Semaine 27

  • Balak
Editorial
Des murailles et des hommes

Le jeûne du 17 Tamouz ouvre la douloureuse période des trois semaines qui se conclura par le 9 Av. Il n’est guère utile de souligner toute la gravité, le poids aussi, des événements qui marquèrent ce jour : de la première brèche dans la muraille de Jérusalem à la destruction du Temple. C’est du début du trop long exil du peuple juif qu’il s’agit, avec son cours plus souvent tumultueux que paisible, plus souvent chargé de drames que de bonheurs tranquilles.
La première brèche dans la muraille de Jérusalem… Ce fut le signe annonciateur de la chute prochaine. Mais un tel jour n’a pas uniquement une signification historique. Certes, la commémoration est de toute première importance. Certes, si le peuple juif a su rester fidèle à lui-même et refuser l’oubli, c’est aussi parce que des cérémonies, des rites ont encadré la nécessaire transmission. Quel peuple sans passé pourrait avoir un avenir qui fasse sens ? Pourtant, le 17 Tamouz va bien au-delà de ces notions.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. «Les murailles sont tombées» dit-on souvent. C’est évidemment là une évolution que chacun a lieu d’approuver : la liberté de croire, de penser, de parler en ont été les traductions concrètes. Le peuple juif, éternelle minorité, ressent, peut-être plus fortement que d’autres, le bonheur d’un tel privilège. Pourtant, la muraille était aussi protectrice, au sens matériel mais aussi aux sens moral, culturel et spirituel. Elle préservait cet espace où la différence pouvait s’exprimer. La détruire, c’était entreprendre d’éteindre la diversité. Y faire une brèche était le début du processus. Il fallait que l’envahisseur efface ce qui s’opposait à lui, qu’il détruise l’obstacle devant sa volonté d’étendre son empire sur le monde tout entier.
Il n’est évidemment pas question d’élever de nouveaux murs ou de nouvelles barrières entre les hommes. Ne faut-il pas cependant veiller à ce que l’allégresse de la liberté ne dissimule pas l’uniformisation des modes de vie et de pensée, une autre manière de dire la dictature du puissant et le renoncement à soi ? Décidément, cette première brèche dans la muraille a des accents bien contemporains tant il est vrai qu’on ne peut être un membre à part entière de la grande famille des hommes que lorsque c’est son âme et son identité éternelles et inchangées qu’on y apporte.
Etincelles de Machiah
Concrètement, l’attente

Dans son Michné Torah, Maïmonide (Hil’hot Mela’him, chap. 11) expose les lois relatives à Machia’h. Il y souligne notamment une double nécessité : «Crois en lui…, attend sa venue». Il a déjà été indiqué qu’il ne s’agit pas là d’une simple répétition ayant valeur d’insistance mais que, au contraire, de nombreux sens peuvent y être trouvés. Ainsi, «attendre sa venue» implique une attitude active qui va au-delà de la simple foi en la réalité des prophéties le concernant. Il en résulte qu’apparaît ici une obligation spécifique : celle d’étudier les lois qui portent sur Machia’h.
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch) H.N.
Vivre avec la Paracha
Balak : A propos d’ânesse et de discernement

Dans l’un des récits les plus fascinants de la Torah, l’on peut voir le prophète Bilaam tentant d’obtenir l’approbation de D.ieu à son désir de maudire le Peuple Juif afin de l’affaiblir, voire le détruire. Balak, roi de Moav, lui avait promis une importante récompense s’il réussissait à miner le Peuple d’Israël et le forcer à fuir la région.

