœur était blessé et leur pouls était bien lent.
La passion n’appartient qu’à ceux qui sont en sécurité et prospères. Les survivants essaient tout simplement de vivre, au jour le jour.
Le Baal Chem Tov consacra sa vie à réveiller cette passion. Il savait que le peuple juif ne pouvait survivre sans enthousiasme, sans idéalisme et sans amour de D.ieu. S’il nous manquait l’esprit qui donne vie à l’observance des rites et nous permet de résister constamment, nous risquions de nous effacer et de disparaître en tant que peuple.
C’est ainsi qu’il voua sa vie à réchauffer les cœurs juifs refroidis. Il s’accroupit pour parler avec amour aux enfants et il encouragea leurs parents avec des histoires tirées du Talmud. Il incita à la danse, aux chants et à la prière enthousiaste. Et doucement, les cœurs commencèrent à guérir. S’engager dans une véritable relation avec D.ieu parut sain, attirant même.
Cette histoire n’était pas nouvelle. Elle avait déjà eu lieu, en Egypte. Moché, lui-aussi, avait fait face à un peuple profondément blessé, désabusé et épuisé. Quitter l’Egypte ne constituait pas seulement une émigration. Cela représentait une transition psychologique, de l’oppression à l’affranchissement. C’était un défi bien plus important.
Il était relativement aisé de sortir le Juif de l’Egypte, mais le serait-il tout autant de sortir l’Egypte du Juif ?
La mission de Moché était de rendre cette rédemption possible.
L’une des méthodes qu’il utilisa, à l’injonction de D.ieu, fut d’orchestrer les Dix Plaies. Par ce processus en dix étapes, il affaiblit le mal de la culture égyptienne et commença à guérir l’esprit des Juifs.
Le premier remède supposait une transformation visible des eaux du Nil en sang. Et simultanément, une transformation intangible fut enclenchée.
Alors même que les eaux froides du fleuve égyptien devenaient du sang bouillonnant, et cela dura sept jours, l’apathie glaciale, que manifestaient les Egyptiens envers la spiritualité et la souffrance humaine, subissait un traitement de réchauffement. Aux racines de la culture et de la brutalité égyptiennes se trouvait le Nil, adoré pour ses eaux fertiles et minéralisées, qui dansaient sur les rives et irriguaient les sols.
Le flux et le reflux de la rivière géraient l’économie du pays et lui avaient permis de devenir une superpuissance. Tout le monde vénérait le Nil.
La nature-même du fleuve avait rendu les Egyptiens bien trop froids, indifférents et arrogants pour qu’ils se soucient d’un D.ieu Juif : «Qui est ce D.ieu que je devrais écouter ?» rugit le Pharaon à Moché et Aharon. Je suis trop froid pour votre D.ieu et trop glacial pour ressentir la souffrance de mes esclaves juifs !».
D.ieu ordonna alors à Moché de soigner l’Egypte de son indifférence, en attaquant la racine de son disfonctionnement : le Nil charria du sang brûlant. Cette chaleur gagna également les Juifs et fit fondre la froide apathie qu’avait nourrie l’esclavage égyptien.
La sortie d’Egypte reste le modèle classique de transformation intérieure. «Egypte» ou Mitsrayim, en hébreu, partage la même racine que le mot métsarim qui signifie «limitations». L’exode personnel signifie que l’on quitte le statu quo, que l’on ne se définit plus par ses limitations précédentes. A un stade plus développé, l’exode implique abandonner une sphère exclusivement centrée sur soi-même pour une relation plus proche avec D.ieu.
Ce modèle souligne le premier pas accompli pour parvenir à la libération et la croissance : la transformation de l’eau froide en sang chaud. Le sang représente la vie, le plaisir, la vitalité. On peut agir parfaitement bien mais si c’est sans chaleur, les rites vont dépérir et les accomplissements manqueront d’âme.
L’étude de la Torah permet cette croissance émotionnelle et spirituelle. Mais il y faut de la chaleur et de l’amour. Si nous pouvons transformer l’eau froide en sang, l’apathie en chaleur et enthousiasme, le terrain est alors fertile et nous sommes en route pour la libération.

Le Coin de la Halacha

Quels sont les animaux cachères ?