Bilaam s’engage d ans un dialogue avec D.ieu dans lequel D.ieu établit clairement qu’Il ne veut pas qu’Israël soit maudit. Néanmoins, Bilaam persiste à croire qu’il peut convaincre D.ieu.
C’est alors que l’ânesse de Bilaam se transforme de simple moyen de transport en une créature douée d’un langage éloquent. A trois reprises, elle voit un ange se mettre en travers de son passage. Chaque fois, elle s’écarte, provoquant la colère de Bilaam, qui lui, ne voit pas l’ange. Et chaque fois, Bilaam fouette la pauvre ânesse. Finalement, comme le rapporte la Torah : «Alors D.ieu ouvrit la bouche de l’ânesse qui dit à Bilaam : ‘Que t’ai-je fait pour que tu m’aies ainsi frappé à trois reprises ?’. Bilaam répondit à l’ânesse : ‘Parce que tu m’as humilié ; si je tenais une épée entre mes mains, je te tuerai sur le champ’. Et l’ânesse dit à Bilaam : « Ne suis-je pas ton ânesse que tu as toujours montée jusqu’à ce jour ? (…) » Et il répondit : « non ». D.ieu ouvrit les yeux de Bilaam et il vit l’ange de D.ieu se tenant sur la route, brandissant une épée à la main. Il s’inclina et se prosterna sur sa face.
L’ange de D.ieu lui dit : ‘Pourquoi as-tu fouetté cette ânesse, par trois fois ? Voici, je suis venu pour contrecarrer tes desseins…’ »
Le commentateur biblique Rachi souligne qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que l’ânesse voit l’ange : « L’ânesse vit, mais (Bilaam) ne vit pas car D.ieu permet à l’animal une perception plus grande que celle de l’homme. Puisque (l’homme) possède l’intelligence, il serait devenu fou s’il avait vu l’ange menaçant. »
Une question est souvent posée : pourquoi D.ieu discuta-t-il a priori avec Bilaam, lui signifiant qu’Il désapprouvait son voyage, mais le laissant poursuivre sa route et essayer de maudire Israël, pour finalement faire échouer son plan ? Pourquoi ne l’arrêta-t-Il tout simplement pas dans sa démarche ?
Le Talmud (Makot 10b) répond à cette question :
On peut suivre l’itinéraire que l’on a décidé de poursuivre, comme il est écrit : «D.ieu dit à Bilaam, tu n’iras pas avec eux», puis : «si les hommes viennent t’appeler, lève-toi et suis-les».
L’essence de l’humanité est le libre-arbitre. La liberté est «l’image de D.ieu» selon laquelle Adam et ‘Hava furent créés.
La source de Tout a défini des principes moraux et conceptuels absolus. Vivre une vie qui exprime ces principes est la définition du Bien. Cependant, à chaque tournant, nous sommes totalement libres de rejeter un tel mode de vie. C’est cette liberté qui donne du sens et de la substance à notre choix quand nous «choisissons la vie».
A quelques rares occasions, nous recevons un éclair de ce qu’est la vérité (comme lors de la Révélation sinaïtique), tout juste pour que nous sachions ce que nous recherchons. Mais le libre-arbitre ne peut réellement exister que dans un environnement d’ignorance naturelle qui demande du discernement et de l’intelligence pour la surmonter. Nous devons vivre dans un monde où ni le Créateur ni la création ne sont évidents. Nous avons reçu l’aptitude d’utiliser alors les forces de notre analyse intellectuelle et de notre discernement pour reconnaître que ce tableau extraordinaire a été conçu par un Artiste et que notre être peint sur ce tableau signifie que notre présence est une nécessité fondamentale pour que l’entreprise créatrice forme un tout harmonieux.
Nous pouvons, bien entendu, nier la beauté et le dessein de ce tableau et rester dans l’état d’ignorance avec lequel nous sommes nés. Nous pouvons, et hélas le faisons souvent, utiliser ce magnifique tableau de notre vie en nous préoccupant de vétilles dont nous nous débarrassons très vite. Nous pouvons utiliser nos fantastiques forces intellectuelles pour atteindre le superficiel et l’éphémère, tout en nous plongeant tous, et de mille et une manières, dans une insatisfaction profonde. Bilaam peut écouter D.ieu ou ne pas le faire. Il peut être reconnaissant vis à vis de son ânesse ou lui rendre ses bienfaits par des coups de fouet.
Mais si nous voyions le processus de la création et la Présence Divine dans tout, si nous voyions le flux d’énergie de la Source Infinie dans tout, renouvelant sans cesse le processus créatif, nous ne posséderions pas de libre-arbitre en choisissant le bien. Cela serait évident.
Mala’h, le mot hébreu pour «ange» signifie simplement «messager». Un ange est un véhicule qui transporte la force vitale à une entité ou une situation particulière.
Dans un sens métaphorique, l’ange barrant le chemin de Bilaam signifiait que D.ieu lui offrait l’information que cet itinéraire était une mauvaise idée. L’ânesse vit cette réalité et l’accepta.
Si nous étions confrontés à une telle situation, et en avions conscience, nous contournerions notre intellect et notre choix et serions obligés d’accepter la réalité de la Présence Divine.
Ainsi un animal qui ne possède ni libre choix ni intelligence abstraite peut-il tout voir. L’ânesse de Bilaam ne fut pas écrasée par la vision des forces spirituelles qui dirigent tout parce qu’elle était insensible aux conséquences intellectuelles de cette apparition. Elle n’avait pas besoin des outils intellectuels qui nous donnent à nous, êtres humains, la mesure des implications de ce que nous voyons.
Il nous a été donné le discernement et l’intelligence pour percer, de manière autonome, le voile de l’ignorance jeté sur l’humanité, si nous choisissons de le faire. Il faut donc que ce voile reste enfermé là où il est, jusqu’à ce que nous le transpercions avec les clés qui nous ont été données.
On entend souvent dire : «Si D.ieu m’apparaissait et me le demandait, je vivrais une vie en accord avec la Torah !»
C’est là un bon mode de raisonnement… pour une ânesse !
En outre, comme le montrèrent la suite des événements, même lorsque Bilaam put voir les choses du point de vue de l’ânesse, cela ne l’aida pas. Il continua à suivre le «chemin qu’il voulait suivre».
D.ieu nous a donné une qualité, bien supérieure à la vision de l’ânesse : le défi de la liberté et le don du discernement.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?

Cette année, le jeûne du 17 Tamouz est repoussé au dimanche 8 juillet 2012.
On ne mange ni ne boit depuis le matin (à 3h 05, heure de Paris) jusqu’à la tombée de la nuit (22h 55 à Paris).
C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.
Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (dimanche 28 juillet 2012), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction « Chéhé’héyanou » (par exemple pour un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.
Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).

F. L.
De Recit de la Semaine
Quel dommage !

L’empereur des Juifs. C’est ainsi qu’on appelait Rav Chimchone Wertheimer qui était devenu le ministre des finances de l’empereur Léopold 1er d’Autriche-Hongrie, il y a plus de 300 ans. Il avait aussi été nommé Grand-Rabbin de ces deux pays. Ce fut un peu l’âge d’or pour les Juifs de cette région car il n’épargnait aucun effort pour les protéger.
Son amitié avec l’empereur incita celui-ci à s’intéresser aux Juifs. Un jour, il demanda à Rav Chimchone : «Si vraiment vous êtes le peuple élu et que vous constituez un exemple pour toutes les nations, pourquoi souffrez-vous d’un exil si oppressant, avec expulsions, pogromes et massacres ? Pourquoi semblez-vous condamnés à errer d’un exil à l’autre ?»
Tandis que Rav Wertheimer réfléchissait à une réponse appropriée, l’empereur déclara d’un ton ferme : «J’exige la véritable réponse et non pas des arguments de pacotille !»
Rav Chimchone Wertheimer n’avait pas le choix : «Il n’existe qu’une seule cause à la longueur de cet exil !»
- Et quelle est-elle ? s’impatienta l’empereur.
- La haine gratuite ! répondit Rav Chimchone avec amertume.
- Je ne vous crois pas ! Je vous donne trois jours pour me donner une meilleure réponse !
Rav Chimchone était un Kabbaliste qui savait se servir de certains Noms divins. Constatant que l’empereur n’avait pas apprécié sa réponse, il supplia le Ciel de lui permettre de trouver une autre réponse mais on lui indiqua qu’il n’avait pas à s’inquiéter car sa réponse était la bonne et l’empereur ne tarderait pas à s’en rendre compte.
L’air était frais et l’empereur décida de partir à la chasse avec d’autres aristocrates, à cheval et avec des chiens. Entraîné par sa passion, il poursuivit un cerf, s’éloigna de ses amis et s’enfonça dans la forêt. Ce n’est qu’avec la tombée de la nuit qu’il réalisa qu’il s’était perdu. Affolé, il tenta de retrouver sa route mais se réjouit quand il aperçut au loin une lueur. Cependant, il lui fallait traverser un cours d’eau pour y parvenir. Il n’avait pas le choix, il laissa là son vaillant cheval et se lança à la nage malgré le froid et la faim. Il n’avait gardé sur lui que les vêtements absolument nécessaires et c’est ainsi qu’il atteignit l’autre rive et se dirigea vers les maisons. Les villageois hongrois, soupçonneux, refusèrent d’ouvrir la porte à un étranger, tremblant de froid et s’exprimant mal dans leur langue. Epuisé, l’empereur se dirigea vers l’auberge locale. L’aubergiste juif lui ouvrit la porte : l’empereur avait décidé