La Torah interdit explicitement la consommation de certains animaux. Bien que la raison profonde de ces interdictions ne nous soit pas connue, on peut remarquer que les animaux permis sont paisibles et sont à portée de main. Les animaux interdits sont le plus souvent des animaux de proie qui pourraient transmettre leur cruauté à ceux qui les consomment. Mais d’autres animaux sont interdits pour des raisons qui nous restent inconnues.
- Les animaux permis doivent avoir le sabot fendu et doivent ruminer. Les Sages ont aussi fait remarquer qu’un animal dont la mâchoire supérieure est garnie de grandes dents est suspect d’être un animal de proie et est interdit. En général, on se contente de consommer l’une des espèces connues : le bœuf, le bouc, le mouton…
- Les poissons permis possèdent des écailles et des nageoires ; les nageoires doivent leur servir à nager ; les écailles doivent pouvoir s’enlever facilement et parfois même peuvent s’enlever d’elles-mêmes quand le poisson est encore dans l’eau. De plus, les Sages ont fait remarquer que les poissons permis ont une tête large et ronde ; leur tête est différente de leur queue ; ils possèdent une colonne vertébrale…
- Les volailles cachères nous sont connues par tradition : ainsi les animaux de basse-cour comme la poule, le canard et l’oie sont permis.
Par ailleurs, ces animaux (sauf les poissons) doivent être abattus rituellement puis « cachérisés » afin de les débarrasser de leur sang. Ces processus complexes imposent de n’acheter la viande que dans des boucheries tenues par des commerçants respectueux de la loi juive (en particulier du repos du Chabbat) dans lesquelles un Chomère délégué par le rabbinat exerce une surveillance rituelle pointilleuse.

F. L. (d’après Hamivtsaïm Kehala’ha)

De Recit de la Semaine

Grand-Père ! Je suis enfin devenu Bar Mitsva !

Peu de gens ont entendu parler de la ville de Netishin. Quelques Juifs y vivent au sein d’une nombreuse population ukrainienne. Cependant, l’actualité récente a créé un réveil de la conscience juive dans cette petite ville.
Il y a plusieurs semaines, un chantier a été ouvert et des bulldozers se sont mis en action. Alors qu’ils procédaient à des excavations pour entamer la construction de nouvelles infrastructures, des restes humains et des fragments de parchemins hébraïques ont été retrouvés sur le site. Apparemment, l’endroit avait servi de tombe de masse pour des Juifs durant la Shoah. Immédiatement, la police et les autorités locales ont entouré l’immense trou et ont fait arrêter tous les travaux. Les quelques Juifs sur place ont contacté Rav Alexander Feingold, Chalia’h (émissaire) du Rabbi dans la ville voisine de Chelmnitzky. Celui-ci se mit en relation avec l’organisation «Atra Kadicha» en Israël, spécialisée dans les questions de loi juive dans des cas similaires, malheureusement trop nombreux, surtout en Europe de l’est où de nombreux sites n’ont pas encore été répertoriés et correctement respectés. Rav Feingold et le représentant de Atra Kadicha se présentèrent devant le maire de la ville qui s’avéra être un homme droit et honnête. Celui-ci proposa les services de la municipalité pour procéder à l’exhumation et à l’enterrement selon les règles les plus pointilleuses de la loi juive : on trouva un autre endroit plus digne et de nombreux ouvriers furent même réquisitionnés et payés par la mairie pour procurer enfin une sépulture digne à ces Kedochim, ces Juifs morts pour la Sanctification du Nom de D.ieu. Une fois la cérémonie achevée, la municipalité fit ériger un monument en marbre à la mémoire des victimes.
Cette découverte avait bien sûr causé une émotion considérable parmi les quelques Juifs de la ville et, le premier Chabbat qui suivit, Rav Feingold le passa sur place avec ce qui restait d’une communauté autrefois florissante. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les sons de prières et de chants presque joyeux retentirent dans la ville si longtemps endormie.
Lors du repas communautaire, un vieil homme présent demanda à prendre la parole : «Mon grand-père a été le Rabbin de la ville avant la guerre et m’avait même préparé pour ma Bar Mitsva. Mais à Roch Hachana 5702 (1941), les Nazis ont massacré tous les Juifs de la ville et les ont ensevelis tous ensemble sans égards dans l’énorme fosse qu’on vient de découvrir. Moi, Ezriel, je suis le seul survivant : je n’avais que douze ans quand j’ai assisté avec horreur au martyr de toute ma famille et de toute la communauté juive. A la suite de cela, j’ai coupé tous les liens qui auraient pu m’attacher au judaïsme et je me suis fait appeler Vassily. Je n’ai jamais célébré la Bar Mitsva pour laquelle mon grand-père m’avait pourtant préparé avec tant d’amour…»
Ce Chabbat suivant l’enterrement décent de son grand-père et de toute sa famille, Vassily-Ezriel fut appelé pour la première fois de sa vie à la Torah et il récita les bénédictions comme son grand-père aurait souhaité l’entendre… Rav Feingold aurait dû retourner chez lui le soir même mais il resta encore samedi soir dans la ville. Dimanche matin, devant toute la communauté réunie, il aida Ezriel à mettre les Téfilines et le félicita d’avoir enfin exaucé la volonté de son père et de son grand-père. Ainsi couronné, Ezriel ne put retenir ses larmes alors qu’il contemplait son bras marqué par les épreuves de la vie entouré des lanières et des boîtiers sacrés. C’était la première fois qu’il revoyait des Téfilines depuis que son grand-père lui avait expliqué comment les mettre, soixante et onze ans auparavant…
Et toute la communauté à nouveau réunie grâce au dévouement de Rav Feingold pleura avec lui et participa à son émotion et à sa joie.

Shmais.com
Traduit par Feiga Lubecki