de ne pas dévoiler son identité et affirma simplement qu’il avait échappé à la noyade et était maintenant affamé et fatigué. L’aubergiste lui offrit une boisson chaude et un repas revigorant ; de plus, il lui trouva des vêtements chauds à sa taille. Prêtant l’oreille, l’empereur entendit la femme de l’aubergiste qui lui recommandait de se méfier de l’étranger qui n’était peut-être qu’un vagabond ou un voleur. Mais l’aubergiste affirma que sauver une vie humaine était plus important que tout. L’empereur était vraiment émerveillé de la noblesse d’âme du peuple juif en comparaison avec la rudesse des villageois qui lui avaient refusé l’hospitalité.
Le lendemain, l’empereur demanda à son hôte de l’aider à regagner la capitale : là, il pourrait lui rembourser tous les frais qu’il avait engagés pour le sauver. Encore une fois, l’épouse de l’aubergiste l’avertit que c’était peut-être un piège mais il répliqua qu’il avait confiance et qu’il fallait aider les étrangers.
Quand ils arrivèrent devant le palais royal, l’étranger demanda à ce qu’ils s’arrêtent et, devant l’aubergiste étonné, il entra et disparut à l’intérieur. Quelques instants plus tard, des gardes s’approchèrent du Juif et lui demandèrent de les suivre. L’aubergiste tentait de comprendre quel délit il avait pu commettre mais déjà, il se tenait debout devant l’empereur en personne, revêtu de ses habits d’apparat.
Tremblant de frayeur, l’aubergiste n’osait regarder l’empereur en face. Mais celui-ci s’adressa à lui avec compassion : «Ne me reconnais-tu pas ?» Le Juif répondit qu’il n’avait jamais eu l’honneur de voir l’empereur en chair et en os.
- Mais si ! Pas plus tard qu’hier et ce matin ! C’est moi que tu as hébergé si gentiment ! Demande-moi ce que tu désires, je te le donnerai !
- Majesté ! Finit par murmurer l’aubergiste. D.ieu m’a accordé de quoi gagner ma vie de façon honorable et je n’ai besoin ni d’or ni d’argent. Mais une seule chose me cause des soucis : dans le village voisin, habite un colporteur juif qui propose à la vente les mêmes aliments que moi à mes clients. Il s’agit d’une concurrence néfaste. Votre Majesté pourrait-elle lui interdire l’entrée dans mon village ?
L’empereur tenta de cacher sa consternation devant cette demande si mesquine. Il ordonna à son majordome de donner une forte somme à l’aubergiste soulagé de la tournure des événements. Il quitta le palais, chargé de cadeaux.
L’empereur fit alors appeler Rav Chimchone Wertheimer et reconnut que la réponse qu’il lui avait donnée trois jours auparavant était justifiée : «Comme il est regrettable que cette haine gratuite enlaidisse les nobles qualités que j’ai pu observer dans votre peuple !» soupira l’empereur.
Et Rav Wertheimer ne put qu’acquiescer…

(Durant les trois semaines entre le 17 Tamouz et le 9 Av, le peuple juif pleure la destruction du Temple de Jérusalem qui fut détruit, selon la tradition, par la faute de la haine gratuite. Il sera reconstruit grâce à l’amour gratuit et à l’entraide entre tous les Juifs).

Sichat Hachavoua n°1324
Traduit par Feiga Lubecki